Interview

Sandro

Sceneario.com: Après une participation à un tome 7 ( "Les contes du Korrigan" ) et un album à suivre ( "Ectis T1" ) mais chez une maison d’édition qui a entre-temps mis la clé sous la porte (Nucléa), qu’est-ce que ça te fait de voir sortir aujourd’hui le one-shot "Le sang de la Sirène" ?
Sandro: C’est une renaissance… Après Ectis 1, avec Nicolas on a commencé le tome 2 mais ça sentait le roussi chez Nucléa. Le contrat stipulait que le tome 2 serait fonction du succès du tome 1… Donc, on attendait le feu vert officiel de Nucléa pour commencer officiellement le 2… Après 9 mois d’attente, une rupture de stock éditeur du tome 1 et quelques lettres recommandées restées sans réponse, conformément au contrat, on a récupéré les droits sur la série. Nucléa a mis la clef sous la porte et on a présenté Ectis  aux autres maisons d’édition qui n’ont pas été intéressées… À ce moment là, je me suis remis en question. Tu crois que c’est bon, que c’est parti, que t’as le pied à l’étrier, que les albums vont s’enchaîner et  que tu vas faire de ta passion la BD ton gagne pain et puis faut tout reprendre à zéro, monter un projet, faire des planches, renvoyer des dossiers, recevoir des réponses négatives, recommencer, corriger, refaire… En plus, je bossais à l’époque pour une boîte qui m’a planté quasiment en même temps donc plus de boulot. Retour à la case départ.
Et puis un jour, je recroise la route de Jean-Luc Istin (Un grand Monsieur a qui je dois beaucoup) qui me propose de faire quelques planches sur le tome 7 de Contes du  Korrigan. Le boulot est complètement différent. Toutes les pages, les cases son décortiquées. C’est un maître affineur qui cherche à te pousser toujours à donner le meilleur.
Le résultat a semble-t-il été concluant puisqu’il m’a proposé de faire un one-shot pour continuer de progresser. Et voilà "le sang de la Sirène".

Sceneario.com: Et d’arriver chez Soleil?
Sandro: Ce serait mentir que dire que je ne suis pas content (et encore le mot est bien faible) d’être arrivé chez Soleil. C’est… je sais pas… un rêve de gosse qui se réalise. Mon rêve c’est de faire de la BD, et j’ai en plus la grande chance d’être chez Soleil. Le plus important pour moi est de sortir des albums et faire de la BD. Le fait d’être chez Soleil c’est la cerise sur le gâteau. En plus, je bosse avec Istin qui est mon directeur de collection et ça fait du bien de bosser avec des gens comme lui. C’est la crème du gâteau. Il te chapeaute, te conseille, te botte les fesses si besoin, mais il est là et tient sa parole. À moi de faire pareil et ne pas le décevoir. J’aime ces relations de confiance. J’ai connu quelques margoulins qui n’avaient pas ce genre de qualités dans le boulot et ça m’a fait beaucoup de tors. Cet album a été pour moi une grande école, sur tous les plans, tant professionnel, qu’humain. Ça fait du bien mais rien n’est jamais acquis. On en reparlera au(x) prochain(s) album(s) ;o)
En attendant, je profite et je me régale du gâteau (c’est l’heure du goûter).

Sceneario.com: Ce passage chez Nucléa a été vite interrompu par un arrêt des publications de cet éditeur. Est ce que ça veut dire que l’on ne verra probablement pas la fin de cette histoire?
Sandro:
J’en ai parlé un peu plus haut. Y a plusieurs facteurs qui entrent en ligne de compte. Le premier et pas des moindres, les éditeurs n’en ont pas voulu… Peut-être plus tard. L’ autre c’est moi et Nicolas Pona. Personnellement, ça me plairait de reprendre Ectis surtout qu’il y a semble-t-il eu un bon accueil et un public qui a aimé cet album. J’aime bien allé jusqu’au bout des choses et finir ce que je commence. Mais je ne peux pas forcer les éditeurs à reprendre la série. En plus, mon style et mon dessin ont évolué et en revoyant le tome 1, avec Nicolas, on est d’accord pour dire qu’il faudrait tout refaire. Enfin, Nicolas a  mal digéré la pilule et a besoin de plus de temps avant de reprendre éventuellement Ectis. Mais je ne m’en fais pas pour lui, il a quelques séries en cours chez plusieurs éditeurs. Pour en revenir à la question initiale, j’aimerais finir cette série tout comme certains projets qui ont été mis dans les cartons mais seul l’avenir nous le dira.

