Interview

Svart : coloriste, mais pas que…

Sceneario.com : Bonjour Svart ! Avant toute chose, pourriez-vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer d’où vous est venue l’idée de ce pseudonyme ?

Svart : Bonjour ! Alors… Je m’appelle Fabrice Gagos, ça fait bientôt 14 ans que j’ai 17 ans, et certainement pas toutes mes dents : ça fait longtemps que je ne les ai pas comptées ! Quant à « Svart », ça vient de mon passé de super héros, mais j’ai raccroché car c’était pas rentable financièrement. En vrai, je voulais un pseudo car le fait de signer de mon nom me donnait l’impression de remplir une copie, comme à l’école, ou ma feuille d’impôts ! Bref…

On m’a souvent comparé à un nain : trapu, barbu, grognon… Je sais pas trop où on est allé chercher ça mais le fait est là ! A la base, comme j’avais l’idée de monter une sorte de studio, le Svartalfheim qui est, dans la mythologie nordique, le pays des Nains (en réalité, c’est le mondes des elfes noirs, souvent confondu avec Nidavellir, domaine des Nains, mais Nidavellir même si c’est joli, ça me parlait moins ^^), me semblait donc un nom approprié (en faisant disparaître le « f », quand même) De là, comme finalement je me suis mis à bosser en solo, Svart s’est un peu imposé comme pseudo (parce que Svartalheim c’ est trop compliqué, faut avouer).

En plus, je ne le savais pas à l’époque mais cela veut dire « noir » en suédois (en fait dans toutes les langues scandinaves, avec des variations d’ orthographe, de prononciation, bref…) et je trouvais ça marrant pour un coloriste de s’appeler « noir ».

Sceneario.com : Parlez-nous de votre parcours artistique… Avez-vous toujours aimé colorier ? Comment devient-on coloriste ? Est-ce un métier ou un à-côté ?

Svart : Mon parcours artistique, c’est un grand mot, je n’ai pas fait d’études à proprement parler dans ce domaine. J’ai un BTS électrotechnique et j’ai bossé dans l’industrie pendant quelques années en tant que projeteur en bureau d’études, mais j’ai toujours voulu faire de la BD, même quand je n’en avais jamais lu… Les enfants, parfois, faut pas chercher, hein !?

Du coup, je me suis mis à traîner sur les différents forums et à faire un peu mon éponge, à apprendre de ci, de là. Puis un jour… j’ai fait un essai de couleur pour un album d’Aurélien Morinière que je commençais à connaître depuis longtemps et ça a été mon premier contrat.

Je ne sais même plus réellement comment j’en suis venu a coloriser. Plus jeune, je dessinais (mal), et on me reprochait d’ailleurs souvent de ne jamais mettre de couleur ! Je ne fais que des couleurs sur informatique, je suis totalement incompétent avec un pinceau. Décevant hein ?! J’entends souvent dire en festival ou en lisant des interviews que pour être coloriste, il FAUT savoir peindre… Ben voilà, c’est faux !!!

Quant à dire si c’est un métier ou non… Niveau travail : assurément oui, si tant est qu’on veut faire autre chose que du remplissage. Niveau financier, c’ est plus compliqué… Ce n’est pas toujours évident d’avoir des revenus fixes, on est donc parfois forcé de composer un peu.

Sceneario.com : Missy, puis plus récemment Fauteuils en état de sièges et aujourd’hui Caravane. Vous avez pas mal travaillé (entre autres, quand même) sur des ouvrages parus aux éditions La Boîte à Bulles. Est-ce l’éditeur qui fait appel à vous, à chaque fois, ou le dessinateur ? Comment ça se passe ?

Svart : Pour Caravane, c’est Vincent Henry de la Boîte à Bulles qui m’a contacté, mais parfois les auteurs qui ont bien aimé mon travail me demandent de faire un bout d’essai. Comme partout, il n’y a aucune règle absolue.

Et rappelons que je n’ai pas fait que des albums à la Boîte à Bulles, loin de là, mais c’est marrant cette image d’ « auteur Boîte à Bulles », d’autant plus que je viens de signer un album où je fais tout moi-même (mon premier !) chez eux.

Bref, j’ai assurément une relation particulière avec cet éditeur, on se fait confiance et on aime travailler ensemble. Mais je ne pense pas qu’il ait une politique d’auteur… Le plus important sont les livres et ce qu’ils racontent. C’est un pur hasard que les choses se goupillent comme ça.

