Interview

SISCO T3 par Benec & Thomas Legrain chez Le Lombard

Sceneario.com : Bonjour Benec et Thomas

Sisco T3 couv

En mars dernier, est sorti dans toutes les librairies de France et de Navarre, votre troisième opus lié aux pérégrinations de l’agent spécial Sisco. En préambule, vous serait-il possible de nous éclairer sur votre parcours à tous les deux avant d’en arriver à la saga qui vous unit ?

Benec : Oups ! Pour moi, ce sera assez simple, en fait. Je suis ingénieur en informatique. Donc rien à voir avec la BD. Ce qui m’a fait passer de lecteur lambda à scénariste, c’est un ami qui, un jour, a voulu s’essayer à dessiner une BD et qui ne trouvait pas d’histoire. On a pas mal discuté. Le projet est vite parti dans les limbes, mais l’envie de raconter des histoires m’est restée …

Thomas Legrain : Après avoir fait une licence en histoire, puis une autre en criminologie, je me suis dirigé, très logiquement, vers une carrière de dessinateur. J’ai toujours dessiné des bds, et il m’a semblé temps d’essayer de me faire publier. J’ai posté quelques planches sur le site bdparadisio, et Jean-Claude Bartoll, scénariste d’Insiders, m’a contacté. On a monté deux projets, L’Agence et Mortelle Riviera, respectivement publiés chez Casterman et Glénat. Pour dire les choses autrement : j’ai eu un bol pas croyable.

Sceneario.com : Comment s’est opérée votre association ? Vous connaissiez-vous auparavant ?

Benec : Pas du tout. C’est un très heureux concours de circonstances. J’ai repéré un jour les dessins de Thomas sur BDParadisio. Je le contacte par mail et je lui envoie le scénario des 2 premiers tomes de ce qui deviendra Sisco.

Thomas Legrain : et là, pas de chance, j’adore le projet mais je suis blindé. J’avais encore 2 ou 3 tomes à faire pour mes autres séries et j’étais sous contrat. J’ai donc dit à Benec que je le recontacterais une fois arrivé au bout de mes autres projets.

Sisco T1 couv

Benec : Un dessinateur qui aime bien, c’est appréciable, mais pas disponible, ça l’est moins. J’ai donc continué ma quête de mon côté. J’ai bossé avec un autre dessinateur, Giuseppe Liotti, mais il bossait en même sur une autre histoire qui a avancé plus vite que la notre, et je me suis à nouveau retrouvé, seul, pauvre scénariste avec ses pages sur les bras. ^^.

J’avais décidé de faire une pause dans mes recherches et de me consacrer à une autre histoire quand Thomas m’a rappelé. Et quand un dessinateur de la qualité de Thomas vous rappelle, on ne se pose pas de questions : on le kidnappe et après on négocie.^^

Thomas Legrain : Mes projets étant en passe d’être terminés, j’ai donc rappelé Benec. On a monté Sisco, envoyé au Lombard. On l’a envoyé chez eux car Benec venait de gagner le concours Raymond Leblanc et que de mon coté, j’avais déjà eu des contacts très sympas et encourageants avec eux quand j’étais beaucoup plus jeune, bien avant de passer pro. Ils ont accroché rapidement. Le temps de terminer mon dernier tome pour « L’Agence » et de mettre au point les retouches demandées par Le Lombard, on signait le projet et on s’est mis au boulot.

Sceneario.com : Comment est né l’agent de la République Sisco et la DGSPPR ? Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel héros de l’ombre dans un tel organisme ?

Benec : Sisco est né d’une idée toute bête. Je relisais « Mitterrand et les 40 voleurs » de Jean Montaldo, lorsque je me suis demandé si, effectivement, il pouvait être possible que certaines personnes, au pif, les services de sécurité ou les fameuses cellules grises de Mitterrand, n’auraient pas pu organiser cela. Un agent aurait donc été chargé de faire le « ménage ». Et si, parce que l’improbable est toujours possible, un gentil témoin assistait à la scène ? Que se passerait-il ? Et si, pour changer un peu, on n’assistait pas à la fuite du « gentil » et à son triomphe in extremis, mais plutôt à la poursuite côté « méchant » (terme mal choisi mais qui à le mérite de poser le personnage) et pourquoi pas à sa réussite ?

