Interview

Romain Renard, pour Un hiver de glace

Sceneario.com : Bonjour Romain, et merci de bien vouloir répondre à ces quelques questions ! Mais avant tout, passage un peu obligé pour vous qui n’avez jamais été interviewé sur Sceneario.com : pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter dans les grandes lignes et nous rappeler votre parcours artistique ?

Romain Renard : Bonjour. Mon parcours artistique couvre un spectre assez large. J’ai commencé en sortant des études (St Luc, Bruxelles) à travailler en tant que story-boarder pour le cinéma, la publicité et le jeu vidéo. Passées quelques années dans ce milieu, j’ai ensuite fait la connaissance de Franco Dragone, co-fondateur du Cirque du Soleil avec lequel j’ai eu la chance de contribuer à l’élaboration de plusieurs spectacles tant en Belgique qu’aux Etats-Unis en tant qu’illustrateur et assistant à la direction artistique. Parallèlement, je commençais mon premier livre aux éditions Casterman. Je suis également musicien et à l’heure actuelle j’oscille entre la réalisation d’albums musicaux, de scénographies de spectacles et des prochains livres.

Sceneario.com : Votre actualité, c’est la parution de Un hiver de glace dans la collection Rivages/Noir des éditions Casterman. Un hiver de glace, c’est l’adaptation en bandes dessinées du roman de Daniel Woodrell Winter’s bone. Cette adaptation est-elle (1) un choix de l’éditeur, une "commande" pour cette collection, (2) est-ce un projet personnel que vous avez présenté et qui "collait" à Rivages/Noir, ou bien (3) est-ce un choix fait par vous parce que l’éditeur vous demandait d’en faire un pour intégrer le catalogue de cette collection ?

Romain Renard : C’est mon éditeur qui m’a proposé de rejoindre la collection. À l’époque je terminais The End et j’ai accueilli cette opportunité avec beaucoup d’excitation. Je connaissais bien (en tant que lecteur) la collection Rivages/Noir et plusieurs titres faisaient déjà partie de mes livres de chevet. En revanche, j’ai mis beaucoup de temps à trouver le texte qui me parlait le plus. A mon sens, lorsque l’on s’attaque à une adaptation, il est important que ce texte vous parle au plus intime. Il y avait bien sûr James Ellroy et toutes les grandes signatures du catalogue et bien que je sois totalement admiratif de leurs œuvres, je craignais d’en être qu’un simple illustrateur, sans vraiment avoir l’opportunité de m’accaparer l’histoire, les personnages. Tout ceci est évidemment subjectif. Et puis j’ai découvert Un hiver de glace. Il y a parfois des choix qui s’imposent, c’était le cas pour celui-ci. L’histoire, l’univers, l’ambiance générale, le rapport entre les protagonistes, tout cela me parlait, à chaque page, je voyais l’image apparaître, je sentais que je pouvais "voler" et m’approprier ce texte !

Outre Un hiver de glace, il y avait Faites-nous la bise, du même auteur. James Lee Burke avec Dans la brume électrique faisait aussi partie de mes derniers choix. Mais une fois encore, la beauté âpre de Un Hiver de glace s’est définitivement imposée.

Sceneario.com : Dans Un hiver de glace, vous avez travaillé avec une palette de couleurs réduite. Dans American Seasons et dans The End, au contraire, vous aviez travaillé en couleurs. Ce nouvel exercice pour vous était-il un challenge et suite à cela, seriez-vous en mesure d’affirmer que vous préférez travailler en couleurs ou comme dans Un hiver de glace ?

Romain Renard : J’ai longtemps cherché l’identité graphique de cette adaptation et j’espère l’avoir résolue en choisissant la bichromie. Avec le sépia pour tout ce qui était extérieur et le vert pour l’intérieur, je voulais donner un côté intemporel à l’action. C’est une histoire qui aurait pu tout aussi bien être décrite à la fin du XIXème siècle qu’à notre époque ; je la considère comme un western moderne, et ce choix de couleurs me semblait donc bien se marier avec l’ambiance. Le challenge résidait surtout dans l’encrage : c’est la première fois que je travaillais au pinceau ! Ma principale difficulté fut de trouver le trait juste. Je n’ai pas envie de m’enfermer dans un "style", il se peut que pour un prochain livre je choisisse encore une tout autre forme.