Je travaille aussi chez Glénat, par exemple, avec qui je m’entends très bien aussi, cela se voit moins pour le moment, c’est tout !

           

Sceneario.com : Pour Caravane, vous avez colorisé une œuvre qui était initialement parue en noir et blanc et en nuances de gris. Pouvez-vous nous parler un peu de cette volonté qui a (res)surgi de voir ce titre colorisé ? Qui en est à l’origine ? Quelles furent les motivations ?

Svart : Caravane a toujours été prévue en couleurs par ses auteurs. Mais les choses ont fait que le livre a été édité aux éditions Frémok (que très honnêtement je ne connais pas) qui a priori ne fait que du livre en noir et blanc.

Bernard, le dessinateur, a donc travaillé ses planches avec des niveaux de gris, mais il a toujours eu envie de voir de la couleur sur celles-ci. Il en a d’ ailleurs fait quelques-unes qu’on peut voir sur son site. Une rencontre avec Vincent de la Boîte à Bulles qui avait adoré le livre, un coup de fil a Bibi, et ce fut chose faite !

Sceneario.com : Comment s’est passé le dialogue avec Jorge Zentner et Bernard Olivié ? Avez-vous eu totale liberté sur le mode de colorisation et sur les couleurs en elles-mêmes ou bien avez-vous dû suivre un cahier des charges qui répondait précisément à ce qu’ils avaient en tête ?

Svart : Je n’ai eu de contact qu’avec Bernard. J’avais une totale liberté quant à mon travail, en gros j’ai proposé quelque chose, ça a plu, alors on ne s’est pas posé plus de questions et j’ai fait l’album… Et pis voilà !

Sceneario.com : Y a-t-il eu des difficultés particulières à coloriser Caravane ? Par exemple quand il s’agit de trouver toute une palette de teintes à des surfaces qui, si elles n’étaient pas vues de manière impressionniste, pourraient être les mêmes ?

Svart : Je travaille au feeling, je ne me pose pas trop de questions. La colorisation de Caravane était quelque chose qui se devait d’être simple vu le dessin de Bernard. J’ai donc choisi de travailler en à-plats (avec des dégradés légers dans les grandes zones), donc c’était assez facile à faire, techniquement parlant. Par contre il était parfois difficile de saisir les intentions de certaines scènes. Rien de bien méchant, cependant. Parfois avec des dessins beaucoup plus réalistes, on ne saisit pas non plus toujours ce qu’il y a de représenté dans une planche et là… c’est plus grave !!!

Sceneario.com : Caravane a existé et plu en noir et blanc. Cette bande dessinée a donc pu être considérée un temps comme une œuvre à part entière. Pensez-vous qu’elle ait perdu de son âme originelle maintenant qu’elle est en couleurs ?

Svart : Au contraire, elle a trouvé son intention originelle ! Comme je le disais plus haut, le livre avait été pensé en couleurs. Après, effectivement le noir & blanc de la première édition, a pu donner un charme particulier au livre. Laquelle des deux versions est la meilleure ? Ce n’est pas a moi de répondre, d’autant plus que j’aime bien la version de Frémok et que j’ai tendance, une fois qu’elles sont finies, à ne pas aimer mes couleurs !

Sceneario.com : Gagne-t-elle alors une "nouvelle âme" ? Ce qui pose la question : la mise en couleur peut-elle influer sur le message d’une œuvre plus que sur l’impact (puisqu’on sait que visuellement, impact il y a, forcément) ?

Svart : La mise en couleur ou son absence entraîne forcément une différence d’impact à l’image. C’est un choix de narration, de style. Certains choix peuvent même influencer le public auquel se destine un livre. On peut dire beaucoup de choses avec la couleur : de par les ambiance, donner des notions de temps, voire des émotions… C’est finalement le but d’une mise en couleur (où, je le répète, de son absence) que de donner un impact à l’ensemble, une cohésion et surtout une ambiance.

Quant au message, en lui même… Ca va dépendre de comment le projet a été pensé. Le message peut être purement contenu dans le texte si l’ensemble est très narratif , avec un dessin qui ne sert qu’à « enjoliver » le livre… Ou bien être contenu dans le dessin, on peut faire dire quelque chose au texte et tout l’inverse avec le dessin et la couleur. Bref, tout est possible si tout est réfléchi en amont. Ce n’est malheureusement pas souvent le cas même si dans l’ idéal la couleur se doit d’être narrative.

