Interview

Rencontre avec Kévin Hérault, HK ça repart FORT ! :o)


Kévin Hérault, Angoulême 2005
Sceneario.com : Parle nous un peu des raisons de la reprise de la série HK.

 

Kévin Hérault : Alors pourquoi cette refonte de HK ? Au départ cette série devait sortir dans le format AKIRA. Il y a eu trois volumes dans ce format. Ca devait être une collection chez Glénat où d’autres séries seraient signées. Il y en a eu trois qui comptaient Kazandou, Nomad et HK. Kazandou s’est arrêté au 2ème tome sur les trois prévus ; Nomad s’est terminé en cinq volumes.
HK se retrouvait donc tout seul dans une collection où il n’y a jamais eu d’autre titre signé : elle se révélait être non rentable pour l’éditeur… Le prix de revient du bouquin et le prix de vente proportionnellement assez faible généraient des problèmes avec les auteurs qui se considéraient trop mal payés. De plus le public était assez rétif au format.
Il était un peu tôt pour tenter cette expérience. On était au début de la mouvance manga en France, mais le principe était un peu bâtard et plein de gens sont passés à coté. A l’époque la plupart du lectorat français considérait le manga comme de la sous BD. D’un autre côté les fans de manga pur et dur trouvaient que ce n’était pas du manga puisque c’était français.
Glénat faisait la promo de cette collection sous l’estampille « Manga Français ». On se retrouvait alors coincé dans un étau culturel !

Même si un lectorat s’est retrouvé dans cette expérience éditoriale, ni Glénat ni les auteurs embarqués n’ont pu être satisfaits.
Donc est venu le moment où il n’y avait plus que HK dans la collection – qui du coup n’irait jamais plus loin – et il a fallu penser à changer de format.

 

Pour le premier album du 2ème cycle, « Massilia », j’ai adopté le format traditionnel 24×32, avec plus de pages, 64, parce que ça je ne peux pas m’en empêcher. Le bouquin du coup s’est très bien vendu tout de suite.

A partir de là on a misé sur la réédition du premier cycle en grand format. De toute façon la collection Akira était morte.
Dès ce moment c’est devenu très compliqué avec mon directeur de collection : il voulait couper les bouquins en deux et agrandir les pages, moi pas.
En effet ça coûte moins cher, c’est moins compliqué à faire, et je ne pouvais – je cite – « pas me permettre de perdre de temps là-dessus »…
Mais ça allait pourrir le boulot : je considère qu’un bouquin existe aussi par sa forme, ce n’est pas juste du fond. Pour moi c’était un massacre de couper en deux un bouquin fait pour être lu d’un bloc : question de cohérence entre le format, le rythme, la densité ; la construction en somme.
Il fallait réaménager. On a commencé à se disputer là-dessus avec mon éditeur de l’époque, et c’est parti en vrille. On s’est vraiment brouillés, ce qui fait que l’on ne pouvait plus du tout se parler sans que les dents ne grincent.
La situation s’est bloquée alors que je produisais le HK 2.1…

Un jour j’en ai discuté avec le directeur de Vent d’Ouest et il m’a proposé de faire un bouquin avec lui histoire de gagner un peu d’argent le temps que la situation sur HK se décante.

Il m’a dit «Fais moi un bouquin de cul, ce ne sera pas trop compliqué à faire et ça te permettra de bouffer et de voir venir plus tranquillement ». C’est comme ça qu’est né « Agapê ».

 

Pendant ce temps mon responsable des éditions Glénat a décidé de quitter la boîte pour se mettre en free lance.
Soulagement : avec mon nouvel interlocuteur, j’ai pu négocier ce que je voulais pour HK. Ca n’aura jamais pris que deux ans en tout !
J’ai repris les bouquins au format AKIRA et j’ai commencé à travailler sur la remise en scène, sur ce qui ne me plaisait plus, des erreurs de jeunesse.
Le plus intéressant fut de travailler sur une « adaptation » de mon propre travail, en terme de composition des séquences et des planches, pour redensifier le scénario sans perdre la dynamique.
Il y a eu pas mal de problèmes techniques, notamment le fait qu’en tant que « pionniers » de la Colorisation Assistée par Ordinateur, l’archivage des fichiers informatiques était inexistant. Il était donc nécessaire de toute façon de refaire tous les scans et toute la couleur du 1.1. Le genre de choses qui commençaient à être un peu lourdes vu la quantité de travail. Il y a quand même plus de quatre cents pages à ce premier cycle, raison pour laquelle ça fait maintenant deux ans que je suis dessus. Et c’est un peu long, je l’admets volontiers.


Couverture d’Agapê
Sceneario.com : Tu es perfectionniste ?

 

Kévin Hérault : Je ne pense pas, mais c’est ainsi que l’on me voit !
C’est plus fort que moi. C’est-à-dire que je n’arrive de toute façon pas à faire moins, je ne suis jamais satisfait. Il faudrait que j’apprenne un jour, puisque parait-il « qui peut le plus peut le moins » (rires).

Sceneario.com : Donc la refonte ça n’a pas été cool, mais tu t’es fait plaisir ?

Kévin Hérault : Je me suis fait plaisir sur le refaçonnage narratif et les nouvelles idées que j’ai inscrites dans ce « revisitage » de scénar.
J’ai quand même refait beaucoup de choses au niveau des décors, de la mise en scène et je suis assez content du résultat.
Le plus dur a été la couleur. J’ai voulu faire bosser des coloristes, précisément pour faire quelque chose de simple et efficace, mais je n’ai trouvé personne qui corresponde. Je ne pouvais envisager que des débutants, au prix où je pouvais les payer, vu le forfait presque symbolique que j’ai négocié par planche sur la refonte : trop motivé que j’étais par le boulot pour me rendre compte du temps que j’y passerai et donc réfléchir aux conséquences financières.
Ils n’étaient pas trop mauvais au niveau du rendu final. Par contre ils mettaient trop de temps à faire une page. Et ça, ce n’était pas tenable compte tenu des délais initiaux et surtout pour leur propre niveau de vie, forcément.
De plus il fallait que je repasse derrière pour corriger les erreurs, faire les finitions, etc. Au final, je me suis donc retrouvé avec 140 pages à mettre en couleur d’un coup, après avoir passé plus d’un an sur les deux premiers opus de la réédition.
Ce qui m’a pris autant de temps, principalement pour cause de déprime !

