Interview

TEHY

Sceneario.com: Bonjour et merci d’avoir accepté de répondre à mes questions. Tu portes
deux noms de scène, tu as plusieurs métiers (dessinateur, réalisateur,
scénariste.), alors finalement, comment te décrire ?


Téhy: Plutôt un scénariste, je suppose, en phase d’apprentissage perpétuel, mais
content à chaque fois que j’ai l’impression – subjective, forcément – de
faire des progrès, de savoir un peu mieux raconter. Je considère ces années
comme une sorte de passage pour apprendre à raconter des histoires, à s’y
frotter, tester, jouer à essayer de s’épater, et toutes ces choses là. A
côté de ça, dessinateur ou réalisateur, ce n’est jamais que des façons de
faire passer les idées.

Sceneario.com: Ton métier de scénariste t’a conduit vers différentes histoires, dont celle de « Fée et Tendres Automates » qui se conclut ce mois ci. Après des
péripéties tumultueuses tant dans la fabrication de la série que dans son
récit, le troisième et dernier tome arrive enfin ..Quel est ton état d’
esprit ?


Téhy: A l’instant où je réponds, je suis pile dans mes limbes préférées : l’album
est fini, je ne peux plus rien retoucher, et il n’est pas encore là, il est
comme je le rêve. Après, je vais le recevoir, les défauts me sauteront aux
yeux. Il y a confrontation entre l’album rêvé et ce qu’il est, à chaque
fois. Puis celui qui est prend la place, vire l’album rêvé de ma tête et a
le grand mérite d’exister. Je suis content, car c’est la fin de l’histoire,
et elle n’a failli pas voir le jour, alors que tout avait été écrit pour
cette fin. J’espère que les lecteurs l’apprécieront, bien sur, et en même
temps, j’ai confiance, pas une confiance prétentieuse et imbécile, juste
cette impression d’avoir emmené des personnages que j’aime profondément là
où ils devaient aller.

Sceneario.com: Le thème proprement dit de cette histoire est le rêve d’un vieil
illuminé mais heureux, de voir revivre des poupées disparues depuis des
lustres et qui seraient la pureté, la beauté et la grâce. Malheureusement,
ce rêve est sans cesse contrarié, il n’aboutit pas .comment t’es venu cette
idée ?


Téhy: La première idée est apparue dans un ascenseur, en quittant ma chérie et
étant désireux d’emmener ses lèvres avec moi. Voilà comment naissent les
histoires, dans les ascenseurs ! Là dessus se sont greffées des images… je
suis un scénariste qui fonctionne par raccommodages : je veux dire que
j’essaie de noter des idées qui me semblent bonnes, puis de les tisser entre
elles. Quand ça fonctionne, c’est très très agréable, et on a le grand
avantage de voir plein de jolies idées s’enchaîner. je préfère cette méthode
à celle plus classique du synopsis qu’on développe, puis on cherche une fin,
puis une scene d’action, puis une scene tendre, etc… Alors que lier entre
elles une superbe scène d’action avec une scène de baiser qui nous semble
étonnante, plus une fin qu’on a toujours rêvé de voir… Là une magie peut
se créer !

Sceneario.com: Quand tu écris cette histoire, tu t’adresses à quel public ?


Téhy: Je ne m’adresse qu’a moi, bien sûr. Me faire plaisir est le seul critère.
C’est forcément casse gueule d’être aussi tourné vers soi, et en même temps
je me considère très quelconque, du coup si j’aime, je me dis que je ne
serai peut être pas le seul. Et disons que je pioche plus dans
l’adolescence, j’essaie d’avoir cet état d’esprit assez direct, sans aucune
peur du ridicule, un vrai sentimentalisme avoué. Avec l’age, très vite on
prend une certaine carapace pour se protéger de ce ridicule.

Sceneario.com: On ne situe pas bien l’époque de « Fée… » : il y a des éléments
futuristes, comme les robots, mais également d’autres qui sont plus
contemporains, voire d’époque, comme l’architecture, un peu comme dans les
romans de Jules Vernes, quel est le contexte ? on peut classer cette série
dans le genre steampunk ?


