Interview

Paolo Cossi, auteur de Medz Yeghern

Sceneario.com : Bonjour Paolo Cossi ! Vous n’êtes pas encore très connu en France, pourtant, vous avez déjà publié plusieurs bandes dessinées en Italie. Pourriez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours artistique ?

Paolo Cossi : J’ai publié mon premier livre en 2000. C’était “Corona, l’uomo del bosco di erto”. Il a été très bien accueilli, et ça m’a permis de commencer à travailler en qualité d’auteur professionnel. Puis j’ai fait une histoire à propos de Tina Modotti en 2001 et une autre, à propos d’un criminel qui posait des bombes chez nous, en Italie du nord. Avec ces trois ouvrages, j’ai gagné le Prix Albertarelli et j’ai été nommé meilleur nouvel auteur d’Italie. Depuis, j’ai réalisé d’autres titres : “La storia di Mara”, “Il terremoto del Friuli”, “1918, destini d’ottobre” et "Medz Yeghern".

Sceneario.com : Medz Yeghern est votre première BD parue en France. L’avez-vous présentée à Dargaud ou bien Dargaud a-t-il choisi dans votre bibliographie un titre à publier ? Comment s’est faite votre rencontre avec Dargaud ?

Paolo Cossi : C’est mon éditeur italien qui a présenté cette bande dessinée à Dargaud lors du festival d’Angoulême, en 2007.

Sceneario.com : Vous êtes Italien mais Medz Yeghern parle du génocide arménien par les Turcs. Dans cette BD, on voit des Arméniens, des Turcs, des Allemands, mais… pas d’Italiens. Pourquoi avoir voulu parler de cette dramatique page de l’Histoire et quel est votre rapport à l’Arménie ?

Paolo Cossi : Beaucoup de monde s’étonne qu’un non-Arménien ait pu prendre cette cause à coeur. Moi, je pense qu’il n’y a pas besoin d’appartenir à un peuple pour se sentir touché, voire concerné par son histoire. Ainsi il ne faut pas seulement voir ce que les Arméniens ont subi comme quelque chose qui a été uniquement dirigé contre eux : je crois qu’il faut savoir regarder autrement les faits et se dire que quand ce genre de violence est dirigé contre un peuple, c’est l’Humanité toute entière qui devrait se sentir visée. S’intéresser, essayer de comprendre… Tout cela est du devoir de chaque être humain.

Sceneario.com : Quelles ont été vos sources ? Sur quels documents vous êtes-vous appuyé ?

Paolo Cossi : Au départ, je ne connaissais pour ainsi dire rien de ce génocide. J’en ai entendu parler pour la première fois en 2006 par un ami qui se rend régulièrement en Turquie. Lorsqu’il m’a dit qu’un million de personnes avaient été conduites dans le désert et y avaient été liquidées, j’ai été soufflé ! Comment est-il possible qu’un crime aussi grand ait pu être passé sous silence ? Comment se fait-il que les livres d’Histoire ne le mentionnent pas ? Alors je me suis dit qu’il était temps de me renseigner sur la question et de tirer tout ça au clair !

J’ai commencé à lire des livres, à rechercher des documents… Un ami historien a pu me procurer des journaux de cette époque. J’ai aussi rassemblé des des photos, des films, des documentaires dans lesquels des survivants étaient interrogés. Après que j’ai eu un matériel assez conséquent, je suis passé à la phase création : j’ai fait mes croquis, mes recherches de personnages… Trouver de la documentation n’aura pas été facile : les livres sur le sujet ne sont pas nombreux et ne se trouvent pas bien en évidence dans les librairies. Les vieux documents, quant à eux, ont souvent trop mal vieilli. Néanmoins, à force de piocher ici et là des éléments, tout à commencé à se concrétiser dans ma tête. Et à côté de cela, des Arméniens m’ont apporté une aide formidable en me donnant des photos, des lettres, etc… Je ne peux évidemment pas tous les citer, mais je voudrais remercier tout spécialement Antonia Arslan, auteure de "La masseria delle allodole", qui m’a aidé en me fournissant de très nombreux renseignements et en me mettant en contact avec des gens extraordinaires.

Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi de réaliser Medz Yeghern en noir et blanc ?

Paolo Cossi : En fait, je change souvent de style en fonction du thème principal sur lequel je souhaite appuyer. Pour Medz Yeghern, j’ai choisi un trait clair, appuyé, simplement parce que l’histoire en elle-même est forte, crue… Si j’avais eu recours à des ombres et à un trait plus sombres, je ne sais pas si j’aurais pu emmener le lecteur jusqu’au bout ! Je distords souvent l’anatomie humaine ou les atmosphères, de manière à exacerber leur caractère et par là même de renforcer le côté dramatique. Cela se comprend aisément au début du livre, quand les soldats arméniens sont exécutés, ou quand les deux personnages sont torturés dans la ville de Van. L’exemple le plus remarquable est sans doute la scène du viol, qui est aussi une sorte d’hommage au Guernica de Pablo Picasso. Le style de graphisme dans Medz Yeghern est le même que celui que j’ai utilisé pour Tina Modotti et Unabomber, alors que pour mes autres livres, j’ai utilisé l’acrylique, plus réaliste, parce que je désirais tourmenter le lecteur dès le tout premier coup d’oeil.

Sceneario.com : La question de reconnaissance du génocide arménien est sujet à polémique pour certains. N’avez-vous pas craint, en vous engageant sur ce terrain, de déplaire à la communauté turque ?

Paolo Cossi : Non, parce que mon livre n’est évidemment pas un livre anti-Turcs. C’est un livre à propos d’Histoire. Pas un livre racial.

Sceneario.com : Vous avez souhaité traiter ce sujet parce que le génocide arménien fut le premier génocide du XXème siècle. Peut-on imaginer alors que vous vous attèlerez à la réalisation d’une BD sur le premier génocide du XXIème siècle ?!

Paolo Cossi : L’année dernière, j’avais pensé à faire un autre livre dans le genre, mais après avoir abordé le génocide arménien, j’ai eu besoin "d’un peu de paix", et de prendre un peu de temps, aussi, après avoir traité quelque chose de si fort.

Sceneario.com : De quoi parlent vos autres BD ? Et de quoi parlera celle sur laquelle vous travaillez actuellement ?

Paolo Cossi : Mes autres livres parlent aussi d’Histoire. De guerres, de génocides, de révolutions… J’utilise la bande dessinée pour parler des erreurs de l’Homme mais aussi pour lancer des messages de paix. Actuellement, je travaille sur une histoire en relation avec l’Afrique. C’est très intéressant.

Sceneario.com : Vous étiez pour la première fois invité à Angoulême, en janvier 2009. Comment s’est passé votre festival ? Et vos rencontres avec vos lecteurs ?

Paolo Cossi : Oui, Angoulême, ça a été très chouette. Beau temps, plein de monde, et… du bon Cognac ! Les lecteurs que j’ai rencontrés ont tous été charmants. J’ai même eu l’occasion de parler avec des Arméniens ! Je suis très content que Medz Yeghern reçoive si bon accueil !

Sceneario.com : Merci pour le temps que vous avez pris à répondre à ces quelques questions. Félicitations encore une fois pour Medz Yeghern, et bonne continuation !

 

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