Sceneario.com : Du coup t’es un super pro en couleur maintenant ? ;o)

Kévin Hérault : Ouais: chuis trop une flèche ! (rires) Sauf que je déteste ça et que cela me démotive complètement.

Sceneario.com : Et tu n’as pas songé à sortir les albums en noir et blanc ?

Kévin Hérault : C’est impossible en France. Le grand public est habitué à la couleur et considère le Noir et Blanc comme du travail « pas fini » !
Pour moi, à la base, la BD que j’aime est en noir et blanc. Je ne suis vraiment pas obnubilé par les couleurs, mais je considère que ça doit apporter quelque chose de spécifique à une BD, pas être une obligation, du remplissage.
J’aime le Manga, c’est ce qui m’a vraiment montré ce qui me plaisait en BD. Justement aussi parce que c’est du noir et blanc; c’est du trait avec de la trame parfois et cela se suffit à soi-même.


Couverture du 1.1
Sceneario.com : Mais quand tu conçois ton dessin en vue d’une mise en couleur tu ne le conçois pas de la même manière ?

 

Kévin Hérault : Non. C’est clair. Mais c’est quelque chose que j’ai appris au fur et à mesure. A force d’être « forcé » de faire de la couleur, je pense mon dessin et mes compos en couleurs.
Mais l’exécution en elle-même m’ennuie à un point ! C’est terrifiant !

Sceneario.com : Même avec le temps, tu n’as pas réussi à découvrir un intérêt à la couleur ?

Kévin Hérault : Si : c’est toujours amusant de trouver une ambiance pour une séquence. Mais après il faut faire toutes les cases, et ça c’est pénible. C’est vraiment chiant parce que c’est super répétitif et contraignant.
Dans l’absolu ça ne me dérange pas d’en faire par petites doses. Quand je fabrique une nouveauté, j’envoie les pages à scanner au fur et à mesure, et je fais les couleurs séquence par séquence.
Comme ça je n’ai pas vraiment l’impression de m’user là-dessus. Après je retourne au dessin, au stoary-bord, aux dialogues, etc., puis aux séquences couleur. Cela se fait échelon par échelon.
Alors que là, cent cinquante pages à mettre en couleur d’affilée, c’est un truc de malade mental. Rien que l’idée me donne la nausée.
Le fait que ce soit informatique n’arrange rien à l’affaire : ne communiquer 10 heures par jours 7j/7 pendant 4 mois qu’avec une machine, ça rend con il faut bien le dire, donc ça traîne.

Sceneario.com : Qu’est-ce qui t’importe dans la couleur ?

Kévin Hérault : Déjà, ma priorité comme en terme de dessin n’est pas de faire du joli, je cherche à faire du narratif.
Le vrai problème des coloristes qui ne sont pas dessinateur c’est qu’en général ils ne comprennent pas bien le dessin, et je suis très exigent sur la mise en scène de la lumière.
Je vois ça comme au cinéma : un lieu, une scène doivent être éclairés de manière cohérente en fonction des déplacements d’axe de caméra et du mouvement des personnages. L’éclairage c’est super important. Les jeunes coloristes que j’ai testés m’ont fait des erreurs de mise en scène monstrueuses ! Et de toute manière, ils ne savaient pas détacher les plans en posant des ambiances cohérentes sur de vrais arrières plans. Tout était écrasé, je me suis alors rendu compte de tout ce que j’avais appris en 8 ans de travail sans m’en rendre compte !

Sceneario.com : Donc là quel est ton état d’avancement ?

Kévin Hérault : Le deuxième tome de la refonte est sorti à Angoulême.
Pour les autres, j’ai les fichiers informatiques d’origine. Ce sera juste de la modification.
Je dis « juste » pour me rassurer, mais j’espère que ça ira beaucoup plus vite et que ce sera moins fastidieux.

Sceneario.com : Sauf si tu décides de tout refaire ;o)

 

Kévin Hérault : Mouais… Cette fois-ci j’ai bien compris la leçon (rires).

Sceneario.com : Il y a des albums que tu trouves plus réussis ?

Kévin Hérault : Mon album préféré sur la première trilogie c’est le deux. C’est le plus riche et le plus intéressant au niveau de la mise en page. Du coup, je galère un peu pour la réédition.
Dans le trois il y a des scènes sur lesquelles je me suis éclaté à l’époque, en particulier toute la scène finale que j’ai écrite entièrement sans Jean David.
Le trois sera un peu plus compliqué à refaire : il se lit très vite en cent quarante pages déjà, il faudra que je densifie l’ensemble pour les deux albums de sa réédition. Il va falloir que je réagence beaucoup de séquences, que je compresse un maximum de choses et que je rajoute pas mal de séquences toutes nouvelles : de vraies grosses séquences, des choses sur l’Axe et sa haute technologie que nous n’avions pas pu mettre à l’époque faute de place.

L’avantage du format 24×32 c’est qu’au niveau narratif j’ai trouvé plein de nouvelles astuces et que ça m’a forcé à repenser ma mise en scène qui était quand même basée sur du six, sept cases par page.
Là je peux le penser en dix onze cases en essayant de garder une narration fluide. Je peux aussi me permettre de faire des scènes de dialogue qui durent deux pages au lieu de quatre et c’est quand même bien pratique.

