Interview

Vincent de Raeve et Stéphan Plottes pour Assis debout

 

Sceneario.com : Bonjour Vincent De Raeve, bonjour Stéphan Plottes ! Vous venez de signer ensemble votre toute première bande dessinée. L’un comme l’autre. Cette bande dessinée, c’est Assis debout, un roman graphique en noir et blanc paru aux éditions Des Ronds dans l’O dans lequel on écoute un homme revenir sur sa reconstruction.

Alors, la question qui vient évidemment après une telle lecture, si intimiste, si personnelle, c’est naturellement de savoir quelle part d’autobiographie il y a dans cette œuvre… C’est l’occasion aussi pour vous deux de vous présenter en quelques mots ! 

 

 Vincent De Raeve : Bonjour, je suis pour ma part le scénariste, cette question me touche donc particulièrement. Il y a évidement une part d’autobiographie dans le récit. Et je sais, pour avoir déjà publié des écrits en ‘je’, que c’est une chose qui n’est pas facile à assumer. Se mettre à nu dans un travail, quel qu’il soit, et le rendre ensuite public est une démarche particulière. Cela permet d’une part une introspection qui peut se révéler thérapeutique, mais c’est également prendre le risque de se livrer à l’autre. L’autre qui interprète ce qui est dit à sa manière. Chaque lecteur a sa propre lecture.

J’ai donc veillé à ne pas tout raconter, à me protéger et à protéger les miens. La chronologie n’est pas respectée, certains éléments sont fictionnels, d’autres autobiographiques… Mais ne comptez pas sur moi pour vous dire lesquels !!! 😉

Stéphan Plottes : Bonjour, je suis le dessinateur de la bande dessinée Assis debout et à ce titre, je suis moins concerné par cette question de la part autobiographique du récit, même si le choix du graphisme et de la mise en page n’est évidemment pas neutre. Le texte était dense et le choix de ne pas utiliser les techniques classiques de la bande dessinée s’est imposé. Pas de phylactères par exemple, pour ce type de récit intimiste.  

Sceneario.com : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Vincent De Raeve : Je travaille actuellement pour un grand syndicat socialiste belge. Mon travail consiste à informer et à défendre nos affiliés sans emploi face aux contrôles de disponibilité que l’état leur impose. (Contrôles que vous allez rapidement connaître en France, Monsieur Sarkozy s’y est récemment engagé…bon courage !) Stéphan est un de nos affiliés, et c’est lors d’une réunion d’information que nous nous sommes rencontrés. Stéphan voulait des renseignements sur le statut d’artiste (équivalent belge du statut d’intermittent). Après quelques minutes nous parlions de Muñoz et de Sampayo : l’histoire pouvait commencer !!!

Stéphan Plottes : Il était beau, il était blond, il sentait bon le sable chaud…(rires).

Sceneario.com : Tout est réalisé en noir et blanc, mais pourtant le premier chapitre est d’un style différent que les autres. Cela signifie-t-il que la réalisation a été faite sur une très longue période qui a vu évoluer le dessin, ou bien Assis debout a-t-il été réalisé en plusieurs fois, ou les différents chapitres dans le désordre par rapport à leur agencement dans le livre ?

Stéphan Plottes : Il n’y a pas de réponse simple à cette question. Sans doute, nous cherchions-nous encore un peu lors de la réalisation du premier chapitre. Mais le héros lui-même est en recherche et regarde sa vie à travers le filtre de l’alcool, ce que le dessin traduit. Et le dessin s’est modifié, a changé en suivant l’évolution du héros, évolution dont je prenais connaissance chapitre après chapitre.

Sceneario.com : Vincent, tu as tenu un blog (http://carnet-d-un-garde-chasse.over-blog.com/) très engagé sur le thème du monde du travail, du chômage… Parle-nous un peu de ton engagement militant… Qu’est-ce qui t’a mené à ces combats ?

Vincent De Raeve : J’ai toujours veillé à bêler le moins possible avec le troupeau ! J’ai travaillé quelques années en usine, comme ouvrier de production. C’est là que j’ai découvert le syndicalisme. Je me suis présenté aux élections sociales, et ai été élu délégué. Ce fut une expérience riche et difficile. Au bout de 11 ans dans cette usine, j’en ai vraiment eu ma claque, et j’ai démissionné. J’ai ensuite postulé à mon emploi actuel. J’ai des rapports parfois compliqués avec l’organisation pour laquelle je travaille, je dois souvent ronger mon frein, apprendre la patience et la stratégie, les rapports de force…c’est complexe et passionnant.

Comme je l’ai dit plus haut, je travaille avec des chômeurs, et plus particulièrement avec ceux qui sont désocialisés, exclus. Humainement, c’est extrêmement riche. Mais j’en prends aussi plein la gueule. J’entends beaucoup de choses difficiles à digérer. C’est probablement pour cela que j’écris. J’ai déjà un peu bourlingué dans ma vie, mais je continue à découvrir au quotidien les aspects les plus durs de notre société ultra libérale. Je continue à croire, même si je suis souvent découragé, qu’il n’est pas vain de vouloir changer les choses.

