Interview

Pierre-Mony Chan

Sceneario.com : Bonjour,

Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans la bande dessinée ?
Pierre-Mony Chan :
Bonjour, je suis Pierre Mony-Chan, je suis arrivé dans la bande dessinée par accident, après un licenciement économique dans une boîte de jeux vidéo qui s’appelait Kalisto, à Bordeaux. On a monté un dossier avec mon collègue scénariste, Jean-Luc Sala, qui était mon chef de projet à l’époque. On l’a présenté à Soleil à Angoulême en 2001. On a signé pour l’album peu de temps après, en février/mars et c’était parti.

Sceneario.com : Pourquoi faire un mélange de style européen et manga ?
Pierre-Mony Chan :
Cela vient de mon style de dessin. Je viens des manga, j’en lisais … En fait, non ! J’en regardais beaucoup à la télé quand j’étais gamin, club Dorothée évidemment et d’autres. Pendant très longtemps cela a été ma seule référence. Après je suis passé au manga quand j’ai découvert les librairies parisiennes. Ce qui m’a réconcilié avec la bande dessinée franco-belge, c’est quand j’ai commencé mes études artistiques après un bac F3.

Sceneario.com : Qu’as-tu fait comme études ?
Pierre-Mony Chan : J’ai eu la chance que mes parents me soutiennent. Ils ont financé mon école. C’était Emile Cohl à Lyon, une école privée d’illustration, animation, … très généraliste. J’ai suivi le cursus jusqu’au bout. C’est aussi cela qui m’a un peu ouvert à d’autres styles que le manga. Ce n’était pas très bien vu dans l’école et il a fallu un peu s’adapter un petit peu au fur et à mesure des années. (rires)

Sceneario.com : C’était pendant l’apparition du manga dans les années 90 ?
Pierre-Mony Chan :
Ma première année, c’était en 1995 et je suis sorti en 1998. Le manga commençait, mais il traînait encore tous les poncifs qu’on retrouve encore un peu mais beaucoup moins. "C’est mal dessiné", "c’est pour les enfants", "c’est violent" et "c’est que du cul". Je crois qu’on a fait le tour (rires).
A partir de là, j’ai un peu brassé tout cela et mélangé mon style avec d’autres influences que j’avais sous la main. Du Vatine, du Jimenez un peu, … et j’ai construit petit à petit mon dessin.

Sceneario.com : Qu’est-ce que ça t’apporte d’être présent sur la Japan Expo qui est quand même très différent d’un salon bd classique ?
Pierre-Mony Chan : Déjà, je voulais voir cela une fois dans ma vie parce que je n’avais jamais fait de convention de japanime à part BD EXPO à Paris, à l’époque. Mais cela n’avait pas cette ampleur-là. Le manga était parqué dans son coin et la franco-belge/comic dans un autre. C’était juste pour voir la gueule que cela avait. A la base, je n’étais pas spécialement invité non plus parce que c’était surtout des auteurs japonais qui l’étaient.

Sceneario.com : Justement c’est dur pour un Européen d’avoir un style manga ?
Pierre-Mony Chan :
J’ai l’impression que c’est dur. J’ai entendu dans pas mal d’allées du salon des gens dire "c’est du manga français, c’est nul" pas spécialement pour ma série mais aussi pour les fanzines, ce qui est assez dur. On le retrouve encore même chez les jeunes lecteurs". D’un autre coté, j’ai été voir les fanzines, et ils me disaient que cela marche super bien, et qu’ils arrivent à vendre tous leurs fanzines. Je pense que cette espèce de préjugé selon lequel les Français se contentent de recopier des manga est en train de disparaître. Les gens l’ont intégré à leur paysage bande dessinée. Maintenant c’est bon, le manga est installé, reconnu et apprécié pour ce qu’il est. Ce ne sont plus les clichés dont on parlait tout à l’heure.