Sceneario.com : Tu as plus de liberté en fait.

Kévin Hérault : Oui, j’ai l’impression, en tout cas, je préfère le nouveau format. Cet apprentissage au fur et à mesure est intéressant.
En revanche, j’aimerais bien me mettre à faire du vrai manga petit format, c’est vraiment une autre façon de raconter une histoire.

 

Sceneario.com : Ca marche bien le manga aujourd’hui. C’est le bon moment pour s’y remettre ? ;o)

Kévin Hérault : Si ce n’est que pour l’instant ça marche bien aussi parce que cela ne coûte pas grand chose aux éditeurs français. L’achat de droits et l’impression coûtent moins cher que s’il faut payer l’auteur.
Si je fais du manga, je le ferai sans doute avec et pour les japonais. J’ai envie de faire des trucs dont justement aucun éditeur français ne voudrait. Parce que malgré tout le manga en France, c’est encore majoritairement des trucs pour adolescents. Beaucoup d’histoires de bagarres etc… Il y a des titres très intéressants, plus adultes, mais la plupart ça reste des trucs pour les minots.
Ce n’est pas vraiment ce qui m’intéresse dans le manga. J’ai envie de faire des trucs conséquents en terme de thématique, de narration et de mise en scène.

Sceneario.com : Tu es déjà allé au Japon, tu y retournerais pour faire du manga ?

Kévin Hérault : Non je le ferais d’ici parce que vivre là-bas c’est l’enfer, et c’est très très cher. En gros, la vie quotidienne au Japon c’est deux à trois fois le coût de la vie à Paris, c’est hors de prix.
Tant qu’à faire, mieux vaut être payé comme un japonais mais vivre en France : c’est beaucoup plus rentable (rires).
En tout cas ce serait une expérience intéressante.
Même si cela ne devait être qu’un one shot, histoire de voir ce que ça donne.

Sceneario.com : Tu as déjà des contacts là-bas ?

Kévin Hérault : Pas avec des éditeurs, mais je connais quelques professionnels donc ça peut se faire. Cela fait partie de mes projets du genre dans quatre, cinq ans.
Là-bas il y a un système d’auto-édition qui est vraiment énorme et qui représente un marché à part entière : le « Doujinshi », cela aussi me tente vraiment !
Il y a un vrai public là-bas. Le tirage à la japonaise, c’est de la folie, même quand tu fais de l’auto édition tu peux vendre jusqu’à trente mille exemplaires. Tu passes dans des petits réseaux de libraires ultra-spécialisés.
Le public japonais consomme du manga comme une lecture, mais il y a aussi dans les lecteurs des gens qui s’intéressent au dessin. A partir du moment où tu fais des trucs travaillés plastiquement etc., tu peux avoir un vrai public assez élitisto-underground qui se passionne énormément.

Sceneario.com : Ce doit être difficile de s’y retrouver avec une telle production de manga ?

Kévin Hérault : Je n’ai pas les chiffres, mais je crois que certaines semaines au Japon il sort plus de 150 titres ! Ce qui est étonnant là-bas c’est la diversité des genres, il y en a pour toutes les tranches de la population : les enfants, les adolescents, les adultes, garçons, filles, homosexuels, sportifs, salarymen, pêcheurs ou joueurs de go etc…!

Il y a aussi plein de SF différentes. Ils ont développé un marché pour essayer d’exploiter tous les types de cibles possibles. Ce sont véritablement des volontés éditoriales dans lesquelles les auteurs peuvent s’exprimer, chose qui n’existe pas en France. Du coup c’est intéressant.
Le revers de la médaille : quand tu rentres dans un truc, c’est difficile d’en sortir. Et puis c’est la même chose qu’aux Etats-Unis, tu n’es pas considéré légalement comme « auteur » : ton oeuvre est la propriété de ton éditeur. Le statut français d’auteur est une réelle exception culturelle mondiale.
En terme de productivité, les mangakas sont impressionnants : c’est de l’ordre de vingt pages par mois. Il y en a même qui font vingt pages par semaine, mais vingt pages par mois déjà c’est énorme même dans ce format.
Mais il y a plus fort : certains ont trois séries en même temps donc ils font jusqu’à 250 pages par mois.
Si, ça existe… et même avec des assistants, c’est surhumain.
Une chose étonnante au Japon est que les auteurs sont leur propre scénariste.
C’est pour ça aussi qu’il y en a plein qui ne sont pas bons dessinateurs au sens où nous l’entendons dans nos contrées, mais ils savent raconter une histoire. Ils savent la mettre en scène et surtout ils ont des idées toutes les semaines. Ce sont des feuilletons, et ça avance.
Ils passent surtout leur temps à penser à des scènes, le manga, c’est avant tout une écriture.
Tout le principe du feuilleton s’y retrouve. Par exemple la nécessité d’avoir des scènes clefs chaque semaine, chaque mois. C’est culturel, ils en bouffent énormément.
J’ai la certitude que le vrai problème de la narration de la BD en France vient de son format. C’est-à-dire que 46 pages c’est super étroit. Tu ne peux pas te permettre beaucoup de choses si tu souhaites développer parallèlement ton univers visuels et avoir une certaine densité narrative. A moins justement de faire du Astérix par exemple, auquel cas ta cohérence fond/forme est ultime.
Mais tout le monde n’est pas capable de faire du Astérix, c’est quand même super balaise : c’est super condensé, très riche et tu ne t’ennuies pas une seule seconde. Tu as l’impression vraiment de vivre une aventure alors que ce n’est « que » sur 46 pages. Auquel cas plastiquement tu ne peux pas te permettre énormément de délires. Par exemple tu ne peux pas te permettre une page de décor parce qu’une page de décor c’est deux minutes de lecture qui sautent.
Moi, je ne souhaite pas faire du Astérix, par exemple (rires).

 

Sceneario.com : Quels sont les principes de la narration manga ?