Sceneario.com : Avez-vous eu des contacts avec Daniel Woodrell pour la réalisation, pour l’adaptation, ou bien avez-vous dû tout gérer seul, sur la seule base de la lecture du roman, voire sur le visionnage du film Winter’s bone ?

Romain Renard : Mes seuls échanges furent avec son agent. Je n’ai malheureusement pas eu de contact avec Daniel Woodrell. Je lui ai envoyé mes pages et les photos que j’avais faites dans sa région. Je ne sais pas ce qu’il en pense, mais si j’en crois son agent, il semble avoir apprécié. Je me suis donc uniquement basé sur son texte. Le film, je ne l’ai découvert qu’il y a quelques semaines, lors d’une avant-première.

En commençant ce projet je ne savais pas du tout qu’un film était en préparation. Je suis heureux d’avoir pu réaliser mes planches sans l’influence de l’adaptation cinématographique. Dans la salle, avant cette projection, j’avais une certaine appréhension. Je savais que la réalisatrice avait travaillé directement avec Daniel Woodrell pour le casting, pour les repérages extérieurs, et assis dans mon fauteuil je me disais : "et si je m’étais trompé ? et si j’étais passé complètement à côté du sujet, à côté des personnages ?" Heureusement, je pense qu’il n’en est rien. Nous avons des différences évidemment, et c’est tout l’intérêt de l’adaptation, ce que l’on met de personnel dans une œuvre qui ne vous appartient pas à la base.

Sceneario.com : Comment s’est fait votre travail de documentation pour Un hiver de glace ?

Romain Renard : La région dépeinte dans le texte est assez méconnue et loin des circuits touristiques. Les montagnes Ozarks sont à la frontière entre les états du Missouri et de l’Arkansas. Il n’existe que très peu de documentation sur la région. Je me suis donc rendu sur place afin d’effectuer un reportage photo. Vivre, côtoyer les habitants, les autochtones, m’a offert beaucoup d’indices sur le caractère des personnages, la façon dont ils se déplacent, la manière dont ils vous parlent, vous accueillent. (A ce sujet, un des personnages dessiné dans le livre est une charmante personne qui m’accueilli, à la porte de sa caravane, avec un fusil sur l’épaule ! Je n’ai pas insisté !!!)

Sceneario.com : Quelles différences notoires avez-vous notées entre le travail de mise en images et de scénarisation d’une biographie (The End) et le travail d’adaptation de roman ? (Dans les deux cas, il y a obligation de ne pas trahir, mais les libertés que l’on peut prendre sont-elles les mêmes ?)

Romain Renard : La différence entre une biographie et une adaptation littéraire, c’est que dans une biographie, la majorité du public connaît votre personnage, ou en tout cas, a de plus fortes attentes que vous ne pouvez pas trahir. Le point commun est la part de personnel que l’on place dans le récit.

The End, Jim Morrison s’intégrait dans une collection aux règles strictes (obligation de commencer par sa mort, de terminer par son enfance, etc…). En 46 pages, je n’avais malheureusement pas assez d’espace pour explorer toutes les parts d’ombre de mon personnage : il fallait donc faire un choix, trouver un axe. Ce choix s’est posé sur sa dépression et sur son rapport au père. En étant au plus proche de sa vie, en me basant sur de nombreuses biographies, je pouvais me retrouver dans l’action que je dessinais. Faire des livres, dessiner, c’est souvent se raconter, même si le sujet ou l’histoire vous semble au premier abord totalement étranger.

Sceneario.com : Les trois bandes dessinées que l’on vous connaît ont été signées chez Casterman. Hasard ? Histoire d’amour ?!? Accompagnement d’auteur par l’éditeur ?

Romain Renard : Je dirais qu’il s’agit d’ un accompagnement d’éditeur à auteur. Un éditeur prend toujours un risque en signant un jeune auteur. Lorsque j’ai commencé American seasons, il était question d’en faire une série, nous n’y avons finalement pas donné suite, mais mon éditeur ne m’a jamais lâché et m’a proposé régulièrement de nouveaux projets. Tous n’ont pas abouti, mais je pense que nous travaillons sur une confiance commune. Finalement, les histoires d’amour se basent souvent sur une confiance commune !

Sceneario.com : Quels sont vos projets BD pour l’avenir ?

Romain Renard : J’ai plusieurs scénarii en cours, mais en ce moment je travaille sur une histoire plus personnelle, plus introspective, sous la forme d’un récit choral.

Sceneario.com : A suivre, donc ! Et merci beaucoup !

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