Sceneario.com: Qui est à l’origine de ce projet ? François Debois, toi, ou les éditions Soleil motivées par une certaine volonté d’étoffer leur collection Soleil Celtic ?
Sandro:
C’est Jean-Luc Istin himself qui m’a proposé le projet. Il m’a fait bosser sur un projet de série avec Fanch (François Debois) mais ça n’a pas été assez concluant. Il avait peur que je ne sois pas encore assez au point et que je me ramasse. Du coup, il m’a parlé d’Anatole Le Braz, un auteur breton renommé. Il souhaitait avoir ces adaptations dans sa collection pour étoffer  mais aussi asseoir la collection Soleil Celtic. Changer un peu du registre des contes et légendes et entrer encore plus dans la culture bretonne et celtique par ces œuvres majeures.
J’avais monter un projet de western avec Nicolas Pona qui n’a pas abouti. Une sorte de La Belle, La brute et les truands version Indiana Jones et X-files avec les grands espaces de l’Ouest, pour changer du tome 2 d’Ectis qui devait se passer dans les sous-sols de Paris avec des architectures à la Jules Vernes genre Steampunk.
Je voulais prendre l’air. Du coup, Jean-Luc m’a proposé l’adaptation de la nouvelle d’A. Le Braz "Le Sang de la Sirène". Il m’a dit que c’est l’histoire d’un conteur qui se rend à Ouessant pour récolter les histoires des anciens. C’est sûr que présenter comme ça on se demande ce qui peut bien se passer. J’ai acheté la nouvelle et je l’ai lue… Non dévorée. J’ai été emballé. Moi qui voulait des grands espaces pour le coup j’étais servi. En plus, je suis amoureux de la mer et j’ai droit à une histoire qui se passe sur une île. Tout au long de l’histoire tu es à Ouessant, tu sens les embruns de la mer (paradoxale pour quelqu’un qui n’a plus d’odorat).
Parallèlement, Jean-Luc a fait bosser Fanch sur le découpage. J’ai fait les 5 premières pages que Jean-Luc a présentées à Mourad Boudgellal et c’est parti.

Sceneario.com: Ce projet t’a-t-il d’entrée été proposé ou bien as-tu été choisi parmi plusieurs dessinateurs potentiels ? Choisi par le scénariste ou par l’éditeur ?
Sandro:
Jean-Luc a cette qualité d’écoute (même si il est très occupé et encore je crois que c’est peut de le dire). On a discuté de ce que j’aimerais faire, de mes goûts, de ce que j’aime ou pas.
Il a une rapidité d’analyse phénoménale et il m’a proposé le projet. Le précédent projet qu’il m’a proposé avec Fanch n’a pas abouti, mais c’est un projet ou un autre dessinateur avait eu le même souci que moi. On n’a pas trouvé la "Bête". Peut-être l’a-t-il proposé à un autre auteur depuis. Sinon, j’aimerais bien y retravailler plus tard car c’est un projet qui m’a énormément plu aussi. Jean-Luc soumet donc un projet qui peut coller et plaire aux auteurs pour éviter que ça ne parte en jus de boudin ou que l’un ou l’autre ne s’ennuie sur un projet qui n’est pas vraiment emballant ce qui risquerait de se ressentir sur le résultat final de l’album. Les premières pages réalisées, il les présente au Big Boss et si c’est validé on signe le contrat et plus que 46 pages à faire.

Sceneario.com: Connaissais-tu François Debois avant cette collaboration?
Sandro:
Non, malheureusement. On a des passions communes pour la mer, les vagues, le surf et la BD. C’est une crème et un tueur au boulot. Tout comme Jean-Luc c’est quelqu’un de bien qui m’a beaucoup appris et apporté. Y a qu’une chose que je regrette… C’est de ne pas l’avoir connu plus tôt.

