Interview

Stéphane Pêtre, auteur de la série Marbot

 

Sceneario.com : Bonjour Stéphane Pêtre. Pourrais-tu nous rappeler en quelques mots ton parcours et nous dire ce qui t’a mené à vouloir faire de la BD ?

 

Stéphane Pêtre : Là où tous les enfants délaissent le dessin au moment du passage à l’écriture, certains persistent. J’en suis. J’ai donc maintenu ce rituel magique de réinterprétation du réel par la création d’un univers plus doux, où l’on peut se réfugier à sa guise, comme une sorte de filtre que l’on affine au fil des années. Les planches où Gaston Lagaffe se planque pour dormir, dans cette matrice de livres et de courrier en retard, avec son chat qui ronronne, m’ont profondément marqué. J’imagine, connaissant les turpitudes psychologiques de Franquin, le bonheur tragique qu’il a eu à les dessiner… Dans cette fuite du réel, j’ai logiquement opté pour des études graphiques que j’ai fait durer au maximum. J’ai bienheureusement choisi des parents merveilleux qui m’ont toujours soutenu et accompagné dans ce long travail d’accouchement. Je suis donc, si l’on peut dire, un autiste raté. Maintenant ça va. Tout en ayant cette persistante sensation d’être DANS ce monde, mais pas DE ce monde… Alors je joue mon rôle. Dans ce sens, je ne suis pas un « créateur ». Car on ne peut faire, sur cette planète, qu’avec ce qui existe déjà ! Donc créer à partir de rien est impossible ! Tout comme je ne crois pas à l’imagination mais plus à une sensibilité du global. Nous sommes tous liés. Si un pays souffre sur le globe, tu souffres aussi rien que par le simple fait d’être mis au courant de cette souffrance.

Je me considère donc plutôt comme une créature qui catalyse la frustration de la masse. Celle qui s’est faite castrer par l’éducation, l’école, etc… Et qui ne raconte plus d’histoires. Reste donc cette poignée d’ « artistes », subventionnés par des élites complices. Cette frange qui s’éclate en composant des pièces de théâtre que personne ne comprend, chantent des chansons qui racontent leur vie personnelle, font de l’art conceptuel qui n’intéresse qu’eux et qui écrivent des histoires (BD ou autres) qui narrent de façon plus ou moins masquée leurs tares et leurs ambitions intimes. Voilà pourquoi je fais de la BD. Après, si un lecteur(trice) se plaît dans l’univers que l’on développe et bien… tant mieux, sinon tant pis. Et que l’on ne me traite pas d’égoïste. Ils n’ont qu’à s’y mettre, les lecteurs, à écrire ! Ils verront si c’est facile ! Comme en rock : il y a ceux qui jouent de la guitare et ceux qui regardent. Tu choisis ton camp.

Sceneario.com : Tu as suivi un cursus artistique (Beaux-Arts, Gobelins…), mais… quel est ton rapport avec l’Histoire ? Te rappelles-tu quand tu es tombé dedans ?

Stéphane Pêtre : Lorsque votre mental vous permet d’avoir cette capacité à prendre sans cesse du recul sur les événements et de les différencier de l’émotionnel, l’on peut se rendre compte que l’histoire de l’humanité n’est qu’une mise à l’échelle plus grande de l’histoire d’un homme. Un seul ! Avec ses doutes, ses angoisses, ses espoirs, etc, etc… Donc et si je pousse ce raisonnement à fond, l’histoire de l’humanité et mon histoire personnelle ne font qu’une. C’est vrai que « histoire » rime pour beaucoup avec « passé ». Mais quand j’en vois certains qui se cassent le train à inventer de nouveaux systèmes planétaires, des sociétés aliens avec leurs codes ou bien qui se plongent dans des univers parallèles avec des gnomes et des lutins pour au final, ne faire que raconter une relecture déguisée de notre réalité… Je respecte dans le sens où il existe un lectorat qui demande sa pitance pour déconnecter un peu, pour souffler. Mais je ne pense pas me tromper en disant que, dans sa grande majorité, la production BD ne fait que s’inspirer d’événements ou de personnages ayant réellement existé. Donc historiques.
Pour revenir à cette Histoire, elle m’a toujours fasciné car on peut très justement dire que très souvent « la réalité dépasse la fiction » ou que en géo-politique « plus le mensonge est gros, plus ça passe ». Et puis enfin, quand on s’y intéresse vraiment de plus près, à cette Histoire, que l’on fait l’effort d’y plonger, et bien je peux vous dire que vous êtes subitement pris de vertiges : entre ce que l’on apprend aux gamins dans les manuels scolaires et la « réalité » !

