Interview

Rapport de garde à vue du suspect Olivier le Bellec

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Sceneario.com :

Bonjour Olivier. Ton actualité en ce premier semestre 2014, a été la sortie des deux tomes de 22.
Tu es policier, et maintenant, scenariste de bandes dessinées. Comment est né cette envie ?
Peux tu nous dire comment est né 22 ?

Olivier Le Bellec : Je suis effectivement policier depuis 15 ans et flic à la Brigade de Répression du Banditisme de Paris depuis 7 ans.
A l’âge de 8 ans, je souhaitais être policier et dessinateur de BD. Comme dessiner, c’était très compliqué, j’ai choisi la voie la plus simple : être flic.
Mon passage à l’acte concernant la réalisation d’un scénario de BD repose sur deux rencontres.
D’abord, j’ai eu le bonheur d’être l’ami du poète et dessinateur FRED, le papa de Philémon.
On a passé beaucoup de temps ensemble. Il me racontait des histoires fabuleuses et j’avais grand plaisir à les écouter. Un jour, il m’a conseillé d’écrire un scénario pour un polar en BD, m’a dit que j’avais plein de choses à raconter… J’ai donc commencé à écrire des petits récits sur les policiers en uniforme et à faire des découpages BD sur des enquêtes. Mon regret, c’est que FRED n’ait pas pu lire 22. Je lui ai dédicacé le tome 2, il me manque…

Ensuite, mon frère, qui avait lu mes p’tits trucs, m’a présenté David Chauvel. J’ai été très impressionné (et non le contraire) de rencontrer David. J’avais beaucoup de respect pour son boulot d’auteur. La première fois, je l’ai rencontré d’ailleurs en qualité d’éditeur et non de scénariste. Une histoire lui plaisait et il souhaitait que j’en fasse un one shot ou un diptyque.Cette dernière n’avait rien à voir avec 22…

Sceneario.com :

Tu collabores au scénario avec David Chauvel. Comment est né ce duo ? Comment travailles tu avec lui ?

Olivier Le Bellec :

Quelque temps plus tard, David m’a recontacté et m’a suggéré de faire une série policière dans laquelle seraient mixées les enquêtes de policiers de la BRB (Brigade de Répression du Banditisme) et des interventions de policiers en uniforme affectés aux missions de police-secours. Je lui ai répondu que je n’avais ni matériellement le temps ni l’expérience scénaristique nécessaire pour me lancer dans un tel projet. Je lui ai donc proposé de l’écrire avec moi, ce qu’il a accepté.
Pour le travail proprement dit avec David, c’était un ping pong permanent. On a tout écrit ensemble.

Sceneario.com :

Vous avez choisi un ton particulier sur cette série. Ce n’est pas un « récit classique ». Pourquoi ce choix ?

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Olivier Le Bellec :

Une enquête de la BRB étant souvent longue, il fallait trouver un moyen de la rendre dynamique, intéressante. C’est la raison pour laquelle David a choisi d’intercaler une intrigue de police­secours, qui est plus dans l’immédiateté. En résumé, les lecteurs sont confrontés d’un côté à l’urgence des policiers affectés aux missions de police­secours et de l’autre à une enquête au long cours.

Le diptyque 22 est un polar singulier dans la mesure où il met en avant un aspect de la police française rarement évoqué. Beaucoup vont découvrir que les policiers affectés aux missions de police­secours sont en première ligne face à la misère, aux problèmes de tous les jours…

Sceneario.com :

Y as­tu mis aussi des choses personnelles dans ce récit ?

Olivier Le Bellec : Les lecteurs ne sauront jamais quelle est la part réelle ou fictive dans 22. Mon seul objectif,

c’est que les lecteurs se laissent emporter par l’histoire.

Sceneario.com :

Que veux tu faire passer comme message avec 22 ?

