Interview

Olivier TAIEB

Sceneario.com : Peux-tu te présenter ?

Un OGM (Oléastre Gravement Modifié) élevé aux hormones de rock’ n’ roll… le reste est consigné sur le site de mon cher éditeur : www.Dargaud.com.

Une petite chose dans ta biographie qui m’a étonné : comment passe-t-on d’un DEUG d’informatique en Intelligence Artificielle au métier de scénariste ?

Olivier Taïeb : Peut-être est-ce ce qu’on appelle la curiosité. La vie est courte, alors pourquoi se cantonner à une seule discipline ? Pourtant, de l’I.A. au scénario, il y a une certaine logique :
L’intelligence artificielle, qui est la discipline relative au traitement par l’informatique des connaissances et du raisonnement, a de très nombreuses connexions avec la linguistique (science du langage) tant au point de vue structurel qu’au point de vue logique. Après le DEUG j’ai donc tout naturellement embrayé sur une licence et une maîtrise de « science du langage » où mon mémoire traitait du néologisme : « statut et processus fin 19e fin 20e siècle ». J’y disséquais, entre autres, le néologisme publicitaire et sa rhétorique, un domaine qui me passionnait. A tel point, que j’ai décidé de m’y plonger directement en exerçant le métier de concepteur-rédacteur dans la publicité. Et qu’est-ce la pub, si ce n’est écrire des histoires?! Évidemment là, les protagonistes s’appellent plutôt « Milka » ou « Kronembourg », mais les bases du scénario ne sont déjà plus très loin. Après, tout s’enchaîne logiquement. L’envie de changer d’air, l’envie de raconter des histoires sans être bridé par les impératifs commerciaux et les hordes de décideurs. Et voilà, au hasard (provoqué) d’une rencontre sur internet, on aboutit un jour à la BD.

Tes projets : Fred Grivaud m’a donné un lien vers vos projets BD. On y trouve JAIL FIGHTING, en collaboration avec une dessinatrice que je ne connais pas personnellement, Alexe. Il y a aussi DE HUMANITIS MEMORIAE, SERIAL CLONER et encore 5 ou 6 projets, plus ou moins avancés. Lequel est celui qui te tient le plus à cœur ?

Olivier Taïeb : Dire que tous mes projets ne me tiennent pas à cœur, ce serait m’attirer les foudres d’au moins six amis dessinateurs. Mais si je devais en extraire un seul, ce serait peut-être « De Humanitatis Memoriae ». C’est le projet le plus atypique, celui qui me ressemble le plus, celui avec lequel je peux exprimer ma vraie personnalité d’écriture. Un mélange de cynisme et de philosophie sur fond d’anticipation, qui pose la question vraiment essentielle : « si un jour tout venait à disparaître, qu’adviendrait-il de la mémoire de l’humanité ?! » Le graphisme de Lycanth est déjanté à souhait, jugez-en (www.dhm.clan.st). Moi j’adore ! Ça sort plutôt des canons de la BD franco-belge, mais c’est frais, corrosif, ça explore ce que la nature humaine a de plus vil et les héroïnes (pas moins de six) valent vraiment le détour !

Peux-tu nous présenter quelques-uns uns de ces projets ?

Olivier Taïeb : « Jail fighting » est l’histoire d’une ado emprisonnée à vie suite à un acte d’autodéfense. En prison, elle devient une icône du « Jail fighting », des combats inter-pénitenciers illégaux qui drainent des enjeux considérables ; talent qui va être mis à profit pour infiltrer une organisation criminelle. J’ai rencontré Alexe le soir du lancement de la collection « Fictions » à « la libraire d’Images » (boulevard St Germain). C’est une jeune illustratrice avec une forte personnalité artistique ; l’ambiance du projet collait bien avec son tempérament.
Un autre projet qui a sa particularité : « la boîte du vieux fou ». C’est une histoire intégralement issue d’un rêve. Je me suis réveillé et je l’ai écrite en 10 minutes, exactement tel que le récit s’était déroulé dans mon rêve.

Où en est rendu Le Pil ? Une petite exclusivité pour sceneario.com ?

