Interview

Rencontre avec Byun Byung Jun, auteur de Cours, Bong-Gu !

Sceneario : Bonjour ! Merci de nous recevoir. Pourriez-vous en premier lieu vous présenter un petit peu ?

Byun Byung Jun : Je suis né en 1972 et cela va faire maintenant 10 ans que je dessine. En 1995, j’ai commencé par obtenir un prix pour jeune auteur débutant alors que j’étais encore étudiant à l’université. Suite à cette première reconnaissance, j’ai publié 4 ouvrages parmi lesquels "Cours, Bong-Gu !" (qui fut le 3ème des 4). L’un des premiers, "Princesse Anna" rencontra un succès tel que les bénéfices tirés de sa vente m’ont permis de partir pour étudier pendant deux ans au Japon. Là-bas, j’ai d’ailleurs également été primé à 2 reprises.

Sceneario : J’ai lu que vous avez commencé en réalisant plutôt des dessins humoristiques. Avec des bandes dessinées comme "Princesse Anna" ou "Cours, Bong-Gu !", on comprend que vous avez changé votre manière de travailler. Pensez-vous avoir trouvé votre style, maintenant, ou bien envisagez-vous de continuer à explorer les genres ?

Byun Byung Jun : C’est vrai, j’ai commencé par produire des petits dessins et des caricatures qui ont été publiés dans des journaux. Ca marchait bien ! Un recueil a d’ailleurs rassemblé ces premiers dessins et a été publié. Il s’est très bien vendu. Mais en dessinant "Princesse Anna", je savais que c’était dans cette voie que je voulais continuer. Cependant, j’ai toujours fait attention à garder un côté "amusement" pour mes lecteurs et mon éditeur m’encourage dans ce sens : pour le public, l’accès à mes histoires est ainsi facilité.

Sceneario : Est-ce à dire que votre éditeur vous a demandé de produire des histoires plus "faciles" pour qu’elles soient des "passerelles publicitaires" invitant le lecteur à s’intéresser à vos autres titres ?

Byun Byung Jun : Non. Seulement je m’applique à doser correctement l’humour dans mes histoires pour satisfaire mon éditeur tout en restant libre de raconter mes histoires comme je l’entends !

Sceneario : Le fait que vous soyez parti étudier au Japon n’a-t-il pas joué dans votre manière de dessiner ? N’y a-t-il pas des techniques que vous en avez rapportées qui tendraient à "mangaliser" votre coup de crayon ?

Byun Byung Jun : Le fait que je dessine depuis longtemps a fait que mon style était déjà « établi » avant mon départ pour le Japon. Je suis donc arrivé là-bas et y ai montré ce que je faisais, notamment "Princesse Anna". Mon éditeur japonais a vu ça et m’a justement encouragé à ne pas perdre ce style qui m’est propre, à ne pas être tenté d’y introduire des choses que j’aurais copiées des mangas ou dont je me serais inspiré. Ca, c’est pour le dessin. Mais en ce qui concerne le scénario, c’est pareil : les japonais m’ont dit qu’ils seraient plus intéressés par mes histoires si elles se déroulaient dans mon pays, la Corée, que si j’essayais d’inventer des histoires se déroulant au Japon. Par contre, c’est vrai, j’aime beaucoup les mangas japonais et forcément, on en retrouve certaines influences dans ma manière de travailler.

   

Sceneario : Classiquement, les mangas sont publiés en noir et blanc. A l’inverse, les bandes dessinées d’auteurs coréens sont en couleurs. Dans le cas de "Cours, Bong-Gu !", les premières planches sont dans une sorte de bichromie et peu à peu, au fil des pages, la couleur s’invite. En qualité de dessinateur, avez-vous une préférence pour l’un ou l’autre de ces styles, le noir et blanc ou la couleur ?

Byun Byung Jun : La couleur arrive effectivement petit à petit dans cette histoire. C’est pour mettre mieux en lumière la rencontre entre Bong-Gu et Hyemi, la petite fille…

 

Sceneario : Oui, on comprend bien que c’est pour insister sur cette rencontre entre des personnes différentes, vivant dans des univers différents…

Byun Byung Jun : Exactement. Après, pour répondre à votre question, je dois dire que je préfère en effet finaliser mes planches avec de la couleur. Il est vrai qu’il fut un temps où le marché de la bande dessinée était tel que les éditeurs ne pouvaient pas se permettre de trop publier en couleur. Raisons financières… Mais depuis 2000, environ, les conditions sont meilleures, le marché s’est élargi et c’est plus facile pour les éditeurs d’être rentables en proposant des bandes dessinées en couleur. Donc, ça va pour moi dans le bon sens : je prends plus de plaisir à voir mes planches colorisées qu’en noir et blanc ! Cela dit, et on le voit avec le début de "Cours Bong-Gu !", l’utilisation de la couleur peut ne pas être nécessaire ou ne pas être voulue en fonction de ce que je veux faire dire à mon histoire. Un rendu en noir et blanc n’est donc pas proscrit ! 