Sceneario.com: Comment vous êtes-vous rencontrés et comment s’est passée la réalisation de l’album ?
Sandro:
Hihihihi ! Pardon de rigoler. En fait, on ne s’est pas réellement rencontrés. Je veux dire en chair et en os. C’est Jean-Luc qui nous a mis en relation. Il est en transit entre l’île de France et la Bretagne, moi j’ai quitté l’Île de France pour la Gironde. Pour le moment, tout s’est passé par téléphone et par mails. Il m’a appelé, on a discuté et le courant est passé. Je l’ai vu en photo et vidéo sur le net et je lui ai aussi envoyé une photo. J’ai hâte de pouvoir le rencontrer en personne. Peut-être cet été ;o)
Du coup, pour la réalisation de l’album, tout ce passe principalement par mails. J’envoie le storyboard à Jean-Luc et Fanch. Ils valident ou me font rectifier pour améliorer le travail, la mise en scène. Une fois validé, je fais le crayonné que je leur envoie à nouveau pour voir si c’est ok. Puis vient l’encrage que je leur transmets à nouveau pour validation. Pour faire simple entre chaque étape je transmets à Jean-Luc et Fanch pour validation.
Une fois OK, ça part chez Soleil qui scanne les planches et transmet à Christophe Lacroix pour les couleurs.

Sceneario.com: Et avec le coloriste?
Sandro: Pareil, on ne s’est jamais vus, tout ce fait par le net, mails. On a collaboré sur le tome 7 des "contes du Korrigan", c’est lui qui avait mis mes planches en couleur. Tout comme je fais pour les planches, il fait les couleurs, nous envoie son travail et on valide ou rectifie certaines choses. Mais il assure.

Sceneario.com: Est-ce facile de laisser son dessin en noir et blanc à quelqu’un qui doit le mettre en couleur au risque de ne pas avoir le résultat que tu imaginais en dessinant ?
Sandro: C’est sûr que c’est un peu frustrant. Mais c’est plus le côté j’ai pas tout fait sur la planche. Maintenant, j’aime le travail de Chris qui a vraiment assuré sur les couleurs de l’album. C’est un échange mutuel. Le but n’est pas de dire fait ci ou ça, comme ci ou comme ça ou critiquer pour la critique mais pour faire avancer le projet ensemble et qu’on fasse toujours mieux. Je lui ai transmis pas mal de documentation, des liens vers des sites de photos d’Ouessant, après on lui fait confiance. Quand y a des retouches de demandées et que l’unanimité a dit que c’est OK, c’est OK.
En plus, je préfère la couleur tradi et ne maîtrise pas assez bien photoshop pour faire moi-même la couleur. Il me faudrait bien trop de temps. Je viens de faire une illustration en couleur pour un recueil d’illustrations sur les fées pour Soleil Celtic. J’ai passé plus de 2 jours dessus pour la mise en couleur. Je laisse faire ceux qui maîtrisent mieux que moi. J’en suis qu’aux balbutiements et n’ai pas encore toutes les ficelles. Bon en même temps je vais faire des mises en couleur bien plus simples qui vont me prendre bien moins de temps mais pour arriver au niveau de Chris, cela me demanderait bien trop de temps. J’ai encore du travail et plein de choses à apprendre :o)

Sceneario.com: Quelles libertés vous êtes-vous permises les uns les autres par rapport à l’oeuvre adaptée ?
Sandro: Pour ma part, j’avais une grande part de liberté. C’est vrai, les décors existent puisque ça se passe à Ouessant, l’histoire est située fin 1800, chaque endroit a ses costumes, ses coiffes, etc. Ça c’est pour les contraintes (si on veut), Mais, pour les personnages, j’étais complètement libre, même si pour certains qui ont vraiment existé, j’avais des photos d’époque et j’ai fait en sorte qu’il y ait une ressemblance. Ensuite, Fanch, n’a pas fait du copier, coller. Il a joué sur certains côtés ambigus de la nouvelle. Anatole a un background différent que dans la nouvelle, la relation qu’il a avec Marie-Ange est particulière et plus poussée que dans la nouvelle. Il a changé quelques personnages, vieilli certains, mais le fond de l’histoire est le même. En même temps, c’est délicat comme question car je ne voudrais pas dévoiler l’histoire et certains points pour préserver un peu de suspens et pas tout dévoiler des relations entre les personnages, etc. Le mieux c’est de lire les deux pour se rendre compte (la nouvelle fait 80 pages et pour info je l’ai trouvé sur le net en format pdf, comme elle est libre de droit).

