Interview

Vincent Henry, éditeur et scénariste dans le collectif Amour & Désir

Sceneario.com : Vincent Henry… On vous connaissait comme éditeur (La Boîte à Bulles) ou comme chroniqueur pour "La Lettre", par exemple, et voici qu’il nous est donné de découvrir vos talents de scénariste ! Car en effet, ce mois de février 2008 voit la parution de Amour & Désir, un titre collectif auquel vous avez aussi participé en qualité d’auteur en signant deux historiettes.

 

Mais avant d’aller plus loin dans la présentation de cet album, pourriez-vous avant tout vous présenter et nous rappeler un peu l’historique de La Boîte à Bulles ?

Vincent Henry : Eh bien, vous avez déjà dit pas mal de choses. Qu’ajouter ? Que j’ai 42 ans, que j’ai créé La Boîte à Bulles il y a maintenant un peu plus de 4 ans par envie de donner leur chance à de jeunes auteurs, que j’ai toujours été un fan de BD et eu envie d’écrire des scénarios. J’ai créé un festival BD lorsque j’étais étudiant. Puis à partir de 2001, j’ai décidé de revenir à mes premières amours et de m’investir de nouveau dans cette passion. Je travaille donc désormais à mi-temps pour gagner ma vie et pouvoir me consacrer le reste du temps à La Boîte à Bulles.

Nous publions 12 à 15 livres par an, la plupart du temps créés par de jeunes auteurs que nous espérons accompagner dans leur parcours artistique. Nous avons donc désormais une soixantaine de livres au catalogue. Après quelques années "durailles", La Boîte à Bulles réussit enfin à équilibrer ses comptes… mais en ne faisant appel qu’au bénévolat (seuls sont rétribués les auteurs et notre fidèle maquettiste, Vincent Rioult)

Sceneario.com : Les début furent-ils, d’entrée, prometteurs ? Comment "pariez-vous" sur une bande dessinée à mettre au catalogue et comment évaluez-vous ses chances de conquérir un public ?

Vincent Henry : Les débuts furent très prometteurs car parmi les tout premiers ouvrages sont parus Le Cabinet Chinois de Nancy Peña et L’Immeuble d’en face de Vanyda, deux auteures dont la popularité s’est confirmée ! En fait, je publie d’abord ce qui nous plaît – avec Francis Adam qui participe au choix et au suivi éditorial de certains livres – et ce qui fait sens dans le catalogue. Si le livre nous enthousiasme, que l’auteur nous intéresse, les probabilités de ventes sont secondaires. On a pris certains projets a priori difficiles tels que (A)mère en se disant qu’on n’en vendrait que 400. On s’est d’ailleurs trompé, le livre a rencontré un plus grand succès !

Sceneario.com : Quels ont été les fiascos et les victoires ?

Vincent Henry : Publier un livre qui mérite d’exister n’est jamais un fiasco. On enrage juste de pas le voir toucher le public qu’il mériterait. Je pense ainsi par exemple à Jean-Luc Coudray et Jose Roosevelt dont l’immense talent mériterait d’être reconnu du grand public. Je ne regrette aucun des livres que nous avons publiés. J’enrage surtout quand la réalisation / fabrication n’est pas à la hauteur de l’œuvre, que nous n’avons pas offert à l’œuvre l’écrin qu’elle mérite. Je pense ainsi à Anna, BD dessinée par Christophe Bec dont les scans sont trop bouchés ou à Petites hontes enfantines dont la maquette et l’impression ne sont pas optimaux.

Mon plus grand échec par rapport à mes envies initiales, c’est sans doute de ne pas avoir jusqu’à présent réussi à intéresser les lecteurs de la BAB à des BD cartonnées, au format plus classique. Au début, je voulais avoir un catalogue assez large, en fait le public et les libraires ne semblent pas suivre, ils préfèrent que l’on reste dans notre veine principale, mieux identifiée, de romans graphiques intimistes, poétiques, d’humour engagé.

Les victoires, c’est de publier un beau livre et de réussir à ce qu’il trouve un public. Pas nécessairement énorme, mais significatif. C’est aussi de voir des auteurs déjà confirmés tels que Tommy Redolfi, Christophe Bon, Vincent Dutreuil, Gabriel Delmas, Simon Hureau… désirer publier à la BAB car ils ont envie qu’un de leurs projets s’inscrive dans notre catalogue. C’est enfin de constater que la plupart des auteurs ayant publié à la BAB continuent à avoir envie de le faire, même en alternance avec d’autres éditeurs.

