Interview

Roger Seiter pour Wild River

 

 

Sceneario.com: Bonjour. Ce mois de mars 2008 va voir paraître une nouvelle série chez Casterman: « Wild River », dont le dessin sera assuré par votre complice de « Mysteries », Vincent Wagner. Pouvez-vous nous en dire un mot ?

Roger Seiter: Bonjour. « Wild River » est une saga familiale ayant pour cadre historique et géographique les premières tentatives de conquête des grandes plaines de l’ouest américain et des Rocheuses. Pour la première fois, au début du XIX eme siècle, les Américains franchissent le Missouri et les montagnes pour conquérir l’ensemble du continent nord-américain et rallier la côte du Pacifique. Ils se heurtent bien sûr à des tribus inconnues, souvent puissantes et hostiles, qui vont tenter pendant une décénie, de s’opposer à cette invasion. C’est la seule fois, notamment grâce à l’action du chef shawnee Tecumseh et à son frère le prophète Tenskwatawa, que les Indiens auront une chance de repousser les Américains à l’Est et de préserver leurs terres.

Sceneario.com: Comment est né cette envie de placer le récit dans ces années-là ?

Roger Seiter: Cela a commencé par la lecture du journal de voyage de Lewis et Clark (2 vol édition Phébus, collection Libretto). Pour situer le contexte, en 1803, Napoléon I récupère la Louisiane grâce à un traité secret passé avec l’Espagne. La Louisiane, c’est le tiers central du continent nord-américain. Les Français et les Espagnols n’en ont exploré qu’une infime partie. Comme Napoléon a besoin d’argent pour mener ses guerres en Europe, il s’empresse de revendre ces nouveaux territoires aux Américains. La jeune Amérique n’existe en tant que nation que depuis vingt ans à l’époque. Ses territoires se limitent aux colonies historiques de l’Est. Elle peut, grâce à cet achat, enfin envisager une expansion vers l’Ouest. Entre 1804 et 1806, deux officiers de l’armée américaine, les capitaines Lewis et Clark, accompagnés d’une quarantaine de soldats américains et de guides français, entreprennent un voyage à travers les grandes plaines et les Rocheuses, jusqu’aux côtes du Pacifique. L’essentiel du voyage se fait par voie fluviale et ils en ramènent un passionnant récit de voyage. Ce récit n’est pas adaptable en soi. Leurs préoccupations principales se limitent à se procurer du gibier et à cartographier les territoires qu’ils découvent. Mais ils rencontrent également les tribus indiennes. Certaines d’entre elles, surtout dans les Rocheuses, n’ont jamais vu de Blancs. D’autres, comme les Sioux des plaines, y sont davantage habituées. Ce qui m’a surtout frappé dans ce récit, c’est le regard porté par ces Américains protestants, arrogants et puritains sur les Indiens. Lewis et Clark les trouvent sales, dépravés et malhonnêtes. Pour eux, ce ne sont que des sauvages sans aucune civilisation. Dans ces conditions, pourquoi se priver de leur prendre leurs terres, puisqu’ils n’en font rien. Ce jugement, qui apparaît dès 1804, ne changera jamais et justifiera tous les débordements ultérieurs, jusqu’à la quasi extinction des tribus.
La deuxième raison est la révolte de Tecumseh, entre 1808 et 1813. Ce chef shawnee va tenter de regrouper toutes les tribus pour repousser les Américains à L’Est. Allié aux Anglais, qui eux défendent leurs possessions au Canada (elles aussi convoitées par les Américains), Tecumseh remporte plusieurs victoires sur l’armée américaine, avant d’être tué au combat en 1813. J’arrête-là mon cours d’histoire.

Sceneario.com: Avez-vous envie de vous lancer sur les traces de Fenimore Cooper (l’auteur du « Dernier des Mohicans », entre autres?). D’imaginer une grande saga épique? Hugo Pratt, avec sa superbe saga Wheeling, avait redonné une autre image de cete période, bien que vous ne situiez pas votre récit au même moment, mais au début du XIX eme siècle, je crois.