Sceneario.com : Et que penses-tu de l’arrivée du manhwa coréen et du manhua chinois ?
Pierre-Mony Chan : Effectivement, tous les pays d’Asie s’y mettent. Enfin, ils produisaient déjà sur leur territoire depuis très longtemps. Il faut chercher de nouvelles choses. Les manga, on en a presque fait le tour. Les plus représentatifs sont déjà parus en France. Il faut donc un peu élargir le cercle et effectivement il y a les manhwa coréens et les chinois, et il y en aura certainement d’autres après. Je trouve cela très bien.

Sceneario.com : Tu lis beaucoup plus de titres maintenant ?
Pierre-Mony Chan :
Non, je lis beaucoup moins mais je pense que les autres auteurs le disent. Je continue de suivre les choses que j’aimais, principalement des séries vidages de tête, genre des bons vieux Shonen, les manga actions pour garçons comme les One Piece, Naruto, …

Sceneario.com : En parlant de Naruto, une des choses qui m’a surpris à la Japan Expo, ce sont le nombre de personnes qui se baladent avec l’espèce de bandeau !
Pierre-Mony Chan : Ouais ! Le bandeau du village de Konoa (rires). Naruto c’est un phénomène. C’est ce qui a remplacé Dragon Ball en nombre de ventes et en popularité. C’est très bien car c’est mérité.

Sceneario.com : Parlons un peu de Cross Fire, c’est une série sur du long terme ?
Pierre-Mony Chan:  Long terme non, normalement, on a prévu cinq tomes. Après, si on met deux ans pour chaque album… (rires)

Sceneario.com : Hum !
Pierre-Mony Chan :
Ah, c’était cela ta question cachée !? (rires)
Normalement, on va retrouver un rythme classique de production d’environ un an pour un album. Pendant cette période de deux ans, j’ai fait des collectifs, des illustrations, d’autres travaux, … mais je sais, c’est mal, méchant dessinateur ! (rires)

Sceneario.com : La série tombe dans une bonne période d’ailleurs, avec la sortie du Da Vinci Code au cinéma
Pierre-Mony Chan: Oui, et le fameux évangile de Judas qui a été retrouvé et traduit, comme par hasard, en même temps qu’on en parle dans notre série. C’était prévu, on a monté un grand plan marketing (rires). Dans le même style, ce qu’on nous a reproché c’est de surfer sur un truc existant. Mais en même temps, on a commencé à préparer cette série en 2001 et comme le dira Jean-Luc mieux que moi, il avait déposé son manuscrit bien avant le Da Vinci Code. Donc s’il y a un problème juridique un jour, il peut sortir son brevet (rires).

Sceneario.com : Il y a eu beaucoup de comparaisons entre les deux ?
Pierre-Mony Chan : Forcément, on parle de religion et de secret. Et de toute façon même sans connaître le sujet, les gens vous rattachent à telle ou telle chose. Nous c’était le Da Vinci Code, c’est évident. Comme tous les albums de bande dessinée ou les autres œuvres cinématographiques ou romanesques qui sont sorties sur le thème, elles se sont vues étiquetées ersatz du Da Vinci Code. Je ne pense pas que l’on soit les seuls et… bah ! à la limite, il faut vivre avec mais c’est pas très grave.

Sceneario.com : Comment travailles-tu ?
Pierre-Mony Chan : Pour les deux premiers tomes, Jean-Luc faisait le découpage de l’album en une seule fois. Il découpait en chapitres, puis en scènes et enfin découpait ce que l’on voit en case par case, les décors, personnages et dialogues. A partir de cela, je fais mon story-board avant les planches.

