Interview

Vincent Delmas pour SYNCHRONE T1

Synchrone T1 couv

Sceneario.com : Pouvez-vous nous raconter la genèse de ce projet ?

Vincent Delmas : Synchrone est le dernier scénario que j’ai essayé de vendre à la télévision. A ma sortie du Conservatoire Européen d’Ecriture Audiovisuelle, très bonne école de scénario à Paris (14ème), j’ai été contacté par différentes productions à la recherche de nouveaux auteurs pour leurs séries polar déjà installées, mais à qui en fait je cherchais inlassablement à vendre mes propres histoires, des thrillers. Et si mes scénarios étaient toujours bien accueillis, la conclusion variait malheureusement assez peu: "Trop noir pour être diffusé à 21h!"

Mon optimisme naturel m’a fait tenir comme ça deux ans, durant lesquels j’écrivais d’arrache-main des projets que j’espérais voir un jour devenir des téléfilms unitaires ou des séries. Après tout, on voyait depuis 2005 Canal+ sortir de vraies pépites novatrices. Puis un jour, un producteur m’a dit, à propos de Synchrone justement: "C’est parfait. Mais reviens dans 10 ans!" Ça a été pour la moi le signal qu’il me fallait changer d’interlocuteurs.

Quelques temps plus tard, je raconte mes déboires à un ami, féru de BD. Moi j’ignore tout du 9ème art, hormis les bons souvenirs d’enfance que m’ont laissé Gaston Lagaffe, Lucky Luke et Asterix. Cet ami me prête alors ses 15 BD préférées, parmi lesquelles Un homme est mort, Quelques jours avec un menteur, Le Choucas, Nuit Noire… Je réalise alors qu’il n’y a pas d’histoire pour la BD, comme je le croyais un peu bêtement. Et qu’au contraire la BD peut traiter tous les genres sans exception, tous les sujets, et surtout en toute liberté.

J’ai ensuite eu la chance qu’on me présente Riccardo Crosa alors qu’il était disponible. J’ai tout de suite aimé son dessin, et comme mon scénario lui a également plu, on a monté un dossier. Trois éditeurs se sont montrés intéressés, mais c’est Le Lombard qui a été le plus réactif et finalement concret. Et maintenant que je suis un peu mieux familiarisé avec les différentes lignes éditoriales, je me dis que Synchrone ne pouvait pas trouver meilleur éditeur.

Sceneario.com : En combien de tomes est prévue cette série ?

Vincent Delmas : Je comprends tout à fait que les lecteurs, parfois échaudés par certaines séries inachevées ou d’autres à rallonge, souhaitent savoir dès le tome 1 pour combien de temps ils "s’engagent". Je ne suis cependant pas en mesure de leur répondre, et pour plusieurs raisons. La première est qu’à l’origine, j’ai élaboré le concept de Synchrone de manière à pouvoir nourrir correctement 6, voire 8 épisodes de 52 minutes. Je ne manque donc pas de matière. Pour autant, il y a évidemment le facteur vente qui entre en jeu. En gros, si Synchrone plaît à de nombreux lecteurs, ce qui semble être le cas, je suppose que Le Lombard nous invitera à le développer selon les besoins de l’histoire initiale. Mais si les lecteurs ne devaient pas accrocher suffisamment, on nous proposera certainement de conclure plus rapidement. Ce n’est évidemment pas une idée plaisante que d’envisager de re-proportionner artificiellement une histoire, mais je comprends aussi qu’il faille parfois se plier aux résultats commerciaux. Ce sera donc en partie les lecteurs qui décideront du nombre de tomes.

Extrait Synchrone T1

Sceneario.com : Vous parvenez à multiplier les sous-intrigues et les flashbacks sans jamais perdre le lecteur, était-ce une volonté initiale de ne pas faire un scénario linéaire ?

