
Matz scénariste d'un Tueur...
Interview réalisée par GdSeb et AUB en décembre 2003.
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Sceneario.com: Bonjour, pourrais tu te présenter en quelques mots ? Comment as tu rencontré
Jacamon? MATZ : Très simplement par un ami commun, qui voulait aussi se lancer dans la bd. En fait, j'ai fait des essais avec eux deux, mais Luc était clairement extrêmement motivé, et talentueux. Il était pressé de démarrer, et on a foncé sur le Tueur dont j'avais déjà écrit le synopsis, et auquel je pensais depuis longtemps. Pour ce qui est de me présenter, il n'y a pas grand chose à dire. Je vis à Paris, j'ai deux enfants, je sillonne les rues en scooter, je travaille, une vie plutôt normale, quoi. Sceneario.com: Quelle est votre façon de travailler : vous vous voyez beaucoup, vous utilisez internet? MATZ : Non, nous sommes plutôt old school. Je travaille de mon côté le scénario, et je donne à Luc un scénario entièrement découpé planche par planche, écrit à la main sur des feuilles de papier, comme au bon vieux temps. Sceneario.com: Quelle est la part de chacun dans le travail de l'autre? MATZ : Le travail de scénariste est un travail plutôt solitaire, par définition. J'écris les dialogues et compose les planches dans mon coin, mais j'écoute les désirs de Luc, s'il me dit qu'il veut par exemple une séquence avec de la neige ou moins de ville et de voitures, et j'essaie de les faire entrer dans le scénar. Il y a des contraintes diverses qui peuvent guider certains choix, mais au bout du compte, je suis assez libre. Dans la mesure où je propose à Luc un découpage complet, il y a un impact sans doute plus visible de mon travail sur le sien, mais il est libre de le suivre ou non, et de modifier la manière dont les choses se déroulent à l'intérieur d'une planche. Sceneario.com: Quelles sont tes influences? MATZ : En bd, je suis assez classique, j'aime Franquin et Blueberry, MacCoy et Miller. je reste très admiratif des Spirou de Franquin, genre "QRN sur Bretzelburg", qui me font toujours autant rire après toutes ces années, et dont le dessin est très juste. Mais je lis aussi ce qui se fait aujourd'hui, et trouve des choses qui me plaisent dans les bd plus "modernes", genre ce que font Pellejero et Zentner, ou la série "Sanctuaire" qui propose des choses intéressantes en terme de découpage notamment. Sceneario.com: Quelles sont tes derniers coups de coeur? Coups de gueule? MATZ : Mon grand coup de coeur, c'est Toppi. Je ne me lasse pas d'admirer ses albums et notamment le dernier paru, "Potosi", au éditions Mosquito. Travailler avec lui serait un rêve ! Mes coups de gueule, ce serait mon incompréhension quand je regarde les meilleurs ventes et que je vois toujours parmi ces albums des choses qui ne devraient vraiment pas y être, alors que Toppi par exemple n'y figure jamais, mais bon, tous les goûts sont dans la nature et il faut croire que beaucoup de gens qui s'intéressent à la bd n'accordent pas à la qualité du dessin et du texte l'attention qu'il faudrait :-) Sceneario.com: Quels sont tes projets maintenant? MATZ : Trois projets en cours, une autre série brève avec Jacamon, dans un univers et avec des personnages différents du Tueur, une nouvelle série en collaboration avec Colin Wilson qui va commencer de sortir en janvier aux éditions Casterman et qui s'intitule "Du Plomb dans la tête", un polar violent et déconnant qui m'amuse bien, et pour finir une autre série qui démarrera au printemps aux éditions Delcourt en collaboration avec Dominique Bertail. Sceneario.com: On voit de plus en plus de sites internet consacrés à la BD. Les éditeurs l'utilisent de plus en plus. En tant qu'auteur, que penses tu de ce media? MATZ : Internet est un instrument de communication et d'information extraordinaire, très souple et très riche, très libre aussi, et donc un vecteur très intéressant pour échanger et découvrir. C'est bien que les éditeurs s'intéressent à ce monde high-tech qui est complémentaire du livre et qui ne peut que contribuer à ancrer les livres dans le monde d'aujourd'hui, car ils y ont leur place. Sceneario.com: Comment est née l'idée de ce personnage? MATZ : Le Tueur est né de ma curiosité pour ce que doit être la conscience d'un homme tel que lui, et tel qu'il en existe à mon avis, à des degrés plus ou moins élevés, beaucoup plus que les gens le pensent ou font semblant de le penser. Sceneario.com: Les cinq tomes étaient ils déjà écrits, où l'histoire s'est elle élaborée au fur et à mesure? MATZ : Non, les cinq tomes n'étaient pas écrits avant de démarrer la série. Seulement le premier. J'avais une idée générale de l'histoire en tête, mais rien de plus précis. Il était impossible d'en savoir davantage. On ne savait pas nous-même combien de tomes on allait faire. On ne peut pas être sûr qu'une série va "marcher", et donc on ne sait pas combien de temps l'éditeur va la laisser vivre. On ne peut pas non plus savoir combien de temps on aura envie de faire ça, ou si on aura encore des choses à dire et à faire. Du coup, il est impossible de dire "bon, on va faire 12 albums, ou 5, ou 1, ou 24". On espère que le public va accrocher, et puis on voit où l'histoire nous mène, et si on a envie de continuer, si on a de quoi la faire vivre de manière satisfaisante. Jusque là, c'est le cas, et je pense que le personnage, les personnages, ont encore du potentiel. Sceneario.com: Le tueur est particulièrement cynique. Y'a t'il une part de toi là-dedans? MATZ : Oui, bien sûr. Je prête au Tueur certaines de mes idées ou de mes observations, qui ressortent d'ailleurs à mon avis davantage de la lucidité que du cynisme, mais surtout, j'essaie de créer un personnage crédible, et donc j'essaie avant toute chose de lui donner une logique interne. Ensuite, au fil des développements, je peux puiser dans des idées qui ne correspondent pas à ce que je pense mais semblent lui convenir à lui. Et puis ce qui est vraiment intéressant dans la construction de ce personnage, c'est justement de lui fabriquer une logique et une philosophie qui paraîssent parfaitement claires, mais qui sont biaisées, ou qui en tout cas, poussées trop loin, donnent des résultats inattendus. Sceneario.com: Le cycle commence sur un personnage absolument solitaire. Au cinquième tome, il ne semble plus si catégorique sur ces semblables : une évolution naturelle selon toi? MATZ : Absolument, et c'est même le motif central de cette histoire et de ce personnage. Un solitaire qui ne l'est plus, qui ne veut ou ne peut plus l'être, que les autres et la vie rattrapent. Il est aux prises avec lui-même, et la manière dont cela se traduit, c'est son rapport au monde qui se modifie, presque malgré lui. Il se construit des règles, et apprend à vivre avec. Sceneario.com: La fin du cinquième tome est assez ouverte. Y'aura t'il un nouveau cycle? MATZ : Je pense que ce personnage a encore pas mal de potentiel et qu'il y a de quoi lui donner à vivre ainsi qu'au lecteur d'autres aventures... L'avenir nous dira si nous le ferons ou pas. Sceneario.com: La trame narrative du cinquième tome est vraiment particulière, absolument pas linéaire. Pourquoi ce choix? MATZ : Le cycle ne fonctionne pas sur la résolution d'une énigme mais sur l'évolution du personnage, des choix qu'il doit faire, et donc le scénario du 5 est entièrement axé là-dessus. Et puis j'aime bien les découpages un peu éclatés, de manière à ce que le lecteur soit un peu ballotté, tout en gardant le fil du récit. Aussi, c'est une manière de suggérer qu'il ne faut pas se contenter de la trame, et mettre en relief ce qui constitue le coeur du récit. Sceneario.com: Comment as tu travaillé le rythme du récit : rendre intéressant ce qui est principalement un monologue introspectif n'était pas simple. MATZ : Oui, c'était le principal problème de cette série et de ce héros. Le grand problème était d'éviter que cela ne soit ennuyeux ou monotone. Pour cela, il faut rythmer entre action, attente et réflexion, et il faut que ce qu'il dit soit toujours intéressant, soit pour la compréhension du personnage, soit pour la compréhension de l'histoire. Sceneario.com: Dans le récit, on ne connaît pas le nom du tueur. Pourquoi ce choix? (Un scoop : c'est quoi son prénom? ;-)) MATZ : Je ne peux pas le révéler : je ne le connais pas. La raison est triple : d'abord, le récit est à la première personne, et donc il n'a pas besoin de s'appeler lui-même (la seule difficulté était dans son rapport avec les autres), ensuite, un tueur se cache sous différentes identités et il a des noms d'emprunt, sa véritable identité demeurant secrète, et enfin, je ne lui ai jamais trouvé un nom qui lui allait, ou qui m'allait, et donc pourquoi s'embêter, si on peut s'en passer. Sceneario.com: Merci pour le temps que tu nous a accordé, bonne continuation et à bientôt. MATZ : Merci à vous. |