Interview

Rencontre avec Grégory Maklès

Sceneario : Une petite présentation, pour commencer ?

Maklès : Grégory Malkès, 32 ans. "Ruppert" est ma troisième bande dessinée en tant que scénariste et ma première bande dessinée en tant qu’auteur.

A la base je suis plutôt dessinateur. Je suis passé par les arts déco à Paris mais ensuite j’ai arrêté le dessin. J’ai fait du graphisme, de l’animation, monté une société, Home Force dans le domaine du logiciel de pointe pour musicien…

Depuis quelques années j’ai repris le dessin. J’ai d’abord scénarisé deux albums chez Soleil, “ Le dernier rituel “ et “ L’encyclopédie du mal “. Et là je sors Ruppert chez Carabas qui est complètement ma chose. Il était temps que je me lance. C’est un projet que j’ai conçu et que j’imagine comme la bande dessinée que je peux faire un peu n’importe quand. J’y aborde un univers qui m’est très naturel, l’héroic fantasy. Il y a un peu de graphisme, toute une galerie de personnages et même si mes centres d’intérêt évoluent avec le temps, le propos de fond est assez ouvert pour je puisse y interpréter de nouvelles histoires.

Sceneario : Pourquoi ne pas s’être lancé dans la bande dessinée après les arts déco.

Maklès : En fait, en sortant des arts déco, j’étais scénariste. La bande dessinée c’est quelque chose qui m’intéresse depuis tout petit. Je tenais à ne pas m’enfermer dans un métier. Je me suis donc ménagé un autre espace professionnel que la bande dessinée. Puis la bande dessinée m’a repris au tripes. Dans la vie on n’a pas tellement le temps de faire bien tant de choses que ça. Le moment était venu de s’y mettre.

Sceneario : Tu t’intéresses de près aux outils informatiques comme support à la création. Donc mise en couleur numérique pour Ruppert ?

Maklès : Oui, une couleur numérique, en essayant de ne pas avoir un rendu trop froid. Je n’essaie pas non plus de cacher le fait qu’elle est numérique. J’ai pas mal travaillé sur le processus de mise au point des couleurs, me faisant aider par mon cousin qui s’est bien tué à la tâche sur le sujet. Au début ce n’était pas gagné, car je n’avais jamais utilisé de couleurs numériques et je ne pouvais pas m’y consacrer à plein temps. Avec mon cousin, chacun connaissant très bien la manière de travailler de l’autre, cela rendait la tâche plus aisée.

Il reste pas mal de choses à affiner, cela se mettra en place avec le temps. La bande dessinée c’est tellement long à apprendre à faire bien. Comparé à d’autres métiers, l’ancienneté en bande dessinée paie plus qu’ailleurs. Cela montre toute la profondeur de la discipline car pendant des décennies on ne fait vraiment que s’améliorer.

Sceneario : Il y a des auteurs sur lesquels tu t’appuies, pour tes techniques de mise en couleur ou autre ?

Maklès : En fait non, je dirais malheureusement presque par ce que cela me serait d’un certain secours. Il m’arrive de regarder Loisel. A une époque des auteurs anglais tels que Bisley surtout lorsqu’il a sorti “Slane”. Pas seulement pour la qualité du dessin mais aussi pour sa narration, les jeux d’acteurs, les expressions des visages, les rythmes très anglais du découpage… J’ai été aussi très influencé par des auteurs d’humour, notamment le rythme qu’il peut y avoir dans les dialogues est probablement ce que l’on a très fort dans la BD franco-belge. C’est très varié, ça va de Achille Talon quand j’étais petit, à Gothlib, Bluch… Un copain définit mon style comme étant quelque par entre Bluch et Bisley. Avec le temps je trouve qu’il y a un style plus classique-heroic fantasy qui s’y intègre et qui n’est pas pour me déplaire. A la fin ça donne quelque chose d’à la fois réaliste, pas réaliste et très stylisé.

Sceneario : En parlant de styliser, tu as apporté un soin très particulier à la couverture.

Maklès : J’aime les belles illustrations de couverture, cependant je m’attache à ce que l’album soit homogène dans son ensemble. J’avais depuis le début l’idée de cette couverture. Il est très important d’avoir très rapidement une idée de la couverture et du titre de l’album, car c’est abominable d’avoir à chercher ça après. De plus, dès que c’est fixé, on a trouvé en quelque sorte la « couleur », le ton de l’album.

Sceneario : Comment est née l’idée de Ruppert ?

Maklès : Je travaillais sur une bande dessinée pour Carabas, à l’origine un vague projet noir et blanc indépendant qui s’attachait à raconter la vie d’adolescents s’amusant à des jeux de rôles. Et c’est en produisant les illustrations pour ces jeux que j’ai décidé de me mettre à ma propre bande dessinée d’heroic fantasy. Il faut voir que c’est très ludique à dessiner. Par exemple dessiner un monstre en barbare par exemple est extrêmement amusant.

Sceneario : Quelles étaient tes envies en concevant “Ruppert” ?

Maklès : J’avais envie de raconter des histoires d’heroic fantasy, mais dans un style classique proche de l’épique. Puis j’y ai mis un ensemble de valeurs qui ne sont pas celles de l’heroic fantasy habituelle. Il s’en dégage un certain optimisme, non pas que je sois optimiste, mais il y a une part d’optimisme en moi que je projette le personnage de Rupper. Ca me fait du bien de le faire et je cherche à produire le même effet sur le lecteur, c’est très important. C’est conçu avec beaucoup de niveaux de lecture en espérant que le plus important qui est le premier fonctionne bien.

