Interview

Nicolas VADOT et Olivier GUERET

Sceneario.com : Bonjour. Pouvez vous vous présenter en quelques mots ?

Olivier GUERET : J’ai fait l’école d’hôtellerie. J’ai arrêté par passion pour le cinéma : j’ai été journaliste cinéma, chroniqueur radio, enfin, J’ai fait beaucoup de choses. Et maintenant, j’ai une boite de production dans l’audiovisuel, pour la télé en Belgique. Je viens de faire le making-of du DVD  » les triplettes de Belleville « . Je fais de la bande dessinée surtout pour m’amuser.

Nicolas VADOT : Moi, je suis dessinateur politique au journal « le Vif/L’Express  » (NDLR : édition belge de l’express) depuis 10 ans. J’ai fait l’Ecole de Recherches Graphiques à Bruxelles, section bande dessinée et illustration, et je suis rentré au Vif/L’Express en 93, à ma sortie de l’école. Je fais également de la BD parce que ça m’amuse – ça ne nous rapporte rien pour l’instant – et aussi car d’un point de vue artistique, la BD nourrit le dessin de presse et réciproquement.

Olivier GUERET : Et il y a aussi un côté thérapeutique à Norbert.

Nicolas VADOT : Oui, c’est une sorte de thérapie par le dessin.

Sceneario.com : Donc pour vous la BD est juste une activité de plus ?

Nicolas VADOT : La BD me prend énormément de temps, et ne me rapporte pas des masses ; Donc pour l’instant, on met ça un peu en jachère. Mais bon, c’est très intéressant. En plus, comme on ne fait pas de la BD pour vivre, ça permet de n’en faire que quand on en a envie.

Olivier GUERET : Ça permet d’avoir un réel recul, de ne pas avoir de rapport de force avec la BD.

Nicolas VADOT : Et ça nous permet d’être très libres, très indépendants.

Sceneario.com : Quel regard portez-vous sur le milieu de la BD ?

Nicolas VADOT : On ne le fréquente pas vraiment. Ce qui me plaît dans la BD, c’est d’en faire, d’en parler quand on a un album qui sort, mais les festivals ce n’est pas mon truc.

Olivier GUERET : En fait, j’ai un rapport quasiment littéraire avec la BD, dans le sens où j’ai l’impression d’écrire un roman.

Nicolas VADOT : Oui, notre but n’était pas de faire de la bande dessinée, c’était de raconter Norbert l’Imaginaire.
Parce qu’olivier est fan de BD à la base, pas moi. J’ai une mère anglaise, donc une éducation britannique, et la BD n’en fait pas partie. A 18 ans, je voulais être dessinateur de presse. Je ne fais pas du dessin de presse pour bouffer, je le fais parce que j’adore ça. La politique m’a toujours intéressé, comme le dessin, et mon travail me permet de mélanger les 2, de faire passer des idées ; ce qu’on peut faire aussi en BD. D’ailleurs nous nous sommes beaucoup amusés à le faire dans Norbert. Donc, je n’ai jamais été fan, et je n’ai pas d’auteurs de référence, si ce n’est Hergé ou Uderzo/Goscinny.
Je suis arrivé assez  » vierge  » à la BD par rapport aux références. Depuis, je découvre, mais même actuellement, j’en lis peu. Je me souviens que lors d’un jury, lorsque j’étais étudiant, Schuiten nous avait dit:  » Si tu veux faire de la BD, la première chose, c’est d’arrêter d’en lire « . Ça tombait bien, je n’en lisais déjà pas. Et il avait raison. On ne fait pas de la BD pour faire de la BD, mais pour raconter des histoires. C’est ce qui nous intéresse.

Sceneario.com : vous refusez d’avoir des références ?

Nicolas VADOT : Si, des références, on en a forcément, il y a des auteurs qu’on adore. Mais en tant que professionnel, j’ai beaucoup de mal à lire une BD comme un lecteur normal, parce que je ne peux pas m’empêcher d’analyser comment les auteurs ont fait. Alors de temps en temps, quand c’est très bien fait comme pour  » Le Combat Ordinaire  » de Larcenet, j’oublie que je suis auteur de BD, parce que je suis vraiment pris par l’histoire. Souvent, je me demande comment moi je l’aurais fait. Et Olivier, qui a été critique de BD, est encore pire.

Sceneario.com : Vous aimeriez écrire des romans ?

Olivier GUERET : En fait, j’aime bien le côté pluridisciplinaire. Je me dis souvent  » j’ai fait ça, c’est bon, j’ai fait ça, ah tiens, je vais essayer ça « . Alors un roman, peut-être un jour…

Nicolas VADOT : Olivier est très polyvalent, alors que moi, je suis très spécialisé. Par exemple, je serais incapable d’écrire un roman, parce que j’ai besoin des images. Je pense en images, et elles amènent souvent les textes.