Kévin Hérault : C’est assez compliqué à expliquer, mais disons qu’ils ne voient pas la façon de raconter une histoire de la même manière que les européens. Ils ont inventé plein d’autres codes de lecture qui m’intéressent plus que les codes européens que je trouve en général assez figés, en majeure partie pour les raisons que je viens d’évoquer.
Par exemple nous avons le principe de la double page en vis-à-vis, avec début de séquence, fin de séquence en début et en fin de page, des choses qui se répondent comme ça. Eux fonctionnent plus en terme de séquence rythmique.
C’est-à-dire que parfois ils arrêtent une séquence en plein milieu d’une page et ils en entament une autre. Ou alors ils mettent une micro séquence au milieu d’une autre, ils jouent sur un rythme dynamique, du fait du format, du nombre de pages etc. Le manga se feuillette vite, la BD de chez nous s’ouvre cérémonieusement, et on se pose sur chaque double page, question de densité, donc de rythme. Pour ma part, augmenter la pagination change toute la donne par rapport à notre vision du 46 pages traditionnel, dans lequel je me sens cloisonné.
Ca me permet de raconter des histoires de la façon dont moi je les sens.
En fait je trouve très « conceptuelles » la plupart des scénarios BD européenne. Il y a des dialogues explicatifs. Ca reste quand même très proche de la littérature ; non pas au sens littéral du terme mais au sens « lecture » du terme.
Ce que j’aime dans le manga c’est qu’ils peuvent se permettre d’avoir plus de place au niveau de l’image pour raconter la même chose que ce que l’on raconterait en une page de dialogues. Eux ils vont prendre vingt pages parfois pour raconter la même chose que nous en deux seulement, mais c’est du visuel. La BD parle à la compréhension du lecteur, elle projette sur son intellect, sa conceptualisation, le manga déclenche des émotions qui mises bout-à-bout te racontent une histoire.
C’est plus vers ça que je veux aller, malgré toute ma culture française que je ne renie pas.

Sceneario.com : On a une image assez stricte de la culture Japonaise et le manga ‘Japonais’ c’est tout l’inverse.

Kévin Hérault : C’est justement ce qui est intéressant dans les états policés. Je ne sais plus qui a dit ça, mais ça ramène à « quand tout est permis, plus rien n’est possible ». Et c’est un peu le cas chez nous. En fait on se standardise dans la liberté et plus personne n’en profite vraiment parce que l’on ne sait pas trop quoi en faire.
Tandis que là-bas certains créateurs luttent contre un système de pensée hyper rigide, et là ils peuvent se permettre de s’exprimer davantage, d’avoir des idées plus fortes, moins consensuelles.
Il est vrai que les japonais sont vraiment stricts.
Dans la rue les gens ne se regardent pas. Leur principe de vie, c’est de ne pas déranger l’autre, une sorte de négation de l’ego.

Dans l’idéal je n’ai pas du tout envie de bosser pour une boite d’édition japonaise parce qu’ils sont barjos : les trois quarts des auteurs français qui ont bossé pour eux à l’époque où une grosse maison d’édition japonaise les avait débauchés l’ont mal supporté. Les japonais sont très rigoristes, mais vachement attentifs à la création en elle-même. Ils te font refaire beaucoup de choses.
Trondheim par exemple n’a pas supporté, il avait l’impression d’être violé en permanence, de ne pas pouvoir être libre dans sa créativité.

En même temps c’est la même méthode qu’au début du siècle pour ceux qui sortaient des beaux arts quand ils faisaient de l’affiche. Ca ne les empêchait pas d’être créatifs mais ils avaient beaucoup de contraintes à respecter. C’est le cas d’Alfons Mucha dont on connaît aujourd’hui surtout les boulots alimentaires.

Pour ma part, je m’impose un certain nombre de contraintes. Ce sont des choses que les gens ne remarquent pas mais dans HK par exemple je me suis imposé de ne jamais utiliser de flash back ni de bulles de pensée.


Couverture du 1.2
Sceneario.com : Pourquoi ?

 

Kévin Hérault : Parce qu’à l’époque où j’ai commencé HK il y avait énormément de BD qui sortaient avec ces principes là que je trouve un peu faciles. Il y a des gens qui le maîtrisent très bien dans le cinéma où dans certaines BD, mais il y a un moment où ça devient une facilité narrative, cela sert à « dire l’histoire » au lieu de la mettre en scène.
Je souhaitais faire un truc hyper linéaire justement pour me forcer à raconter une histoire qui se lise bien, qui se comprenne facilement du premier coup, mais sans passer par ce genre d’artifice.
Du coup, tu es obligé de trouver des solutions de mise en scène pas possibles parce qu’il y a des scènes sur lesquelles tu te retrouves un peu coincé. Tu dois alors contourner le problème tout en gardant ton idée de départ.
C’est en ça que je ne suis pas d’accord avec la liberté telle qu’on la conçoit en occident. Si la liberté c’est n’importe quoi ce n’est pas de la liberté, c’est juste n’importe quoi.
Il y a plein de bouquins pour lesquels tu sens qu’à un moment les mecs ont bloqué et sont allés à la facilité. D’un seul coup il y a du texte-off qui atterrit là-dedans et tu ne sais pas pourquoi.

