Interview

Roger Seiter entre le spiritisme et le brouillard

Sceneario.com : Comment avez-vous rencontré Max ? :

Roger Seiter : Avant toute chose, je tiens à préciser que je scénarise cette série avec Isabelle Mercier. C’est elle qui donne ce ton très particulier à la série et au personnage de Théo Thomas. Ce projet était dans nos cartons depuis quelques temps déjà, mais nous avions du mal à trouver le bon dessinateur. A l’époque, j’utilisais assez peu Internet et je ne surfais pratiquement jamais.

Un jour, je ne sais vraiment pas pourquoi, j’ai visité quelques sites de graphistes qui mettaient en ligne leurs travaux et je suis tombé sur les dessins de Max. Des dessins très réalistes, avec une ambiance mystérieuse, fantastique. Bref, exactement ce que je cherchais pour « Dies Irae ». Je n’avais même pas d’adresse e-mail et j’ai donc chargé un ami de contacter Maxime. Il m’a téléphoné quelques jours plus tard et je lui ai présenté le projet. Isabelle et moi devions nous rendre au festival de Saint-Malo. Puisque nous passions par Paris, c’était l’occasion de rencontrer Maxime. Il avait eu le temps de préparer quelques recherches de personnages que j’ai immédiatement présentées à mon éditrice chez Casterman.

Cela lui a plu et nous nous sommes lancés dans l’aventure …

Sceneario.com : Quelle est votre méthode de travail ? Comment vous organisez-vous pour mener plusieurs séries de front ?

Roger Seiter : Je crois que chaque scénariste a ses propres méthodes. Certains arrivent à travailler sur plusieurs projets en même temps. Ce n’est pas mon cas. Je ne peux travailler que sur un seul univers à la fois. Mais il faut avoir à l’esprit que le travail du scénariste vient très en amont de celui du dessinateur. Toutes mes séries actuelles ( Fog, Dies Irae ou HMS ) fonctionnent en diptyques. Pour des raisons de cohérence, puisqu’il s’agit de polars, j’écris systématiquement les scénarios des deux tomes avant de lancer le cycle ou le projet. J’envoie ce document à mon dessinateur, puis à mon éditrice pour accord. A ce stade, chacun peut faire part de ses remarques et des changements sont possibles. Une fois que tout le monde est d’accord, je commence le découpage de l’album, que je remets au dessinateur avant qu’il ne commence son travail. Cela lui permet de préparer à l’avance la documentation dont il aura besoin et évite les mauvaises surprises.

L’avantage de cette méthode de travail, c’est que j’ai presque systématiquement plusieurs mois d’avance sur mes dessinateurs et que je peux passer au tome 7 de Fog quand Maxime commence le tome 3 de Dies Irae ou Johannes le tome 2 de HMS. Je suis néanmoins obligé de me « vider » la tête entre deux albums et à la fin d’un découpage, je passe une ou deux semaines à lire et réfléchir au projet suivant, sans écrire une ligne.

Le cas de « Dies Irae » est néanmoins un peu particulier, puisque le scénario est écrit avec Isabelle. Nous en discutons, je propose une première version qu’Isabelle reprend ensuite avec une grande liberté. Nous rediscutons de sa version si nécessaire, mais en principe, c’est la sienne qui est validée à l’arrivée. Au moment du découpage, cette version sert de base à la plupart des récitatifs, puisque le ton et l’humour décalé s’y trouvent déjà.

Sceneario.com : Dies Irae est tourné vers la magie. Fog, contrairement au premier cycle, est teinté de fantastique. Vous aimez ce genre ?

Roger Seiter : Le choix de tirer « FOG » vers le fantastique est plutôt une demande de Cyril Bonin. D’ailleurs, dans le quatrième cycle, nous revenons au polar pur des débuts.

Je ne suis pas au départ un grand spécialiste de la philosophie occulte ou de la magie. J’ai lu, comme tous les ados, Poe et Lovecraft. J’ai apprécié ces univers, mais sans plus. Par contre, le choix du fantastique dans un récit permets des choses intéressantes. Je pense que dans un film, un roman ou une BD, l’important est de surprendre le lecteur ou le spectateur. De lui faire découvrir d’autres univers, de le faire rêver. La bande dessinée est un média qui est concurrencé par le cinéma ou les séries télé. Un album coûte environ 10 euros. Le lecteur a probablement envie d’y trouver autre chose que ce qu’il voit déjà sur le petit ou le grand écran. Si on lui offre une histoire policière qui ressemble à une série télé, je ne suis pas sûr qu’il va investir cette somme. Et puis, la BD, grâce au talent d’un dessinateur, peut mettre en scène des univers extraordinaires. Il faut profiter à fond de cette possibilité et explorer le plus complètement possible le thème abordé.