Téhy: Ah, ! je ne connais pas ce genre, mais le mot est joli.
Le mot robot ne
convient pas à l’univers de Fée pour moi, par exemple, il est trop
futuriste. Automate est un mot qui chante beaucoup plus. Tout se passe plus
dans une partie d’imaginaire, je ne saurai dire si c’est notre terre ou
ailleurs, je ne me suis jamais posé cette question. Je n’ai pensé qu’aux
sentiments humains dans cette histoire… A noter aussi, et je lui rend
grâce, la forte influence de Christian Godard dans la façon d’écrire, dans
certaines situations. Là aussi, il s’agit de lectures adolescentes, mais ce
sont bien elles qui ont façonné ma façon d’écrire, de faire penser les
personnages, notamment a travers le merveilleux « vagabond des limbes »…

Sceneario.com: A priori, « Fée… » se déroule dans un futur pas vraiment drôle… Est-ce
ainsi que tu vois l’avenir des Hommes, eu égard au développement
technologique ultra-rapide et au fossé qu’il provoque?


Téhy: On évolue dans une théorie disant que les hommes étaient bons par nature
et que la civilisation, la techno science perverti son esprit. On peut penser
l’inverse, et pour ma part, j’aime croire en cette idée inverse. A l’état
animal, l’homme est un sale prédateur, et c’est la société qui nous pousse,
nous force a nous cadrer, nous sociabiliser, etc. Après, elle engendre
forcément d’autres déviances….. forcément !
Je vois plus le message comme une
perte de l’identité innocente lié à l’âge. Dans le tome 3, c’est Miyaké qui
donne la clé de tout en une phrase, disant que les contes de son enfance,
racontés par sa mère, ont été un poison car ils lui ont fait croire à de trop
belles choses – comme les fées – et qu’il n’y avait qu’amertume en
grandissant, en découvrant la vraie réalité !

Sceneario.com: Pourquoi avoir choisi la pensée à la parole pour les propos des
personnages « non humains »?


Téhy: La voix off est tellement agréable, vous savez quand on pense des
personnages, on pense à leur place, on est dans eux, du coup, il n’y a plus
qu’a retranscrire ces pensées qui nous habitent… Et c’est le meilleur
moyen pour montrer leur vie intérieure, leur aspect résolument tendre.

Sceneario.com: Evidement cette bd a un point fort au niveau du dessin et au niveau de
ce regard de la fée, comment est né en image ce personnage (et les autres
aussi ) ? Tu as donné des directives ?


Téhy: Au départ, j’avais écrit les 3 tomes, et mis en couverture du scénario une
photo d’une tenue Gaultier je crois, avec une fille qui portait cette robe
de perle, avec ce volume. Nous avons cherché un dessinateur pour mettre en
image cette série, un premier déclina notre proposition, et la deuxième
personne fut Béatrice. Pour la Fée, elle s’est directement inspirée de la
robe de la photo. Puis elle me faisait des propositions, et on
avançait pour trouver le bon design entre ce qu’elle aimait et ce que
j’aimais, afin de définir les personnages. Nous sommes partis de Johnny Deep
pour Jam notamment.

Sceneario.com: Comment Frank Leclercq est-il arrivé ici, et comment a t-il repris le
dessin de Béatrice Tillier ?


Téhy: Nous avions des rapports difficiles avec Béatrice, tous deux pinailleurs mais
pas toujours avec la même vision finale, et ça se dégradait entre elle et moi et
elle et l’éditeur. Vers la fin du tome 2, le patron de Casterman m’a appris
qu’ils venaient de signer pour un album avec elle mais qu’il avait veillé à
ce qu’elle ne commence pas avant d’avoir achevé Fée 2… Du coup, sachant
que les écarts entre chaque albums sont de minimum 3 ans, on se retrouvait à
devoir attendre au moins 6 ans dans le meilleur des cas avant d’avoir la
fin. Sachant que l’éditeur ne tenait plus, que elle et moi nous pourrissions
la vie a travailler ensemble, nous avons cherché un repreneur potentiel à
lui soumettre, sachant que la situation serait envisagé sérieusement que si
la solution proposée serait bonne et enthousiasmante.
Ca a fonctionné comme
ça, mais moralement ça a été dur pour tout le monde, ce fut une période
difficile, et pour ma part j’ai détesté être dans ce marasme.
Franck Leclercq avait ce sens du détail, et comme je faisait 90 % du
découpage sur les albums, je savais que la narration serait la même, et je
ne tenais pas à voir disparaître cette série. Ironie du sort, nous nous
sommes retrouvés plus ou moins dans cette période narrée dans les albums, la
perte de l’innocence, les luttes de pouvoir, etc. Triste réalité !
Franck s’est avéré un excellent complice sur ce travail, d’une humeur
incroyable et toujours zen. Et LePrince aux couleurs a pu développé des
choses que peu de gens soupçonnaient à travers ses couleurs- humour, je suis
super satisfait de son travail.