Dans le cinéma on retrouve la même chose : par exemple j’adore « Blade Runner » et je préfère cent fois la version sans voix off. La version avec voix off, c’est vraiment histoire d’expliquer des trucs aux gens qui n’aiment pas être perdus. Alors que justement l’intérêt de « Blade Runner » c’est d’être paumé dans cet univers. C’est là que ça devient très fort, tu navigues dans un truc auquel tu t’habitues : il y des impressions, tout un côté esthétique et tout doucement tu rentres dans l’ambiance … ou pas !
Et puis il faut savoir « prendre des risques » comme on dit.
Quand j’écris, souvent je me demande: « Et si là, les gens ne comprennent pas ? ». Souvent, ma réponse est la même : « Tant pis ! ».
Je préfère laisser du flou artistique que de « sur expliquer », de pré mâcher la compréhension.
Je me dis que peut-être ils comprendront dans cinq ans… ou pas ! (rires)
Je suis pour l’art populaire, mais il y a un moment où il ne faut pas prendre les gens pour des cons. C’est un peu ça la différence.
Personnellement, je déteste qu’une histoire m’explique ce qu’elle est en train de me raconter. Je trouve ça redondant, et c’est une insulte à mon intelligence ! (rires)
La facilité c’est plus confortable. C’est ce que l’on appelle le nivellement par le bas. On met des oeillères aux chevaux pour qu’ils ne soient pas surpris de ce qui pourrait se passer dans leur champ de vision, en dehors du chemin qu’on leur fait prendre.
Alors que si tu proposes quelque chose que tes lecteurs ne sont pas susceptibles de saisir immédiatement il y aura toujours ceux qui s’en foutent et mais aussi ceux dont ça va titiller la curiosité. C’est tout ce qui m’intéresse.

Ce qui m’épate le plus c’est qu’en France les réactions du public sont toujours assez étonnantes.
Les gens parlent tout le temps d’originalité parce que culturellement on est éduqué à la création avec un grand ‘C’, à l’art avec un grand « A » etc. Tout le monde te cite Verlaine, Rimbaud, Victor Hugo, Picasso etc. sans jamais s’y être vraiment intéressé. Le cubisme tout le monde s’en bat les couilles, mais tout le monde va te dire « Ha ! Picasso quel grand artiste, quel Génie ! ». Ils n’en savent rien, on leur a imposé ce genre d’idée. Comme on leur a imposé l’idée selon laquelle il faut être original quand tu crées quelque chose.
En même temps quand tu déranges trop, c’est à dire que tu proposes quelque chose de trop original (je l’ai entendu ça, ça me fait rire : c’est comme trop unique ou trop extrémiste, ça me fait rire de la bouche !), eh bien on n’en veut pas non plus.
En terme de discours, en France, on se gargarise pas mal, ouais ! Tout comme je suis en train de le faire ! (rires)
C’est intéressant justement d’essayer de voir comment réussir à raconter une histoire à quelqu’un qui a l’air classique au premier abord, tout en y induisant des choses qu’il n’a pas l’habitude de voir.
Malgré tout il faut savoir séduire son public, c’est obligatoire. Sans pour autant tomber dans la démagogie primaire. Et là s’arrête le discours puisque de toute manière, le reste est purement subjectif.

Avec mon boulot quand je vois la réaction du public d’HK il y a des moments où je suis super étonné.
Par exemple les choses qui me paraissent naturelles comme les scènes de cul dans une histoire qui raconte quand même la vie des personnages ne sont pas gratuites. Ils y a plein de gens qui vont considérer que c’est gratuit parce qu’à la base ils considèrent que si c’est du cul, c’est « mal ».

Sceneario.com : Toutes générations confondues ?

 

Kévin Hérault : Oui. Les jeunes sont même parfois encore plus réac que les vieux. Ils ne comprennent pas. Question de vécu sans aucun doute… mais pas que, je pense.
Un mec une fois en dédicace, c’était le premier à réagir de la sorte sur le HK 1.3 à l’époque où il est sorti, il commence par : « j’adore, c’est super » etc… Et à un moment il finit par me dire : « mais il y a un truc que je n’aime pas trop et que je ne comprends pas : pourquoi vous montrez les bittes de vos personnages ? ». Tout ça parce qu’il y avait trois cases dans le bouquin où en effet quand les persos se lèvent de leur plumard ils sont à poil. Il avait été TRAUMATISÉ ! (rires) Il avait une bonne vingtaine d’années. Et ce n’était pas le seul. Après j’ai remarqué qu’il y avait plein de gens qui n’osaient parfois pas le dire mais que ça dérangeait.
Il y a aussi les réactions parfaitement inverses. Les nanas qui viennent te voir et qui sont contentes du fait que je traite les nanas et les mecs de la même manière : tous à poil ! (rires)

Sceneario.com : Pour en revenir aux histoires qui ne sont pas construites, toi sur les 30 albums tout est écrit. C’est assez impressionnant !

Kévin Hérault : Je ne connais pas précisément toute l’histoire, je suis en train de la construire. Mais je sais ce que cela doit raconter. Comment je vais le raconter c’est autre chose.
Depuis 15 ans maintenant je construis ça dans ma tête au fur et à mesure.

 

Sceneario.com : Rien sur papier ?

Kévin Hérault : Je n’écris rien. J’écris le moment venu quand il faut lâcher le truc sur le papier, ça a tellement tourné en rond pendant des années que je sais où je vais.
Après en effet le vrai travail d’écriture c’est de se retrouver confronté aux trucs auxquels tu n’as pas pensé. Essayer d’aménager tout ça pour que cela rentre dans le livre. Là ça devient « technique », en tout cas plus trivial !
Sinon au niveau des idées j’en ai toujours trop, ça déborderait des livres si je m’écoutais. Parfois c’est un peu frustrant.

Sceneario.com : Comment va s’organiser la série ?