Dans « Dies Irae », les protagonistes affrontent des démons. Alors, il faut jouer le jeu à fond. Rendre ces créatures le plus crédibles possibles. Comprendre comment elles raisonnent, comment et pourquoi elles agissent. Et là, il ne faut surtout pas rester dans les clichés et les poncifs habituels. Tout est a inventer, à créer et c’est cela qui nous intéresse. C’est comme ça que l’on parvient à surprendre les lecteurs et donc à les intéresser à notre travail. C’est en tout cas ce que nous avons essayé de faire dans le tome 2 de « Dies Irae ». Aux lecteurs de nous dire si nous avons réussi …

Sceneario.com : Max est un tout jeune auteur. Comment vous vient l’envie de travailler avec quelqu’un ?

Roger Seiter : La bande dessinée a cela de particulier qu’il s’agit d’une œuvre réellement créée à deux, voire à trois auteurs. Chacun y met des choses importantes et c’est un travail qui dure des mois, voire des années. Dans ces conditions, je ne conçois une collaboration qu’en terme d’amitié. Les dessinateurs avec qui je travaille sont tous pour moi des amis. S’il n’y a pas d’affinité au moment de la première rencontre, je ne me lance pas dans l’aventure.

En ce qui concerne Maxime Thierry, c’est effectivement un jeune dessinateur, mais avec déjà une grande maturité artistique et une incroyable passion pour ce qu’il entreprend. C’est également quelqu’un qui a d’énormes qualités intellectuelles et humaines et on ne peut qu’avoir envie de travailler avec lui. Je suis d’ailleurs sûr qu’il va m’en vouloir de le présenter ainsi, car en plus il est beaucoup trop modeste.

Sceneario.com : En tant que scénariste, que pensez-vous des tentatives de cinéastes dans la BD ?

Roger Seiter : Pas grand chose, n’ayant lu aucun des albums récemment parus et scénarisés par des cinéastes. On pourrait avoir un débat technique sur les deux modes de narrations, qui sont très différents. A mon humble avis, la narration BD est de loin le plus technique des deux et elle ne s’improvise vraiment pas … Quant au motivations des éditeurs à lancer de tels projets, elles ne sont certainement pas artistiques. Enfin, aucun dessinateur reconnu de BD ne s’est pour l’instant associé à ces « nouveaux scénaristes ». Ce n’est peut-être pas un hasard …

Sceneario.com : Pensez-vous que l’inflation de sorties BD est dommageable à la qualité ?

Roger Seiter : Au 19 eme, Dumas, Balzac, Zola et Jules Verne ont publié énormément de romans avec une qualité presque constante. Mais n’est pas auteur de talent qui veut … Ceci étant, c’est un vaste débat, qui mérite plus que quelques lignes. Un débat à lancer sur Scénario.com ? … En y associant les éditeurs, sans qui la situation ne serait pas ce qu’elle est …

Sceneario.com : Le tome 6 de Fog « Remember » vient de sortir en librairies, concluant ainsi le cycle entamé avec le tome 5. Les prochains épisodes seront-ils sur le même principe de 2 tomes par cycles ?

Roger Seiter : Le quatrième cycle est déjà écrit ( tomes 7 et 8 ). Ce système de diptyques me convient bien et pour l’instant, je préfère le garder, même si mon éditeur, pour des raisons purement commerciales, préférerait probablement des histoires en un volume, plus faciles à vendre, mais certainement moins denses et donc à mon avis, moins intéressantes.

Sceneario.com : L’action de Fog se déroule surtout à Londres. Mais des scènes se situent à Inverness, Edimburgh, les rives du loch Ness…en Ecosse. Personellement, ayant voyagé dans ce coin là, je retrouve avec bonheur l’atmosphère de ces lieux. Vous même, faites vous le déplacement pour vous imprègnez de l’atmosphère, des ambiances, …? Pour les repérages plus simplement ? Allons nous retrouvez nos héros dans d’autres pays par la suite ??