Sceneario.com : Pourquoi avoir voulu utiliser la bande dessinée comme moyen de parler une fois de plus aux gens de ces thèmes ? La BD est-elle plus indiquée par rapport à d’autres supports pour faire passer certains messages ?

Vincent De Raeve : Ecrire me permet de faire passer des idées, des sentiments, mes observations. Le fait que je sois parfois frustré dans mon travail par rapport à la communication, par rapport à ce qui est ou non stratégique de communiquer, peut être dépassé grâce à ce travail d’écriture et la liberté de ton qu’il me procure. Ma seule censure est une auto-censure.
J’ai publié aux éditions ‘couleur livres’ en Belgique deux récits (bientôt distribués en France), le premier s’intitule ‘L’usine’ et raconte ma vie…d’usine. Le second, illustré par Stéphan, ‘Carnet d’un garde-chasse’, où je fais état de ce que je vis au quotidien dans mon métier d’accompagnateur syndical.

Je me suis efforcé, lors de ces deux expériences, d’avoir une écriture la plus claire, la plus simple possible. Des phrases courtes, parfois assassines, des mots simples.

Je crois que la BD permet d’être encore plus explicite. C’est un langage compliqué, que je suis encore très loin de maîtriser, mais il me semble que le mélange de textes et de dessins permet d’aller encore plus vite à l’essentiel, de faire passer des idées de manière terriblement efficace. J’aime ce média. J’ai éprouvé des sentiments très forts en lisant de la BD. Elle m’a ouvert les yeux et l’esprit. Je continue à écrire des récits, mais j’espère bien pouvoir continuer à m’exprimer au travers de la BD.

Stéphan Plottes : L’image amène quelque chose de plus brut, de moins analytique que le récit seul. On y perd peut-être le détail, la nuance dans le portrait que l’on brosse des différents personnages, mais l’impact est plus fort…

Sceneario.com : Il y a beaucoup de textes dans votre album. Comment avez-vous travaillé pour que chacun puisse s’exprimer pleinement sur les planches ?

Stéphan Plottes : C’était un exercice difficile. Il a fallu travailler soigneusement le découpage pour que textes et images coexistent en bonne intelligence. C’est un roman graphique et les codes ne sont pas les mêmes que pour une bande dessinée classique.

Sceneario.com : Quels ont été vos rapports avec la BD depuis votre enfance, et quelles ont été vos influences pour imaginer puis réaliser Assis debout ?

Vincent De Raeve : Je suis depuis tout petit un boulimique de lecture, bouquins ou BD. Ecrire des livres ou scénariser une BD est pour moi un rêve d’enfance. J’y pensais et j’y croyais très très fort. J’ai pris de longs détours, mais voilà, je fais maintenant ce que je voulais. Au niveau de mes influences, il y a certainement Muñoz et Sampayo, lire les Allack Sinner fut pour moi une révélation. J’aime tant d’auteurs que c’est difficile d’être exhaustif. Entre Tardi, Fred, Pratt, Giraud / Moebius, Spiegelman, Bilal, Cosey, Gotlib, Comès, Sokal, Jodorowsky, Boucq, F’murr… qui choisir !?! Tous !

Comme vous pouvez le voir, mes influences datent ! J’avoue avoir un peu décroché de l’actualité BD de ces dernières années… Mais des gens comme Larcenet, Satrapi, Rabaté ou encore Schréder me touchent beaucoup.

Stéphan Plottes : J’ai une photo sur laquelle on me voit à trois ans, en train de m’endormir sur la table, sans lâcher le crayon que je tenais en main. J’ai toujours su que j’allais dessiner. J’ai été très tôt en contact avec des magazines comme Pilote, Métal Hurlant, A suivre, etc… Ca été une véritable révélation. C’était pas vraiment de mon âge mais c’est ce qui me parlait. Et je me suis très rapidement détaché de Tintin et compagnie, que j’ai toujours détesté.

Sceneario.com : Si l’élection présidentielle n’avait pas tourné à l’avantage de ceux qui nous gouvernent actuellement, Assis debout aurait-il vu le jour ? Aurait-il été moins nécessaire ? Aurait-il subi des modifications ?

Vincent De Raeve : Même si une bonne partie de la BD se passe à Paris, je suis Belge et fier de l’être ! 🙂 Mais j’ai habité quelques années en France, j’écoute souvent Mermet sur France Inter, je lis le Diplo et le Canard, je connais donc assez bien votre actualité politique.

Comme je le dis dans Assis debout, les premières fois que j’ai entendu parler Monsieur Sarkozy, je me suis dit : voilà un homme dont je ne partage pas les idées, mais qui a l’air franc et décidé, sans langue de bois. Je dois dire qu’il m’a eu à l’époque. Mais ça n’a pas duré longtemps, j’ai enclenché la cervelle, et essayé de décoder son discours.

