Interview

Matz scénariste d’un Tueur…

Sceneario.com: Bonjour, pourrais tu te présenter en quelques mots ? Comment as tu rencontré
Jacamon?


MATZ : Très simplement par un ami commun, qui voulait aussi se lancer dans
la bd. En fait, j’ai fait des essais avec eux deux, mais Luc était
clairement extrêmement motivé, et talentueux. Il était pressé de démarrer,
et on a foncé sur le Tueur dont j’avais déjà écrit le synopsis, et auquel je
pensais depuis longtemps. Pour ce qui est de me présenter, il n’y a pas
grand chose à dire. Je vis à Paris, j’ai deux enfants, je sillonne les rues
en scooter, je travaille, une vie plutôt normale, quoi.

Sceneario.com: Quelle est votre façon de travailler : vous vous voyez beaucoup, vous
utilisez internet?


MATZ : Non, nous sommes plutôt old school. Je travaille de mon côté le
scénario, et je donne à Luc un scénario entièrement découpé planche par
planche, écrit à la main sur des feuilles de papier, comme au bon vieux
temps.

Sceneario.com: Quelle est la part de chacun dans le travail de l’autre?


MATZ : Le travail de scénariste est un travail plutôt solitaire, par
définition. J’écris les dialogues et compose les planches dans mon coin,
mais j’écoute les désirs de Luc, s’il me dit qu’il veut par exemple une
séquence avec de la neige ou moins de ville et de voitures, et j’essaie de
les faire entrer dans le scénar. Il y a des contraintes diverses qui peuvent
guider certains choix, mais au bout du compte, je suis assez libre. Dans la
mesure où je propose à Luc un découpage complet, il y a un impact sans doute
plus visible de mon travail sur le sien, mais il est libre de le suivre ou
non, et de modifier la manière dont les choses se déroulent à l’intérieur
d’une planche.

Sceneario.com: Quelles sont tes influences?


MATZ : En bd, je suis assez classique, j’aime Franquin et Blueberry, MacCoy
et Miller. je reste très admiratif des Spirou de Franquin, genre « QRN sur
Bretzelburg », qui me font toujours autant rire après toutes ces années, et
dont le dessin est très juste. Mais je lis aussi ce qui se fait aujourd’hui,
et trouve des choses qui me plaisent dans les bd plus « modernes », genre ce
que font Pellejero et Zentner, ou la série « Sanctuaire » qui propose des
choses intéressantes en terme de découpage notamment.

Sceneario.com: Quelles sont tes derniers coups de coeur? Coups de gueule?


MATZ : Mon grand coup de coeur, c’est Toppi. Je ne me lasse pas d’admirer
ses albums et notamment le dernier paru, « Potosi », au éditions Mosquito.
Travailler avec lui serait un rêve ! Mes coups de gueule, ce serait mon
incompréhension quand je regarde les meilleurs ventes et que je vois
toujours parmi ces albums des choses qui ne devraient vraiment pas y être,
alors que Toppi par exemple n’y figure jamais, mais bon, tous les goûts sont
dans la nature et il faut croire que beaucoup de gens qui s’intéressent à la
bd n’accordent pas à la qualité du dessin et du texte l’attention qu’il
faudrait 🙂

Sceneario.com: Quels sont tes projets maintenant?


MATZ : Trois projets en cours, une autre série brève avec Jacamon, dans un
univers et avec des personnages différents du Tueur, une nouvelle série en
collaboration avec Colin Wilson qui va commencer de sortir en janvier aux
éditions Casterman et qui s’intitule « Du Plomb dans la tête », un polar
violent et déconnant qui m’amuse bien, et pour finir une autre série qui
démarrera au printemps aux éditions Delcourt en collaboration avec Dominique
Bertail.

Sceneario.com: On voit de plus en plus de sites internet consacrés à la BD. Les éditeurs
l’utilisent de plus en plus. En tant qu’auteur, que penses tu de ce media?


MATZ : Internet est un instrument de communication et d’information
extraordinaire, très souple et très riche, très libre aussi, et donc un
vecteur très intéressant pour échanger et découvrir. C’est bien que les
éditeurs s’intéressent à ce monde high-tech qui est complémentaire du livre
et qui ne peut que contribuer à ancrer les livres dans le monde
d’aujourd’hui, car ils y ont leur place.

Sceneario.com: Comment est née l’idée de ce personnage?


MATZ : Le Tueur est né de ma curiosité pour ce que doit être la conscience
d’un homme tel que lui, et tel qu’il en existe à mon avis, à des degrés plus
ou moins élevés, beaucoup plus que les gens le pensent ou font semblant de
le penser.

Sceneario.com: Les cinq tomes étaient ils déjà écrits, où l’histoire s’est elle élaborée au
fur et à mesure?