Sceneario.com : Il t’envoie l’album en entier ? Car cela dépend des scénaristes…
Pierre-Mony Chan : Oui tout à fait. Il y en a qui aiment bien tout faire d’un coup, d’autres en plusieurs parties

Sceneario.com : Et tu préfères quoi ?
Pierre-Mony Chan :
Moi ? Je n’ai pas de préférence. Je sais qu’il y a des auteurs qui aiment avoir un tome d’avance en scénarisé pour anticiper. Ils peuvent voir s’il y a des choses qui doivent être prises en compte dans le tome actuel pour éviter des faux raccords. Non, vraiment, je n’ai pas de préférence. Mon scénariste est assez carré. Je me dis que, même s’il me livre les choses au fur et à mesure, il sait où il va.

Sceneario.com : Tu travailles seul ou en atelier avec d’autres personnes ?
Pierre-Mony Chan : En atelier, on arrive, on dit bonjour au chef, ah non ! Il n’y a pas de chef (rires). On prend notre café, on check nos mails et Internet pendant une grosse heure. Et après on commence à bosser tranquillement. C’est un atelier sur Bordeaux avec mon scénariste, Alice Picard la dessinatrice de Weëna, Serge Meirinho le scénariste de Blue Hope. On a monté cet atelier surtout pour être dans une ambiance de travail ; je pense qu’on avait besoin de ce cadre, si on ne nous met pas dans un lieu de travail, on se disperse un peu trop.

Sceneario.com : La télé, les jeux vidéo, …
Pierre-Mony Chan :
Oui c’est ça, on avait besoin de cela pour travailler sérieusement, faire nos heures de boulot et en dehors de cela, on fait ce que l’on veut.

Sceneario.com : Cela permet d’avoir d’autres regards sur le travail.
Pierre-Mony Chan : C’est ce qui ressort souvent et qui est mis en avant, une sorte d’émulation mais au final, on est plutôt dans notre coin et de temps en temps on demande des conseils. Mais c’est vrai qu’on est chacun dans notre petit monde mais ensemble à bosser. Ce qui compte c’est de sentir que quelqu’un "en chie" à coté, cela nous console et je me dis que je vais continuer encore un peu.

Sceneario.com : Tu travailles sur le scénario ?
Pierre-Mony Chan: Absolument pas, le scénario, c’est vraiment Jean-Luc, c’est son bébé, son histoire, ses références. C’est vraiment ce qu’il aime. Je ne veux pas me mêler du scénario et j’en serais incapable de toute façon. C’est tellement carré et construit au millimètre, il n’y a aucune place à l’improvisation et c’est très bien comme cela. Je me contente de la partie graphique. Je mets un petit dessin rigolo pour alléger le sujet ou certaines situations. Chacun son rôle.

Sceneario.com : Pourquoi avoir incorporé un inventeur qu nom de Kyu ca fait très James Bond !
Pierre-Mony Chan :
Cela fait partie des références que l’on aime mettre en avant. C’est James Bond, on est très proche de cet univers-là. Les gadgets comme les ailes, bien qu’on me l’ait un peu reproché, cela faisait un peu trop S.F. mais ce n’est pas grave, après tout ce sont des gadgets et on fait ce que l’on veut.

Sceneario.com : Tu as fais des recherches pour les designs comme les bateaux, voitures, … ?
Pierre-Mony Chan : Oui, évidement. Je fais mes petites recherches. Je demande à Jean-Luc ce qu’il en pense. Et suivant les retours, soit on retouche, on trouve d’autres choses ou on valide et on l’utilise. Mais je demande son avis quoiqu’il arrive. C’est très documenté avec beaucoup de photos de vacances et le net est un apport vraiment indispensable au travail de dessinateur. Et aussi celui du scénariste, parce qu’on trouve énormément de choses pour nourrir les histoires. Pour cela c’est formidable, les bibliothèques ont perdu beaucoup de leur intérêt à cause du net (rires).

Sceneario.com : Tu parlais des photos de vacances ?
Pierre-Mony Chan :
Jean-Luc est allé au Vatican et on les utilise. C’est vraiment sa passion. Il les avait faites bien avant de penser à faire une bande dessinée. Cela constitue une base documentaire bien appréciable. Beaucoup de scènes ont été dessinées à partir de ses photos de vacances. Pas directement, mais on essaye d’imaginer ce qui se pourrait se passer dans les lieux.