Kévin Hérault : Pour le 2.1, certains ont dit que c’était une mise en place. Pour moi ce n’était pas du tout ça.
C’était justement un point d’arrivée pour le personnage d’Hollister qui croit qu’il va passer sa vie à glandouiller dans cette caserne paumée. En fait il ne s’y passe « rien » pendant l’album justement pour montrer ça. Et puis, il sera attrapé par des événements qui le dépassent, le pauvre garçon.
Le 2.2 est un album où il ne va rien faire du tout cette fois-ci, mais alors là que dalle ! Il va se faire sa petite dépression pépère dans son coin, s’embrouiller avec Mapi…
Là, on va surtout suivre les personnages secondaires, qui du coup passent au premier plan. Cela me permet de développer la compréhension de l’univers qui entoure notre héro et de prendre un appui pour la suite du cycle, ce qui va entraîner Karl à repartir de cet astéroïde.
Et les quatre albums suivants sont des albums de guerre. Enfin la guerre ! Coooool ! Depuis le temps qu’on en parle ! (rires)
Donc quatre albums d’action. Un album entier de vaisseaux spatiaux, de croiseurs de combat etc. avec -enfin !- les extraterrestres. On va les découvrir au fur et à mesure. Je vais essayer de ménager le suspens.
Un autre de combats terrestres avec beaucoup de matériel futuriste. Les deux albums suivants concluront le deuxième cycle. Il y en aura peut-être un septième mais c’est un 6.bis en fait. Et donc les 2.5 et 2.6 racontent la situation des personnages, paumés sur la planète, qui dégénère en guerre de tranchée façon 14/18. Tout ça pour développer les relations entre Karl et Cécile que j’ai introduite dans le 2.1 et qui pour l’instant passe pour un personnage très très secondaire. C’est en fait un des personnages principaux de la série… j’en ai trop dit, déjà…

Le troisième cycle se déroule sur terre. C’est assez loin de ce que l’on voit des humains qui vivent sur Avalon au début de la série.
Avalon est la banlieue sud de la terre. En fait sur terre ils sont ultra-riches et vivent dans un tout autre mode intellectuel. C’est devenu une sorte de société des loisirs. Un peu l’image de l’occident selon Guy Debord en version plus poussée à la G.W. Bush mâtiné de 1984… enfin beaucoup de comparaisons sont possibles : en gros, ils sont ultra riches alors qu’ils ne branlent rien. Ils ne font que gérer le travail des autres et sont complètement coupés des réalités extérieures.
A la reflexion, c’est déjà ce que nous vivons actuellement… et moi, je crée du loisir ! (rires) Le fait de faire naviguer le personnage de Karl qui a vécu la guerre rejoint certaines thématiques. En particulier celle des gens qui ont fait du cinéma engagé dans les années soixante dix aux Etats-Unis à propos de la guerre du Vietnam : le choc du retour au pays quand tu te rends compte que tu as failli y laisser ta peau et que les gens sont complètement inconscients de ce qui se passe ailleurs.
D’actualité avec la situation en Irak, ou historique avec le front de 14-18…

Sceneario.com : Tu utilises beaucoup de références à l’actualité, ton vécu ?

 

Kévin Hérault : Oui, je fais une compilation. C’est mon Reader’s Digest perso ! (rires) En fait, je n’invente rien, je donne ma lecture du Monde.

Sceneario.com : Il y a plusieurs niveaux de lecture finalement.

Kévin Hérault : C’est pour ça que c’est dense.
C’est que je me permets avec HK vraiment d’aller et venir dans toutes sortes de thématiques et d’essayer d’intégrer ça dans un univers cohérent.
Justement il y a plein de gens au début qui me reprochaient de ne pas faire de la vraie SF parce que les immeubles étaient pareil aux nôtres, par exemple… ou que ce n’était pas de la vraie BD d’action, ni de la vraie BD politique ou encore de psychologie… Ils comprendront peut-être au fur et à mesure que c’est volontaire, je veux tout mélanger, métisser les genres, ne pas me passer de telle ou telle chose sous prétexte d’étiquetage ou de clivage.
Aussi, si j’ai introduit des extraterrestres ce n’est pas pour faire des scènes d’actions avec des méchants.
Ils vont être très proches de l’être humain mais avec un mode de pensée radicalement différent, en opposition avec le « drame culturel humain » qui pérennise les raisons de se battre pour des appartenances grégaires, des différences : barrières des langues, frontières, moeurs etc… concept dépassé depuis longtemps par les extraterrestres qui forment un peuple uni.

Sceneario.com : Tu ne nous fais pas le coup des « Borgs » de Star Trek avec une pensée unique ? (rires)

 

Kévin Hérault : Non. En tout cas pas dans le côté sordide du truc. A l’heure actuelle, on est encore à se battre pour la diversité culturelle.
Je n’ai rien contre l’idée, en effet ce serait dommage de jeter à la poubelle des trucs qui sont biens.
Mais par contre si la diversité culturelle devient une raison de se taper sur la gueule là je m’excuse, mais je ne comprends pas bien l’intérêt.
En fait, j’irai jusqu’à dire que la pensée unique de l’Homo Sapien Sapiens tient justement à ce comportement universel. Ouais, je dénonce grave ! Chuis un gueudin ! (rires)

Il y a aussi le thème de la sexualité : les E.T. sont hermaphrodites. Et il y a plein de choses comme ça qui vont ensuite rentrer en ligne de compte dans les troisième et quatrième cycles.
Justement pour bien faire la césure avec une sorte d’humanité « idéale », même si elle aura aussi ses revers parce qu’elle est assez… spéciale ! Dirais-je.
Mais je ne peux pas trop en parler parce que ça risquerait d’être un peu trop compliqué et surtout je ne veux pas déflorer le truc.

Et puis il y a le personnage de Karl qui va prendre de l’ampleur. On part d’un gars qui est un peu mollasson, paumé dans son coin. Au fur et à mesure de tous les événements qu’il va rencontrer, il se formera une opinion. Il commencera à lutter politiquement et à afficher des idées claires et nettes sur sa façon de voir les choses. Puis à un moment il sera plus du côté des extra-terrestres que des humains etc…. et puis comme nul n’est prophète en son pays… tout ça ; tout ça ! (rires)

Sceneario.com : En somme cette saga est une fenêtre, un regard sur notre civilisation ?