Le premier diptyque est parti de ces quelques questions. Le Lombard, et notamment Gauthier Van Meerbeck, ont apprécié ce point de vue dans son entièreté. La seule chose qui nous a été demandé est de proposer une histoire qui ne s’arrête pas au tome 2. Donc, les yeux brillants, on a hoché la tête et on a foncé.

Sisco T3 couvSceneario.com : Pourquoi avoir opté pour un personnage certes efficace mais psychologiquement renfrogné et quelque peu impitoyable ? Vous semble-t-il être la représentation idéale du gardien des atteintes à la nation ? Par ailleurs, aimeriez-vous dans les prochains épisodes rentrer plus en détails dans l’analyse de ce personnage (son passé, son affectivité difficile…) ?

Benec : Euh … Ça fait pas mal de questions d’un coup, ça ! Pour ce qui est de la représentation des gardiens de la nation, je pense, d’une façon générale, que cela dépend énormément de qui se trouve à la tête de la nation. Pour revenir à Sisco, le postulat de départ est que le Président confond pas mal la raison d’Etat et ses raisons personnelles (n’y voyez aucune référence actuelle, j’ai monté cette histoire bien avant 2007 ^^). Ce Président et ses petits secrets choisissent donc des hommes capables de les « protéger » selon leurs attentes. Pour ce qui est du caractère de Sisco, il est effectivement impitoyable mais il n’est pas foncièrement méchant. Il a fait le choix d’être du côté des plus forts, de ceux qui font la loi. Il se fait d’abord petit caïd, mais rapidement attrapé, il estime que se couvrir de la loi peut avoir ses bons côtés…

Et oui, il est déjà prévu de faire quelques allusions à son passé. Dès le tome 4, très brièvement, et un peu plus dans le tome 5.

Thomas Legrain : Sisco est ce genre de personnage avec lequel on peut faire à peu près ce qu’on veut. Il n’est pas emprisonné dans un registre « défenseur de la veuve et de l’orphelin » ou « méchant qui doit le rester ». Il est vraiment limite. Du coup, il a un potentiel d’évolution très large. C’est ce qui le rend intéressant selon moi.

Sceneario.com : Où trouvez-vous la matière nécessaire à la construction de chaque mission (l’affaire Saint-Servan, la fille du Président) de votre personnage clé (actualité politique, faits divers, inspirations cinématographiques, documentation particulière…) ?

Benec : D’une certaine façon, on a l’embarras du choix. Le cycle découle directement d’une lecture où il était fait mention de l’affaire Grossouvre. Le cycle 2 … euh … il est encore un peu tôt pour en parler, je pense. Un peu de patience, le tome 4 est prévu pour octobre 😉 et là, la référence devrait être assez visible. Pour la suite, j’évite de prendre des faits trop récents car ils peuvent être vite oubliés. Les évènements plus anciens dont nous nous rappelons peuvent constituer une forme de mémoire collective à laquelle on peu facilement faire des clins d’œil que tout le monde comprendra. Et l’autre avantage est de ne pas se politiser. On raconte juste une histoire.

Sisco t3 extrait 1

Sceneario.com : Hormis le soutien de vos proches, bénéficiez-vous d’appuis techniques d’autres personnalités aguerries en la matière ?

Benec : Oui. On a bénéficié de renseignements de l’intérieur, d’une certaine façon… Mais bon, si on donne des noms … Il y en a qui ont disparu pour moins que ça … ^^

Thomas Legrain : Nous avons en effet certains contacts qui nous permettent de crédibiliser un maximum les histoires, tant au niveau scénaristique que graphique. C’est important, surtout sur les prochains diptyques qui seront encore plus « techniques ».

Sceneario.com : Il semble que vous ayez pris comme résolution de construire votre série par diptyques. Est-ce un choix personnel ou une volonté de l’éditeur Le Lombard ?

