Interview

Patrice Brochard, un sculpteur de bulles

Patrice Brochard

Sceneario.com : Bonjour Patrice, Comment devient-on sculpteur de personnages de bande dessinée ?

Patrice Brochard : Bonjour, scenario.com.
Pour ma part, je ne l’ai pas provoqué. Très jeune, je lisais des BD que j’empruntais à mon cousin plus âgé. Ça allait des comics américains à la BD franco-belge, puis je me suis orienté vers les BD d’épouvante, telles que Anticipation, Spectral et Nevrose.

Bjorn

Je passais la plupart de mes vacances à Londres et ce fut un déclic lorsque j’ai découvert les conventions de bande dessinée. J’étais jeune à l’époque et je me rappelle très bien la rencontre avec John Bolton. Étant fan, je lui ai fait dédicacer des BD et il m’a parlé d’une de ses nouvelles séries. Il s’est ensuite levé un instant et est revenu avec une carte représentant un de ses personnages, qu’il a signée et m’a offerte. Ça m’a marqué !
A la même période, toujours en Angleterre, j’ai découvert une expo sur des bustes de vampires. De retour en France, des rêves plein la tête, je me suis mis à travailler l’argile et ai réalisé un buste de vampire.
C’est à ce moment, en 2001 je crois, que j’ai appris qu’un acteur de ma série culte venait dans un salon à Paris (Doug Bradley de la série Hellraiser). Toujours en loisir, m’orientant vers le modelage, j’ai décidé d’en faire une figurine afin de la faire dédicacer par ce comédien, ce qui m’a procuré la même sensation que j’avais eue avec John Bolton…
Le démarrage fut donc la figurine Hellraiser. Je ne pouvais la réaliser en argile car cette matière, bien que très agréable à travailler, limite la possibilité des détails. J’ai donc fait des recherches et découvert l’argile polymère. Cette pâte à modeler a la particularité de se cuire et donc de durcir. J’avais tout juste trois semaines avant le salon, et dès que je rentrais du boulot, je passais des heures à affiner ma figurine d’Hellraiser, et au final je la fis dédicacer. Un autre moment fort et inoubliable.
Je me suis donc amusé à réaliser d’autres personnages, cette fois-ci axés sur la BD. Jusqu’à ce que le festival Bulles-de-Mantes s’intéresse à mon travail et me propose d’exposer mes figurines. Ce fut mon vrai premier pas dans le monde de la BD, et c’est donc le festival de Mantes-la-Jolie qui m’a lancé, me permettant ainsi de rencontrer d’autres passionnés…

 

Auteurs en collaboration

Sceneario.com : Comment s’élabore une figurine, quelles sont les différentes étapes de fabrication ?

Patrice Brochard : C’est très compliqué, j’ai essayé plusieurs matières avant de trouver réellement mes repères. Ça commence par un très long moment de réflexion. Il faut lire et relire les BD avant de proposer une posture appropriée aux personnages. Ensuite, le dessinateur me réalise un model sheet de son personnage, c’est-à-dire une vue de face, de dos et de profil. Pour le prototype, je commence par l’étude de la posture en respectant les proportions, et seulement après, je passe aux détails. L’auteur suit chaque étape de l’évolution de la figurine. Je prends des photos et il me dit ce qui ne va pas, ou retouche avec Photoshop. Un prototype peut demander plus de 100 heures de travail. J’utilise de la pâte à modeler Plastiline, que l’on trouve dans les magasins de fournitures pour artistes. Comme une pâte à modeler classique (à base d’huile), elle ne sèche pas à l’air. On peut donc ainsi la travailler longtemps et la modifier tant que c’est nécessaire. Une mise en œuvre facile et propre, une excellente tenue plastique (pas d’affaissement de masse). Une fois terminé, je réalise les moules. Le moulage permet de mémoriser les volumes et les reliefs me permettant ainsi de reproduire l’original en résine. C’est un travail de longue haleine, qui demande énormément de patience et de recherches, et il ne faut pas hésiter à tout recommencer si ça ne va pas. On peut suivre l’évolution de mes figurines sur mon : site

Sceneario.com : Comment choisissez-vous les personnages que vous sculptez ?

Patrice Brochard : Je me suis retrouvé invité dans plusieurs festivals et j’ai eu une première commande.

Fernand et Raoul d'après ERROC chez Bamboo

Un auteur dont la série BD venait d’être terminée et qui voulait une petite série de figurines pour l’occasion : Erroc pour sa BD Fernand et Raoul chez Bamboo.

 

Ça s’est très bien passé et le résultat fut à la hauteur de ses deux petits héros. A l’époque, Bamboo était une grande famille dont les auteurs étaient en contact permanent. Lorsque la série fut terminée, ça a fait boule de neige. Plusieurs auteurs de chez Bamboo voulaient une figurine de leurs personnages. Ça c’est fait très simplement : Les Sisters, Les Pompiers, Les Rugbymen et bien d’autres. Je n’ai rien provoqué, j’ai juste travaillé comme un fou pour donner le meilleur de moi-même et ça a vite pris forme.

 

Isabelle

Sceneario.com : Quelle démarche avez-vous vis-à-vis des dessinateurs ? Entre l’aspect artistique et l’aspect financier, est-il facile de monter des projets ?

