Interview

Rencontre avec Vanyda

Sceneario.com : Bonjour Vanyda. Ma première question va concerner tes débuts, puisque le fait d’avoir fréquenté l’Ecole des Beaux-Arts de Tournai t’a fait rencontrer des gens, en particulier François Duprat avec lequel tu as pas mal travaillé et avec qui tu as sorti ta première BD : L’année du dragon. Est-ce que ça te paraissait plus facile de réaliser une première BD avec quelqu’un d’autre plutôt que toute seule ?

Vanyda : Non, ça s’est fait un peu par hasard. En fait, avec François, on avait remarqué qu’on avait des univers assez proches avec pour chacun, pourtant, une influence différente : lui était plutôt "Franco-Belge" et moi j’étais plutôt "Manga". Puis il y a eu ce concours organisé par les éditions Tonkam dont le thème était les dragons et c’est sur ce projet-là qu’on a décidé de travailler ensemble. François avait une idée de scénario mais n’avait pas le trait manga, ce qui nous a semblé utile puisque Tonkam est éditeur de mangas mais nous n’avons finalement pas participé et nous avons décidé d’envoyer notre projet aux éditeurs. Bref, c’était plus par envie de travailler ensemble que parce qu’on s’était dit que ça ferait plus professionnel de travailler à deux. On ne s’est pas trop posé de questions, on avait envie de le faire à deux, c’est une conséquence de ces quatre ans qu’on a passés à faire plein de choses ensemble à Tournai.

Sceneario.com : On lit parfois que pour les amateurs de Franco-Belge, tu es une auteure manga, mais que pour les amateurs de manga, tu es une auteure de Franco-Belge… Comment définirais-tu toi-même ton travail ?

Vanyda : Effectivement, moi, je me situe… au milieu ! Donc c’est un peu normal que les gens pensent cela. Mais vraiment, j’ai lu beaucoup des deux, sachant autant apprécier et mélanger le graphisme et la narration de l’un et de l’autre. D’où l’influence "métissée" de mon style.

Sceneario.com : Par rapport aux mangakas comme on en connaît au Japon, travailles-tu seule ou bien es-tu aidée par d’autres: qui pour les décors, qui pour les trames, etc ?
Vanyda : Non, à part pour L’année du dragon où j’ai travaillé avec François, j’ai toujours travaillé seule. Pour L’immeuble d’en face, j’ai vraiment dessiné mon manga… "à la Franco-Belge" ! Sauf que c’est du noir et blanc, donc que ça va plus vite à dessiner et que ça permet d’avoir un nombre de pages plus important.

Sceneario.com : Oui, et le format est différent, aussi.

Vanyda : Oui, pour L’année du dragon, je dessinais sur du format A3. Pour L’immeuble d’en face, c’est du A4.

Sceneario.com : Concernant les manières de dessiner du manga, que penses-tu du travail d’autres mangakas français comme par exemple Jenny ou Reno Lemaire ?


Vanyda :
Mais… ils sont fous !!! (Rires) Ils se sont imposé un rythme de travail. Et même si j’aime beaucoup de choses dans ce que font les auteurs japonais ou d’autres travaillant comme eux, je ne veux pas m’imposer un rythme équivalent. Je pense que ça peut avoir des conséquences sur la qualité du résultat. Et puis moi, je puise mon inspiration dans la vie de tous les jours : ce que je vois, ce que j’entends, les rencontres que je fais… Si je passais tout mon temps derrière ma table à dessin, j’aurais peur que ma BD se vide de son sens peu à peu. Mais à part ça, je les trouve super courageux et tant mieux si ça marche ! C’est un beau défi. Mais je ne voudrais pas non plus que ça devienne la norme de travailler comme ça sous prétexte qu’on fait du manga…

 

Sceneario.com : Oui, genre 200 pages à réaliser tous les trois mois…

Vanyda : Surtout que je pense qu’on a la chance d’avoir quelques acquis sociaux, des choses comme ça… (Rires) Il ne s’agit pas de faire du travail au rabais…

Sceneario.com : Oui, mais par rapport à la renommée que tu prends et en fonction des éditeurs avec lesquels tu vas peut-être être amenée à travailler, n’y a-t-il pas un risque qu’un jour, "on" te demande de travailler autrement ?