Vincent Delmas : Je suis moi-même rapidement perdu dans les scénarios complexes, c’est pourquoi dans les miens je veille à laisser un minimum de gens sur le bord de la route. Et dans le cas de Synchrone, je suis bien aidé par l’érudition des lecteurs de BD, qui en général ont beaucoup lu, et des oeuvres très variées. Quant à la narration double passé/présent, c’est la solution qui m’a parue la plus pratique pour renseigner le lecteur sur le passé du héros, sans devoir ramasser dans le début du tome toutes les infos un peu verbales (type médicales), qui sont primordiales et intéressantes j’espère, mais qui amenées autrement auraient appesanti le récit.

Sceneario.com : Il est rare de voir des scénarios rentrer autant dans les explications scientifiques, pourquoi ce parti-pris ?

Vincent Delmas : Tout simplement parce qu’il aurait été très risqué de ma part d’élaborer une telle intrigue sur un postulat de départ pouvant être vécu comme invraisemblable. J’entends par là que la pathologie imaginaire du héros, qui constitue clairement le sel du pitch, devait également pouvoir s’inscrire dans un certain réalisme. Et bien que le concept de Synchrone flirte avec le fantastique, je souhaitais que les lecteurs l’abordent comme un thriller classique. Ça passait donc par une crédibilisation scientifique du phénomène.

Synchrone T1 extrait 2

Sceneario.com : Allez-vous explorer la relation que vous semblez sous-entendre entre le fonctionnement du cerveau humain et la capacité à commettre des meurtres ?

Vincent Delmas : Ah bon… J’ai fait ça moi? 🙂

Non, ça n’est pas prévu. Notamment parce que ce n’est pas les modifications physiologiques dont Ian a fait l’objet qui le poussent à commettre des actes violents, mais la situation et l’absence de scrupules de ses employeurs. Certes sa pathologie l’aide dans l’exécution de ces méfaits, mais elle n’en est pas à l’origine. C’est d’ailleurs ça que je trouve intéressant chez Ian. Il cumule les caractéristiques propres aux psychopathes, dans le sens où il commet sciemment des actes immoraux avec détachement et méthode, mais du fait qu’on l’y contraigne, qu’il subisse une maladie, et que ses objectifs sont louables, on lui pardonne. Car finalement, bien que ça s’apparente au pire, Ian cherche à faire au mieux.

Sceneario.com : L’histoire démarre en France puis se poursuit aux Etats-Unis. Pourquoi ne pas tout avoir situé dans un seul pays ?

Vincent Delmas : A l’origine, l’essentiel de l’histoire se déroulait en France (je me serais tiré une balle dans le pied en demandant aux producteurs d’envisager un tournage aux quatre coins du monde). Mais lorsque le projet est devenu une bande dessinée, notre éditeur nous a demandé d’envisager les choses de manière plus internationale, notamment en raison de la fin. Ce qui m’a finalement paru très logique aux vues des ramifications de l’enquête, d’autant que les contraintes budgétaires s’étaient envolées.

Enfin, vous allez me trouver très terre-à-terre mais nous avons gardé un encrage en France essentiellement pour ne pas avoir à redessiner les trois premières planches du tome (qui constituaient le dossier). La seconde raison est que Synchrone s’adresse pour l’heure aux pays francophones, et puis ça m’amuse de traiter la France d’un point de vue américain. Même si je ne pousse pas le bouchon jusqu’à affubler nos personnages de noms aussi surnaturels que Bézu Fache (CF: Da Vinci Code).

Sceneario.com : La couverture très choc peut être un argument de vente, mais ne risque-t-elle pas aussi de rebuter de nombreux lecteurs ?