MATZ : Non, les cinq tomes n’étaient pas écrits avant de démarrer la série.
Seulement le premier. J’avais une idée générale de l’histoire en tête, mais
rien de plus précis. Il était impossible d’en savoir davantage. On ne savait
pas nous-même combien de tomes on allait faire. On ne peut pas être sûr
qu’une série va « marcher », et donc on ne sait pas combien de temps l’éditeur
va la laisser vivre. On ne peut pas non plus savoir combien de temps on aura
envie de faire ça, ou si on aura encore des choses à dire et à faire. Du
coup, il est impossible de dire « bon, on va faire 12 albums, ou 5, ou 1, ou
24 ». On espère que le public va accrocher, et puis on voit où l’histoire
nous mène, et si on a envie de continuer, si on a de quoi la faire vivre de
manière satisfaisante. Jusque là, c’est le cas, et je pense que le
personnage, les personnages, ont encore du potentiel.

Sceneario.com: Le tueur est particulièrement cynique. Y’a t’il une part de toi là-dedans?


MATZ : Oui, bien sûr. Je prête au Tueur certaines de mes idées ou de mes
observations, qui ressortent d’ailleurs à mon avis davantage de la lucidité
que du cynisme, mais surtout, j’essaie de créer un personnage crédible, et
donc j’essaie avant toute chose de lui donner une logique interne. Ensuite,
au fil des développements, je peux puiser dans des idées qui ne
correspondent pas à ce que je pense mais semblent lui convenir à lui. Et
puis ce qui est vraiment intéressant dans la construction de ce personnage,
c’est justement de lui fabriquer une logique et une philosophie qui
paraîssent parfaitement claires, mais qui sont biaisées, ou qui en tout cas,
poussées trop loin, donnent des résultats inattendus.

Sceneario.com: Le cycle commence sur un personnage absolument solitaire. Au cinquième tome,
il ne semble plus si catégorique sur ces semblables : une évolution
naturelle selon toi?


MATZ : Absolument, et c’est même le motif central de cette histoire et de ce
personnage. Un solitaire qui ne l’est plus, qui ne veut ou ne peut plus
l’être, que les autres et la vie rattrapent. Il est aux prises avec
lui-même, et la manière dont cela se traduit, c’est son rapport au monde qui
se modifie, presque malgré lui. Il se construit des règles, et apprend à
vivre avec.

Sceneario.com: La fin du cinquième tome est assez ouverte. Y’aura t’il un nouveau cycle?


MATZ : Je pense que ce personnage a encore pas mal de potentiel et qu’il y a
de quoi lui donner à vivre ainsi qu’au lecteur d’autres aventures…
L’avenir nous dira si nous le ferons ou pas.

Sceneario.com: La trame narrative du cinquième tome est vraiment particulière, absolument
pas linéaire. Pourquoi ce choix?


MATZ : Le cycle ne fonctionne pas sur la résolution d’une énigme mais sur
l’évolution du personnage, des choix qu’il doit faire, et donc le scénario
du 5 est entièrement axé là-dessus. Et puis j’aime bien les découpages un
peu éclatés, de manière à ce que le lecteur soit un peu ballotté, tout en
gardant le fil du récit. Aussi, c’est une manière de suggérer qu’il ne faut
pas se contenter de la trame, et mettre en relief ce qui constitue le coeur
du récit.

Sceneario.com: Comment as tu travaillé le rythme du récit : rendre intéressant ce qui est
principalement un monologue introspectif n’était pas simple.


MATZ : Oui, c’était le principal problème de cette série et de ce héros. Le
grand problème était d’éviter que cela ne soit ennuyeux ou monotone. Pour
cela, il faut rythmer entre action, attente et réflexion, et il faut que ce
qu’il dit soit toujours intéressant, soit pour la compréhension du
personnage, soit pour la compréhension de l’histoire.

Sceneario.com: Dans le récit, on ne connaît pas le nom du tueur. Pourquoi ce choix? (Un
scoop : c’est quoi son prénom? ;-))


MATZ : Je ne peux pas le révéler : je ne le connais pas. La raison est
triple : d’abord, le récit est à la première personne, et donc il n’a pas
besoin de s’appeler lui-même (la seule difficulté était dans son rapport
avec les autres), ensuite, un tueur se cache sous différentes identités et
il a des noms d’emprunt, sa véritable identité demeurant secrète, et enfin,
je ne lui ai jamais trouvé un nom qui lui allait, ou qui m’allait, et donc
pourquoi s’embêter, si on peut s’en passer.

Sceneario.com: Merci pour le temps que tu nous a accordé, bonne continuation et à bientôt.
MATZ :
Merci à vous.

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