Vanyda : Non : après, c’est à moi de dire comment j’ai envie de procéder. Par exemple, chez Dargaud, ils m’ont demandé de tenir un rythme assez soutenu, à savoir un tome par an, comme pour la BD franco-belge.

Sceneario.com : Un tome format manga ?

Vanyda : Oui, un 180 pages. Euh, donc là, en fait, j’fais la maligne, mais en réalité, j’ai beaucoup de boulot, je travaille même les week-ends ! (Rires)

Sceneario.com : L’année du dragon était en couleurs, pas L’immeuble d’en face…

Vanyda : J’ai fini par faire un choix. J’ai bien vu "à l’usage" que je préférais faire du noir et blanc. Je suis plus à l’aise en petit format noir et blanc qu’en grand format en couleurs. Et utiliser les trames, des choses comme ça, c’est quelque chose que j’aime bien. Ca ne veut pas dire que je ne réutiliserai jamais la couleur, ou même la technique du lavis, ou d’autres choses, mais pour l’instant, je suis dans une période noir et blanc.

Sceneario.com : Alors, je vois ça de ma fenêtre (pour utiliser une formule "immeuble" ^ ^) mais, malgré les trois tomes existants pour L’année du dragon, j’ai l’impression que c’est avec L’immeuble d’en face que tu as trouvé le chemin d’une véritable reconnaissance. Et ce malgré le fait que chacun des deux tomes de la série aura mis très longtemps à sortir… C’est ton actualité, et tu es de plus en plus visible dans les media. Alors comment expliques-tu cela ? Est-ce en rapport avec ce que tu faisais avant ?

Vanyda : Et bien déjà, la trilogie L’année du dragon était une collaboration. Là, je suis seule, et comme c’est dans la voie manga que j’évolue et que c’est bien à la mode, mais aussi que les autres auteurs français de manga sont arrivés après, j’ai pendant un moment été "la" production manga française et du coup, ça m’a permis de me faire une place dans les colonnes des media…

Après, je ne sais pas… Peut-être aussi que ce que je raconte, ça n’avait pas trop déjà été fait. Ou bien quand quelqu’un racontait du quotidien un peu intimiste, ça faisait un peu plus dessin "underground" ou toujours une BD autobiographique…

Sceneario.com : Au départ, le tome 1 de L’immeuble d’en face a plus ou moins été calculé pour être un one-shot.

Vanyda : Le tome 1, oui.

Sceneario : Alors, qu’est-ce qui, finalement, a motivé l’écriture du tome 2 ? Est-ce que c’est une demande de la maison d’édition ? (La Boîte à Bulles)

Vanyda : Moi, je voulais faire plusieurs tomes. Mais l’éditeur m’a dit : "Au cas où ça se planterait, il faudrait que ton tome 1 puisse être un tout."

Sceneario.com : Au départ, cette BD était sortie chez Bom-Bom Prod…

Vanyda : Oui, c’était l’asso des Beaux-Arts de Tournai. On vendait la BD en allant sur les festivals. On en avait tiré 300 exemplaires. Sur les 300, j’en ai quand même vendu pas mal !

Sceneario : Et ta BD ayant été reprise par La Boîte à Bulles, ça a permis de lui donner une visibilité encore plus grande…

Vanyda : …et surtout, j’ai commencé à être payée pour un travail que je faisais jusqu’alors gratuitement ! Ca, ça a vraiment tout changé, aussi !

 

Sceneario.com : A combien d’exemplaires a été tiré le tome 1 ?

Vanyda : Le premier tirage était à 1800. Au bout de deux mois, il en a été retiré 1800. Après il y en a eu 2000 de plus, puis 3000… Le tome 2 a été tiré à 5000 exemplaires.

Sceneario.com : Le tome 1, Building Opposite en anglais, a été très bien accueilli aux States et a été primé ?