Vincent Delmas : En matière de couverture, toute la réflexion du monde ne vous épargnera pas au final de faire un pari, celui de séduire le plus grand nombre de lecteurs avec un visuel unique. Or, il n’y a pas de pari sans risque. Et là, il est clair qu’avec ces dix litres de sang au sol, Riccardo et Gauthier (Van Meerbeeck notre éditeur) ont fait le pari qu’ils intrigueraient plus de lecteurs qu’ils n’en rebuteraient. Et à lire les internautes, ou entendre les nombreux lecteurs depuis le début de l’été, j’ai l’impression qu’ils ont remporté leur pari. Personnellement je trouve cette couverture gonflée mais réussie. Elle annonce la couleur, retient l’attention, tout en faisant une allusion astucieuse à l’humour noir contenu dans l’histoire. Bravo à eux, ainsi qu’à Oscar Celestini le coloriste.

Synchrone T1 extrait 3

Sceneario.com : Selon vous, le milieu de la Bande-dessinée est-il prêt à prendre plus de risques que celui de la TV, car on lit sur le net que vos scénarios auraient été jugés trop « noirs » pour la télévision ?

Vincent Delmas : Il faut être honnête. Les sommes engagées en cas de réalisation d’un téléfilm sont sans commune mesure avec l’investissement que fait un éditeur lorsqu’il sort une bande dessinée. Le rapport étant à peu près de 1 pour 10. C’est essentiellement pour cette raison que si peu de producteurs/diffuseurs télé se risquent vraiment à l’innovation, car ils peuvent y laisser leur peau en un projet. Bien entendu, les éditeurs prennent eux aussi des risques financiers, proportionnels à l’économie du secteur. Mais j’ai quand même le sentiment qu’ils ont un tout petit peu plus le droit à l’erreur. Ne perdons pas de vue qu’il faut 5 à 10 millions de téléspectateurs pour parler de bonne audience, alors que quelques milliers de lecteurs peuvent faire un succès BD. C’est d’ailleurs cette particularité qui fait le charme de ce média qui, plutôt que d’être en permanence arc-bouté sur une rentabilité de grande échelle, peut s’autoriser à donner naissance à des oeuvres très personnelles, décalées, ambitieuses.

Donc oui, la BD offre plus de liberté et prend plus de risques, c’est culturel, mais aussi économique. Pour l’heure, je jouis pleinement de pouvoir développer une intrigue sans me soucier des coûts de production. D’autant que je sors d’une pièce de théâtre, et débute l’écriture d’un court-métrage.

Sceneario.com : Vincent Delmas, travaillant sur plusieurs médiums, vos influences doivent-être nombreuses ?

Vincent Delmas : Les gens qui ont lu Synchrone ont forcément noté que Riccardo et moi aimions aussi beaucoup le cinéma et les séries tv américaines. Concernant la BD, ne l’ayant redécouverte qu’après avoir imaginé Synchrone, je ne m’en suis pas inspiré pour ce projet. C’est maintenant que je m’en nourri, et je me laisse guider par les conseils d’amis calés ou ceux des libraires, dont la culture est intarissable.

Synchrone T1 extrait 4

Sceneario.com : Quels sont vos derniers coups de cœur BD ?

Vincent Delmas : Je suis en train de découvrir avec grand plaisir Charles Burns et Warren Ellis. Mais concernant des sorties récentes, j’ai passé un moment très agréable à lire 3 Souhaits, Sherman, ainsi que le très divertissant PsykoParis. J’ai également été bien pris par Vigilantes (comme tout le monde j’ai envie de dire) dont j’attends la suite avec impatience. Enfin j’ai dévoré Ghost Money après avoir rencontré lors d’une dédicace Dominique Bertail, qui m’a fait ce portrait amusant. (CF pièce-jointe).

Sceneario.com : Quels sont vos prochains projets BD ?

Vincent Delmas : Je peaufine actuellement une série d’enquêtes policières, sorte de Colombo très modernisé. Suite à quoi je partirai à la recherche d’un bon dessinateur réaliste ou semi-réaliste, pour monter un dossier. Y en a-t-il dans la salle? Mon mail: vincentdelmas.scenariste@gmail.com.

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