Sceneario.com : Les personnages vont encore évoluer en terme de dessin ?
Pierre-Mony Chan : Oui bien sûr. Déjà au sein d’un album, ils évoluent sans qu’on le veuille vraiment. Mais c’est normal, j’en ai fait mon deuil. C’est un peu rageant au début. Le personnage que tu dessines n’a plus vraiment la même "gueule" de la page 1 à la page 46. c’est un peu déstabilisant et se dire que la version de début n’était pas terrible, la version de fin non plus mais qu’au début, il y avait des trucs sympas. J’ai donc loupé un truc à un moment, il aurait peut-être fallu que je m’arrête. Mais c’est le genre de trucs sur lesquels il ne vaut mieux pas trop réfléchir, sinon on passe son temps à refaire les cases ou les planches. Je crois que c’est le piège pour beaucoup de dessinateurs d’essayer d’avoir à chaque fois la page parfaite ou le déroulement parfait. Tant pis, on vit avec les regrets et ce n’est pas plus mal. J’aime bien voir évoluer le travail aussi.

Sceneario.com : Tu relis tes albums ?
Pierre-Mony Chan : Une seule fois. Je relis les albums quoiqu’il arrive, mais une fois. Ce me fait déjà mal de les revoir et pourtant le tome deux est sorti il n’y a pas longtemps, mais même celui-là, j’avais du mal. C’est bizarre en fait, c’est une espèce de retour dans le temps. On a l’impression d’être passé à autre chose.

Sceneario.com : Cela ressemble un peu à un baby blues !
Pierre-Mony Chan :
Je ne sais pas (rires). L’album ou la bd blues alors, c’est possible. Oui, on se demande après, est-ce qu’on a bien fait ? Est-ce que je l’aime vraiment cet album ? C’est assez étrange, il y a un peu de cela. Je n’avais pas vu cela ainsi.

Sceneario.com : Et les dédicaces ?
Pierre-Mony Chan :
Ca va (rires), en tout cas, celles de la Japan expo, c’était sympa. Il n’y avait aucun collectionneur, que des lecteurs ou des gens qui découvraient la série. C’est vraiment très rafraîchissant d’avoir un vrai public de lecteurs, ceux qui avaient lu l’album ou qui l’ont découvert sur place, mais ne pas avoir quelqu’un qui fait la chasse aux dédicaces. C’est rare d’avoir ce genre de public en dédicaces dans les festivals, disons, conventionnels. Très très rare, rien que pour cela je suis content d’être venu à la Japan-expo. Il y a aussi un nouveau public, un public de fanzine aussi. Des gens qui ont eu le même parcours que moi et qui veulent savoir comment cela se passe après quand on est passé de l’autre côté.

Sceneario.com : Le niveau 2, après le boss de fin de niveau !
Pierre-Mony Chan : Oui c’est ça (rires). Après la rivière qu’est-ce qu’il y a ? C’est cette rivière que je n’arrive pas à franchir. C’est tout à fait ça. Et pour moi, c’est très intéressant. Il y a des ‘brutes’ dans le fanzinat et on se demande pourquoi ces gens-là ne sont pas à côté de moi à dédicacer. C’est une question que je me suis pas mal posée.

Sceneario.com : Pourquoi moi et pas les autres ?
Pierre-Mony Chan :
Exactement, y’en a vraiment qui sont très bons. C’est bizarre, vraiment bizarre. Est-ce parce qu’ils sont trop manga justement ? Je ne sais pas du tout. Est-ce que les éditeurs misent plus sur les manga adaptés ? Est-ce-que le nom doit être à consonnance asiatique ? Je ne sais pas, c’est étrange car il y a vraiment de très bon dessinateurs sur les stands. D’ailleurs je vais aller me faire dédicacer des trucs.

Sceneario.com : Merci et bonne fin de salon

Publicité