Interview

Olivier Vatine

Sceneario  : Bonjour Olivier, tu es dessinateur, scénariste, éditeur et ton actualité est assez chargée en ce début d’année.

Olivier Vatine : Oui, un peu.

Sceneario : Tu viens de sortir avec Yian Yi au dessin un album qui s’intitule 9 tigres, est-ce que tu peux nous le présenter ?

Olivier Vatine : Il vient de sortir chez Delcourt et le pitch c’est l’histoire d’une tueuse un peu surdouée qui travaille pour une triade asiatique de Hong kong.
Lors de sa dernière mission, elle apprend qu’elle est manipulée depuis son enfance et elle est retournée par sa victime, post mortem, elle est retournée donc, et elle accepte d’accomplir la vengeance de cette dernière, qui se trouve être sa grand-mère qui faisait partie des 9 tigres au départ. Le truc va être de remonter l’organisation et de la décapiter entièrement.

Sceneario : Comment t’es venue l’idée du scénario ?

Olivier Vatine : l’idée du scénario en fait m’est venue par une idée de séquence. Après comment les idées viennent je n’en sais rien, mais c’est la séquence d’ouverture où on voit un cortège de mecs, plus ou moins mercenaires ou gunmen, en train de monter une colline. En haut, il y a un bloc de béton avec une M60 posée dessus, un peu comme l’Excalibur de Merlin l’Enchanteur enchâssée dans le roc. Ils sont tous là en train de tirer dessus les uns après les autres, ils n’y arrivent pas. Celle qui arrive en dernier c’est l’héroïne, hop elle cueille l’arme comme une fleur, elle flingue tous les mecs qui sont autour et là, on voit, en fait que c’est une séquence de rêve. Elle se réveille dans l’avion et elle arrive pour accomplir sa mission.

Sceneario : Est-ce que tu vois cet album comme une déclinaison du western ?

Olivier Vatine : Non, moi je le vois plutôt comme un hommage aux films d’action asiatiques que je regarde tout le temps au grand désespoir de ma famille.

Sceneario : Comment s’est faite la rencontre avec Yian Yi 


Olivier Vatine
 : Je vais en Chine depuis quelques années, la première fois c’était en 2004. J’avais été invité à un festival asiatique qui se déroulait à Pékin. J’avais rencontré pas d’auteurs, je me suis fait des amis. Je suis retourné en Chine pas mal de fois pour les revoir, et puis j’ai aussi rencontré Patrick Abry de Xiao Pan qui opère là-bas, et de fil en aiguille j’ai été mis en contact avec Yian Yi via une agence qui s’appelle Beijing Total Vision. Voilà, donc je les avais rencontrés et nous étions devenus assez potes. A chaque fois que je vais en Chine, j’essaye toujours de passer deux ou trois jours à Pékin pour les voir, et là j’étais venu avec des projets. Ils avaient demandé à cinq ou six dessinateurs de passer pendant la journée et Yian Yi est arrivé le premier. Je lui ai pitché un peu le scénario et il a craqué sur l’histoire. Il a fait une page d’essai très vite. Il est revenu avec deux ou trois jours plus tard et j’ai trouvé ça super bien. Voilà cela a commencé comme ça. Après ça a été un peu plus dur.

Sceneario : Comment as-tu travaillé avec lui ?


Olivier Vatine
 : On s’était mis d’accord au départ qu’on travaillait avec des storyboards, en lui disant qu’il avait une certaine latitude pour me faire des propositions alternatives par rapport au récit. Le problème c’est que toutes les propositions qu’il me faisait n’étaient pas dans le cadre du récit. Il s’agissait de propositions d’ordre visuel et assez gratuites, parfois un peu kitchs à la chinoise, des petits effets de lumière tout partout. Donc à un moment ça m’a saoûlé et j’ai repris toutes ses pages. J’ai fait une colonne oui et une colonne non. Dans la colonne oui, il y avait deux ou trois cases, dans la colonne non une trentaine. Je lui ait dit maintenant si on veut avancer, il va falloir bosser comme ça, ça va être aussi un bouquin un peu test pour toi, tu vas apprendre des trucs. Yian Yi avait vraiment envie aussi de percer sur le marché européen.