Olivier Le Bellec :

Aucun. Je veux tout simplement raconter de bonnes histoires et faire réagir les lecteurs, susciter des réactions et des émotions. Via mon Facebook, j’ai reçu un message récurrent, que la lecture de 22 et plus particulièrement la fin était très forte, qu’elle faisait l’effet d’un coup de poing au visage. Notre objectif semble plutôt réussi. 🙂

Sceneario.com :

Chauvel et toi travaillaient avec le dessinateur Thierry Chavant sur 22.

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Pourquoi ce choix ? Qu’est ce qui te plait dans son dessin ?

Olivier Le Bellec :

David a déniché l’ami Thierry via internet. Dès le départ, Thierry n’avait pas peur de se confronter au cauchemar du dessinateur de BD, l’urbain, le contemporain, les voitures et bosser avec un flic:) Le sujet l’intéressait et dessiner Paris ne l’impressionnait pas le moins du monde.
Ce qui me plaît le plus dans son dessin, ce sont ses ambiances. Quand je regardais les pages du tome 2, j’étais scotché. Quand il dessinait la ville de nuit, j’avais l’impression de revenir 15 ans en arrière. Il a réussi à reproduire la chaleur et la froideur de la nuit, sa beauté. En regardant certaines pages, j’avais l’impression de redevenir le jeune poulet en uniforme qui patrouillait à la recherche d’un flag ou en attente d’une intervention police­secours…

Sceneario.com :

Je crois que tu prépares d’autres projets BD. Peux tu nous en dire plus ?

extrait

Olivier Le Bellec :

Avec le dessinateur Vincent Odin, nous travaillons sur une une série comique animalière de gags en une planche dont le personnage principal est un petit renard policier qui s’appelle Crassoulet et qui a tendance à ne pas être le super flic qu’il pense être. Son assistant César est beaucoup plus lucide sur la situation. L’album sortira l’année prochaine aux éditions Delcourt. Notre éditeur n’est autre que David Chauvel.
Je vais écrire avec l’ami Terry Stillborn une histoire pour son personnage : Le Garde Républicain. Le Garde Républicain va devoir travailler avec un flic de la BRB et ça ne va pas être triste. Je le plains 🙂
J’ai un projet de série avec le scénariste Antoine Ozanam mais je ne peux pas en dire plus pour le moment.

Sceneario.com :

En préparant ces questions, j’ai fais une constatation. Il n’y a pas vraiment beaucoup de héros policiers dans la bande dessinée. Ils sont souvent mis en second plan dans des récits policiers. Il y a James Gordon à Gotham, par exemple, mais souvent, le héros est journaliste, détective privée et c’est lui qui resout l’enquête. Le policier est son ami en général mais n’est pas mis vraiment en avant.

Olivier Le Bellec :

Eh ben, il va falloir que je m’y colle alors !! 🙂

Sceneario.com :

Petit quiz police en littérature et cinéma. Si je te dis Olivier Marchal : 36, Quai des Orfevres ?

Olivier Le Bellec :

J’ai adoré ce film. Très noir, très réaliste, très bien réalisé. J’ai hâte de voir l’adaptation d’Olivier Marchal de Notre Mère la guerre, j’ai adoré la BD.

extrait

Sceneario.com :

Simon Michael , scénariste sur les Ripoux entre autres ?

Olivier Le Bellec :

Classique. Il a participé à l’écriture d’un film que j’ai beaucoup aimé : Une nuit.

Sceneario.com :

La Balance de Bob Swain ?

Olivier le Bellec : Vieux mais bon souvenir. L’interprétation de Philippe Léotard était époustouflante.

Sceneario.com :

Harry Bosch de Michael Connelly ?

Olivier Le Bellec :

J’ai lu toutes ses aventures ou presque (pas le dernier). Je suis autant fasciné par le personnage que par la façon qu’à Michael Connelly de décrire Los Angeles. Harry Bosch est un personnage fascinant. En même temps, je n’aimerais pas travailler avec lui. Tout ce qui l’approche meurt…

Sceneario.com :

Sherlock Holmes ?