Sceneario.com: As-tu une méthode de travail très précise, bien huilée, ou bien te
laisses-tu porter par tes humeurs, tes envies, tes songes…? Fais-tu
participer ton dessinateur très tôt dans l’élaboration de tes scénarii, ou
bien arrives-tu avec un script « clé en main » si je peux dire pour ton
illustrateur?


Téhy: Sur Fée, c’est très particulier, dans le sens où il s’agit d’un « rêve d’ado »,
et j’avais beaucoup de mal à sortir de la vision de ce rêve. Ce qui était
forcément contraignant pour les gens avec qui j’ai travaillé. J’apprend la
flexibilité, et c’est super agréable.
Sur YIU, nous développons une série
parallèle avec Vax, un jeune auteur très doué, et là j’ai écrit en fonction
de son univers, ce qu’il aimait dessiner. Et j’évolue dans ce sens. Par
contre pour l’instant, je m’investis aussi à chaque fois dans le dessin, et
faisant des pré-crayonnés, les placements, etc. Je voue un culte à la
narration, le dessin ne m’intéresse pas beaucoup en soi. Mais les cadrages,
la mise en scène, pour moi, après le scénario, là est le grand plaisir !

Sceneario.com: Cette bd est une dualité incessante, des contrastes et des
contradictions permanentes : est-ce que ce thème est important pour toi ?


Téhy: J’aime toujours mélanger ça. Extrême violence et extrême tendresse, le chaud
et le froid. Etre profondément inhumain dans une situation, être
terriblement humain. YIU par exemple est très proche de Fée, mais là où Fée
développe énormément de tendresse et un peu de violence, YIU fait l’inverse.
mais du coup la tendresse apparaît presque tout autant, en tout cas
l’humanité.

Sceneario.com: Si Fée et Tendres Automates était un opéra, tu mettrais quelle musique
? Un peu de Casse noisettes de Tchaïkovski contrasté avec de la techno à la
« Georges »* ?


Téhy: Oh ce serait du Danny Elfman je suppose, influence Edward aux mains d’argent
oblige…

* : http://www.georgelefilm.com/

Sceneario.com: Bon voilà, Fée est dans les bacs : est-ce que la rencontre avec le
public va jouer un rôle ?


Téhy: Je n’attends que ça, je suis un anxieux, et quand je dis que je n’écris que
pour me faire plaisir, je suis le plus grand des fourbes. Oui pour me faire
plaisir, mais pas que. J’adore que ça plaise aux gens, qu’ils ressentent ce
qu’on a voulu mettre, leur faire vivre. Et puis, les enjeux sont un peu
particulier aussi, je ne veux pas perturber les lecteurs avec nos problèmes
internes, ce qui compte c’est une histoire et elle seule, ne l’oublions pas.

Sceneario.com: Que penses-tu des festivals ?


Téhy: Je ne suis pas très client, j’en fais très peu du coup quasiment à chaque
fois avec plaisir, et j’adore rencontrer les lecteurs, mais cet univers
fermé qu’est la bd, curieusement, ne ressemble pas à mon monde. Je préfère
être chez moi, travailler sur de nouveaux projets ou avancer mes courts
métrages, ou vivre, tout simplement…

Sceneario.com: Que penses tu de l’Internet comme moyen de diffuser mais aussi de
communiquer en bien mais aussi en mal ?


Téhy: Je ne vois que du bien, même si du coup on réduit les échanges à leur plus
simple information. Pour moi, le pire ennemi de l’homme n’est pas la télé,
c’est le téléphone. le monde est perdu à partir de l’instant où le téléphone
a existé. Aller chez l’autre, se déplacer, là est le vrai échange ! Là on
croise d’autres personnes ! là il se passe quelque chose 😉 Je hais le
téléphone. Je ne pourrais pas m’en passer. Je suis perdu !