Sceneario.com : Pourquoi avoir eu envie de t’intéresser plus particulièrement à la période Napoléonienne, de réaliser la série Marbot ? Quelles sont tes influences, et notamment en BD ?

Stéphane Pêtre : Si je reprends mes propos précédents, en tant que filtre émotionnel, la BD devait me fournir à un moment précis de mon existence un exutoire bien précis. La période Révolution-Empire est idéale pour un hystérique comme moi. Car l’hystérique, contrairement au narcissique qui se suicide, se doit de mourir au combat, jusqu’à épuisement de ses forces. Après avoir maintenu un peuple sous pression royaliste pendant des siècles, le couvercle saute et on plonge dans la Terreur. Puis, sous couvert des idéaux de liberté-égalité-fraternité, des légions de volontaires partent défendre la patrie en danger. A ce moment précis, par le mérite essentiellement militaire, des gens de basses couches accèdent à de très hautes fonctions. Il se crée même une noblesse d’Empire ! Passionnant à exploiter donc, car sur une très courte période, des hommes totalement pris dans cette folie, vont vivre des destins ahurissants à travers toute l’Europe. On y trouve donc tout le cocktail pour écrire une superbe histoire. Entre vie, mort, blessure, espoir, bravoure, panache, courage, anecdote et au final, une grandiose défaite qui alimentera toute la génération des romantiques désespérés qui suivra et qui crèvera d’ennui de n’avoir plus une guerre à se mettre sous la dent ! Et puis quel plaisir que de dessiner ces costumes ! Il faut dire qu’à l’époque, vu que les armes portaient court, il fallait se toucher pour se battre. Donc rien à faire du camouflage. Au contraire, c’est du grand théâtre ! C’est en écrivant une biographie sur ce sujet que j’ai découvert les mémoires du baron de Marbot. Il cumule tout, a tout vu (ou presque) et a tout vécu. En plus, c’est très bien écrit. J’ai même eu le privilège de rencontrer la descendance qui m’a très aimablement fourni des documents de famille qui n’ont fait qu’étoffer le projet et donner encore plus d’épaisseur au personnage. Merci encore à eux. Je précise encore que c’est une libre interprétation…

Concernant les influences BD, j’ai un frère devant moi et je récupérais, en suivant, le magazine Spirou. Nous étions au milieu des années 70. A cette époque je regardais juste les images. J’ai donc été fortement marqué par l’univers du quatuor Will-Delporte (Isabelle, Tif & Tondu), Macherot (Sybiline avec Deliege) et évidemment Franquin. J’oublie Wasterlain avec Dc Poche. Plus tard, toujours sans lire les bulles, j’ai aimé regarder les albums de Pratt, les archives Tintin, en particulier Chez les Soviets… En Tintin couleurs, c’est surtout le passage de la tempête d’orage, dans les 7 boules de cristal, avec le savant qui rit très fort, qui m’a le plus marqué ! J’ai commencé à lire les bulles très tard avec Battaglia, Miller, Mignola et Isaac le Pirate de Blain. Beaucoup aimé aussi la série Nausicaä en manga. Les scènes de bataille sont incroyables. Et le dessin… Toujours en manga, mon fils adore Détective Conan, alors j’y jette parfois un œil… J’avoue dans l’ensemble être un piètre connaisseur et absolument pas un collectionneur.

Sceneario.com : Comment s’était fait le contact avec les éditions Théloma ? Est-ce toi qui les avais démarchés ou bien avaient-ils découvert ton travail et ont voulu l’éditer ?

Stéphane Pêtre : J’ai d’abord terminé le tome 1 entièrement, puis j’ai ensuite démarché en envoyant chaque semaine par email un lot de 5 planches. Comme un épisode ! Je me suis fait rabrouer de partout sauf par Théloma qui a craqué au deuxième épisode. Ils rééditaient alors une série, les « Fils de l’Aigle ». Qui se passe aussi sous l’Empire. Cela a dû aider…

Sceneario.com : Marbot était-elle une série prévue dès le départ en 7 tomes ?

Stéphane Pêtre : Oui. Après avoir dépecé les mémoires du baron (2 tomes, soit 1250 pages), j’ai très vite storyboardé un volume entier et ai pu raisonnablement estimer le projet à 7 tomes.