Benec : L’éditeur nous a complètement laissé libre à ce sujet. Chose très agréable, d’ailleurs. Le diptyque est le format sur lequel je suis parti naturellement, il est vrai pas mal influencé par les Largo Winch ou les IR$. On a failli partir sur un triptyque mais la première histoire était bancale. On est rapidement revenu sur un diptyque. Et puis, en tant que lecteur, j’aime bien ce format.

Thomas Legrain : J’aime aussi ce format. Pas trop court, pas trop long, il permet de se renouveler, de changer d’ambiance à chaque nouveau diptyque. Et une de nos ambitions sur Sisco est de varier un maximum, de ne pas se répéter d’un diptyque à un autre. Pour moi c’est le format idéal pour ce type de bd et il a déjà largement fait ses preuves.

Sceneario.com : Comment vous partagez-vous le travail ? Est-ce vous oeuvrez séparément (trame d’un côté et dessin de l’autre) ou au contraire, préférez-vous débattre communément de la chose avant toute mise en application ?

Benec : Il y a une bonne symbiose où chacun bosse de son côté tout en partageant ses avancées avec l’autre tout au long des différentes étapes. Dès que je ponds quelque chose qui commence à être cohérent, j’en parle à Thomas qui, en retour, me fait part de ce qu’il aurait envie de voir ou de faire. Ensuite, je fais un découpage grossier par séquence des 2 albums que je lui resoumets (ainsi qu’à l’éditeur) pour accord, remarques et autres critiques, avant d’écrire les 2 albums planche par planche, case par case, avec les dialogues que je lui envoie (ça fait pas mal de mails déjà).

Sisco T3 extrait 2

Thomas Legrain : On bosse vraiment ensemble, on échange énormément, sans se marcher sur les pieds. De plus, le fait que je reçoive l’entièreté des diptyques avant de commencer à les dessiner nous permet de (presque) tout mettre au point et de nous éviter beaucoup de problèmes en cours de route. Il est plus facile de changer une ligne de scénario que de recommencer une planche.

Benec : Certaines choses sont évidentes pour tous les deux et ça avance super vite. Et d’autre fois, il nous faut polém … argumenter pour trouver le meilleur compromis. Le dernier exemple en date, est une histoire de voiture. J’ai failli avoir raison et puis non … ^^ Mais le résultat devrait être très sympa.

Thomas Legrain : Il faut bien le dire : jusqu’ici, il n’y a presque jamais eu de problème, ou en tout cas aucun problème majeur pouvant entraîner un blocage. Je pense qu’on partage la même vision des choses sur la série et sur le personnage, et on se fait confiance mutuellement.

Sceneario.com : Thomas, considérant le rythme soutenu de votre production (2 albums par an), le réalisme quasi-photographique, le dynamisme ambiant de votre dessin, votre méthodologie a-t-elle évoluée depuis l’Agence ?

Thomas Legrain : Non, pas vraiment, si ce n’est que je mets deux mois de plus pour dessiner un Sisco. Je ne fais plus deux albums par an comme avant. En fait, la série se déroulant à Paris la plupart du temps, il est essentiel d’être ultra crédible, car notre public connaît, de près ou de loin, cette ville. Je dois donc être encore plus minutieux et mieux documenté qu’avant. Et je prends d’avantage mon temps, pour m’améliorer et peaufiner un maximum mes planches.

La parution des 4 premiers tomes en deux ans n’est due qu’au simple fait que j’avais de l’avance. Quand le tome 1 est sorti, je finissais le tome 2. Après le tome 4, les sorties vont un un peu s’espacer, d’autant plus que les tomes 5 et 6 risquent de me demander encore un peu plus de travail.

Sisco t3 extrait 3

Sceneario.com : Benec, gardez-vous un œil sur ce que réalise Thomas ou lui laissez-vous les coudées franches dans l’organisation de son dessin ?

Benec : J’ai besoin, lorsque j’écris le détail de l’album, d’imaginer un découpage précis. Le premier projet que j’avais envoyé à Thomas était d’ailleurs doublement découpé : le détail et les dialogues étaient présentés case par case, mais, en plus, je représentais sur une page à côté, le découpage exact de la page telle que je me la figurais. Thomas m’a demandé de lui laisser la main là dessus et j’ai donc viré le découpage visuel. Ce qui me fait gagner pas de temps et économiser mes migraines (je n’étais pas forcément doué). Le gros avantage, c’est que Thomas s’approprie vraiment l’histoire, il la fait sienne, et cela se voit forcément dans le dessin et la mise en page. Ça ne nous empêche pas d’en parler. C’est un vrai ‘plus’.