Sceneario : J’ai lu que vous utilisez beaucoup la photo pour vous aider. Quelle importance prend donc la photographie dans votre travail ?

Byun Byung Jun : J’habite à Inchan, pas trop trop loin de Séoul, et je prends souvent le train pour aller de l’un à l’autre. Lorsque j’écrivais "Cours Bong-gu !", je me suis fortement inspiré, pour mes décors, mes paysages, de ce que j’observais depuis la fenêtre de mon train. Ainsi, j’ai pris en photo, pour m’en inspirer, des paysages mais aussi des scènes plus urbaines, en ville ou à la gare, ces endroits où l’on croise des mendiants, par exemple, comme on en voit dans la BD.

L’inspiration vient comme cela, et parfois il me suffit de voir un paysage pour que je l’associe automatiquement à un personnage que j’aimerais faire vivre dans une de mes histoires. Les choses peuvent bien sûr se passer dans l’autre sens : parfois, au travers mes lectures ou des sites internet que je consulte, je peux "tomber" sur des personnages auxquels je me mets à associer un environnement…

Je suis par contre assez mal à l’aise, voire angoissé, quand je dois dessiner un peu "sur commande" quelque chose ou quelqu’un que je n’aurais pas vu de mes propres yeux. C’est plus difficile, forcément. Alors que quand la photo peut être là pour aider, c’est rassurant !

Sceneario : A propos d’angoisse, on ressent dans "Cours Bong-Gu !" comment la ville peut être synonyme d’oppression, comparée à la campagne. Y a-t-il des environnements qui vous sont plus propices à la création ?

Byun Byung Jun : Je suis né à la campagne et y ai vécu jusqu’à l’âge de 9 ans. J’en garde de très bons souvenirs et automatiquement, j’ai tendance à idéaliser la campagne. Dans l’histoire de Bong-Gu, j’idéalise d’ailleurs fortement la campagne en l’opposant à la ville que je traite volontairement de manière négative. Mais pour autant, j’aime aussi la vie en ville et y vivre ne m’empêche pas d’y trouver l’inspiration !

Sceneario : Des questions ne m’ont pas quitté pendant toute la lecture de "Cours, Bong-Gu !": Pourquoi avez-vous donné ce visage si "cartoon" aux enfants Bong-Gu et Hyemi quand ceux des adultes sont beaucoup plus réalistes et pourquoi donc Bong-Gu a-t-il toujours cette coulée de morve qui lui sort de la narine ?!

Byun Byung Jun : Les enfants ont dans l’histoire environ 4 ou 5 ans. A cet âge, les enfants sont souvent beaucoup plus naturels, plus expressifs que les adultes. Les visages que je leur ai dessinés m’ont permis de jouer avec l’éventail des expressions que je voulais leur donner. Quant à la morve de Bong-Gu, c’est une manière de différencier d’une part le garçon de la fille (les petites filles sont plus soignées, plus matures que les petits garçons qui aiment bien faire des bêtises, se salir, etc !) mais c’était aussi un moyen de différencier la ville où il arrive et la campagne où il vit habituellement. Les gens des régions rurales, plus défavorisées que Séoul, sont parfois habillés moins correctement, vous voyez ?

Sceneario : Ok. Et alors, au fait, que pensez-vous du format des bandes dessinées franco-belges ?

Byun Byung Jun : Les bandes dessinées asiatiques ont généralement un plus petit format que les vôtres, mais c’est parce qu’elles sont conçues pour être des livres qu’on emporte partout avec soi, qu’on peut lire n’importe où, et donc qu’on lit souvent très rapidement. Petites pages, peu de cases, on feuillette, on feuillette, c’est très rapide ! En Europe, les planches sont plus grandes, d’abord, et colorisées, pour la plupart. Le format franco-belge permet au lecteur de mieux s’attarder sur le travail du dessinateur. C’est très bien !

Sceneario : Pourriez-vous nous dire deux mots des projets que vous avez actuellement ?

Byun Byung Jun : Actuellement, je travaille sur un long récit en rapport avec "Le chat noir", d’Edgar Allan Poe. Le titre n’est pas encore arrêté, mais traduit directement du coréen, cela pourrait donner quelque chose comme "Le chemin suivi par Edgar Allan Poe"…

Sceneario : Est-ce un projet sur lequel vous travaillez seul, comme pour vos autres livres ?

Byun Byung Jun : Non. Pour cette bande dessinée, je travaille en collaboration avec un auteur-scénariste coréen. Le scénario est terminé, et je suis en train de travailler sur les dessins. A côté de cela, mon passage à Angoulême a été l’occasion de rencontrer Morvan et Corbeyran. Je suis donc en contact avec eux, maintenant. On verra bien si nos échanges débouchent sur quelque chose !

Sceneario : A suivre, donc ! En tout cas, félicitations pour votre travail, bonne continuation pour vos différents projets et merci beaucoup de m’avoir accueilli pour cette interview !

Byun Byung Jun : Merci à vous !

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