Interview

Questions à Daphné Collignon, auteure de Correspondante de guerre

Daphné Collignon

Sceneario.com : Bonjour ! On vous connait comme auteure de Rêves de pierres et de Coelacanthes en ce qui concerne la BD, mais que faut-il savoir de plus sur la vie et la carrière artistique de Daphné Collignon ?

Daphné Collignon : Bonjour ! Et bien… J’ai fait beaucoup d’illustration jeunesse avant de me consacrer entièrement à la bande dessinée, et actuellement je suis professeure d’illustration dans la section graphique d’une école de cinéma à Marrakech en plus de mon activité BD. J’ai aussi fait pas mal d’expositions il y a quelques années… J’ai participé à des actions poétiques (lectures) avec une association, le Suc et l’Absynthe… J’ai touché à pas mal de choses ! J’aime surtout raconter des histoires, écrire, faire des carnets de voyages… J’aime la multiplicité, je pense que c’est très important de ne pas se cantonner à un seul mode d’expression quand on en ressent le besoin. Et j’ai besoin d’explorer.

Sceneario.com : C’est chez Soleil qu’est publié l’album Correspondante de guerre, un portrait en BD de la reporter Anne Nivat. Comment avez-vous pu la contacter, comment lui avez-vous présenté votre projet, et comment a-t-elle réagi ?

Daphné Collignon : Tout est raconté dans le livre, alors il serait dommage d’en dire trop ici… Mais en bref, derrière les lignes, c’est par ma rencontre avec Clotilde Vu des éditions Soleil que j’ai pu faire ce projet. Elle souhaitait entreprendre une collection faisant collaborer un auteur de BD à l’univers fort avec un grand reporter, et laisser jouer l’alchimie pour ouvrir de nouvelles vues sur ce métier et ces vies si particulières. J’ai été très séduite par cette idée. J’ai un peu voyagé, je venais de vivre une expérience particulière dans un village du Sahara, j’avais été confrontée à un certain nombre de choses qui me donnaient envie de parler des autres – autres cultures, autres points de vue, autres manières de vivre et d’aborder les choses. C’est tout ce que fait Anne. C’est ce qui m’a attirée à elle. Nous nous sommes rencontrées par l’intermédiaire de Reporters Sans Frontières et de Soleil, et puis… L’alchimie souhaitée a joué !

Anne Nivat

Sceneario.com : Combien de temps a pris la réalisation de cet album ? Anne Nivat a-t-elle été disponible tout du long ou bien a-t-il fallu composer avec un emploi du temps à elle atypique et qui aurait pu compromettre l’aboutissement du projet ?

Daphné Collignon : L’emploi du temps d’Anne était une donnée de base avec laquelle il fallait évidemment composer. Je ne m’attendais pas à partir avec elle sur le terrain, et moi-même étant souvent hors France, ça n’allait pas être facile de se voir souvent. La façon dont nous avons fonctionné a donc été plus ou moins déterminée dès le départ avec ces contraintes, et nous nous sommes vues 4 fois à peu près. Entre ces rencontres, je lisais ses livres, je m’informais sur elle, je réfléchissais à l’album, à ce qui pouvait être intéressant à dire et aux angles que je pouvais aborder. Elle est le sujet du livre, bien sûr, mais en même temps c’est ce qu’elle représente qui est intéressant pour le livre; donc je n’avais pas besoin de l’avoir tout le temps sous les yeux pour savoir ce qu’elle était et ce qu’elle défendait.

Sceneario.com : Quel est le rapport d’Anne Nivat au 9ème art ? A-t-elle une position particulière face à ce média quant à son pouvoir d’information ?

Daphné Collignon : Anne ne connaissait que très peu la bande dessinée. Elle avait écrit une introduction pour un album sur la Tchétchénie (par Rash et Tamada), mais considérait plutôt cette forme d’expression comme la plupart des gens : un genre ludique, divertissant, pouvant informer mais en restant, d’une certaine façon, fictionnel. Elle a découvert une autre dimension du média au cours de la rélisation de l’album, comme j’ai moi-même réalisé beaucoup de choses sur le journalisme et les livres reportages que je ne lisais que très peu avant de la rencontrer. Ce sont donc 2 formes d’expression qui se sont rencontrées, par le biais de cet album. C’est pour moi ce qui le rend intéressant, car nous l’avons nourri de ces 2 dimensions en essayant d’aller l’une vers l’autre.