Sceneario.com: Que penses tu du courant actuel de la bande dessinée qui se veut plus
intimiste ? comme celle de l’Association , Amok, Fréon, Ego comme x. etc .. des
auteurs comme Satrapi, Sfar, Blain,VermotDesroches, Blutch, etc. )


Téhy: Je n’en connais aucun. J’aime l’idée d’intimiste, de scènes proches des
gens, j’ai par exemple adoré « Quelques jours avec un menteur » de Davodeau,
mais je perçois ces travaux – ce qui est idiot, c’est un avis sans connaître
– comme élitiste avant d’être intimiste, du coup j’ai un barrage primaire.
Et puis il suffit souvent de ne pas s’attaquer aux bons pour se faire une
mauvaise opinion. Mais comme beaucoup d’auteurs, je ne lis pas de bédé, ce
qui est quelque chose que je ne comprend pas bien d’ailleurs… Mes
inspirations sont plus dans le cinéma.

Sceneario.com: Et voilà, on en arrive à la bd dite humoristique telle que celle que tu
fais sous le pseudo Jim (voir bibliographie), alors pourquoi faire ces deux
genres très opposés, as-tu une préférence ?


Téhy: Nous sommes là aussi dans les notions d’équilibre, de chaud et de froid.
J’adore faire ces albums d’humour, j’en faisais tout gamin, et je n’ai pas
arrêté. Ils sont souvent bien plus difficiles a écrire qu’un album sérieux.
Un gag pas drôle sera toujours lamentable, une page de Fée sera plus
facilement une page de Fée. Curieusement, c’est dans les albums « humour » que
je me sens le plus auteur, car je parle de vraies choses qui me touchent, je
suis dans la vraie vie, le quotidien ! Du coup, je m’exprime sans détour.
Sous Téhy, c’est plus alambiqué, plus masqué… Je n’ai pas de préférence,
de même que j’aime autant un film d’humour très réussi qu’un bon gros
Matrix.

Sceneario.com: Avec tout ça, est-ce que tu as le temps de lire, d’aller au ciné, de
suivre le courant musical . ? Qu’est-ce que tu aimes dans la culture ? Et,
est-ce que quelque chose ou quelqu’un t’influence ?


Téhy: Je lis un peu, Diastème, Desproges, des auteurs plutôt du quotidien, je vais
au ciné une fois par semaine, sur la musique je passe trop de temps la tête
dans France Inter, et puis le reste est de la vie, du travail, tout le
travail de scénario de courts métrages, les envies de réalisation, etc…

Sceneario.com: Quel est ton rêve ?


Téhy: L’un des rêves est Fée et tendres automates au cinéma, en film ou dessin
animé. Le faire en bd n’était qu’une façon de réaliser le projet, mais la
vraie finalité rêvée est bien le ciné. On verra bien ! Regardez le récit, la
durée est calée sur un long métrage. Quelque chose me dit que ça arrivera,
il faut juste ne pas être trop pressé. Et puis écrire pour le cinéma : Là est
la grande envie. D’ailleurs, août j’arrête tout pour boucler mon scénario de
long métrage… Des vraies vacances en somme !

Sceneario.com: Quel est ton coup de gueule ?


Téhy: Je pense qu’il est temps que l’humanité prenne en main le GRAND problème de
ce début de siècle : ces connards de chien du voisin. Et tous les chiens qui
aboient d’ailleurs et qui pourrissent la vie de millions d’individus sur
terre.
Il faut arrêter de se masquer les yeux et regarder les vrais
problèmes en face.

Sceneario.com: Et maintenant, qu’est-ce que tu vas faire ? Une nouvelle bd ? Tu as
des projets ?


Téhy: Rien n’est plus délicieux qu’un projet ! Je travaille sur YIU, la série de
grands albums, nous sommes sur le 4, et la série parallèle de one shot. Une
bd en 3D qui va être énorme, que j’aime vraiment beaucoup, avec une
infographiste très douée, une histoire très sentimentale là aussi… Un
projet de bd en photo mêlant 3D et effets spéciaux, que j’envoie a un
éditeur cette semaine… Et deux envies de récits que je dessinerai, dans un
style réaliste… Mais difficile de trouver le temps pour démarrer… Sans
compter les projets humour et le court métrage a achever… Raaaah c’est pas
une vie, hein !

Sceneario.com: Téhy, merci beaucoup de toute l’équipe de sceneario.com et du temps que tu m
‘as accordé.


Téhy:
C’est moi, sincèrement. C’est une curieuse impression de s’agiter avec
enthousiasme tout seul dans son bocal, du coup dès que quelqu’un vient
s’intéresser deux secondes, on a l’impression de ne pas tout faire que pour
soi, et ça fait plaisir… Simplement.
Bien à vous, bonne chance à tous !

Tehy/Jim

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