Interview

Roannie, narratrice militante de la série L’intruse

Sceneario.com : Bonjour Roannie, et merci de vous prêter à ce petit jeu de l’interview ! Avant tout, pourriez vous, s’il vous plaît, vous présenter en quelques mots ?

Roannie : Bonjour. La BD « L’Intruse » est le résultat de la rencontre d’un dessinateur professionnel, Oko, et d’une militante pour la Paix.
Moi, Roannie, je suis à la retraite. J’étais pédiatre du service public de Protection Maternelle et Infantile (PMI). Lorsque la vie est devenue plus calme, enfants élevés, moins de contraintes familiales, je me suis plongée avec plus de détermination encore dans la défense des Droits Humains fondamentaux et, à l’engagement que j’avais déjà avec l’association Amnesty International, j’ai ajouté une adhésion à l’association France Palestine Solidarité. Ceci aboutissait, quelques mois plus tard, à un premier séjour en Palestine… Ce n’était qu’un début… car, finalement, j’y retournais et totalisais 9 mois de présence au Proche Orient, entre 2002 et 2005.

Sceneario.com : Le tome 1 de votre série L’intruse, paru en juin 2008, parle de votre premier séjour en Palestine ; un séjour de trois semaines. Est-ce après ce tout premier contact que vous avez décidé de témoigner (plus loin que dans le cercle de vos proches) ou bien a-t-il fallu que vous retourniez là-bas pour concrétiser un projet de témoignage ?

Roannie : Dès le premier séjour, j’ai compris que le rôle principal d’un « International » en Palestine était d’agir sur sa population. J’ai pris conscience de l’énorme inégalité de traitement des informations que nous recevons de nos médias nationaux. En résumé, en France, on nous fournit la vision d’une victime, Israël « qui a le droit de se défendre » et de Palestiniens « qui sont des terroristes ». La réalité que vous découvrez, en allant sur place et en creusant la question, est bien différente.

Sceneario.com : Avez-vous rendu compte de votre expérience par d’autres media (radio, interventions, livre ?) avant de penser au support qu’offre la bande dessinée ?

Roannie : Dès 2002, je me suis constitué un carnet d’adresses de radios locales, journaux de ma région, associations pouvant me fournir l’occasion de témoigner. Chaque anecdote, expérience, découverte en tout genre a donné lieu, dès le début, à des petites narrations que je diffusais par écrit et par Internet ; initiatives qui ont pu prendre une certaine ampleur grâce à l’aide des associations de défense des Droits Humains que je connais autour de moi.

Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi de raconter votre récit en BD alors qu’éventuellement, un livre sous la forme d’un reportage photo était envisageable ? Quel est votre rapport au 9ème art et comment s’est faite votre rencontre avec le dessinateur Oko ?

Roannie : Mon aventure dans la BD est liée à une rencontre fortuite que j’ai faite en 2004 avec un dessinateur professionnel : Oko. Il est venu voir une petite exposition sur la Palestine que je proposais à l’occasion d’une fête de village. Nous sommes restés en contact. Il reçut, pendant 2 ans, les textes que j’envoyais pendant mes 2 derniers. Au bout de tout cela, il m’a proposé de traduire mes expériences en bandes dessinées, ce que j’ai immédiatement accepté. C’est lui qui s’est chargé de mon « éducation » par rapport à ce 9e art que je ne connaissais quasiment pas et qui m’a convaincue de l’intérêt de ce mode d’expression.

Sceneario.com : Pourquoi avoir opté pour le noir et blanc ? Parlez-nous de la méthode de travail que vous vous êtes imposée pour réaliser L’intruse, comment s’est fait votre choix des épisodes à raconter, le temps que cela vous prend sur votre vie personnelle…

Roannie : J’apporte narrations et photos à Oko, nous choisissons ensemble les séquences à traiter, et je fais les textes en étroite collaboration avec lui, les remodelant en fonction du parti-pris narratif, de la dynamique et des constructions visuelles qui structurent peu à peu les sujets choisis. En ce qui concerne le choix du noir et blanc : c’est nettement plus facile de convaincre un éditeur de s’engager sur une version moins onéreuse à l’impression ! Mais cela colle aussi bien au côté reportage de ce projet : la couleur, c’est le lecteur qui se la fait, lui, en fonction de sa perception du sujet !

Sceneario.com : Dans le second tome, vous avez choisi de vous appuyer, en plus de votre vécu, sur des documents tiers. Avez-vous ainsi voulu passer, ne serait-ce qu’inconsciemment, le cap du « compte rendu de voyage personnel » en y intégrant des éléments d’aide à la compréhension (ou d’aide pour se faire un avis plus tranché) qui feraient de votre série un ouvrage plus universel ?