J’essaierai cependant de ne jamais dévoiler le fond de la bande dessinée car il est pour moi très important que les lecteurs aient leur propre vision de l’histoire. Sur ce point j’admire beaucoup Jack Vance qui a donné très peu d’interviews dans sa vie pour préserver le travail de l’imaginaire. Etant très bavard j’aurai sans doute du mal, mais c’est lui qui est dans le vrai.

En tout cas c’est important de concevoir une bande dessinée comme un bon livre, avec une vraie richesse, une vraie raison d’être dans les valeurs qu’elle véhicule et une vrai conscience.

Sceneario : Le personnage de Ruppert est très en opposition avec l’univers dans lequel il évolue.

Maklès : Le fond de l’histoire c’est ce contraste entre un univers très dur surtout composé de non-humains et Ruppert. Dans l’heroic fantasy il y a des races. Le narrateur les utilise pour en faire des typologise d’humains, des sortes de caricatures psychologique. Par exemple le nain est industrieux, l’orc va être brutal et ainsi de suite. Cela permet de projeter tout un tas de métaphores. Dans le cas de Ruppert on a un univers de personnages tous plus brutaux les uns que les autres, toujours cruels.

L’idée de base de l’histoire tournait autour du Mont Sombre, du roi Os et de Ruppert. Le type de la ville était inspiré du livre “ La cité des voleurs “ à ceci près que j’ai fait quelque chose de plus cosmopolite. Le seul clin d’oeil que j’ai conservé à “ La cité des voleurs “ c’est l’allusion à Zanbar Bone par le roi Os qui en est fortement inspiré. Il y a une raison d’être à cette ville : ce contraste entre une ville extrêmement noire, certainement la vision la plus négative que l’on puisse avoir d’une civilisation basée uniquement sur l’intérêt personnel, l’inégalité et la compétition brutale etc et le personnage extrêmement positif de Ruppert. A tel point que l’on peut difficilement imaginer un personnage de bande dessinée plus positif que lui. Il est scandaleusement gentil. Ce qui est emblématique de Ruppert c’est qu’il voit la vie d’une manière incroyablement positive sans se forcer. Par dessus tout ça, il y a le personnage de Caroli qui est un cynique revenu de tout qui n’en croit pas ses yeux. La vie de Ruppert n’est pas rose pour autant. Il a une relation amoureuse extrêmement contrariée. Il est quand même sensible à l’atmosphère de la ville. Mais il veut y voir autre chose. Ceci dit je sais exactement comment tout cela finira, mais ça viendra dans longtemps (rires).

Sceneario : L’univers de Ruppert est noir mais quand même traité sur un ton humoristique !

Maklès : Il y a beaucoup de comique de situation, comme une comédie au théâtre, ce qui n’est pas évident au niveau du scénario. C’est à mon sens ce qui a le plus de charme et le plus pérenne. Par exemple, tout ce qui est parodie et jeux de mots n’aura pas assurément pas le même impacte dans vingt ans. Les références changent, ce genre de comique vieillit très vite. Ruppert est conçu comme un comédie d’aventure avec des temps forts comiques.

Sceneario : La mythologie de Ruppert est en prise direct avec celle du Mont Sombre.

Maklès : En effet. Les notables et les seigneurs de la ville d’Aurora logent sur le Mont Sombre, chacun plus près de sommet selon son élévation sociale. Sachant qu’en haut du mont, il y a la mort puisque c’est une zone où personne ne peut survivre. C’est un symbole très fort, qui traduit probablement ma vision de l’ascenseur social (rires).

Sceneario : Tu disais que chaque album formerait une histoire complète au sein même de la série.

Maklès : C’est quelque chose de très important. Je trouve que les éditeurs ont commis une erreur dans la bande dessinée en encourageant ce concept d’aventure épique qui est une longue longue histoire sur un certain nombre de tomes. En tant que lecteur on a besoin de lire une histoire du début à la fin sans que cela prenne trop de temps. Hors une bande dessinée de six tomes se fait en dix ans. En dix ans on a largement le temps d’arrêter d’aimer la bande dessinée tellement c’est long. Pour les auteurs non plus ce n’est pas génial. Avec Ruppert j’ai décidé d’assumer en me disant qu’avec vingt ans de plus j’aurai encore envie de le dessiner. Je l’ai conçu dans cet esprit. Par contre, le lecteur a une histoire complète à chaque fois qui s’insère dans celle de la série. Peut-être qu’un tome sera plus une comédie, un autre un vrai récit épique ou un encore romantique ou politique. Ils auront tous une coloration, c’est l’univers qui le permet.

Sceneario : Qu’est-ce que l’on te demande le plus souvent en dédicace ?

Maklès : Malheureusement très souvent des personnages féminins. Alors je sue sans et eau pour faire quelque chose qui plaise. Et ce qui est horrible c’est quand derrière on me redemande le même personnage féminin, des fois je fais une série comme ça de quatre ou cinq. Ces personnages sont évidemment plus dur à faire qu’une gueule cassée qui si on la rate ressemblera toujours à une gueule cassée.

Sceneario : Merci pour toutes ces informations. A bientôt dans le bacs.

Maklès : Merci, au revoir.

Publicité