Sceneario : Le fait d’aller chercher des dessinateurs en Chine signifie-t-il que l’on manque de dessinateurs talentueux en France ?

Olivier Vatine : Non, pour moi, c’est plus lié a une envie de découvrir. Je suis curieux et cela me donne aussi l’occasion d’aller là-bas plus souvent, et accessoirement il y a un autre graphisme, c’est asiatique. Cela ne ressemble pas trop au dessin japonais parce que culturellement ils n’aiment pas trop les Japonais, cela ne ressemble pas trop non plus aux dessins coréens tout en ayant une touche asiatique. Ce que j’aime bien c’est qu’ils arrivent à bosser sur tablette graphique et il y a un grand écart entre une formation XIXème et la tablette graphique. Ce sont des gens assez doués en terme de cadrage, de trucs visuels et tout ça, même si en revanche au niveau bande dessinée ils n’ont pas de background, c’est dur pour eux d’apprécier cela.
J’apprécie le boulot de Benjamin et de pas mal de gens édités par Xiao Pan et je pense que d’ici une dizaine d’année, il va y avoir une génération d’auteurs chinois qui va arriver, qui va avoir assimilé la BD, avec des collaborations ici ou avec les Etats-Unis ou peut-être avec le Japon ou d’autres pays d’Asie qui sont plus avancés là-dessus. Ils vont se débrouiller tous seuls, ils vont sortir des purs trucs, ils apprennent super vite.

Sceneario : Tu es passionné par la Chine, tu y fais de fréquents séjours, tu as participé au collectif Chroniques de Pékin, comment cela enrichit-il ton univers d’auteur ?


Olivier Vatine
 : Je suis curieux, de tout, donc je m’enrichis de tout, je lis des magasines sur l’aviation, je regarde beaucoup de DVD, des documentaires, fatalement cela t’enrichit en tant qu’être humain et donc en tant qu’auteur, aussi bien scénariste que dessinateur. J’aime découvrir des auteurs avec un graphisme différent. Voila inconsciemment, je ne dirais pas que je ne leur repompe pas des trucs.
Tu vois, tout à l’heure, j’étais avec Yian Yi en démo sur le stand Wacom pour essayer les tablettes écran. Je bossais sur Photoshop et j’avais ramené un petit crayonné histoire de pouvoir sortir quelque chose de potable à l’arrivée. Yian Yi lui est parti de rien, il a démarré direct, j’ai regardé sa technique et voila, j’ai appris.

Sceneario : Jacques Lamontagne vient aussi de publier un album avec Ma Yi au dessin, Ange semblait quant à lui déçu de sa collaboration sur les chevaliers dragons. D’où peuvent venir les difficultés et les obstacles ?

Olivier Vatine : Les difficultés ne sont pas obligatoirement liées au fait que ce soient des auteurs chinois.
On peut avoir les mêmes difficultés avec un auteur français. Il y a souvent beaucoup de jeunes qui s’imaginent que faire de la BD, c’est bien dessiner. Mais faire de la BD c’est aussi une écriture, c’est de la mise en scène. Il faut avoir plein de casquettes même si tu travaille avec un scénariste.
Pour moi, c’est mon premier scénario en solo. Mais avant j’ai travaillé avec des scénaristes, j’ai appris avec eux, je leur ai repiqué des trucs. En co-scénario c’est très bien, c’est très pratique pour apprendre. Je l’ai fait avec Pecqueur ou Fred Duval, on a écrit un ou deux épisodes de dessin animé ensemble.
Au début, quand j’étais simple dessinateur, j’aimais bien faire de jolies planches, que ce soit bien dessiné, un peu épate. Mais ce qui me branchait déjà, c’était qu’au niveau récit, cela tienne la route. C’est-à-dire l’écriture du scénar bien sur, mais avoir aussi un vocabulaire visuel, reprendre des effets de cinéma.
Tous les gens qui font de la BD ici, les dessinateurs n’ont pas tous compris ça, en Chine encore moins, parce qu’ils n’ont pas de culture BD. Si cela s’est mal passé avec Ange c’est peut-être a mon avis parce qu’il n’y avait pas de storyboard.
Le storyboard est assez utile en BD. Je m’en suis aperçu avec Série B, quand tu travailles avec des gens qui ont une patte mais qui ne sont pas forcément prêts à aborder l’aspect récit graphique.
C’est peut-être plus flagrant quand tu travailles avec des gens qui sont d’une autre culture, qui ne parlent pas ta langue.
Avec Yian Yi, une fois que j’avais fait mes dialogues, je les réécrivais en anglais, pas forcément avec le style, mais au moins qu’il comprenne. C’était un outil nécessaire sinon on n’y serait jamais arrivés, ou alors on se serait retrouvés avec un bouquin comme celui qu’il a fait avec Morvan l’année dernière ou c’est carrément illisible.