Kévin Hérault : En quelque sorte.
C’est pour cela que c’est intéressant de partir d’un principe très série B au départ. Puis de développer le truc en le faisant dériver.
C’est vraiment ça que je voulais faire depuis que je suis ado.
J’aimais les trucs genre Star Wars etc. comme tous les minots de mon âge, en gros, mais j’ai toujours été frustré par moment de l’appel d’air qu’il y a dans l’histoire où tu te dis, « Ouais, bin ça s’arrête là quoi, c’était juste une aventure ». Parce qu’à côte de ça, il y avait des trucs comme la psychologie et le social qui m’intéressaient déjà quand j’étais ado.
J’étais aussi super intéressé par les sciences dures et surtout par ce qui touche à l’Espace : j’avais commencé par lire le bouquin « Cosmos » de Carl Sagan, et donc je voulais intégrer tout ça dans mes histoires… parce que ça me fait rêver… C’est vertigineux l’Infini ! Et j’aime penser à ça parce que c’est aussi excitant que c’est angoissant.

Sceneario.com : Tu bosses sur autre chose en parallèle de ce travail de longue haleine ?

Kévin Hérault : J’ai toujours des petites idées qui viennent à côté.
J’ai aussi des scénars dans d’autres genres, que je n’ai pas envie de dessiner.
Le problème du dessin c’est qu’à un moment tu ne te surprends plus toi-même. Il n’y a plus la même ferveur qu’au départ. Et puis j’aimerai aussi pouvoir utiliser des styles graphiques différends, qui diffusent d’autres impressions dans le récit.
Du coup, c’est plus attrayant de travailler avec d’autres gens qui peuvent apporter ce à quoi tu n’aurais pas pensé, une fraîcheur dans une autre forme de liberté.

Je commence à être un vieux dans le métier (rires).
Il y a plein de petits jeunes qui arrivent et qui sont aussi passionnés de manga etc.
J’aimerais en faire bosser certains, surtout leur éviter les erreurs que j’ai pu faire quand j’avais leur âge. Parce que justement je trouve que l’on a perdu ce côté Maître-Élève qui a été complètement déconsidéré alors que ça me paraît être la seule solution valable face à l’Art en général. Car malgré tout ce que ça implique de liberté inconditionnelle, il faut un apprentissage technique et on ne peut pas passer au travers sans faire de grosses conneries.
Ca m’intéresse de bosser avec des gens qui sont dans ces influences là, que j’ai attendu longtemps. A une époque je me suis senti un peu seul dans le paysage de la BD franco-belge avec mes mangasses (rires).

Sceneario.com : A ton avis, le cinéma a-t-il contribué à cette évolution ?

 

Kévin Hérault : Ouais, je ne sais pas. Je dirai que c’est un principe de vases communicants.
Sauf que je trouve qu’il y a un gros problème dans la mentalité des gens vis-à-vis de l’image. Il y a longtemps eu des films en tout genre avec des effets qui ne servaient pas l’histoire. Ce que je regrette de plus en plus avec l’arrivée de la 3D, le numérique etc., c’est qu’il y a de plus en plus de films qui ressemblent à des démos techniques mais qui ne racontent rien. C’est-à-dire que l’on fait de l’image pour de l’image.
Et les gens ne réclament plus que ça… et ils greffent ce qu’ils veulent dessus.
Ca me navre, parce que je ne comprends pas leur satisfaction. Une fois de plus, « est-ce que c’est vraiment ça, la Liberté ? ».

Sceneario.com : Je ne sais pas si les gens en réclament tant que ça.

Kévin Hérault : Je trouve que la jeune génération si. Ils ont tendance à être avant tout épatés par le côté pyrotechnique du truc et ils oublient que ça ne raconte rien. Je ne comprends pas le succès de Matrix par exemple.

Sceneario.com : Même pas le premier Matrix ? Il racontait quand même quelque chose celui-là ?

Kévin Hérault : De façon très bancale alors.
Et puis surtout c’est un des premiers films à succès qui est juste une compilation de ce qui a été fait mille fois ailleurs. Et rien que cela m’énerve parce que les mecs se récupèrent le succès que n’ont pas forcément eu leurs prédécesseurs.
Alors qu’en fait ils n’ont rien inventé et qu’à la limite ils ont été beaucoup moins bons. Mais en effet on peut voir ça en se disant que cela permet de pénétrer dans cet univers qui pendant très longtemps a été déconsidéré : la Science-Fiction, considérée comme la pauvreté intellectuelle par la plupart des gens, à l’instar de la BD.
Alors que c’est tout autre chose : il y a des oeuvres de science fiction que les gens n’ont toujours pas lu et ça se voit à la façon dont ils perçoivent le monde.
Les gens (vous savez, les fameux « gens » dont tous les gens parlent) n’ont pas lu 1984 donc on ne se rend pas compte que l’on vit actuellement dans le monde de Wells… On est dedans les gars ! (rires).
C’est ce qui est terrifiant dans la culture, le temps que mettent les choses à entrer dans l’esprit des gens. C’est pour cela que traîne un peu l’histoire humaine (sourire).
Depuis le temps que l’on parle de démocratie idéale on n’y est toujours pas… et ça fait quand même trois mille ans que ça dure cette histoire.

Sceneario.com : Donc là tu montes un atelier ?

Kévin Hérault : Non, une structure d’électrons libres qui peuvent communiquer entre eux, c’est ça qui m’intéresse. Je suis parfaitement contre l’idée d’identité globale et d’esprit de groupe et d’instinct grégaire tout ça non, ça génère toujours des conflits, c’est atroce, c’est notre coté chimpanzé.

Sceneario.com : Cela peut aussi être un espace de travail où les gens se retrouvent.

