Interview

Yacine Elghorri

Interview de Yacine Elghorri, auteur de Gunman, Bestial et Factory aux éditions Carabas.
 

Sceneario.com : Bonjour Yacine ! Né en 1974 et diplômé du CFT Gobelins, tu as commencé à travailler plutôt dans l’animation. Pourrais-tu te présenter plus précisément et nous parler de tes débuts, nous dire pourquoi l’animation a eu tes faveurs la première et comment s’est fait ensuite ton passage à la BD ?

Yacine Elghorri : L’animation m’a toujours fasciné et les longs métrages Disney y sont pour beaucoup. Cela dit, mon style de dessin a toujours été orienté vers la BD. Inscrit très tôt par mes parents dans une bibliothèque, je dévorais dès l’age de six ans les bd franco-belges (Dupuis, Casterman, Le Lombard…). Puis avec l’âge, mes goûts ont changé et j’ai découvert "Métal Hurlant", la revue dans laquelle dessinaient des grosses pointures comme Moebius, Druillet, Corben,et qui m’ont fortement marqué.

 

La BD me semblait être mon but ultime car à l’époque, travailler dans l’animation me paraissait tellement improbable à moins d’aller au Japon ou aux Etats-Unis ! Après mon bac, j’ai entendu parler du CFT Gobelins et c’est ce qui m’a plongé dans l’animation ! J’ai aussitôt passé le concours. Par la suite, j’ai pas mal bossé sur des séries chez France Fnimation, Saban, Carrere, mais jamais comme animateur ! Je faisais du character design (création de personnages). Ca me prenait beaucoup de temps mais je n’ai jamais vraiment laissé tomber la BD car à côté je dessinais dans des fanzines et dans Kaméha Magazine. Comme j’étais intéressé par le design et que je voulais élargir mes horizons je suis allé à Tokyo pour voir s’il était possible de bosser chez TOEI Animation Studio. Mes deux années de japonais au lycée m’ont peu aidé et il était très difficile d’obtenir un visa alors j’ai décidé de partir aux USA où j’ai vécu quatre ans à faire du storyboard et du design sur des films, des pubs et des dessins animés (Titan A.E., Futurama, Evolution, Seven Up…)tout en dessinant dans la revue "Heavy Metal".

Sceneario.com : Tu as dessiné pour les magazines Kameha et Heavy Metal. Te souviens-tu des conditions dans lesquelles tu as obtenu tes premières participations à ces titres ? Qu’est-ce qui, sur ton CV, a motivé tes employeurs, à ton avis ?

Yacine Elghorri : Pour Kaméha, le rédacteur en chef cherchait quelqu’un pour faire une mascotte. Je me suis présenté et ça a marché. J’ai bossé sur une quinzaine de numéros. Pour "Heavy Metal" magazine, j’ai tout simplement envoyé mes planches déjà dessinées à Kevin Eastman. Ca lui a plu et il les a publiées.

Quand je suis revenu m’installer en France, j’ai pensé que mon CV m’ouvrirait plein de portes et en fait… non !!! Jamais je n’ai été aussi peu respecté en tant qu’artiste que dans les studios français ! Ils ont une horrible mentalité terre à terre, ne savent pas prendre de risques et ont terriblement peur du succès. On vous prend systématiquement de haut et si vous arrivez avec une expérience américaine, vous êtes tout de suite catalogué, envié. Les dessinateurs sont juste "utilisés" et "jetés" alors qu’aux Etats-Unis, les producteurs savent depuis longtemps qu’un dessin animé ne se ferait pas sans dessinateurs ! En fait, mon expérience m’a juste servi à donner des cours de design dans des écoles d’animation…

Sceneario.com : As-tu connu, parmi les auteurs et le staff de ces magazines, des gens qui t’ont aidé ou au contraire… découragé !?

Yacine Elghorri : A l’époque, chez Glénat (Kameha) on m’avait proposé un contrat pour faire une BD dans la collection Akira. Suite à des "divergences artistiques" (j’aime bien cette expression) l’album a été interrompu. Tant mieux, quand j’y pense, car j’étais trop jeune et mon style pas encore abouti…

Sceneario.com : La première BD que tu as signée chez Carabas, c’est Gunman. Le scénario est signé Gabriel Delmas. Comment vous êtes-vous rencontrés ? Et a-t-il taillé son histoire pour ton dessin ou a-t-il fallu que tu adaptes ton art ?

Yacine Elghorri : J’ai rencontré Gabriel pendant une séance de dédicace sur "Totendom". Je lui ai dit que j’étais dessinateur dans l’animation et que j’avais un projet BD à lui soumettre. On s’est revu et je lui ai montré ce que j’avais en tête. Comme nous avons le même âge et à peu près les mêmes références en BD, ça a tout de suite décollé. Il a construit tout le scénar sur les deux ou trois scènes que j’avais imaginées.

J’ai rencontré d’autres scénaristes connus avant lui mais sans que cela donne quoi que ce soit de concret car on m’imposait des styles qui ne me correspondaient pas. Sans Gabriel, je ne pense pas que "Gunman" aurait vu le jour…. 