Patrice Brochard : Il est très difficile à l’heure actuelle de monter un projet. Je peux encore me le permettre car je n’en vis pas. J’ai un autre boulot à côté. Je me rends compte qu’avec le temps, c’est de plus en plus dur. Avant, les figurines étaient un peu mises de côté par les éditeurs, et très convoitées par les auteurs. Les éditeurs laissaient plus ou moins les auteurs gérer et se faire plaisir. Maintenant, les temps sont durs et les éditeurs cherchent avant tout à se faire de l’argent, bloquant ainsi tout projet. Je peux encore continuer car les figurines que je réalise sont surtout destinées à des collectionneurs. Le prix est plutôt élevé car les charges et droits d’auteur sont énormes, et c’est dommage car les dessinateurs se moquent un peu de l’aspect financier.

Sceneario.com : Entre Démons et merveilles et Attakus, est ce qu’il est facile de se faire une place ?

Patrice Brochard : Je ne pourrais jamais rivaliser avec eux. Comme je le disais, réaliser un projet figurines, ça représente un travail énorme. Des petites séries me conviennent car ça me permet de ne pas m’enfermer trop longtemps sur un même projet.

Sceneario.com : Vous réalisez de toutes petites séries. Est-ce un choix délibéré ou une contrainte de marché ?

Patrice Brochard : Mis à part l’auteur de la BD qui me réalise des croquis sur mesure pour la réalisation d’une figurine, je réalise tout seul. Ça commence par l’étude, puis le prototype, la conception des moules, la reproduction en résine, la finition, la peinture à la main, les certificats, la réalisation des boîtes, la promotion, et enfin les expositions et démonstrations en festivals BD. Ça représente un travail énorme qui me demande beaucoup de temps, beaucoup trop. Je ne peux me permettre de faire des séries plus importantes, pour la simple raison qu’au bout d’un moment, j’ai besoin de partir sur de nouveaux projets, travailler avec d’autres auteurs… l’envie de créer de nouvelles choses, d’explorer d’autres univers…

Sceneario.com : Quel serait le personnage que vous rêveriez de sculpter ?

Marly

Patrice Brochard : Beaucoup d’auteurs, mais avec l’expérience, cette envie a été ternie par cet aspect financier inévitable chez les éditeurs. Je me rends compte que si je veux continuer, il n’y a malheureusement plus d’amour pour la BD,

mais bien plus le côté financier. Et c’est ce qui ternit un peu ma bulle. J’aurais aimé faire du Bilal, Loisel et surtout Yslaire mais je serais vite découragé. En tant qu’artiste, ce qui me plairait, ça serait de me fondre dans un univers qui me plaît et y rester. Tout explorer jusqu’aux moindres détails, comme dans la série de La Geste des Chevaliers Dragons pour laquelle j’ai réalisé une petite série.

 

Sceneario.com : Vous pouvez nous parler de votre série Pygmalion ?

Patrice Brochard : J’y pense depuis longtemps, j’ai la chance d’être invité dans des festivals BD dont le dernier en Belgique, le festival de Couvin dont j’ai été l’invité d’honneur. Je pense que pour un sculpteur/modeleur, c’est une première. J’ai réalisé de nombreuses figurines pour des grands noms de la BD, tels qu’André Chéret, Marc Moreno, Malik, Olivier Boiscommun, Lucien Rollin, Gibrat, Eric Liberge ou encore François Walthéry. Toutes ces rencontres m’ont donné une idée, à savoir ne plus passer par les éditeurs et créer des projets uniquement avec les auteurs. D’où la série Pygmalion dont les auteurs BD ont conservé les droits sur les produits dérivés. Je cherche avant tout à me faire plaisir, et à faire plaisir aux auteurs et aux collectionneurs. Les figurines seront en monochrome, pour mettre en avant le travail de modelage et les détails. Les figurines seront beaucoup plus abordables financièrement. Cela vient surtout du fait que je ne me préoccuperai plus de la couleur. La mise en couleur, c’est ce qui me demande le plus de temps sur une figurine. Ça restera toujours des petits tirages, environ 40 exemplaires, et en plus du certificat, chaque figurine sera accompagnée d’un livret permettant de découvrir l’univers du personnage et de l’auteur. C’est Arnaud Stouffs qui fera ouverture du projet avec son personnage Morrighane inspirée des carnets de Croquis du Journal de campagne du Capitaine Crapaud aux éditions Andrasta.

Sceneario.com : Des projets en cours et à venir ?

Les pompiers Bamboo editions

Patrice Brochard : Mon projet en cours, et c’est d’actu : une série sur Les Godillots, inspirée d’une BD du même nom aux éditions Bamboo. Projet à venir : Pygmalion, dont les auteurs seront choisis en fonction de mes rencontres lors des festivals BD. Pour l’avenir, je pense que mon chemin est déjà tracé. Je continue à travailler sans compter mes heures. Je ne provoque rien, je travaille, travaille et travaille encore, et je verrai bien jusqu’où il me mènera. Je ne me décourage jamais, car cette passion pour la BD ne me lâche jamais…

Sceneario.com : Merci beaucoup Patrice de nous avoir consacré de votre temps pour nous faire partager votre passion.

Patrice Brochard : Merci a vous, je passe régulièrement sur le site scénario.com, surtout lors de mes nombreuses pauses-café 🙂 Bonne continuation à toute l’équipe !

Auteurs en collaboration

Retrouvez Patrice Brochard

sur son site
sur le Blog Pygmalion
sur la page facebook Pygmalion
et dans la galerie sur sceneario.com

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