Interview

Michel RABAGLIATI

Michel Rabagliati : "On peut extraire de la poésie de pas grand-chose" En 2015, l’auteur de Paul a publié en 2015 le huitième tome de la série et scénarisé le film "Paul à Québec" inspiré de son œuvre. Le long métrage était projeté en avant-première lors du festival internationale de la BD d’Angoulême samedi 30 janvier dernier. L’occasion de rencontrer le créateur de l’un des personnages de BD les plus touchants.

Sceneario.com: Votre série BD Paul (http://sceneario.com/bande-dessinee/serie/paul/3693), publiée sans ordre chronologique depuis 1999, raconte votre vie personnelle, celle de votre famille et celle du Québec des années 70-80. Elle rencontre peu à peu son public en France, pensiez-vous cela possible au départ ?

Michel Rabagliati : A la base, la série est pensée pour le Québec et là-bas, Paul a une belle cote d’amour. En France, je suis content de voir que l’éditeur (La Pastèque) a publié la BD telle qu’elle, "dans son jus", c’est-à-dire sans traduire les nombreux anglicismes et québécismes. Lors des séances de dédicaces, je constate que les lecteurs français font à leur tour connaissance avec Paul, parfois depuis peu de temps. Ils sont contents de me rencontrer, de partager les émotions ressenties à la lecture. Le même phénomène se produit aussi en Belgique et en Suisse. C’est une chance.

Sceneario.com: 8 albums de Paul sont déjà parus. Combien de tomes avez-vous prévu dans cette série très autobiographique ?

Michel Rabagliati : Je n’ai rien planifié. Des flashs de mémoire me reviennent et je les note dans mon carnet jaune, je les accumule et les rassemble ensuite par thème. En compilant les thèmes, j’obtiens un album. Dans le prochain tome, le personnage aura sans doute la cinquantaine. C’est que la vie de Paul ressemble à la mienne. Je n’ai pas une vie extraordinaire. Elle est, au contraire, très tranquille et sédentaire. Donc lui aussi. Je ne peux pas mentir, je ne suis pas capable de bluffer et si je le faisais, il me semble que le lecteur le verrait tout de suite. Je raconte donc ma vie avec honnêteté. Je raconte du vrai, je suis transparent et cela suffit : on peut extraire de la poésie de pas grand-chose.

extrait

Sceneario.com: Paul est une sorte de Tintin québécois dans un genre autobiographique. Aborderez-vous la fiction dans une prochaine BD ?

Michel Rabagliati : Avec Paul, je peux faire de la fiction. Je peux aborder des thèmes courts, "punchés" (dynamiques, en français) et comiques, des ennuis avec la technologie ou avec un lavabo, par exemple. Cela pourrait s’insérer en 2 ou 3 planches entre deux séquences autobiographiques. C’est que Paul est un personnage neutre, une sorte de Tintin : un rond pour la tête, deux points pour les yeux, etc. Ce personnage est donc un personnage de papier blanc. Il est totalement malléable. Je pourrai réduire ses proportions, lui faire une grosse tête et des petites jambes, ça ne changerait pas beaucoup le sens. Les lecteurs continueraient à le reconnaître.

Sceneario.com: L’adaptation en film de la BD "Paul à Québec" vous a-t-elle demandé un gros travail d’écriture ?

Michel Rabagliati : J’ai énormément travaillé, mais cela fut éprouvant. En effet, alors que je recevais le feu vert des producteurs pour passer à l’écriture du scénario, ma femme a demandé le divorce. J’étais déchiré de l’intérieur. En pleine séparation, je devais quand même me plonger dans une histoire qui raconte la vie de mon ex-belle famille, de mon ex-femme, de mon ex-beau-père… Surtout, le scénario n’a pas été adopté dès la première version, nous avons dû en livrer plusieurs. A chaque fois, nous envoyions le scénario et deux mois plus tard, après lecture par un comité, il nous revenait avec des modifications. Nous devions nous remettre au travail. La séparation douloureuse m’a privé d’énergie et a rendu cette histoire pénible à accoucher. J’ai joué très professionnel, j’ai tenu le cap, fait la promotion du film, etc. C’est en fait le réalisateur (François Bouvier) qui a pris le projet à bras le corps et grâce auquel le film a pu aboutir. C’est le piège de l’autobiographie. Je me suis inspiré de ma famille, de tout le monde autour de moi. Avec le divorce, tout cela m’est revenu dans la face. J’ai explosé, coincé dans cette situation de déchirure. Aujourd’hui, il n’y a plus de symbiose avec la belle famille. C’est de l’histoire ancienne. Je dois tourner la page. Sûrement que je reverrai ce film avec d’autres yeux d’ici trois ans.

Sceneario.com: Votre film a été projeté en avant-première le samedi soir à Angoulême. Quel accueil a-t-il reçu ?