Sceneario.com : N’était-ce pas un projet trop long, 7 tomes, pour Théloma qui était alors une toute jeune maison d’édition ?

Stéphane Pêtre : Le premier tome était donc terminé au moment de la signature. Le second était en chantier et le troisième en écriture. J’ai plutôt senti au contraire que cela rassurait l’éditeur. Après, je n’ai pas voulu savoir s’il faisait des cauchemars en pensant aux 6 tomes suivants !!!

Sceneario.com : Parle-nous du jour où tu as su que Théloma éditerait Marbot… Un rêve, pour un auteur, non ?

Stéphane Pêtre : C’est vrai. Surtout un soulagement car à cette époque, je ne voyais pas repartir en auto-édition, vraiment pas. Donc un immense bonheur de savoir que ce n’est pas toi qui va scanner, relier, distribuer ton projet… Et puis soudain on se retrouve en dédicace à la Fnac avec sa petite bouteille d’eau, une hôtesse qui s’inquiète pour ta personne et des piles d’albums que tu n’as pas eu à porter… On se retrouve à Angoulême, au restaurant avec d’autres auteurs qui jubilent aussi d’y être arrivés. Du moins, en apparence. Car je suis vite redescendu de mon nuage !

Sceneario.com : Deux albums de Marbot ont vu le jour au catalogue Théloma avant qu’ils n’arrêtent de publier Marbot… Comment as-tu été averti de cela et comment as-tu accusé le coup ?

Stéphane Pêtre : J’ai eu une première grosse alerte lorsque je n’ai pas eu l’occasion de donner mon feu vert pour le « bon à tirer » du tome 2. Il est parti sous presse sans que je puisse voir les scans. Bilan des courses : couleurs surexposées, un vrai carnage ! J’ai été pris d’une vraie rage de hussard !!! Moi, je faisais mon boulot de dessinateur, ok ? Mais que lui (l’éditeur) ne fasse pas le sien et sabote mon travail, là, c’était terminé pour moi. Confiance brisée. C’était en plus en plein salon, à la Conciergerie. Terrible. De ne pas avoir envie de défendre un bouquin, ton bouquin, après s’être tant investi dedans…

C’est comme si je le regardais mourir, de loin, sur ce stand… Puis tout est parti en vrille quand j’ai vite compris que Théloma était zéro en communication. Heureusement, j’avais un réseau solide dans le milieu du Ier Empire et il y a eu un vrai buzz autour des tomes 1 et 2. Une nouvelle fois, c’est moi qui me retrouvais à faire ma com, comme au temps de l’auto-production. Sans cela, il n’y aurait RIEN eu autour de cette série. Je me suis : « Stéphane, tu es maudit mon garçon ! ». Puis, immédiatement après, une petite voix m’a susurré : « Continue, ne lâche pas » !

Sceneario.com : Etais-tu en contact avec d’autres jeunes auteurs qui ont vécu cette même désillusion ?

Stéphane Pêtre : Toute l’écurie Théloma s’est retrouvée dans cette misère totale avec tous les projets qui tombaient à l’eau. Les droits d’auteurs évidemment impayés, et bien entendu l’éditeur injoignable… Comme dans un mauvais film où c’est la femme qui doit comprendre toute seule que son mari la trompe. Car lui n’a pas le courage de lui avouer. Nous nous sommes tous syndiqués au SNAC afin de peser plus lourd et communiquions nos états d’âmes via un forum. Nous en sommes là depuis plus d’une année. Mais je tiens tout de même à remercier sincèrement Théloma qui a cru en mon projet. C’est eux qui ont mis les billes. Après, chacun son métier…

 

Sceneario.com : Tout cela ne t’a pas empêché de continuer à travailler sur ta série en cours et aujourd’hui, aux Editions Personnelles, le tome 4 paraît après le tome 3 qui avait ouvert la voie de la parution web de Marbot en novembre 2007… La motivation est-elle restée la même ?