 

Kévin Hérault : Ouais mais je pense qu’il faut malgré tout forcer les gens un moment à bosser seuls dans leur coin parce que c’est aussi ça le boulot de création. On ne peut pas passer à travers. Il peut y avoir des travaux en commun mais pour bien apprendre le métier malgré tout tu es obligé de passer par la solitude totale et absolue. C’est aussi comme ça que tu vois si tu es fait pour ça ou pas.

Et puis mon thème principal dans l’absolu c’est justement « qu’est-ce qu’un être humain en tant qu’individu » ?
Et pour ça se retrancher derrière le groupe c’est véritablement un truc qui me terrifie. Le vrai gros problème de l’humanité est là, il est de s’identifier à quelque chose qui ne lui appartient pas, qui n’existe pas dirai-je même, rien que par facilité, pour échapper à la peur du vide… l’existentialisme à de beaux jours devant lui ! (rires)

Sceneario.com : Tu as fonctionné comme ça depuis toujours ?

Kévin Hérault : Oui j’ai toujours un problème avec l’autorité. A commencer par ma mère.
Ma mère était terrifiée car je ne voulais pas manger quand c’était l’heure. Ce n’était pas que je ne voulais pas manger dans l’absolu.
C’était que je ne voulais pas obéir au fait que ce soit elle qui choisisse quand je voulais manger.
Ca commence là, j’avais deux ans en gros. A côté de cela j’étais super gentil (rires). Après tout a été comme ça, « pourquoi les règles existent ». La question c’est ça, pourquoi ça et pas autre chose ? A la réponse « parce que c’est comme ça que ça marche » j’ai toujours cherché à trouver d’autres « trucs qui marchent »… C’est après seulement que j’ai commencé à m’intéresser à la philo et des trucs comme ça justement. Je commençais à trouver des pistes dans les écrits des uns et des autres. A force de faire des recoupements tu commences à comprendre un peu à quoi tu ressembles de l’intérieur.
Ma plus grosse découverte a été Nietsche.
Nietsche est considéré par beaucoup de gens comme un nihiliste alors qu’en fait non : c’est un anarchiste.

Un anarchiste au sens idéaliste du terme c’est-à-dire qu’il considère que l’humanité n’est rien d’autre qu’une foule d’individus, qu’il ne peut y avoir de chef, pas de hiérarchie, rien de toutes ces conneries étatiques.
Et c’est exactement comme ça que je le ressens aussi.
Donc je me suis nourri de tout ça. J’ai essayé de comprendre comment fonctionnaient les gens par rapport à ça, comment moi je fonctionnais, à découvrir des trucs ; à me forger mes propres théories.
En tout cas oui, à la base, Nietsche est contre l’ordre établi.
Partant du principe qu’à la naissance tu es vierge et qu’il n’y a pas de raison pour que l’on te force à ingurgiter quoi que ce soit. L’individualisme c’est ça.
En plus lui était individualiste de gauche comme il y a aussi eu des anarchistes de droite. C’est là que ça devient compliqué et que c’est un peu tordu. Parce qu’après tu remontes plus loin et tu commences à découvrir Platon et compagnie, la République tout ça. On y parle justement du rôle de l’individu dans une société, du rôle de l’individu en dehors d’une société ; c’est le bordel c’est super, on s’éclate !

 

Et c’est comme ça que j’ai fini par comprendre certaines choses sur le Socialisme. J’aime beaucoup l’histoire du Socialisme. Mais en même temps je me rends compte qu’il y a plein de gens qui arrêtent la théorie de la droite et de la gauche en fonction du paysage politique français et surtout de ce qu’il est devenu, ce qui est assez navrant.
Parce que le socialisme libéral ça ce n’est plus le socialisme, et le socialisme ce n’est pas vraiment la gauche. C’est une dérive de la gauche. Qui de toute façon s’installe dans un système économique qui est de droite, donc être de gauche quand tu es sous la junte de la droite, c’est pas possible.

Et donc en remontant dans les philosophies binaires j’ai compris il y a deux ans ce qu’était la vraie différence entre la gauche et la droite grâce à Michel Onfray, philosophe de son état.
Et c’est assez fascinant comme c’est simple. La seule différence c’est la différence entre l’immanence et la transcendance.

Sceneario.com : Ca demande une explication (rires).

Kévin Hérault : Alors l’immanence c’est partir du principe que nous sommes un tas de molécules, qu’il n’y a pas de Dieu, qu’il n’y a rien de tout ça et que c’est un hasard total. Il n’y a rien au dessus, il n’y a rien en dessous, c’est juste un phénomène physique. Ce qui fait que nous sommes des animaux avec en plus la conscience de notre propre existence. On ne sait pas pourquoi et à la limite on s’en fout : c’est ce que nous sommes.
Déjà partir du principe que si on ne peut pas trouver de réponse on s’en fout et on n’essaye pas de se mentir. Tu considères donc que tu n’es rien, que tu n’as pas plus de droit qu’autrui et que tout est égal.
Il faut donc apprendre à s’auto gérer. Cela devient super exigent parce que tu ne peux compter que sur toi-même pour faire ton propre règlement de vie. Tout le monde fonctionne de la sorte et c’est comme ça que l’on fabrique une humanité de gauche, en accord avec son statut naturel. Ca a l’air cool, mais c’est un peu compliqué à gérer. Et c’est pour ça que la droite existe en fait.

La droite c’est tout simple, c’est s’extraire de cette maudite nature hostile. Et du coup la transcendance justement c’est de considérer qu’il y a un chef ultime : Dieu, quelque chose qui nous a créé.
Partant de là de toute façon on est obligé de fermer sa gueule. Ce n’est déjà plus la liberté… C’est imposer cette règle à tout le monde.

Du principe de transcendance vient la hiérarchie et donc l’exploitation des faibles par les puissants etc.
C’est ça le système de droite, partir du principe que nous ne sommes pas égaux. Pourquoi ? Parce que de toute façon il y a un chef de file.

 

On est en plein dedans.
Dire à un humain « tu es libre », ça fait peu

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