Après il reste quelques « surprises de coloriste » qui arrivent en cours de route et peuvent transcender une œuvre en proposant quelque chose qui « change tout ».

Sceneario.com : Le coloriste est-il la cinquième roue du carrosse ? (Quand on est coloriste, est-on associé au projet dès le départ ou bien est-on contacté quand les choses ont déjà bien pris forme ?)

Svart : Ah… Là, je vais faire un peu de pub et vous envoyer vers mon blog où j’ai fait un article sur ma perception du travail de coloriste (vu qu’on me pose souvent la question, héhéhé !) : http://svart.over-blog.com/article-34501253.html

Sceneario.com : Y a-t-il une pression et un stress typiques du coloriste en cela qu’il est le dernier après qui on attend quand des délais sont à respecter ?

Svart : Il est vrai qu’en tant que dernier intervenant, si les dates de rendu ne peuvent être décalées et que du retard a été accumulé, le coloriste se retrouve souvent à devoir absorber un peu tout ça. Mais personne ne nous attend avec une hache pour nous couper la tête si on est en retard… Il n’y a rien de vital dans ce qu’on fait !

Mais tenir ses délais fait partie du challenge. Je suis de ceux qui détestent être en retard (même si parfois…) et il m’arrive de me faire de bonnes journées/nuits pour tenir certain délai. Mais ce n’est pas typique du coloriste, je pense. Il y a beaucoup de métiers où l’on peut avoir ce genre de responsabilité de « finir » les choses. Et globalement si le retard en amont est vraiment conséquent, on négocie toujours un petit délai : on n’est pas des machines, heureusement !

Sceneario.com : Auriez-vous pu colorier Caravane autrement tout en lui gardant les mêmes force, douceur, mystère et poésie ?

Svart : Autrement ? Difficile à dire… Comme je l’ai dit, je travaille au feeling, je fais ce qui vient sur le dessin, sur le projet. Je n’ intellectualise pas du tout mon travail et une fois qu’il est fait et validé, je ne reviens pas dessus… Donc ça aurait pu être très différent, oui, sûrement, mais on ne saura jamais comment car il n’est pas d’actualité que je me repenche dessus !!!

Sceneario.com : Pouvez-vous nous parler de vos travaux en cours et de vos projets à venir ?

Svart : Dans les choses sûres, il y a le tome 2 de Sixieme soleil chez Glénat avec Laurent Moenard au scénario et Nicolas Otero au dessin qui sort le 30 septembre, et le tome 3 est d’ores et déjà signé, donc dans les tuyaux.

Il y a mon projet perso qui pour le moment s’appelle « Eléonore » et qui devrait sortir en 2011 à la Boîte à Bulles. C’est un one-shot dont la pagination ne cesse de gonfler !!!

Et dans le moins sûr, il y a des projets sur lesquels je travaille au scénario. Les dossiers sont en cours de réalisation. Il ne restera bientôt plus qu’à les défendre auprès des éditeurs : on croise les doigts !!!

Et bien sûr je reste ouvert aux projets en tant que coloriste (je travaille sur une autre mise en couleur d’un projet déjà sorti en noir et blanc… Mais rien de fait encore, donc chut ! et j’étudie ce qu’on veut bien me proposer.

Sceneario.com : Quels sont vos coloristes préférés, et pourquoi ?

Svart : Dave Stewart fait un travail exceptionnel sur Hellboy et BPRD. Il arrive à créer des ambiances incroyables avec des couleurs très simples qui mettent très bien le dessin en valeur. Il contribue clairement au propos de ses séries.

Mais d’une manière générale, la plupart des couleurs qui me plaisent sont surtout des couleurs faites par les dessinateurs. Je pense que lorsqu’un dessinateur fait ses propres couleurs, celles-ci sont « prévues » et réfléchies dès le crayonné. Du coup, l’ensemble marche souvent mieux.

Mais des auteurs comme Mathieu Lauffray, Alex Alice, Ben Templesmith, Tony Sandoval (et j’en oublie !) créent de superbes ambiances colorées.

Je suis aussi un grand fan de noir et blanc !

Sceneario.com : Et bien, merci pour le temps que vous avez bien voulu nous accorder ! Et bonne continuation !

Svart : Merci à vous ! Ce n’est pas souvent qu’on vient me chercher pour une interview, alors c’est toujours un exercice agréable.
 

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