Thomas Legrain : Je dois quand même dire que les découpages que Benec propose correspondent à mon propre rythme narratif, ça facilite les choses. C’est pour ça que ça a rapidement collé entre nous deux. J’ai demandé à Benec de virer son découpage graphique car c’était pour moi plus une contrainte qu’autre chose, surtout que l’exercice du découpage graphique est une des étapes qui m’amusent le plus et que j’ai mon propre style pour mettre en scène une histoire.

Sceneario.com : Qui est à l’origine du choix de l’effigie de Sisco ? Est-elle inspirée d’une personne existante ? Pareillement pour les autres personnages, en particulier la gente féminine qui est à son honneur ?

Benec : Euh … Le beau mec, c’est moi ?

Thomas Legrain : Sisco est né très rapidement, très naturellement. Il avait juste une coupe de cheveux un peu différente au début. Pour les personnages, ils sont parfois totalement inventés, parfois inspirés d’acteurs ou d’amis, mais je me les réapproprie complètement. C’est presque impossible de deviner de quelle personne je me suis inspiré pour aboutir au personnage final. Mais bon, c’est peut-être du au fait que je ne suis pas un très bon caricatureur ^^

Sisco t3 extrait 4

Benec : Ah non ! Pour ceux qui savent à quoi ressemble Thomas (sinon voir site du Lombard), on le reconnait très bien dans le tome 3, sur une planche.

Sceneario.com : Quels sont éventuellement les auteurs ou les autres productions BD qui vous inspirent ?

Thomas Legrain : Je pense ne surprendre personne en disant que j’ai été fortement influencé par la bd « Van Hammienne » avec le trio Francq/Vance/Rosinsky. Etant autodidacte, je me suis éduqué au réalisme avec ce trio de référence pendant toute mon adolescence, tout en développant mon propre style car je n’ai jamais essayé de les copier. Par la suite, c’est surtout Francq et Jigounov (ils n’en savent évidemment rien, mais je les remercie quand même d’avoir trouvé tant de solutions à mes problèmes) qui m’ont aidé à progresser : Francq pour le dynamisme incroyable qu’il a développé dans Largo Winch (et le dynamisme est toujours LE problème des dessinateurs réalistes), et Jigounov pour son ultra-réalisme chirurgical. Je pense, sans avoir le talent ni l’expérience de ces deux génies, que je me situe un peu entre ces deux styles. Mais d’autres auteurs, comme Christophe Bec et surtout Travis Charest, m’ont aussi fait évoluer d’une manière ou d’une autre.

Benec : Pour ma part, je suis plutôt classique. Pour le côté scénario, j’avoue que Messieurs Desberg, Dufaux et Van Hamme m’apprennent à chaque fois que j’ouvre une de leurs BD. C’est agréable et frustrant à la fois ^^. J’aime aussi énormément ce que font Fabien Nury ou Xavier Dorison.

Sceneario.com : Avez-vous en parallèle d’autres projets en perspective ? Dans le même genre ou autre ?

Thomas Legrain : Pour le moment je me concentre uniquement sur Sisco, mais je ferai peut-être quelques piges ailleurs. Je n’en dis pas plus car il n’y a rien de décidé. On verra ce qui se confirmera ou pas, mais ma priorité reste Sisco, je m’amuse beaucoup sur cette série et je pense qu’elle a beaucoup de potentiel.

Benec : En parallèle, pas tout à fait, mais j’essaye de m’atteler à d’autres idées que je gardais sous le coude depuis quelques temps. Mais pas forcément dans le même genre. Plutôt de l’aventure/action dans les USA d’après-guerre …

Sisco t3 extrait 5

Sceneario.com : Sceneario.com vous remercie de vos réponses et souhaite une longue carrière à SISCO

Benec : Merci à vous.

Thomas Legrain : Merci.

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