Sceneario.com : Préfères-tu travailler en noir et blanc ou en couleurs ?

Yacine Elghorri : Dans "Heavy Metal", je dessinais en noir et blanc. J’aime beaucoup ça car le dessin se détache mieux. Pour "Factory" c’est une expérience nouvelle car je n’avais jamais fait de BD en couleur avant ! (Je ne sais même pas si je m’en suis bien sorti…). Entre la couleur et le noir et blanc, je ne peux pas dire que j’ai une préférence car les deux me plaisent…

Sceneario.com : Quelles sont tes influences artistiques, et quelle part ont tes influences américaines ?

Yacine Elghorri : L’Amérique m’a énormément apporté. Sur plusieurs plans à tel point qu’aujourd’hui, je fonctionne sur le système américain basé sur la récompense du risque et de l’effort. C’est une philosophie de la vie à laquelle j’ai d’ailleurs toujours cru. J’ai rencontré, à Los Angeles, des artistes formidablement talentueux ! Du monde entier. Travailler dans le même studio que des storyboarders et designers de James Cameron, Steven Spielberg ou Ridley Scott vous impose le respect ! C’était vraiment épanouissant.

 

Mes influences sont, je pense, très évidentes : Katsuhiro Otomo et Moebius… que je considère comme des génies. Je me sens si petit à côté! Quitte à avoir des références, autant s’inspirer de ce qui se fait de mieux !
 

Sceneario.com : Les styles de Gunman et de Factory « transpirent » l’expérience Heavy Metal. Seras-tu un auteur 100% SF ou d’autres univers te tentent-ils ?

Yacine Elghorri : C’est une bonne question. Non, je ne compte pas rester dans la SF. J’aimerais beaucoup faire un polar violent, un truc contemporain. Il me reste à tomber sur le bon scénariste…

Sceneario.com : Après Gunman, tu as continué à travailler chez Carabas en sortant pour la collection « Les Petits Chats Carrés » le titre Bestial. Qui a proposé à qui de participer à cette aventure : l’auteur, ou l’éditeur ? Penses-tu que Bestial soit adapté au lectorat auquel cette collection est destinée ?!

Yacine Elghorri : J’ai vu chez l’éditeur la petite collection des "Petits Chats Carrés". J’ai beaucoup aimé le format et j’ai proposé "Bestial" un truc pas franchement pour les gamins… C’était très rapide, simple et reposant. C’est comme ça que j’ai développé la technique pour "Factory". 

Sceneario.com : Pourquoi as-tu injecté de l’animalier dans ta SF quand des créatures humanoïdes ou imaginaires (monstres, robots…) feraient tout autant l’affaire ?

Yacine Elghorri : J’aime beaucoup l’animalier. Je suis encore fan de "Chlorophylle" de Macherot ! C’est très agréable de dessiner des animaux avec un rendu graphique réaliste. Ca donne un effet malsain, je trouve ! Et puis mélanger ça avec des robots et des mutants, ça le fait bien ! Avec Gabriel, sur "Gunman", on a poussé encore plus loin avec des canards… c’était son idée.

Sceneario.com : Oui… Un canard en slip dans Gunman, un héros à tête de cochon dans Factory… Tu n’as peur de rien, hein ? 😉 En tout cas, pas de repousser un éventuel futur lecteur qui ouvrirait par curiosité un de tes livres sans connaître ton travail, au risque qu’il le referme en ratant quelque chose !?

Yacine Elghorri : C’est vrai que c’est un risque ! J’aime dessiner ce qui me plaît. C’est aussi très risqué à notre époque de dessiner style "Metal Hurlant", mais en même temps, c’est ce qui me détache du lot. Les fans de cette époque sont durs à reconquérir. Ils ne lisent peut-être plus de BD ! J’aimerais qu’on me laisse le temps de me faire connaître en développant d’autres univers. Ca viendra avec le temps et les gens comprendront ce que j’ai en tête….

Sceneario.com : En combien de tomes la série Factory est-elle prévue ? Y a-t-il un message particulier dans cette première BD 100% Elghorri ?

Yacine Elghorri : 3 tomes, je pense. C’est un délire graphique avec une histoire un peu burlesque. Je ne me prends vraiment pas au sérieux… 

 

Sceneario.com : Quels sont tes autres projets ? En as-tu avec d’autres éditeurs ?

Yacine Elghorri : Je prévois un autre livre genre "Bestial" et je développe des projets dont je préfère ne pas parler pour l’instant car ils ne sont pas signés. Surtout que je devais faire "Les aventures de Gorgo le sale" (Voir image ci-contre) avec Jodorowsky. J’ai fait huit pages dont quatre en couleurs, mais ça n’a pas branché les Humano. Je retiens cependant les deux mois travaillés en tête à tête avec Alejandro Jodorowsky : il a une grande intelligence artistique, c’est exceptionnel !

Sceneario.com : Connaissais-tu le site Sceneario.com ?

Yacine Elghorri : Oui, je connaissais car j’y lis les interviews des artistes que j’apprécie.

Sceneario.com : Merci d’avoir bien voulu répondre à ces quelques questions, Yacine ! Et bonne chance pour la suite…

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