Sceneario : Autre actualité, la publication du Petit livre rouge du storyboard, contrairement à ce que j’ai pensé lorsque j’ai vu le titre, il ne s’agit pas d’un cours ou de l’énoncé des doctrines ou pensées de Maître Vatine ?

Olivier Vatine : Non cela me faisait juste marrer. Delcourt m’avait proposé Borderline, mais cela faisait un peu psychotique, donc ça me plaisait moyen.
Cela fait aussi référence à la Chine. On venait de monter Comix Buro avec un look un peu néo-révolutionnaire, et puis j’avais fait ce dessin de couverture, la fille avec le gros pinceau, qui trainait dans mes calepins et je me suis dit que ce serait marrant de le remonter avec une planche derrière. C’est plus un clin d’œil qu’autre chose.

Sceneario : Cette envie de montrer la face cachée du travail d’un auteur, est-ce un besoin de partager ?

Olivier Vatine : Au départ c’est l’envie de Fred Blanchard qui voulait faire une collection de storyboards. Il en a fait un en premier. C’était le travail qu’il avait réalisé avec Gess sur le film de Marc Caro, Dante 01. Il s’agissait là d’un storyboard de cinéma.
Ensuite je crois que le prochain sera du storyboard d’animation, ce sera surement celui de Corto s’il réussi a avoir les droits.
Il a monté cette collection, dans un esprit d’ouverture. Il n’y a plus les cahiers de la Bd et à part des sites comme Scénéario, il n’y a plus tellement de revues avec un appareil critique. J’ai trouvé la démarche sympa même si au début je n’étais pas chaud. Je trouvais que c’était un peu narcissique, que ce n’était pas fait pour être publié, et puis comme avec Comix Buro j’ai vu le succès des sketchbook je me suis dit pourquoi pas. Ce que j’ai trouvé intéressant, c’est que cela touche un public de collectionneurs fans, mais aussi pas mal de gamins qui ont envie de faire de la BD, des gens des Gobelins, des gens qui ont envie de comprendre comment cela fonctionne , qui ont envie de fouiner, qui sont curieux.

Sceneario : On pourrait effectivement faire un parallèle avec la publication des sketchbook chez Comix buro où tu changes à nouveau de casquette puisque tu es aussi éditeur.
Le fonds s’étoffe de plus en plus avec l’arrivée de celui de Pierre Alary Pourquoi avoir créé cette maison et ce concept qui, je crois, n’existait pas en France ?


Olivier Vatine
 : Il se trouve que Comix Buro, je l’ai fondé avec les gens d’Attakus, Olivier Sztejnfater, Etienne Aillaud et Agnès Charvier. On est un peu fan des sketchbooks qu se font aux Etats-Unis ou un peu les artbooks japonais. J’ai un copain qui court les conventions aux Etats-Unis, il me fait deux paquets par an.
On s’est dit : c’est bête parce qu’on n’a pas ça en France, on a des gens qui dessinent vraiment bien, qui ont plein leur carton de dessins. On ne s’est pas trop plantés parce qu’il y a plein de gens curieux qui ont envie de voir tout cela.

Scénéario : Un de ceux que j’ai le plus apprécié, c’est celui de Bruno Bellamy, très didactique.


Olivier Vatine
 : Chaque sketchbook ressemble vraiment à son auteur et bruno aime bien expliquer les choses, c’est un bon pédagogue et un grand bavard, il en met des tartines, cela lui ressemble complétement.
Virginie Augustin, elle, n’aime pas trop parler, donc il n’y a que des dessins, mais qui parlent par eux-mêmes aussi.