Sceneario.com : N’a-t-elle pas hésité à vous laisser dresser son portrait pour vous demander plutôt par exemple de mettre en images des choses qu’elle a vécues ?

Daphné Collignon : Non, cela a été un choix commun qui s’est imposé dès la 2ème entrevue. Anne est très attachée, de par sa formation, son engagement et sa démarche, à la véracité des choses et n’est pas une femme de fiction. Si j’avais mis en images ses expériences ou ses livres (ce que j’ai au final un peu fait quand même, mais en l’étoffant du reste, ce qui donne une cohérence illustrative aux extraits choisis) j’aurais de par mon style et ma façon de raconter romancé très fortement ses expériences ou en tous cas, elles ne seraient devenues que des "scènes de guerre" de plus. Quel intérêt ? Il y en a déjà assez comme cela ! Donc le portrait s’est imposé comme quelque chose de plus pertinent, et de toutes façons, c’était plus ou moins mon intention de départ. Quant à Anne, elle en avait envie, je crois, pour les mêmes raisons que moi. Ce qu’elle a écrit existe déjà, et elle l’a écrit mieux que moi. Elle est une porte. C’est ce qui nous intéressait toutes les 2.

Sceneario.com : Quel a été le pouvoir de l’une sur l’autre dans la conception de la bande dessinée Correspondante de guerre ? Quels ont été les contraintes et les compromis qu’il vous a fallu gérer ?

Daphné Collignon : Il n’y a eu aucun rapport de pouvoir, mais une association, et une volonté commune de se mettre au services d’idées qui nous tenaient à coeur. L’ego n’avait pas à rentrer en ligne de compte. L’idée était de faire un livre réussi, qui puisse montrer une autre face du journalisme, de l’information, des "autres mondes", et amener les gens à se poser des questions. Les compromis que j’ai dû gérer ont été ceux d’un portrait, c’est-à dire qu’il m’a fallu faire un tri dans ce que me disait Anne, et savoir distinguer le privé (même s’il était parfois tentant de le raconter aussi !) du réellement intéressant et de ce qui avait sa place dans le fil narratif. Cela s’est imposé assez facilement et je n’ai eu que très peu de corrections à faire. Anne ayant l’habitude de s’effacer pour laisser parler les autres, je crois que, étant pour une fois le sujet, elle m’a laissé la liberté que les gens qu’elle interviewe lui laissent. En tous cas elle m’a fait confiance, et nos entrevues étaient plus des séances de relectures, conseils et nouvelles discussions qu’autre chose.

Sceneario.com : Ce portrait d’Anne Nivat est aussi l’occasion pour vous d’intégrer des éléments autobiographiques, notamment dans la première partie de l’album et dans votre mise en scène face à la reporter lors de l’interview. Qu’est-ce qui a régi le dosage entre les deux portraits et pourquoi avoir choisi de mettre en images l’interview elle-même (quand c’est le cas) plutôt que de traduire en illustrations les dires d’Anne Nivat ?