Sceneario.com : Que ressentez-vous lorsque des talents que vous avez lancés partent signer chez d’autres éditeurs ?

Vincent Henry : S’ils partent définitivement, cela ne me fait pas plaisir. Mais je ne leur en veux pas, chacun a sa liberté. Et s’ils ont une proposition mieux payée ailleurs, je les comprends même parfaitement.

Pour le moment, la plupart des auteurs sont plus dans une logique d’alternance que de départ définitif : Vanyda réalise actuellement deux albums pour Dargaud avant de boucler le troisième tome de L’Immeuble d’en face. Tant mieux si Dargaud lui permet de gagner encore en notoriété. Jean-Christophe Pol alterne Carabas, Pif et La Boîte à Bulles, Sylvain-Moizie a des projets pour Shampooing, d’autres pour nous, Clément Baloup travaille aussi pour Le Seuil, pour Carabas… C’est très bien comme cela. Et je peux même vous dire que j’ai déjà poussé certains gros éditeurs à s’intéresser à des auteurs que l’on publie…

Sceneario.com : Depuis quand vous démangeait l’envie de signer vous-même un scénario de BD ? Et… dessinez-vous, aussi ?

Vincent Henry : Alors, pour ce qui est du dessin, je vais être obligé de contredire Joann Sfar : non, tous ceux qui savent écrire ne savent pas forcément dessiner !!! Mais enfin, c’est vrai que j’ai une écriture illisible !

J’ai toujours eu envie de faire du scénario de bandes dessinées. Je me souviens, à 18 ans, j’étais venu passer une après-midi avec Serge Le Tendre pour qu’il me donne des tuyaux. Un moment de rêve… Mais je n’ai jamais osé passer à l’action. Quand on ne dessine pas, justement, ce n’est pas évident d’écrire comme cela, un peu "dans le vide". J’attendais l’opportunité… J’avais failli signer un projet chez Delcourt il y a 4 ou 5 ans mais le dessinateur pressenti n’a jamais fait les planches d’essai… J’ai aussi envoyé des projets de livres pour enfants à divers éditeurs… sans succès ! J’ai également (co-)traduit les trois ouvrages de Nabiel Kanan et Passage Afghan de Ted Rall.

Sceneario.com : Qu’est-ce qui vous a fait faire le pas depuis tout ce temps que vous baignez dans les bulles ? Amour & Désir était-il programmé pour que vous y glissiez – mine de rien – votre travail ou bien serait-il paru quand même sans les deux nouvelles que vous y avez scénarisées ? (Quelles sont les origines de ce projet, et est-ce vous qui avez choisi le thème ?)

Vincent Henry : En fait, j’ai osé franchir ce pas qui me tentait depuis si longtemps car j’avais vraiment trop envie d’écrire l’histoire sur mes filles… (Lemon Incest), le choix du thème du collectif avait été choisi bien avant. Pour les collectifs, je cherche des thèmes qui puissent parler à tous. Pour que les auteurs aient envie de s’exprimer, de créer sur ce thème. Il y eut donc d’abord Dieu(x) & Idoles. Puis Amour & Désir. Et le prochain s’intitulera sans doute Parents & Enfants *

Une fois mon texte écrit, je l’ai proposé à Amandine Puntous qui m’avait montré son travail. Quand elle m’a dit qu’elle était intéressée, j’ai insisté pour qu’elle ne le fasse que si ça lui parlait vraiment… Et j’ai montré les planches à Vincent Rioult, mon maquettiste, pour avoir un œil extérieur… Cela me semble indispensable.

Sceneario.com : En bon élève, vous avez signé le scénario de Lemon Incest, un petit récit autobiographique qui donne bien sa place et à l’amour, et au désir, ne serait-ce qu’en illustrant leurs définitions à vos yeux. Dans le scénario de Méli-mélo, on part carrément dans la pornographie. Pourquoi un tel grand écart ?

Vincent Henry : Les sentiments que l’on éprouve vis-à-vis de ses enfants ne sont, Dieu merci, pas du même ordre que ceux que l’on éprouve entre adultes… Donc le scénario de Lemon Incest me permettait de parler d’un amour sans désir dont j’ai découvert récemment l’existence. Méli-Mélo traite, lui, du désir. Donc il est nécessairement plus osé graphiquement. Mais il me semble que le scénario suggère tout de même que le désir se nourrit lui aussi d’une forme de sentiments… Enfin, à chacun de le recevoir comme il le souhaite !