Roger Seiter: Fenimore Cooper, comme Hugo Pratt, parlent d’un sujet bien différent. Il s’agit de guerres coloniales, menées entre les Anglais et les Français, souvent par compagnies de fourrures et tribus interposées. Le cadre est plutôt les régions de l’Est et des Grands Lacs. Nous sommes à la fin du XVII eme et au XVIII eme siècle. Les deux camps enrôlent des guerriers iroquois ou hurons pour mener leurs campagnes. Les Blancs ne sont pas assez nombreux et surtout, ce sont des colons qui dépendent d’une métropole européenne. Dans Wild River, nous sommes presque un siècle plus tard et les révolutions ont mis à bas les anciens régimes pour les remplacer par des républiques. Cette fois, ce sont des Américains blancs, qui se considèrent chez eux, qui combattent des Américains rouges, qui occupent ces terres depuis des millénaires. En ce sens, Wild River est un vrai western (ce qui n’est pas le cas chez Pratt, même s’il y a des Indiens). Il s’agit bien du début de l’expansion américaine vers les territoires de l’Ouest. Mais c’est un sujet qui n’a pratiquement jamais été traité, ni en littérature (sauf par Fritz Steuben et Orson Scott Card), ni au cinéma (sauf dans « La captive aux Yeux Clairs », de Howard Hawks). Quant à la BD, je ne connaît pas d’album européen qui aborde ce sujet (il y a des albums américains, mais non disponibles en France). Et effectivement, « Wild River » devrait être une saga, mais je suppose que cela dépend surtout du succès rencontré par la série. En tout cas, il y aura au moins trois tomes.

Sceneario.com: Votre collaboration avec Vincent Wagner a montré de très bonnes choses sur « Mysteries » (2 tomes parus). Alors que débute Wild River, prévoyez-vous de continuer aussi cette série inspirée des romans de Wilkie Collins ?

Roger Seiter: En fait, l’adaptation de « L’Hôtel Hanté », du même Wilkie Collins, est déjà écrite. Mais Vincent peut difficilement mener deux séries de front, d’autant qu’il fait également des livres pour enfants. Pour l’instant, nous allons donc donner priorité à « Wild River », dont Vincent est en train de réaliser le tome 2.

Sceneario.com: Comment travaillez-vous avec Vincent ?

Roger Seiter: Vincent et moi, nous avons la chance d’habiter à 20 kilomètres l’un de l’autre, ce qui fait que nous nous voyons… très peu. Mais nous communiquons tous les jours par téléphone ou internet. Au moment de l’écriture du scénario, je lui en parle très régulièrement et lui fait part de toutes mes trouvailles documentaires. Lui, de son côté, se documente également beaucoup et fait ses recherches de personnages. Nous poussons parfois très loin le jeu des recherches documentaires. Dans « Wild River », je fais parler des Indiens. Evidemment, à l’époque, peu d’entres eux parlaient l’anglais ou le français. Je me suis donc acheté une grammaire Lakota/français pour ne pas leur faire dire n’importe quoi. Bien sûr, personne parmi les lecteurs ne va faire la différence, mais cela me semblait mieux ainsi. De son côté, Vincent est allé faire un tour chez un fabriquant français de vrais tipis indiens.
Puis, une fois le découpage et les dialogues des 46 planches terminés, Vincent commence à faire les crayonnés des planches. Il m’envoie pratiquement une planche crayonnée par jour. Une fois qu’il aura terminé les crayonnés, je pense que nous reverrons l’ensemble des planches pour en discuter. Ce sera l’occasion de modifier quelques détails au niveau des textes ou des dessins. Ensuite, Vincent encrera ses planches et passera à la mise en couleurs. A ce stade, je n’interviens plus, car je ne suis ni graphiste, ni coloriste et je fais confiance à mes dessinateurs.

Sceneario.com: Et concernant Fog, qu’advient-il des aventures de Mary Launceston et de Ruppert Graves ?

Roger Seiter: Comme vous l’avez remarqué dans le tome 8, Mary est enceinte. Nous allons donc la laisser accoucher tranquillement et s’occuper de son bébé (je connais son sexe, mais c’est un scoop). Une fois qu’elle aura récupéré, on verra. Plus sérieusement, Cyril Bonin a consacré dix ans de sa vie à « FOG » et je peux comprendre qu’il ait envie de faire un peu autre chose. Il travaille donc actuellement sur un autre projet, qui devrait paraître chez Dargaud. On verra dans quelques temps si on revient à FOG. Mais d’ici là, je crois que Casterman a prévu de sortir FOG en intégrales. A suivre…

Sceneario.com: Nous avons trouvé que Fog est vraiment une très belle série. Dès les premiers tomes, nous sommes devenus fan. D’où vous vient cette passion pour l’époque victorienne, de cette envie d’écrire des récits dignes d’un Conan Doyle, par exemple ?

Roger Seiter: Comparer mes histoires aux romans de Conan Doyle me paraît un peu excessif, mais merci quand même. L’époque victorienne est un sujet qui m’intéresse depuis plus de quinze ans maintenant et il est vrai que j’ai probablement lu des centaines d’ouvrages (romans ou essais) traitant de cette période. Je trouve cette société fascinante, tellement elle est complexe et hypocrite. Je conseille de lire à ce sujet le roman de Michel Faber « La Rose Pourpre et le Lys » ou encore « La Marque de Windfield » de Ken Follet, pour comprendre ce que je veux dire. Et puis, de manière générale, je lis énormément de polars (je viens de terminer tout Henning Mankell, absolument excellent). J’ai donc assez naturellement envie de mettre une dimension policière dans mes récits. Cela m’a d’ailleurs manqué dans « Wild River ». J’ai également un nouveau projet que si passera en Angleterre vers 1890. Le titre de la série sera « Special Branch » et il sera dessinée par Christian Maucler.