Olivier Taïeb : Le Pil « cuvée 2003 », ce sera plus de charme, plus de castagne, des personnages secondaires qui s’affirment, des remises en question sur le bien-fondé de la quête et puis… de sacrées révélations ! Le tome 2 sortira en Juin 2003. En attendant, la couverture et la première planche sont en avant-première sur le site officiel : www.lepil.fr.st (j’en profite pour faire la pub).

Comment abordes-tu l’écriture d’une bande dessinée, comment structures-tu tes histoires ?

Olivier Taïeb : Probablement comme beaucoup de scénaristes. Au début, un flash qui surgit au petit matin alors que l’inconscient n’a pas encore refermé toutes ses portes. Une idée qu’il faut alors structurer en respectant les règles séculaires de la dramaturgie : un premier acte, un élément déclencheur, un enjeu dramatique, une catharsis, etc. Je pose la trame puis je rédige un synopsis succinct et grosso modo les cinq premières planches découpées case par case pour pouvoir démarrer le projet avec un dessinateur. Le plus dur, c’est de trouver une bonne fin et des personnages suffisamment caractérisés pour tenir la route pendant plusieurs tomes.

J’ai lu que tu aimerais aussi faire du cinéma. C’est pour bientôt ?

Olivier Taïeb : Je l’espère. En 2001, j’ai terminé l’écriture d’un premier long-métrage, une « comédie noire » que j’ai adressée à quelques producteurs. L’un d’eux a aimé et l’a envoyé à Alain Sarde Production pour une demande de cofinancement. Depuis, plus de nouvelle. Le projet dort le fond d’un tiroir car je n’ai pas la force de remuer ciel et terre pour essayer de le vendre. La vente est un métier à part entière qui demande du temps de l’énergie et du piston. Je préfère garder mon énergie pour écrire. Dans la foulée, j’ai co-écrit un western pour le cinéma, pour le fun, pour le plaisir de me frotter au genre, un projet que je n’ai jamais vraiment essayé de vendre, connaissant la frilosité et le manque de moyens de la majorité des prods françaises. Il y a un an, une productrice m’a même fait remarquer que le western était un genre qui n’existait plus ! Aujourd’hui, je suis sur le point de terminer un nouveau long-métrage en co-écriture avec une amie réalisatrice sur France 3, rencontrée en 2000 au CEFPF (Centre Européen de Formation à la Production de Films) ; une comédie dramatique qui pose en toile de fond l’amitié, la mort ou comment la transcender. C’est un beau projet dans lequel je place beaucoup d’espoirs.

En quoi l’écriture d’un scénario BD est-elle différente de l’écriture pour le cinéma ?

Olivier Taïeb : Il n’y a pas de différence foncière entre l’écriture pour la BD et celle pour le cinéma dans les fondamentaux même du récit. Les règles élémentaires de la dramaturgie restent les mêmes et pour cette raison, je pense qu’un bon scénario de BD peut aboutir assez facilement à une bonne adaptation pour le cinéma. En fait, la principale différence entre la BD et le cinéma réside dans le rythme et dans le « cut ». La BD, c’est l’art de l’ellipse ; chaque case doit être porteuse de sens et on ne peut guère s’encombrer de fioritures sur un 46 pages, contrairement à l’écriture pour le cinéma où on peut laisser plus facilement la plume s’évader en abordant des aspects plus futiles mais qui, pourtant, constitueront plus tard le ciment du récit.

Est-ce que cela pourrait prendre le dessus sur le côté scénariste de bande dessinée ?

Olivier Taïeb : Je ne l’espère pas car les deux sont vraiment complémentaires. La BD ouvre des milliers de petites fenêtres qui débrident l’imaginaire. Les champs de création y sont infinis. Contrairement au scénario de cinéma (je ne parle même pas du téléfilm) qui est souvent emprisonné dans le carcan des impératifs financiers de la production. Par contre, l’écriture de longs-métrages apporte, elle, de la rigueur dans la construction du récit, notamment dans l’exposition des personnages et dans l’enjeu dramatique, sa définition, son évolution, son climax, sa résolution. C’est donc en puisant dans les richesses de ces deux arts que j’essaye de progresser, petit à petit et de me forger ma personnalité narrative.

Peux-tu nous présenter Thierry Martin, alias Matrix ?