Roannie : “L’Intruse” est un carnet de voyage mais c’est aussi un travail de militante pour la paix. Mon objectif est unique : transmettre une vision plus honnête des réalités de terrain et de l’Histoire de la Palestine. Le choix d’ajouter au tome 2 des éléments d’information générale est délibéré et, en aucun cas, inconscient. Vous remarquerez aussi que, très souvent, les sources des documents que je cite viennent d’associations pacifistes israéliennes ou d’historiens israéliens. Le sujet est sensible et on est vite taxé de prendre parti, voire d’être antisémite. C’est pour gagner en crédibilité que je m’efface délibérément du devant de la scène.

Sceneario.com : Comment s’est faite votre recherche d’éditeur pour L’intruse ?

Roannie : C’est Oko qui l’a trouvé. Je n’ai aucun accès au milieu de l’édition.

Sceneario.com : Avez-vous une idée de l’accueil qui est fait à vos livres parmi les lecteurs issus des communautés concernées par le conflit Israélo Palestinien ?

Roannie : Nos livres sont chaleureusement accueillis par les personnes déjà sensibilisées à la cause palestinienne et à la paix au Proche Orient, quelques soient les communautés auxquelles elles appartiennent.

Sceneario.com : Qu’a changé la publication de votre BD dans votre militantisme ?

Roannie : Dans ma vie, cette publication est venue compléter un engagement déjà très important pour la paix et la justice au Proche Orient. Cela fait maintenant plus de 2 ans que nous travaillons à cette BD, Oko et moi-même. Chaque volume représente un gros travail pour tous les 2, chacun dans notre sphère spécifique. La sortie des BD entraine également des sollicitations pour des conférences, débats/signatures, salons du livre… J’aborde tout cela dans l’esprit « militant » qui préside à toutes les actions que je mène sur ce sujet !

Sceneario.com : Retournez-vous régulièrement en Palestine, maintenant ? Et… votre énergie vous pousserait-elle vers d’autres causes à défendre… et d’autres envies de BD ?!

Roannie : Depuis 3 ans, j’ai été trop occupée à utiliser, en France, ce que j’ai rapporté de mes 5 premiers séjours au Proche Orient, pour programmer un nouveau voyage vers la Palestine. Le 3e tome de « L’Intruse », qui sera publié à l’automne 2009, va s’appeler « Les Israéliens » et il est évident qu’il me faudra repartir, cette fois-ci, en Israël pour élargir ce que j’ai déjà à mettre dans ce 3e élément de notre triptyque.

Je n’envisage pas, pour le moment, une diversification de mes activités militantes. Cela fait 8 ans maintenant que je me suis plongée dans le drame du Proche Orient et, sans même en prendre conscience, j’ai acquis des connaissances précieuses qui me permettent de répondre à de multiples questions et mises en cause. Je découvre de la sorte combien il est important, pour des sujets aussi délicats, de « connaître son dossier ». Sinon vous dévalorisez la cause que vous voulez défendre. Et cette nécessité d’être « solide » sur le sujet exclut, pour moi en tout cas, de trop diversifier mes préoccupations.

Sceneario.com : Questions pièges, maintenant : comment voyez-vous l’avenir des Palestiniens avec lesquels vous avez vécu, et quelles sont les initiatives, en politique internationale, qui selon vous pourraient vraiment faire bouger les choses vers une paix durable en Terre Sainte ?

Roannie : Le terme de Terre Sainte ne me convient pas car il fait penser à un conflit religieux, ce qui n’est absolument pas le cas. Le conflit israélo-palestinien s’inscrit dans une démarche impérialiste de prise de contrôle d’une terre avec la particularité d’en vouloir expulser la population d’origine. Je répondrais à votre question sur l’avenir des Palestiniens en citant les analyses de pacifistes Israéliens qui affirment que la seule issue vers une paix acceptable pour les Palestiniens ne se fera que si les grandes puissances internationales arrêtent de soutenir inconditionnellement Israël et lui imposent de respecter les injonctions internationales. Depuis 60 ans maintenant, aucune des dizaines de résolutions de l’ONU, contraignantes pour Israël, n’a été suivie d’effet. Les intérêts politiques, stratégiques et économiques des USA et de l’Europe convergent vers un soutien aveugle envers Israël et ceci explique leur complicité tacite dans l’effacement progressif des Palestiniens de leur terre d’origine.

Sceneario.com : Le tome 2 « Les Palestiniens, peuple invisible ? » s’est attaché à montrer, encore plus que le tome 1, la bêtise ou l’inhumanité de ceux parmi les Israéliens qui ont conduit la Palestine à la situation ubuesque que vous décrivez et dont nous sommes pour la plupart témoins passifs devant nos postes de télévision. C’est avec grande impatience que nous attendons donc le tome 3 « Les Israéliens » dernier volet de la trilogie, et que nous attendons de voir comment vous aurez choisi de traiter cela ! Merci d’avoir bien voulu répondre à nos questions, et bonne continuation !

 

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