Daphné Collignon : Je voulais un contre champ face à Anne, un autre vécu qui vienne apporter une dimension supplémentaire au livre et éviter de tomber dans le piège de faire d’Anne une héroïne de fiction – ce qui aurait pu arriver au vu de ses expériences! Je voulais introduire un questionnement, le mien, et évoquer aussi ce que la rencontre avec une femme hors du commun peut changer dans une vie. Parce que c’est aussi un peu le sujet du livre : notre rencontre, humaine. Et c’est le sujet des livres d’Anne : des rencontres, humaines. Il me paraissait donc intéressant de la mettre en scène face à quelqu’un d’autre, la petite routarde qui vit des expériences, qui se croit peut-être aventurière, et se découvre elle aussi face à la femme qu’elle rencontre. Quant au fait de mettre en scène l’interview plutôt que de l’illustrer, ce choix répond à la même logique que celle de l’interview elle même : je ne voulais pas trop imaginer. Je ne voulais pas prendre trop de place et trop romantiser, dramatiser les choses. Il me semblait qu’on avait besoin de cette confrontation un peu froide pour comprendre que les choses ne sont pas simples à saisir, à percer, et que c’est plus facile d’imaginer la guerre dans le livre de quelqu’un en tant que fiction étrangère ou historique (ce qu’elle devient, forcément, si on n’est pas concerné directement) que de comprendre réellement que la personne en face de vous a vécu ça. L’image permet de rajouter ce mur, et j’avais envie de l’opposer aux scènes réellement dessinées, aux photos, etc. C’était une dimension importante.

Sceneario.com : Qu’avez-vous tiré de cette collaboration sur le plan humain et y a-t-il des enseignements qui vous serviront en tant qu’artiste ?

Daphné Collignon : Humainement, ce livre était évidemment un cadeau à tous points de vue… J’ai beaucoup appris. Cela m’a aidée à mieux comprendre un certain nombre de choses, aussi bien à titre privé que par rapport au sujet lui même. En tant qu’artiste, je ne sais pas trop quoi vous répondre… Pour moi l’humain et l’artistique sont liés, il n’y a pas de distiction. Je ne suis pas d’un côté humaine, et de l’autre "artiste", pour reprendre votre terme ! Mais cela m’a donné envie de raconter plus d’histoires, de faire d’autres portraits, de m’intéresser plus aux gens. D’accepter aussi, peut-être, un certain nombre de choses que j’avais du mal à vivre avant… La proximité de ces mondes et le fait de devoir en choisir un… J’ai découvert qu’on n’était pas obligé de choisir. Pour moi, ça a été un très grand pas.

Sceneario.com : Avez-vous présenté votre projet abouti ou "en devenir" aux éditions Soleil ? Et comment se sont créés les partenariats avec Reporters sans frontières et France Inter dont on aperçoit les logos sur la couverture de l’album ?

Daphné Collignon : Quand j’ai rencontré Clotilde Vu nous ne savions même pas encore que nous allions travailler avec Anne. Le projet s’est donc entièrement monté dans la confiance, ce qui est une très grande chance. Quant aux partenariats, je vous renvoie à ma directrice éditoriale qui est beaucoup plus qualifiée que moi pour vous répondre !

Sceneario.com : Dans Correspondante de guerre, vous écrivez avoir laissé de côté un projet en cours pour vous atteler à celui avec Anne Nivat. Qu’en est-il maintenant, de ce projet délaissé ?

Daphné Collignon : Le projet délaissé l’a été parce que nous n’avons pas obtenu les droits d’auteur nécessaires à la réalisation du livre. Il s’agissait des Vagues de Virginia Woolf, premier projet que nous avions voulu faire avec Clotilde dans la collection Noctambule. Mais au final, ce projet (qui restera aux oubliettes de toutes façons, car sans droits : rien à faire) était beaucoup trop proche de Coelacanthes que je venais d’achever, je n’aurais pas eu l’énergie nécessaire pour le faire. Donc…

Sceneario.com : Enfin, quels sont vos autres projets, vos autres envies, maintenant ?

Daphné Collignon : J’ai mon activité de professeur à Marrakech qui me comble : j’adore enseigner. J’ai un album en cours, aussi, qui devrait sortir cette année. Et puis j’aimerais me tourner vers des choses comme le carnet de voyage. J’ai très envie de reprendre un peu la route !!! Et aussi d’aborder des sujets plus graves comme l’anorexie à travers un recueil de nouvelles/témoignages BD… Bref, les envies ne manquent pas ! Inch’allah, comme on dit ici!

Sceneario.com : Et bien, merci beaucoup pour le temps que vous avez pris à répondre à nos questions. Encore une fois toutes nos félicitations pour ce magnifique Correspondante de guerre, et… bonne continuation, que ce soit au Maroc, en France, ou ailleurs !

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