Sceneario.com : A la base, l’idée de Norbert vient de toi, Nicolas?

Nicolas VADOT : Oui. J’avais même fait un album complet qui s’appelait  » le dépresseur « , dont personne n’a voulu, que j’ai présenté à Olivier quand on s’est rencontré, il y a 6 ans.

Sceneario.com : Et pourquoi ce besoin de chercher un scénariste ?

Nicolas VADOT : J’ai fait ce premier album ( » le dépresseur « ), qui reprenait une grande partie de l’univers, mais Olivier a apporté ce qui manquait. Au départ, j’avais Norbert, le capitaine, Simon, Elodie, le dépresseur, Pommezed, mais ça se passait au moment où Simon vient de se faire larguer ; donc c’était un peu déprimant, et on restait dans la tête de Simon. C’est Olivier qui a proposé d’aller dans la tête d’Elodie.

Olivier GUERET :  » Le dépresseur  » était en fait une longue déprime.

Nicolas VADOT : Oui, ça manquait de positif. J’avais 24 ans…

Olivier GUERET : C’est une question de maturité. On a tous besoin, en matière de création, de destructeurs, de pouvoir détruire par le pessimisme. La maturité passe par plusieurs étapes, la suivante étant d’être plutôt positif.

Nicolas VADOT : Moi, j’avais  » besoin  » de le faire. Je tenais vraiment à cet album dont personne n’a voulu. Donc j’ai tenté de travailler avec d’autres gens. J’ai essayé deux copains, mais ils ne comprenaient pas le truc : avec Olivier, ça a tout de suite fonctionné.

Sceneario.com : Vous vous connaissiez avant ?

Nicolas VADOT : Non, on s’est rencontrés au vernissage d’une de mes expos de dessins de presse à Bruxelles. Je lui ai filé la copie du  » dépresseur « , en lui disant:  » Tu lis ça et tu me dis ce que tu en penses. On prend ça comme un brouillon et on part sur Norbert après. « 
Au même moment, j’ai rencontré fortuitement le patron de Dargaud, et c’est comme ça que ça a commencé. La première chose qu’Olivier a dite, c’est que c’était bien d’aller dans le cerveau du mec, mais qu’on devait aller aussi dans celui de la fille. C’est lui qui a inventé Nora, par exemple. A partir de là, j’ai su que c’était l’ouverture qui manquait. Et puis après, on a appris à travailler ensemble, des hauts, des bas, des bagarres…

Sceneario.com : Comment vous répartissez-vous le travail ?

Olivier GUERET : Il n’y a pas de répartition. C’est du ping-pong. On habite tous les deux Bruxelles, et on se voit environ une fois par semaine. On a une réunion de deux trois heures, et sinon on s’écrit.

Nicolas VADOT : On se tape dessus par mails. J’aime beaucoup le média Internet, parce que ça permet d’écrire, sans avoir d’envolées lyriques. Si j’ai fait un truc qui m’a pris 3 jours que je trouve ça génial, et qu’il trouve ça nul, il va me le dire, et inversement. Et puis les dessins modifient l’histoire, puisqu’on ne part pas avec un script au départ.

Olivier GUERET : Oui, on jette à peu près 3 scénarii avant de commencer, et finalement on débute sans rien. Et en fait, toutes les idées qu’on va retrouver dans l’album sont dans ces trois scénarii de départ. On a le point de départ, le point d’arrivée, 2 ou 3 scènes clés, et après on tricote. Et puis il y a les dessins : on se demande comment on pourrait dire ça par dessin plutôt que par texte. C’est pour ça qu’on a mis des contes sur le troisième tome. Ils nous permettaient de mettre énormément d’informations, de faire des respirations, de changer le mode de lecture.

Nicolas VADOT : Ça permet de réinventer l’univers et le médium.

Olivier GUERET : Ainsi, le lecteur est un peu bousculé. Déjà dans la narration de  » Monsieur i « , on avait pris pas mal de libertés. On pose des lianes, et c’est au lecteur de les prendre, de jouer à Tarzan. Sur le troisième, on a mis les lianes un peu plus loin. Mais c’est vrai qu’il vaut mieux lire les 3 albums à la suite. Ils forment vraiment un triptyque, avec un canevas cohérent.

Nicolas VADOT : Mais comme le premier était déjà écrit, il y a une grande différence entre lui et les deux suivants. Et du coup, ce premier album manque peut être un peu d’émotion, parce qu’il était cadenassé dès l’écriture.

Olivier GUERET : Monsieur i n’était pas écrit formellement, mais on avait déjà réfléchi à des scènes pivot.

Nicolas VADOT :J’avais déjà pensé à Monsieur i pour  » le dépresseur « , dans le cas d’une suite. Tout ce qu’on avait, c’était 2 ou 3 croquis, et quelques citations sur l’inconscient.