C’est vrai qu’on demande a ce qu’il y ait quelques commentaires pour expliquer le contexte, mais si les auteurs ne veulent pas le faire, on ne va pas les torturer. C’est vrai que Bellamy pour le coup est très très didactique.

Sceneario : Peux tu nous dire quels autres copains tu vas inviter prochainement chez Comix Buro ?

Olivier Vatine : On a vu Yohan tout à l’heure et on va faire le sien dans l’année, Jean Michel Ponzio, le sien est presque prêt mais cela sera plus un artbook parce qu’il ya pas mal de matte paintings, de modélisations, Dominique Bertail a presque fini de maquetter le sien.
Il va y avoir Juanjo Guarnido, peut-être Mathot, un américain qui bosse chez Pixar, parce qu’on aimerai bien aussi bosser avec des dessinateurs américains dont on aime bien le boulot, après nous sommes ouverts.
Il y a une floppée de gens que l’on a approchés, qui nous disent « Ouais super, je vais bosser », mais rien ne sort pour le moment, cela viendra.
Guillaume Sorel et Rossi ont envie d’en faire un, mais ils ont de gros originaux, il faut que l’on s’équipe en matériel de prise de vues parce qu’il y a des contraintes techniques. On est une jeune boite, donc on n’est pas multimilliardaires non plus. Mais on va continuer a avancer au rythme d’un par mois à peu près.

Sceneario : On ne peut, bien sur, pas parler de toi sans parler du dessinateur, ton actualité visible c’est la dernière couverture du Traquemort aux éditions Atalantes, mais tu as commencé un tome des Légendes de Troy. Est-ce que tu peux nous en dire deux mots ?

Olivier Vatine : J’ai rencontré Arleston qui m’a dit : soit on fait quelque chose à partir de zéro dans l’univers de Troy, soit lui avait un projet sous le coude depuis quelques temps avec Tarquin, c’était de narrer ce qui était arrivé à Cixi lorsqu’elle disparait au Darshan et qu’elle revient sous forme de Zorro d’héroic fantasy, l’ombre ténébreuse.
Entre temps, il s’est passé des trucs. Il avait envie de le faire avec Tarquin mais ils n’ont pas eu le temps. J’ai demandé à Tarquin si cela ne le dérangeait pas trop, je n’allais pas lui piquer ce plaisir là.
A partir du moment où j’avais son agrément, voilà, c’est démarré. J’ai fait une petite vingtaine de pages et c’est prévu, si j’ai le vent dans le dos pour la fin de l’année, sinon Angoulême dans un an.

Sceneario : Si l’on en croit Arleston l’action va se dérouler dans une ambiance asiatique.


Olivier Vatrine
 : Oui oui, cela se passe au Darshan, le continent asiatique sur Troy, je ne veux pas dévoiler trop de trucs, mais il va y avoir de la piraterie, féminine et asiatique on va dire.

Sceneario : Contrairement à beaucoup d’auteurs, tu n’as pas créé de blog qui permette d’avoir de tes nouvelles régulièrement, est-ce par manque d’intérêt, manque de temps ou paresse ?

Olivier Vatine : J’ai une page Facebook quand même, mais oui c’est par manque de temps et le jour où je m’y mets, j’aimerais le faire bien.
J’aimerai faire un site assez complet, avec un blog dedans, mais comme je suis un peu maniaque, je veux contrôler l’aspect visuel du site. Je n’ai jamais eu le temps de le développer réellement mais cela va se faire, soit dans l’année qui vient soit quand j’aurai fini Cixi en tout début d’année prochaine.
Après je ne sais pas si je vais faire un blog comme plein de blogueurs où je vais dessiner mes aventures, cela me saoule un peu. Plutôt mettre des photos en ligne, des salons et puis faire des petits textes, de petites chroniques quelques dessins, un peu de news et éventuellement quelques planches en preview pour teaser un peu.

Sceneario : Olivier, merci beaucoup du temps que tu nous a consacré.

Olivier Vatine : Non c’est moi qui te remercie.

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