Les décisions politiques de ces derniers mois, l’omniprésence médiatique qui masque savamment les vraies questions…Tout cela me conduit à penser que votre président est un homme dangereux et manipulateur, et qu’il faut par tous les moyens démocratiques possibles le contrer et contrer les idées dont il est le serviteur.

Mais, même si Madame Royal avait été élue, je ne crois pas que pour autant la militance de gauche eut été inutile. Il me semble, tant en Belgique qu’en France, que le PS n’a plus les pieds dans sa base. Certains discours de Mme Royal me faisaient peur. J’avais vraiment l’impression, même si elle est incontestablement plus sociale et progressiste que les gens de l’UMP, que le PS français avait déjà renoncé à la bataille avant même de s’y jeter. Il serait temps à mon sens que les ‘instances’ du PS relisent les textes fondateurs de leur parti.

Stéphan Plottes : Tout à fait d’accord, et c’est la raison pour laquelle j’assume entièrement les deux travaux réalisés avec Vincent. Si on peut continuer à travailler sur des choses qui ont un caractère social, je suis heureux. Parce que ce sont les choses que je pense, mais je n’ai que le dessin pour les dire…

Sceneario.com : Avoir un message engagé à transmettre signifie, pour des auteurs souhaitant être publiés, trouver un éditeur qui ne sera pas réticent à aller dans le même sens qu’eux… Comment avez-vous trouvé votre maison d’édition, Des Ronds dans l’O ?

Vincent De Raeve : Très simplement. Après avoir terminé une quinzaine de planches, Steph et moi avons contacté une quinzaine d’éditeurs, par mail. Deux étaient visiblement intéressés par notre travail. Nous avons choisi la maison d’édition la plus engagée, en espérant avoir une grande liberté dans notre travail. Ce qui a été le cas. Marie Moinard s’est montrée exigeante d’un bout à l’autre, ce qui nous a permis je pense de terminer notre travail, un peu hors délais, mais de le terminer. J’en profite pour la remercier pour sa constance, son intelligence et sa clairvoyance.

Stéphan Plottes : Quand on a consulté le site de Des Ronds dans l’O, on a vu le travail de Marie, à travers Mots d’Elles par exemple. Et ce côté militant nous a plu.

Sceneario.com : En réalisant Assis debout, sur quoi avez-vous voulu insister ? Sur les parties « noires » du sujet ou plutôt sur les éclaircies qui s’invitent au fur et à mesure de la lecture ?

Vincent De Raeve : je n’avais pas au début une idée très claire de ce que je voulais écrire. Marie Moinard a pris un véritable risque en signant avec nous !

Il me semble que les parties noires et les éclaircies qui suivent sont toutes deux importantes. Le ‘héros’ devait à mon sens toucher le fond, au risque de se rendre antipathique, avant de pouvoir rebondir, se reconstruire et passer à d’autres choses, plus claires, plus aimantes, dans l’espoir. J’avais envie qu’après toutes les choses dures exprimées dans les premiers chapitres, le lecteur se sente porté vers du bon, vers un ‘espace bleu entre les nuages’ à la Cosey.

Sceneario.com : Une première BD éditée, c’est probablement une grande fierté. C’est sans doute aussi des ailes qui poussent pour repartir à l’aventure du scénario et du dessin… Avez-vous l’un et l’autre d’autres projets sur le feu ? En commun ?

Vincent De Raeve : Oui, c’est bien entendu une grande fierté, que j’ai envie de partager avec notre éditrice. Mener les choses jusqu’au bout n’est pas toujours facile et je suis très heureux. J’ai d’autres projets sur le feu, avec Stéphan d’abord, un récit qui se passe à Lisbonne, et qui est la recherche par un ‘non-héros’ d’une partie de son histoire familiale, ainsi que la découverte de cette ville rude et attachante. Puis aussi, avec ma compagne, un album pour enfants, intitulé ‘La boule noire’, qui raconte comment une petite fille, par le miracle de l’écriture, a pu éclaircir le monde qui l’entoure.

Pour ces deux albums je serais enchanté de travailler à nouveau avec Des ronds dans l’O. Je voudrais également continuer un recueil de nouvelles en cours depuis longtemps. Et enfin travailler sur une compilation de listes, un peu (je dis bien un peu !) à la manière de Perec. Bref, il y a du pain sur la planche… !

Stephan Plottes : C’est avec un grand plaisir que je souhaite travailler à nouveau avec Vincent sur le projet « Lisbonne ». Nous travaillons actuellement, Vincent a oublié de vous le dire, sur un court récit, un huis clos en salle de bain… Mais vous n’en saurez plus qu’à partir du mois de juin !

Sceneario.com : Rendez-vous est pris ! Merci pour avoir pris le temps de répondre à mes questions ! Et… bonne continuation !

 

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