Sceneario.com : Travaillez-vous en linéaire ?

Nicolas VADOT : Pas du tout. Je fais beaucoup confiance à l’instinct, aux images mentales. Je vois un truc et je me dis:  » Tiens, je vais le dessiner « . Par exemple le kangourou dans la planche 26 de  » la dame de trèfle ». Je ne savais pas si ça allait servir, mais je trouvais ça bien. Et comme la planche 3 a été réalisée six mois plus tard, j’ai remis le kangourou ! Le meilleur moyen de faire un album linéaire, c’est de le réaliser dans le désordre !

Olivier GUERET : On se dit  » Tiens, on peut insérer ça là, parce que ça veut dire qu’à la fin, on peut le reprendre « . Quasiment personne ne le verra à la première lecture. Ça permet de faire un album qu’on lit, et qu’on relit, avec des petits détails dedans. C’est hyper travaillé, mais le lecteur doit avoir l’impression que c’est spontané. On se prend la tête, mais cela ne doit pas se sentir.

Nicolas VADOT : Et comme on a un univers très compliqué, ça doit se lire de manière fluide. C’est pour ça que je fais des gaufriers et que j’ai un dessin qui est simple. Au plus l’histoire est compliquée, au plus la narration doit être fluide.

Olivier GUERET : Parfois, on nous demande quel est le genre de la série Norbert, mais nous ne savons pas. C’est au lecteur de le dire, et encore, il ne le sait pas forcément non plus.

Nicolas VADOT : C’est une sorte de fourre-tout, mais c’est ça qui nous amuse.

Olivier GUERET : Ça a une identité. On a réussi à donner une identité à quelque chose qui est complètement déjanté.

Sceneario.com : C’est Norbert qui donne cette identité ?

Nicolas VADOT : Pas vraiment, c’est le personnage le plus faible. C’est notre Tintin à nous, en moins courageux. On ne sait jamais quoi en faire. D’ailleurs, il y a 22 pages où il n’apparaît pas dans  » la dame de trèfle « .

Sceneario.com : Simon ne parle quasiment pas dans ce troisième tome. C’est voulu ?

Nicolas VADOT : Oui. Au début, on s’est demandé si on faisait des longues tirades, et on s’est dit que c’est le lecteur qui allait se les imaginer. Simon est un peu une nature morte, ça risque à la longue d’être un peu ennuyeux pour le lecteur. Mais c’est compensé par ce qui se passe à l’intérieur de lui-même. Il faut que Simon résonne, raisonne, pas forcément qu’il parle.

Olivier GUERET : Qui plus est, il est dans une phase où il se pose beaucoup de questions. Il vient de se prendre une grosse baffe, le pauvre garçon.

Nicolas VADOT : En plus, faire du dialogue, c’était tomber dans la pantalonnade ou dans le mélo à deux balles, et ce n’est pas notre truc. L’important dans un album, ce n’est pas quand on le lit, c’est ce qu’il en reste quand on le referme. Ça doit travailler dans l’imaginaire du lecteur, on essaye donc de lui laisser un maximum de place.

Sceneario.com : le lecteur a une importance énorme pour vous ?

Olivier GUERET : Il faut qu’il éclate l’univers lui-même, qu’il rajoute ce que lui a vécu.

Nicolas VADOT : Tu as deux pôles : l’auteur et le lecteur. Nous, ce qui nous intéresse, c’est la transmission entre les deux. C’est pour ça que quand un album sort, on ne sait pas comment il va être accueilli.

Olivier GUERET : C’est le lecteur qui va décider. Il n’y a pas de recettes. Ce n’est pas un polar ou un érotique. Si le lecteur n’a pas envie de voir certaines choses, il ne verra rien et il va trouver ça plat. S’il a envie de s’éclater, il va probablement le faire, mais il faut qu’il ait une envie par rapport à l’album. Norbert, ce n’est pas le truc qu’on lit à 22h30 avant de s’endormir, en rentrant du boulot, ou alors on passe à côté.
Il y a un côté miroir, où on voit des choses qui sont à moitié dites. C’est au lecteur de combler les vides. En dédicace, on a eu quelqu’un qui venait de rompre avec sa copine, et qui nous a dit avoir presque pleuré en lisant le tome 2.

Nicolas VADOT : Et puis, il y a un rapport au livre. On ne veut pas faire de la BD jetable, où une fois que tu as résolu l’intrigue, le bouquin perd tout intérêt. On a envie que les gens reviennent dessus, qu’ils le picorent. Burton dit:  » moi, je suis content que les gens ne comprennent pas tout dans mes films « . Eh bien moi aussi, j’ai envie qu’il reste du mystère.

LA SUITE…

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