Interview

Nicolas Pothier

Sceneario.com : Bonjour, pour commencer pouvez-vous nous présenter votre parcours ?
Nicolas Pothier : Après le Bac, j’ai fait des études de documentaliste et de communication d’entreprise. J’ai ensuite passé un an en Afrique (en coopération) et, à mon retour, le hasard m’a dirigé vers le jeu vidéo. Je suis resté 10 ans chez Infogrames/Atari en évoluant d’infographiste 2D jusqu’au poste de Directeur artistique. En 2002, il y a eu un plan social, et mon licenciement m’a poussé à faire ce que j’avais envie de faire depuis très longtemps : de la Bande Dessinée. Mais je suis véritablement rentré dans ce milieu en travaillant pour le mensuel BoDoï dès le premier numéro en 1997…

Sceneario.com : Racontez-nous la genèse de cet album « Voies off »? Avez-vous écrit toutes les histoires à la suite ?
Nicolas Pothier : La genèse de l’album remonte à ma rencontre avec Yannick Corboz. Nous avions envie de faire de la BD ensemble et comme il fallait bien commencer par quelque chose, on a fait une histoire courte ! Cette histoire – Robert – a été publiée quasi immédiatement dans un Hors série de BoDoï. On a ensuite enchaîné avec une seconde histoire, Marcel, qui, elle, a été publiée dans Métal Hurlant. Ce sont deux histoires qu’on retrouve dans Voies Off mais elles ont été entièrement redessinées pour l’album. Les premières versions sont donc devenues collectors ! (Rires). Ces deux histoires nous ont donné envie de continuer dans cette voie et c’est comme cela que le projet a pris forme. Mais l’ordre des histoires de l’album n’est pas du tout celui dans lequel nous les avons réalisées…

Sceneario.com : Pour arriver à cette grande efficacité de narration, avez-vous beaucoup retravaillé chaque histoire par rapport aux premiers jets ?
Nicolas Pothier : Pour certaines, oui. Edgar, par exemple, a connu beaucoup de versions. Je n’arrivais pas à trouver le truc qui en ferait quelque chose de satisfaisant. D’autres en revanche ont été écrites presque d’un jet. Mais comme disait l’autre « Ecrire, c’est réécrire. »… Ce n’est pas Billy Wilder qui disait ça d’ailleurs ? Ça doit être de lui. Il n’a toujours dit que des trucs bien, Billy Wilder.

Sceneario.com : Une des grandes forces de l’album est de jouer avec les codes du polar. Du coup, je trouve que l’album peut plaire aux fans, qui se délectent de voir leur genre favori malmené, mais également aux réfractaires du genre qui n’ont pas vraiment l’impression de lire du polar. Quel retour avez-vous par rapport à cela ?
Nicolas Pothier : L’idée de départ est effectivement d’utiliser le cliché, ou les codes, comme un matériau. Les amateurs de polar ne s’y sont pas trompés puisque nous avons vu notre album chroniqué sur des sites dédiés au polar. Maintenant, je ne sais pas du tout si nous avons réussi à toucher des réfractaires au genre polar. Ceux-là n’ont certainement même pas dû ouvrir l’album (rires) !

Sceneario.com : La voix off est souvent utilisée dans le polar, mais c’est la première fois que je la vois détournée de cette façon. D’où vous est venue cette idée ?
Nicolas Pothier : Mon idée première était la suivante : raconter dix histoires « polar » en utilisant la voix off de manière différente à chaque histoire. Mais je n’ai pas réussi ! Il y a plusieurs histoires où le principe est le même (un narrateur, une voix à la première personne…). Cela dit, c’est ce genre de contrainte qu’on se pose à soi-même au départ qui permet de trouver de nouveaux angles. Comme je m’étais aussi fixé d’utiliser uniquement des sujets galvaudés (le mec en prison qui veut se venger, le braquage de banque, le meurtre commandité, etc.), j’étais obligé de jouer avec cette voix off pour faire quelque chose d’un peu original. En plus, comme vous le dites, l’utilisation de la voix off dans le polar, c’est aussi un cliché en soi. Il fallait donc l’utiliser, parfois, de manière à piéger le lecteur…

Sceneario.com : Avez-vous fait beaucoup de dédicaces sur cet album ?
Nicolas Pothier : Très peu. Nous n’en avons fait qu’une seule ensemble au premier festival de Lyon en Juin et Yannick a dû signer un peu du côté d’Annecy où il vit. Ceci dit, nous serons en dédicace en octobre au petit festival d’Irigny (69) et à nouveau à Lyon, et au festival de Brignais en novembre. Pour ceux qui seront dans le coin, venez ! Yannick fait des dédicaces sublimes ! Fin de la pub…

Sceneario.com : Quel est l’accueil du public ?
Nicolas Pothier : Le livre est quasi épuisé au moment où je vous parle. Ce n’était pas un gros tirage bien évidemment, mais nous sommes très satisfaits car ce n’était pas gagné d’avance : le format « comics » et, soyons honnêtes, son prix, en faisait un livre difficile d’accès. Une petite réussite qui est aussi dûe aux bonnes critiques sur le Web et dans les journaux spécialisés ainsi qu’aux nombreux libraires qui nous ont soutenus…

Sceneario.com : Y a t il une histoire qui remporte plus de suffrages auprès des lecteurs ?
Nicolas Pothier : Il n’y en a pas une en particulier et c’est intéressant de voir que les histoires qui plaisent ne sont pas forcément les mêmes pour tout le monde. Bon, il faut reconnaître que Robert avait particulièrement plu lors de sa sortie dans BoDoï.