Vanyda : Alors, non, il n’a pas été primé, mais c’est un journal, un peu l’équivalent de Livres Hebdo, qui a désigné dans un Top 10 Catégorie Manga le tome 1 de L’immeuble d’en face comme numéro 1 de ce Top 10. Je ne sais pas si vous avez vu, il y a le logo "Nouvelle manga" sur L’immeuble d’en face. C’est un label qui a été créé par Frédéric Boilet, et comme il apparaissait sur la BD, elle a concouru avec les mangas.

Sceneario.com : Ca te gêne ?

Vanyda: Non, pas du tout !

Sceneario.com : Y avait-il aussi des Américains, des Japonais ?

Vanyda : Uniquement des Japonais… et moi ! Comme il y avait aussi une catégorie manhwa (BD coréenne), j’aurais par contre très bien pu me retrouver à concourir parmi les coréens ! Finalement, je n’ai pas plus à voir avec les Japonais qu’avec les Coréens ! 

Sceneario.com : Ton travail pour Dargaud / Kana, est-ce suite à cette reconnaissance ?

Vanyda : Pas du tout. C’est Jean-David Morvan qui avait acheté la version auto-éditée de L’immeuble d’en face et qui leur avait montrée en 2003. Ca date ! Ils m’avaient donc déjà contactée à cette époque-là mais j’avais dû leur répondre : "Ecoutez, j’ai déjà L’année du dragon 1, 2 et 3 à faire, puis L’immeuble d’en face 1 et 2… Alors… après ! On verra !"

 

Sceneario.com : L’année du dragon était prévue dès le début en 3 tomes ?

Vanyda : Oui. J’aurai pu mettre de côté, mais comme c’était un travail commun, avec François, j’ai voulu aller jusqu’au bout, dans le timing qu’on s’était fixé. 

Sceneario.com : Ca veut dire, maintenant que le tome 2 de L’immeuble d’en face est paru, que tu vas travailler chez Dargaud / Kana ?

Vanyda : Ca y est. Je travaille déjà pour eux. J’en suis même à ma 60ème page sur 180.

Sceneario.com : Et comment c’est perçu par La Boîte à Bulles ? Ils t’ont "lancée", et maintenant tu pars de chez eux…

Vanyda : Ils ont très bien compris. Pour mieux manger, ils savent très bien que c’est mieux pour moi d’aller chez Dargaud ! S’ils avaient pu "rivaliser" avec Dargaud, ils l’auraient fait, mais c’est clair qu’ils ne peuvent pas. En même temps, il faudra que je fasse chez eux L’immeuble d’en face tome 3, mais je ne sais pas dans combien de temps ce sera. Peut-être dans 3 ans ? Je ne sais pas, et ça pourrait dépendre aussi de ce qui arrive d’ici là… Du coup, c’est clair que je ne peux pas consacrer une année pour ce tome 3, mais La Boîte à Bulles sait aussi que mes ventes chez Dargaud feront venir mes nouveaux lecteurs à eux aussi. Le tome 3 devrait être le dernier de L’immeuble d’en face. Même si j’avais dû arrêter de publier après un tome 1 mal accueilli, trois tomes étaient "pensés" depuis longtemps. Depuis les Beaux-Arts, déjà. Et si le tome 2 n’était pas paru, qui sait, peut-être me serais-je retournée vers le fanzinat pour le faire paraître…

Sceneario.com : Tu arrives à vivre de la BD ?

Vanyda : Oui. Enfin, je fais aussi des illustrations, des interventions, mais ce n’est pas le plus gros de mon boulot.

 

Sceneario.com : Parlons un peu du collectif Corée de chez Casterman. Peux-tu nous parler de cette expérience ?