Michel Rabagliati : Le public a manqué des choses dans le langage, à mon avis. S’il a ri aux scènes comiques visuelles, il n’a pas réagi à l’humour présent dans les dialogues. Peut-être à cause de l’accent québécois assez fort. Des sous-titres en français auraient peut-être permis de mieux comprendre l’humour. Le thème aussi a, semble-t-il, grandement dérangé les spectateurs et créé un malaise. Le film parle de la mort, la montre de très près, elle touche presque le spectateur. Des amis angoumoisins m’ont dit que ce sujet était impudique. J’ai l’impression que les Français ne veulent pas voir la mort, ne pas en parler. Ils la nient et c’est un sujet délicat ici. C’est mon impression et si elle est vraie, c’est un vrai clivage entre nos deux cultures. Malgré ce décalage, des gens pleuraient pendant la projection. Dommage qu’il ne sera pas distribué en France, je suis certain que ce film avait sa place dans le circuit indépendant.

Sceneario.com: Que pensez-vous du foisonnement et de la vitalité actuels de la BD Québécoise ?

Michel Rabagliati : Les éditions Crocs sont mortes en 1994 et le monde de la BDQ l’est resté jusqu’en 1998 et l’arrivée de la Pastèque. Atrabile et Rackham ont suivi. Puis Pow Pow et les 400 coups il y a quelques années. En fait, il y a de la place pour 2 ou 3 éditeurs au Québec mais pas plus. Là-bas, aucun auteur ne vit de la BD. Il n’y a pas le bassin de lecteurs suffisants. Il n’y a pas 70 millions de lecteurs dans la Province. Chez la Pastèque, Paul est la locomotive. Je suis leur auteur principal, leur vache à lait. Je l’accepte, il en faut, cela permet aux éditeurs d’avoir d’autres auteurs, d’essayer autre chose, de se tromper…

Sceneario.com: Auriez-vous des conseils pour un jeune auteur ?

Michel Rabagliati : Le jeune auteur doit apprendre la patience et à faire mûrir ses projets. Je vois beaucoup de jeunes auteurs être impatients de se faire publier. Ils proposent que projets non-achevés, des "n’importe quoi". Ces "n’importe quoi" finissent par être publiés par des éditeurs peu rigoureux, mais ils ne font qu’ajouter de la confusion, que perdre le lecteur et le livre, après 20 ou 25 ventes, finit par être pilonné. C’est frustrant pour l’auteur, pour l’éditeur et pour le lecteur qui ne reviendra peut-être plus à la BD après. Il y a aussi le phénomène autobiographique : tout le monde veut raconter son histoire de famille. Mais ce n’est pas parce que c’est autobiographique que c’est bon. Il faut avant tout que l’histoire soit dirigée vers le lecteur. Cela demande de la formater, d’amener de la surprise, d’apporter des informations, que "ce soit le fun" à lire. Paul est travaillé avec de la matière vraie, qui est ensuite retravaillée de manière à susciter de l’émotion, à embarquer le lecteur. Hergé était le maître dans ce domaine. Il lançait sa ligne et nous harponnait en deux cases. Il n’y a qu’à ouvrir Tintin : on commence à lire et on ne peut plus décrocher. On n’y est comme pris au piège. C’est la magie de la mise en scène. Plutôt que de s’exercer à faire jolis dessins, le jeune auteur gagnerait à se concentrer sur l’action et la fluidité de lecture.

Sceneario.com: Quelles sont vos influences ?

Michel Rabagliati : Je lis des romans policiers, notamment ceux de Fred Vargas. En BD, j’ai découvert Zaï Zaï Zaï Zaï de Fabcaro que j’ai beaucoup aimé. Ca parle de la folie de la société actuelle, où il faut être dans le rang, suivre le troupeau, avec un style à la Ruppert et Mulot et une absurdité toute jubilatoire. Je viens aussi de terminer l’Arabe du Futur de Riad Sattouf. Ça se voit qu’il travaille pour le plaisir du public. Il n’y a pas de superflu. Son histoire est fluide, le sujet excellent et, par chance, il résonne pile poil avec un sujet chaud du moment. Sattouf est aussi didactique dans son propos. Je n’irai jamais en Syrie, mais je connais maintenant plein de choses sur ce pays grâce à toutes les infos qu’il donne. Fatherland de Nina Bunjevac (éditions Ici Même) est ma dernière claque en BD. Elle dessine avec une régularité quasi-militaire. Je cherchais dans son album un dessin moins appliqué qui montrerait qu’elle se lassait. Mais il n’y en a aucun. Ils sont tous patiemment gravés. Elle raconte l’histoire de son père dans l’ancienne Yougoslavie. Elle le fait avec honnêteté. Ça a dû la déchirer de raconter cela.

Publicité