Olivier Taïeb : Thierry a un imaginaire très riche, un sens inné de la mise en page et du mouvement, héritage qui lui provient sans doute du story-board. Je suis persuadé qu’il va faire une belle carrière dans la BD car il a toutes les qualités requises et progresse encore chaque jour. Il est autonome dans son travail et n’aime pas évoluer dans des cadres rigides et préétablis. Généralement, quand je travaille avec un dessinateur, je découpe le scénario case par case en précisant souvent les cadrages et les perspectives précises tels que je les imagine. Avec Thierry, j’ai dû m’adapter ; inutile de lui dire que la page comportera sept vignettes puisque à l’arrivée je sais pertinemment qu’il en mettra quatre ou dix et comme ses idées de mise en page sont souvent meilleures que les miennes, alors pas de problème d’ego. Le script que je lui fournis s’apparente donc, de plus en plus, à celui d’un scénario de film.

Avez-vous d’autres projets en commun, à part Le Pil ?

Olivier Taïeb : Nous en avions un autre, baptisé « Michel Lansac ». C’est en fait le premier projet qui a lancé notre collaboration suite à une rencontre sur internet. C’était en novembre 1999, je venais de prendre connaissance d’un concours organisé par Glénat pour célébrer ses 20 ans d’existence. Il restait 5 jours avant la date de clôture et j’ai demandé à Thierry s’il était prêt à relever le défi. Bien que débordé de boulot, il a accepté. En 5 jours, il m’a pondu les recherches de personnages et trois planches dont une en couleur. C’était trop juste pour espérer décrocher un prix (le règlement stipulait, 4 planches couleur) mais assez riche pour constituer la base d’un projet que nous pourrions présenter à un éditeur. Ce que nous avons fait 4 mois plus tard en même temps qu’un nouveau projet : « Le Pil ».
« Michel Lansac » a tout de suite eu un accueil favorable et il était fortement question d’en faire un album. Pourtant, c’est « Le Pil » qui fut finalement retenu grâce à un potentiel « plus commercial » et parce qu’il coïncidait avec le projet de lancement d’une nouvelle collection qui devait se nommer « Histoires Fantastiques ». A cette époque, Thierry bossait à plein régime dans le story-board, il n’était donc pas question de démarrer simultanément deux projets. « Michel Lansac » a donc été donc abandonné. Dommage, c’est une histoire qui me plaisait bien et qui collait parfaitement à l’imaginaire de Thierry.

Le Pil s’inscrit dans une sorte de thématique: les récits d’aventure initiatiques en quelque sorte. Comment aborde t-on ce genre de récit ? Quelles sont « les règles » ?

Olivier Taïeb : Au début on l’aborde avec une certaine euphorie en se disant que ça va être une partie de plaisir et puis bien vite on se rend compte que c’est ce qu’il y a de plus dur à écrire. C’est comme inventer un monde, en être son créateur. Il faut bâtir les postulats consciencieusement en n’omettant aucune « brique » de la fondation. Sans quoi le récit finirait rapidement par ne plus être crédible et se casserait le nez. Il faut définir les liens de sang et les liens hiérarchiques qui unissent ou séparent les personnages, il faut définir les avancées technologiques de rigueur : communication, transport, énergie, armement, mais aussi les spécificités et règles de chaque race, pour finir par le plus important : les rites, les croyances et les légendes qui s’y rattachent. Après, il faut essayer de se débarrasser des clichés inhérents au genre, ce qui n’est pas toujours évident tant ils sont nombreux et tant ils sont bien encrés dans l’inconscient, tout en essayant de trouver les points d’originalité du récit qui vont faire que la série va avoir une personnification propre et forte qui va lui permettre d’émerger du flot de séries similaires. C’est pour cette raison que nous avons choisi pour « Le Pil » une thématique forte, celle du monde agricole. En phase, peut-être, avec certaines préoccupations d’aujourd’hui.

Que penses-tu des scénarii écrits aujourd’hui ?