Sceneario.com: T’es-tu senti plus contraint dans ce travail d’adaptation que tu ne l’as été pour d’autres projets originaux ? Utilises-tu beaucoup de documentation ?
Sandro:
À partir du moment où le projet m’a emballé, je n’ai pas eu de contraintes. La seule contrainte c’est de faire le mieux possible.
La différence entre l’œuvre originale (fantastique, sf ou autre univers entièrement créé) et une histoire située dans le temps, c’est que la documentation existe. Les costumes, les architectures, les moyens de transports, etc. Donc c’est vrai, j’ai utilisé "énormément" de documentation, car les coiffes et les tenues ouessantines ne sont pas les même que dans le Léon, le Trégor ou la Cornouaille. Chaque région possède ses propres caractéristiques. C’est vrai que j’ai fait en sorte de coller au plus à la réalité. L’histoire se passe à Ouessant, donc forcément je me dis que l’album y arrivera un jour et que le gens de là-bas auraient bien rigolé si j’avais dessiné l’église de Brest où je ne sais où en Bretagne et pas celle de Lampaul. Fanch (le veinard) a pu se rendre sur Ouessant l’été dernier et a fait quelque prises de vue. Le net regorge de photos. Par exemple et pour l’anecdote, la première scène se passe sur le steamer "La Louise" qui a vraiment existé ainsi que l’équipage. Mon souci c’est que je ne trouvais pas de documentation. Je n’allais pas dessiner n’importe quel bateau, surtout que si tu cherches un steamer sur le net t’as que des bateaux genre Mississippi avec la grosse roue derrière. C’était pas trop ça… Alors, j’ai appelé l’écomusée de Ouessant pour savoir s’ils avaient de la doc sur ce bateau. J’aurai pas pu avoir mieux. Marie-No qui y travaillait à l’époque m’a mis en contact avec André Miniou, un descendant du capitaine Miniou du bouquin. Il se trouve qu’il a une super-culture, une méga-connaissance et plein de documentation sur Ouessant et entre autre sur "La Louise". Il m’a gentiment envoyé de la doc, orienté mes recherches, conseillé certains ouvrages. Dès que j’avais une int
errogation ou que ça coinçait sur quelque chose, il avait la réponse. Je lui dois beaucoup.

Sceneario.com: Quels sont tes autres projets ?
Sandro:
Je commence un nouveau projet toujours chez Soleil, toujours dans la même collection Soleil Celtic, et toujours avec Fanch. Une autre adaptation d’Anatole Le Braz. Faut pas trop en parler, mais y a eu une info sur le blog Soleil Celtic concernant le titre (Le gardien du feu). Beaucoup plus sombre, mais toujours en Bretagne, et en mer. Sur un phare même. C’est prévu en deux tomes. Le challenge c’est que Jean-Luc Istin voulait faire cette histoire. La barre est placée plus haut pour moi, va falloir assurer. Et puis l’œuvre originale et l’écriture d’Anatole Le Braz font qu’il faut être à la hauteur de sa plume.

Sceneario.com: Te souviens tu de ton tout premier contact avec Sceneario????
Sandro:
Oui, c’était à peu prêt à la même période ou au printemps, il y a 4 ans, un peu avant la sortie d’Ectis. Tu m’avais contacté pour faire ce que tu viens de faire d’ailleurs, une interview et un dossier sur Ectis. On se retrouve quelques années après pour un autre album. C’est super et je dois vous remercier pour ce que vous faites.
Peut-être au prochain album dans environ un an cette fois si tout va bien.

Publicité