Sceneario.com : On dit souvent que la réalité dépasse la fiction, et j’ai lu l’histoire Joseph , qui traite du milieu du football, en plein procès des matchs truqués du championnat italien. C’est assez ironique non, que l’album sorte à cette période ?
Nicolas Pothier : Les histoires de mafieux dans le milieu du sport, et du football en particulier, ne datent pas d’hier. Mais c’est vrai que la coïncidence avec l’actualité est toujours réjouissante. J’espère toutefois pour les joueurs italiens que la fiction ne va pas rejoindre la réalité ! (Rires)

Sceneario.com : Niveau dessin, j’ai trouvé les cadrages et le découpage particulièrement réussis. Pouvez-vous nous parler un peu de vos relations avec le dessinateur ?
Nicolas Pothier : Elles sont très bonnes ! Avec Yannick nous avons fait notre premier album ensemble – Woody Allen aux éditions Nocturne – et ça crée des liens. Dans le boulot, on se fait confiance : il est intraitable avec moi sur le moindre mot et je ne manque jamais de pointer le doigt sur les problèmes de dessins ! Yannick me soumet toutes les étapes de l’élaboration d’une planche : le story board, le clean, l’encrage et enfin la couleur. A chaque étape, je peux encore lui faire changer des choses. Mais honnêtement, c’est rarement nécessaire !

Sceneario.com : Les couleurs sont assez cartoon, elles contrastent pas mal avec la noirceur des histoires. Vous n’avez pas eu peur de déstabiliser le lecteur avec ce parti pris ?
Nicolas Pothier : Sur Voies Off, Yannick n’a pas eu peur d’essayer des choses graphiquement, même si elles peuvent paraître surprenantes par rapport à l’idée qu’on peut se faire de ce genre d’histoires. Ça fait aussi partie de la recherche d’originalité ou tout du moins de la recherche d’un angle nouveau dont on parlait tout à l’heure. Et si ça déstabilise le lecteur, tant mieux ! Quant à celui qui ne veut pas être déstabilisé, pas de problème, il y a plein de BD dans les bacs pour lui…

Sceneario.com : Comptez-vous faire une suite ?
Nicolas Pothier : L’éditeur ne souhaite pas faire un second tome. Mais comme on a encore plein d’idées dans cette veine, on va aller voir ailleurs si d’autres sont intéressés, sans doute sous une autre forme.

Sceneario.com : Lisez-vous beaucoup de BD ? Quels sont vos derniers coups de cœur ?
Nicolas Pothier : Oui, j’en lis pas mal…. Polar oblige, le dernier Loustal, Le sang des voyous, m’a bien plu. Faut dire aussi que le retour de l’excellent Paringaux aux textes y est pour beaucoup. J’ai pris aussi beaucoup de plaisir à lire l’album de Rabaté, Les petits ruisseaux. Voilà un sujet délicat traité avec délicatesse. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon du beau boulot.

Sceneario.com : Comme vous maîtrisez bien les codes du polar, voici un petit quiz pour tester vos connaissances sur le genre : Pouvez-vous citer 3 histoires du Poulpe ?
Nicolas Pothier : En voilà 3 que j’ai lues : La petite Ecuyère a cafté, Nazis dans le métro et Un Travelo nommé désir. Je suis un grand aficionado de Jean-Bernard Pouy, le créateur du Poulpe. Voilà quelqu’un qui n’a pas peur de balancer les pires jeux de mots à la face du monde et ça, ça me plait !…
Quel est le personnage principal commun de ces trois livres : Lune Sanglante, A cause de la nuit, La colline aux suicidés ?
C’est Llyod Hopkins. J’ai lu également cette trilogie d’Ellroy ainsi que quelques autres comme l’inévitable Dahlia noir.
Qui a réalisé Le Doulos, Le samouraï, Le cercle rouge ?
Jean-Pierre Melville, évidemment ! Ça va, il était facile, votre quiz ! (Rires)

Sceneario.com: Pour finir, que diriez-vous aux lecteurs pour leur donner envie d’aller lire votre autre série Ratafia  ?
Nicolas Pothier : Chers lecteurs : Ratafia c’est bien, achetez-en plein ! Quoi ? Ça fait trop slogan ? Bon… Disons que Ratafia est une série humoristique remplie de jeux de mots, de citations érudites et de situations idiotes. Il y a dedans un capitaine qui n’aime pas les trésors, un second qui en raffole, un perroquet repeint en vert et une femme qui fait semblant d’être muette. Au dessin, le talentueux Fred Salsedo croque des tronches de pirates à se rouler par terre et son frère Greg Salsedo met tout cela en couleurs pour le plaisir des yeux ! Et si vous ne me croyez pas, allez donc faire un tour ici : www.ratafia.fr ! Non, vraiment, ce serait idiot, chers internautes et néanmoins lecteurs, de passer à côté de Ratafia (en vente partout).

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