Olivier Taïeb : En ce qui concerne la BD, je suis bien souvent surpris par la qualité et la diversité des histoires. Sans conteste, il y a de grands talents dans le 9e art et ce n’est pas pour rien que la BD connaît non seulement un essor considérable mais aussi une reconnaissance littéraire. Je ne pense pas être en mesure de dire que certains scenarii ne me plaisent pas, si ce n’est juste que certaines histoires ne correspondent pas à mes sensibilités ou affinités.
Je ne peux pas en dire autant du domaine audiovisuel, non pas que nous manquions de bons scénaristes, mais plutôt que les productions françaises (à l’exception de quelques-unes) sont frileuses et formatées sur des pseudos attentes du public. Je déplore les trop nombreuses adaptations de romans qui aboutissent à des produits bien fades. C’est la loi de la facilité, la loi de la prise de risque minimum ; on se dit qu’un roman à succès est le gage d’une adaptation cinématographique rentable. Exactement comme les « Majors » du disque qui préfèrent sortir des compilations plutôt que de signer de nouveaux artistes. Les adaptations sont souvent ratées, tout simplement parce que les règles de récit propres au roman ou plutôt devrais-je dire les non-règles (et cela n’est pas péjoratif) sont incompatibles avec le cinéma, ou peuvent l’être, mais avec un profond travail de restructuration.

On parle souvent de BD commerciales, de séries publiées uniquement pour faire du chiffre. Qu’en penses-tu ?

Olivier Taïeb : C’est grâce à ces BD dites « commerciales » que les éditeurs peuvent signer de nouveaux auteurs ou prendre des risques sur des projets plus « confidentiels . Sans le fonds de commerce assuré par les Black & Mortimer, Lucky Luke, Treize ou Thorgal, une collection comme « Poisson Pilote » avec des petits joyaux comme « Isaac le pirate », « le chat du Rabbin », (j’en passe et des meilleurs), n’aurait jamais vu le jour. C’eut été dommage, non ?! Sans Lanfeust de Troy, combien d’auteurs n’auraient jamais signé chez Soleil et sans Titeuf qu’en serait-il chez Glénat? C’est toujours amusant de constater qu’il y a d’un côté les BD qui génèrent de grosses ventes et de l’autre, celles qui sont primées aux « Alph-Art ». Ces dernières ne devant souvent leur existence qu’au succès des premières. Qu’en conclure ? Que la majorité a mauvais goût et que seule une petite minorité de lecteurs (moins de 10 000) sait ce qui est bon ?! Et bien non mon bon monsieur ! Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise série, il n’y a pas de bons ou de mauvais lecteurs, il y a simplement un lectorat riche et éclectique qu’il faut respecter et contenter. Alors je dis vive la BD commerciale et vive la BD non commerciale (et qui pourtant aimerait bien l’être). N’est-ce point le désir profond de tout auteur que d’être lu par le plus grand lectorat possible ? Peut-on penser une seconde qu’un auteur décide un jour d’écrire une série commerciale ? Ou a t-il plutôt, tout simplement, envie de raconter une histoire en espérant qu’elle trouvera son public.

Tes personnages principaux sont des femmes, des femmes fortes, indépendantes, y a t il une raison à ça?

Olivier Taïeb : Une raison ? Non, mille raisons ! Quand on écrit, on projette bien évidemment ses propres fantasmes ; soit on s’identifie aux protagonistes, soit on invente des personnages qu’on aimerait côtoyer. Si on ajoute à cela que, neuf fois sur dix, les dessinateurs préfèrent tracer de belles courbes, le consensus (sans jeu de mot) est vite établi. Disons donc, pour résumer, que les héroïnes de mes histoires sont un joyeux amalgame entre mon moi au féminin et mon idéal féminin.

Connais-tu sceneario.com?

Olivier Taïeb : J’ai découvert sceneario.com il y a quelques mois au détour d’une page qui présentait « le Pil ». J’ai tout de suite était séduit par son interface agréable.

Qu’attends-tu de ce genre de site ?

Olivier Taïeb: Je suis toujours à l’affût des sites qui ont l’ambition de se pencher sur le scénario. C’est un phénomène très récent ; le scénario n’a pas toujours été à l’honneur et longtemps considéré comme subalterne, voire même pas considéré du tout puisque le statut de scénariste n’existe toujours pas clairement dans le fouillis de la nomenclature française.

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