Roger Seiter : Effectivement, je me suis rendu à plusieurs reprises en Ecosse et j’ai fait un repérage photographique juste avant de commencer le tome 5. Ce n’est pas trop compliqué tant qu’il s’agit de la Grande Bretagne. Si les personnages de Fog devaient se rendre en Asie ou dans l’Antarctique, cela demanderait un budget autrement plus élevé et nous allons donc attendre que la série deviennent un énorme succès en librairie… Je plaisante, en réalité, Cyril tient beaucoup à ce que l’essentiel de l’action de chaque histoire de déroule à Londres. Il n’est donc pas prévu pour l’instant que Ruppert et Mary fassent le tour du monde, mais on ne sait jamais …

Sceneario.com : Ce cycle fait un peu penser à du "James Bond", avec son complot , son "bad guy" un peu mégalo. Qu’elles sont vos sources d’inspirations pour FOG ?

Roger Seiter : Pour chaque cycle de Fog, je décide avec Cyril Bonin d’un ou plusieurs qui y seront traités. Dans ce troisième cycle, un des thèmes était un hommage à l’univers de Jules Verne, qui publie à cette époque ses plus grands succès ( Vingt Mille lieues sous les Mers, etc … ). Dans le quatrième cycle, l’un des thèmes abordés sera la pègre de Londres. Il n’y a donc pas à proprement parler de sources d’inspirations, mais des thèmes, des références, etc … Et puis, beaucoup de lectures sur l’univers victorien. Par exemple, pour le prochain cycle, « La Vie aventureuse d’Adam Worth » de Ben Macintyre ou « Le Peuple d’en Bas » de Jack London …

Sceneario.com : Normalement, pour Janvier 2005, sort chez Casterman "HMS" dont on peut en avoir la primeur sur http://hmsbd.com/. Quel avenir prevoyez vous pour cette série ?

Roger Seiter : Pas normalement, c’est sûr. Le tome 1est quasiment terminé. C’est pour moi un nouveau terrain de jeu, comme le sont déjà « Fog » et « Dies Irae ». Pour la première fois, on mélange roman maritime et polar, en tout cas en BD ( David Donachie fait un peu la même chose en roman, mais en restant néanmoins plus proche du roman maritime anglais ). Quel sujet peut autant faire rêver que la marine à voiles de la fin 18 eme, début 19 eme ? Et puis, Johannes Roussel fait un travail fantastique sur les vaisseaux et les ambiances maritimes.

Mais c’est le public qui décidera. Pour l’instant, il s’agit d’une histoire en deux volumes. Nous continuerons si le public suit …

Sceneario.com : Que pensez vous du systeme de faire connaitre les 1er tomes d’une bande dessinée grace à la creation d’un site correspondant à l’oeuvre ?

Roger Seiter : Internet est un outil fantastique, qui permet de diffuser facilement les informations. Dans le cas d’HMS, le site conçu par Johannes permet de montrer le projet six mois avant la sortie de l’album. C’est tout bénéfice pour le public, qui peut ainsi se faire une idée. Je ne peux être que pour ce genre d’initiative si elle est possible financièrement.

Sceneario.com : Quels sont vos projets futurs ?

Roger Seiter : En plus de poursuivre les trois séries déjà existantes, j’ai encore quelques envies. Notamment une uchronie, dont le scénario du tome 1 est déjà écrit et peut-être une série médiévale ( fantastique ? ), car c’est un univers que je connais très bien et dans lequel je n’ai paradoxalement encore rien publié de sérieux. Mais terminons déjà bien ce qui est en cours.

Sceneario.com : Vous arrive-t-il de lire d’autres BD …

Roger Seiter : Assez peu, à vrai dire. J’aime bien le travail de Chauzy et Jonquet chez Casterman ( La Vie de ma Mère ou DRH ) et je trouve que les scénarii de Frank Giroud sont toujours de grande qualité. Je pourrais également citer les albums de Taniguchi, qui sont merveilleux ( Quartiers Lointains, etc …). Mais je ne lis pas grand chose et je passe probablement à côté de chefs d’œuvres.

Sceneario.com : Pour finir, votre dernier coup de cœur au cinéma , et en littérature ?

Roger Seiter : Je ne vais que peu au cinéma, mais je suis assez bon public. En fait, j’y vais plutôt avec mes enfants. J’ai bien aimé la trilogie du « Seigneur des Anneaux », mais j’étais déjà au départ un fan du roman. Quant à la littérature, c’est très varié. Je citerai les trois derniers romans de Maxime Chatam et je suis actuellement plongé dans « Le Pendule de Foucault » d’Umberto Eco, que je trouve fascinant.

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