Vanyda : J’avais rencontré Frédéric Boilet à Angoulême 2003. En fait, juste après que Jean-David m’ait présentée chez Dargaud, Frédéric Boilet m’a présentée chez Casterman. J’ai finalement choisi Dargaud, mais cependant, deux ans après, Casterman m’a contactée en me disant : "On veut faire un collectif sur la Corée du Sud, sur le même modèle que le collectif Japon, et on a pensé à toi… Est-ce que ça t’intéresse de partir une semaine en Corée ?". "Ma foi, ai-je répondu, je n’en ai vraiment pas le temps !!! Mais… J’vais y aller quand même ! ^ ^ "

Dans ce collectif, il y a des auteurs Coréens, mais aussi des Français : Tanquerelle et moi, par exemple, ou encore Igort, par exemple, un auteur "maison".

 

 

Sceneario.com : Tes racines sont-elles coréennes ?

Vanyda : Pas du tout ! On me prend parfois pour une Japonaise, parfois pour une Coréenne. En réalité, mon père est Laotien. Ca n’a absolument rien à voir : ils ne produisent pas de BD ! (Rires)

Sceneario.com : Arf, Casterman fera à nouveau appel à toi quand ils décideront de sortir un collectif Laos !? ^ ^

Vanyda : Moui, enfin, avec le pouvoir en place, on risque de ne se retrouver qu’avec le droit de réaliser des histoires mythologiques ! Au Laos, j’ai dû ne voir en tout et pour tout que 2 librairies !!! Mais bon, pourquoi pas un jour ?! En tout cas, en qualité de franco-asiatique, ça m’a permis de pouvoir mettre en scène ces personnages franco-coréens qui découvrent leur pays d’origine, ce que j’avais vécu pas longtemps avant, en allant au Laos.

Sceneario.com : Pour en revenir à Dargaud. Peux-tu nous en dire plus sur ta BD ?

Vanyda : Euh, et bé pour l’instant, déjà, elle n’a pas de titre.

Sceneario.com : As-tu eu la liberté de proposer ce que tu voulais ou bien fallait-il te plier à des contraintes pour parler d’un thème en particulier, ou pour intégrer une collection spécifique ?

Vanyda : Non. Ils m’ont dit : "On veut travailler avec toi". Moi, j’avais un projet, une histoire d’adolescente, au collège, à priori en 2 ou 3 tomes. Je leur ai proposé ça. Ils ont dit OK, ils m’ont demandé quel format je voulais et je leur ai dit que je voulais faire du noir et blanc, et travailler sur plein de pages ! Là, ils m’ont dit… que ça ne serait pas possible, mais ils ont réfléchi et ont fini par me proposer la collection Made In, une collection manga (donc "noir et blanc") mais un peu "luxe" . Depuis, d’ailleurs, je crois bien qu’ils ont signé deux autres filles pour cette collection Made In ! Des Françaises.

Sceneario.com : Tu écris aussi des scénarios pour les autres…

Vanyda : Effectivement, j’ai écrit depuis longtemps un scénario pour David Bolvin. Il a pris un peu de retard, alors, disons que c’est prévu pour courant 2007 ! Mais des scénars, je n’en ai pas plein, comme ça. Ca reste exceptionnel, c’est comme avec François, on avait des univers proches et on s’était dit qu’on pourrait faire quelque chose à deux. David fait souvent entrer dans son univers des prostituées. Ca m’a inspirée, mais je n’avais pas forcément envie dessiner cela. Après, dans mes cartons, je n’ai pas des tonnes de projets. L’année du dragon, L’immeuble d’en face… Un an pour sortir chaque tome, ça occupe déjà pas mal !!!

Sceneario.com : Tu fais souvent des festivals ?

Vanyda : Oui, souvent. Et des dédicaces en librairies, aussi. Ca prend beaucoup de temps, et de l’énergie ! Mais en général, c’est quand même plutôt vachement sympa ! Surtout qu’à Lille, dans l’atelier où je travaille, on est 5, avec entre autres François et David, et généralement, on se déplace à plusieurs. C’est sympa. Mais là, cette année, je suis venue seule !

Sceneario.com : Et avec des dédicaces chacun des 4 jours que dure le festival d’Angoulême, tu as du boulot ! Alors, bon courage, et merci beaucoup pour nous avoir accordé cette interview !

Vanyda : Merci à vous !

  

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