Sceneario.com: Concernant HMS, 3 tomes sont déjà sortis et le quatrième est prévu pour août 2008. Pouvez-vous nous en dire quelques mots? Et pourquoi avoir choisi la marine anglaise plutôt que la marine française? Etes-vous amoureux de la mer, des récits maritimes ou bien, c’est juste l’envie de nous raconter de belles histoires ?

Roger Seiter: Je suis justement en train de travailler sur le troisième cycle de HMS, qui se passera dans les Antilles (plus exactement à Saint-Vincent et dans les Grenadines). Une histoire qui traitera de l’esclavage, de la révolte des Garifunas, avec en prime quelques pirates tardifs. Je me suis déjà expliqué sur le choix de la marine anglaise. Le fonctionnement très particulier de la Navy et son rôle primordial dans l’histoire mondiale au XVIII eme et XIX eme siècles ouvrent beaucoup plus de possibilités. John Fenton, par exemple, aurait eu un sort bien différent s’il avait été français. Et puis, je suis effectivement un grand amateur de romans maritimes (Forester, Alexandre Kent, Patrick Obrian) et HMS est au départ une sorte d’hommage rendu à ces auteurs. Quant à la mer, en bon Alsacien, je suis forcément tombé sous son charme tout petit.

Sceneario.com: Vous écrivez aussi des séries fantastiques et d’horreurs (dirons-nous) comme DARK et DIES IRAE. D’où vous viennent ces envies ? Quelles sont vos sources d’inspirations? Dies Irae m’a fait un peu flipper tout de même…

Roger Seiter: Le tome 2 de DARK devrait encore sortir en avril 2008. Maxime Thierry vient de terminer l’album et il est en cours d’impression. Je ne suis en fait pas un grand lecteur de romans fantastiques et encore moins un amateur de films d’horreur. Ce n’est d’ailleurs pas non plus le cas d’Isabelle Mercier, qui coscénarise ces séries avec moi. En réalité, c’est plutôt Maxime qui est un grand spécialiste du genre. Travailler sur cette thématique a plutôt été un challenge amusant à relever. Sinon, je me suis beaucoup documenté sur la philosophie occulte et tout le folklore qui l’entoure (lire le « Livre d’Enoch » a été un grand moment). Après, nous avons juste essayer de donner un peu de cohérence à tout ça et de rajouter, surtout dans DARK, une dimenssion policière. Il y a d’ailleurs un autre album, toujours chez Casterman, qui sort le 11 avril. Il s’agit d’une série qui a pour cadre l’univers d’Edgar Allan Poe, avec Jean-Louis Thouard au dessin. Dans le tome 1, nous adaptons le « Scarabée d’Or » et dans le tome 2, qui est en cours de réalisation, j’ai mélangé plusieurs nouvelles différentes. Bien sûr, tout cela est remanié et nous avons créé des personnages récurrents qui ont un sacré potentiel.

Sceneario.com: Avec tout ça, avez-vous d’autres projets dans vos cartons ?

Roger Seiter: J’ai déjà parlé de « Special Branch », avec Christian Maucler. Il y a également une série de SF, dont le titre est « DENEB », avec Johannes Roussel comme coscénariste. Mais bon, je vais déjà essayer de poursuivre correctement les séries en cours.

Sceneario.com:Avant de nous quitter, votre dernier coup de coeur BD ?

Roger Seiter: J’ai bien aimé le tome 2 de « BUNKER » de Nicola Genzianella et Christophe Bec, ainsi que le tome 1 du « Bois des Vierges », de Béatrice Tillier et Jean Dufaux. Et puis, je viens tout juste de lire la « Théorie du Grain de Sable » du Shuiten et Peeters, que j’ai trouvé magnifique.

Sceneario.com: Votre dernier coup de coeur côté littérature ?

Roger Seiter: Avec tout ce que je lis, ça va être difficile de faire un choix. Peut-être les polars islandais d’Arnaldur Indridasson (à lire absolument) ou la magnifique saga de Madison Smartt Bell sur Toussaint Louverture et la révolte des esclaves noirs à Haïti.

Sceneario.com: Votre dernier coup de coeur cinématographique ?

Roger Seiter: Actuellement, je m’intéresse beaucoup au western. Alors, au risque de vous paraître un peu passéiste, je dois dire que « Little Big Man » et « Jérémiah Johnson » sont de sacrés bons films.

Sceneario.com: Merci pour ce temps passé avec nous et à bientôt.

Roger Seiter: Merci à vous, et désolé d’avoir été aussi long (mais vous posez beaucoup de questions intéressantes).

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