Stéphane Pêtre : Absolument. Les planches du tome 3 ont même été un court moment entres les mains de l’éditeur… J’ai exigé de les récupérer car je n’en voyais plus le bout. Habitant dans le Sud, j’ai pris le risque de faire expédier les 46 originaux par voie postale. L’éditeur (logé à Versailles) n’en menait pas large de l’expédition. Moi, j’ai prié très fort et les planches sont revenues à moi saines et sauves. Ouf ! Ensuite je n’ai pas voulu attendre un nouvel éditeur. J’ai préféré opter pour un téléchargement libre en PDF (de bonne qualité) pour que la série puisse continuer à vivre quelque part. Je ne me voyais pas garder cette énergie bloquée chez moi. Il fallait la libérer ! La fabrication du T4 a été pour moi la partie la plus cruciale. Seul, sans éditeur, sans aucun (ou très peu) de soutien, j’ai pu sonder en moi-même si j’avais encore la motivation de poursuivre l’aventure. La réponse fut positive.

Sceneario.com : Tu recherches actuellement un nouvel éditeur. Comment t’y prends-tu ? Les T1 et T2 parus chez Théloma sont-ils un atout dans tes démarches ?

Stéphane Pêtre : J’ai recommencé les démarches pour trouver un nouvel éditeur juste avant de finir le T4. J’ai ratissé large en envoyant des cartes postales reprenant la couverture des 4 tomes. Sur un super papier 280g en quadri… En concluant que c’était maintenant eux qui avaient les cartes en main… Ahahahah ! Humour ! Je n’ai eu pour l’instant que des réponses commençant par « Madame, Monsieur, », ou plus généralement aucune réponse ! Je reconnais que d’avoir sorti deux albums cartonnés le fait bien. Mais je pense surtout que c’est la foi en mon projet qui le fait. Si cette série doit revoir le jour chez un éditeur, elle reverra le jour. Point. Moi, je continue.

Sceneario.com : Pourquoi ne pas passer à l’auto-édition sur papier ?

Stéphane Pêtre : Pour la fatigue. Je fais actuellement des tirages d’une intégrale T3-T4, sur un papier blanc cassé, encollé à chaud. Pas terrible, mais c’est histoire de pouvoir le distribuer aux proches afin de leur prouver que la série avance et que je ne suis pas fou ! Je plaisante. Je n’ai rien à prouver ; c’est juste pour tenir l’album en main… Le matérialiser un peu.

Sceneario.com : En combien de temps réalises-tu un album et quand donc, normalement, Marbot sera-t-elle terminée ?

Stéphane Pêtre : La partie sur laquelle je passe le plus de temps est l’écriture. Une année d’écriture en moyenne pour un album, 6 mois pour réaliser le dessin. La partie documentation est la plus fastidieuse (costume, diction, mobilier, architecture…). J’écris toujours le scénario du prochain tome en dessinant le précédent. Donc, en dessinant le T4, j’écrivais le T5. Maintenant que je commence le dessin du T5… Dès le départ, en sachant que la série allait faire 7 tomes, j’ai découpé grossièrement le tout. Je sais donc où je vais et comment cela allait se terminer. Je vois une sortie du T7 en 2011.

            

Sceneario.com : Pourquoi ce concept de visuels de couvertures a-t-il été préféré à d’autres ?

Stéphane Pêtre : Je ne me voyais pas faire une couverture super léchée d’un hussard sur sa monture en contre-plongée, avec une armada de détails… J’ai si souvent été déçu par une magnifique devanture pour un intérieur trop décevant. J’ai donc opté pour un graphisme de couverture simple (certains disent même naïf…) axé sur la trombine du héros mais surtout cohérent avec les planches. Pas de désillusion. Je ne mens pas sur la marchandise. Et puis je trouve sympa de voir son visage passer d’album en album de l’innocence à la maturité.

Sceneario.com : Tout ce temps sur une série, c’est long ! As-tu d’autres projets ?

Stéphane Pêtre : Au contraire, c’est un régal. On évolue forcément avec le personnage. Et comme cette série raconte l’histoire d’une libération ; je me libère avec, en quelques sortes ! J’entreprends chaque volume comme une nouvelle étape de maturation du personnage et de moi-même. Il me tarde d’en arriver au T7 pour gambader ensuite comme un agneau ! Pour l’instant, je suis à fond dedans. Je m’amuse même à suivre l’actualité à 200 ans ! C’est à dire que je sais où était le baron de Marbot en septembre 1808 !!! Après, sans être clairvoyant, je ne me vois pas continuer à dessiner. Un projet, une vie. Et puis je me serai libéré. Fini, le rituel magique du dessin. Plus besoin d’interpréter le réel ! Je pense plutôt faire mon jardin et cultiver mes légumes. Ça c’est réel. Pas le dessin !!!

Sceneario.com : Merci pour le temps passé à répondre à ces questions. Bonne chance donc et longue vie à Marbot !

 

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