Olivier Le Bellec :

Si je suis flic, c’est en partie à cause de lui. J’avais envie de résoudre des énigmes complexes et d’affronter un redoutable adversaire. Il a bercé mon enfance et mon adolescence. Les autres responsables sont Starsky et Hutch. Eh oui, j’assume 🙂

Sceneario.com :

Quel est ton dernier coup de coeur pour une bande dessinée ?

Olivier Le Bellec :

La série Scalped.

Sceneario.com :

Quel est ton dernier coup de cœur pour un livre ?

extrait

Olivier Le Bellec :

Un livre jeunesse : Le voleur d’anniversaire aux éditions Milan de Frédéric Pillot & Laurent
et Olivier Souillé

Sceneario.com :

Quel est ton dernier coup de cœur pour un film ?

Olivier Le Bellec :

Chien Enragé d’Akira Kurosawa avec le formidable Toshirō Mifune

Sceneario.com :

quel a été ton dernier coup de coeur pour une musique ?

Olivier Le Bellec :

BlakRoc ­ What You Do To Me

Sceneario.com :

Merci Olivier d’avoir passé cette garde à vue avec nous..

Olivier Le Bellec :

Merci à vous. Je laisse les menottes sur la table.

Sceneario.com :

a la suite de cet entretien, Olivier le Bellec a voulu nous et vous faire un cadeau en nous laissant  un petit mot inédit :

Olivier Le Bellec :

« Mes rondes de nuit m’ont laissé de nombreux souvenirs… Certaines nuits étaient calmes, mais la plupart du temps, les missions de police secours s’enchaînaient sans la moindre interruption. On passait d’un événement à un autre, du plus drôle au plus triste, du plus insignifiant au plus grave. Transformés en véritables coureurs de fond, on avalait les kilomètres et les difficultés. Ce marathon nocturne policier se passait le plus souvent sans encombre mais d’autres fois, les pépins ne nous lâchaient pas. On gardait néanmoins le sourire parce qu’on aimait notre taf.
À vrai dire, même lorsque nous ne sortions pas du commissariat, il nous arrivait d’assister à des scènes improbables. Je me souviens par exemple d’un jeune homme qui avait débarqué avec un gros sac­à­dos. Il voulait savoir s’il avait « l’autorisation d’en avoir un… ».
« Un quoi ? » lui avais­je répondu. Il avait alors sorti le plus naturellement du monde un énorme serpent de son sac.
Dans la chaleur ou la froideur de la nuit, on croisait des prostituées, des paumés, des noctambules joyeux ou éméchés, des joggeurs, des rats gros comme des chats… Richard Bohringer a parfaitement raison, c’est beau une ville la nuit. Malgré les souf­ frances, la déchéance, la folie, la détresse, il y avait de jolis moments, des situations drôles et même de sacrées rigolades avec les collègues.
Avec le temps, pour me protéger des horreurs auxquelles j’étais confronté, j’ai appris à me construire une sorte de bouclier me permettant de rester systématiquement détaché et objectif face à n’importe quelle situation. Mon cerveau lui­même me venait en aide, en développant une merveilleuse capacité à effacer les images les plus tragiques, les plus horribles… Aujourd’hui, il me faut fouiller loin… loin dans ma mémoire pour réussir à faire remonter ces souvenirs.
À six heures trente, heure de la fin de mon service, lorsque la ville sortait peu à peu de son sommeil, je rangeais mon uniforme dans mon placard et prenais le métro pour rentrer chez moi. Invisible, véritable ombre sortie de la nuit, j’étais fasciné par cette fourmilière qui s’activait tandis que je me dirigeais calmement vers ma nuit à moi… J’étais loin, à l’époque, de me douter qu’un jour je raconterais tout ça. »

Olivier Le Bellec

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