Sceneario.com : Amour & Désir rassemble des auteurs connus, et d’autres… inconnus. Où lancez-vous vos filets pour attraper de jeunes talents ? Candidatures spontanées avec dossiers, rencontres, ou traques sur internet ?!?

Vincent Henry : Aux débuts de La Boîte à Bulles, le lançais mes filets dans les pages des fanzines. Désormais, je ne suis plus en recherche active car nous avons plus de bons projets que nous ne pouvons en publier… Il n’empêche qu’en ouvrant le fanzine angoumoisin Chroma Comics, je n’ai pu m’empêcher de proposer à Ipomée et Mathéo leRouge de se joindre à nous. Maud m’a été présentée par Karo, Amandine Puntous m’avait contacté pour être publiée… Il n’y a pas de règle !

Sceneario.com : Les auteurs ayant déjà "le pied à l’étrier" dans le monde de la BD acceptent-ils facilement de prendre le temps de participer à ce genre de collectif ? Est-ce une compilation comptant des œuvres anciennes ou bien toutes les saynètes de Amour & Désir ont-elles été créées pour ce titre en particulier ?

Vincent Henry : Tout est original. Par contre, les auteurs ont le droit de rééditer les pages dans d’autres ouvrages après dix-huit mois. Le nombre de pages prouve qu’il n’est pas trop difficile de convaincre des auteurs de participer. Même si j’ai dû attendre le dernier moment pour que Natacha Sicaud confirme sa participation.

Sinon, je propose à tous les auteurs publiés à la BAB de participer et une bonne part se montre intéressée. C’est pour eux un espace de liberté (regarder Hélène de J.C. Pol…), de collaboration nouvelle (Patrice Guillon avec Michel-Yves Schmitt), d’expérimentation graphique… Le reste des auteurs non encore publiés à la BAB sont souvent des auteurs avec qui on a failli travailler (Karo et Jean-Luc Cornette…), avec qui on discute depuis longtemps sur un projet à venir (Simon Hureau, Séverine Lambour, Cmax, Soulman…), qui nous ont contactés dans la période pour proposer un projet (Vincent Dutreuil, Caritte…) ou tout simplement des gens qu’on aime bien, des copains des auteurs déjà participant (le Zarm’atelier presque au complet est de l’aventure, à la suite de Domas et Clément Baloup !)

Sceneario.com : Quel est le tirage de Amour & Désir ?

Vincent Henry : Pas énorme… 1.700, ce qui est déjà pas mal puisqu’au début, je comptais sur un tirage de 1.200 à 1.400. Mais comme les libraires ont bien joué le jeu, j’ai donc décidé de relever le tirage. C’est un hasard mais le fait de sortir le livre pour la Saint Valentin semble avoir été porteur.

Sceneario.com : Beaucoup vous y attendaient, mais La Boîte à Bulles n’a finalement pas tenu de stand à Angoulême 2008. Quelques mots à nous dire là-dessus…?

Vincent Henry : C’est gentil de dire que beaucoup nous y attendaient… Je n’en suis malheureusement pas si sûr ! En fait, on avait justement le projet d’une exposition Amour & Désir à l’occasion d’Angoulême. Il lui a été préféré une exposition philatélique… En outre, nous n’avions aucun album sélectionné, aucune implication dans le volet artistique du festival. Nous n’avions donc que la motivation commerciale pour être présents. Celle-ci n’a pas été suffisante (on fait souvent des pertes à Angoulême !) pour investir le temps et l’argent nécessaires. D’autant que je ne suis pas fan de la séparation trop manichéenne à mon goût entre "éditeur tout public" et "éditeur nouveau monde"…

Sceneario.com : Si on peut se renseigner facilement sur le site de La Boîte à Bulles sur vos projets d’éditeur, quels sont par contre vos futurs projets en tant qu’auteur ?

Vincent Henry : Houlà, c’est sûr que c’est plus flou ! Il m’est plus facile de travailler sur les projets des autres que sur les miens ! En fait, j’ai deux projets en cours, un de livre pour enfants qui reste encore très hypothétique et un projet de scénario avec et pour Joël Alessandra sur Ibn Battuta, un explorateur du monde musulman au 14ème siècle. Mais l’éditeur ne félicite pas l’auteur pour son avancement ! (rires !)

Sceneario.com : Merci beaucoup et bonne continuation, alors !

 

* Mise à jour du 12 mars 2008 : A l’issue d’un débat passionné, les auteurs ont finalement décidé que le thème du prochain collectif serait Utopies & fin du monde. L’éditeur s’est donc rangé à leur avis…

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