Interview

Mathieu SAPIN pour Le journal d’un journal

Sceneario.com : Bonjour Mathieu, et merci de nous avoir fait le plaisir de répondre, pour la première fois sur Sceneario.com, à quelques questions à l’occasion de la sortie de « Journal d’un journal » aux éditions Delcourt. Tout d’abord, comme tout nouveau venu sur Sceneario, peux- tu présenter à nos internautes les grandes étapes de ton parcours personnel ?

Mathieu SAPIN : Je suis l’auteur de plusieurs bandes-dessinées parfois réalisées seul (Supermurgeman, La Fille du Savant Fou, Le journal de la Jungle…) parfois en collaboration avec des scénaristes (Marguerite Abouet pour Akissi, Emmanuel Guibert pour Sardine de l’Espace…) ou des dessinateurs (Patrick Pion pour Megaron ou Christain Rossi pour Paulette Comète…). Après des études à l’école des Arts-décoratifs de Strasbourg et une objection de conscience au musée de la BD à Angoulême (CIBDI) je me suis dirigé vers l’illustration jeunesse et la bande dessinée. Je travaille depuis dix ans dans un atelier de bandes dessinées composé de Christophe Blain, Joann Sfar et Riad Sattouf. La plupart de mes albums parlent d’un monde loufoque et déjanté dans lequel mes personnages évoluent d’une série à une autre. En 2010, j’ai publié Feuille de Chou, un premier reportage-BD qui raconte les coulisses du tournage du film Gainsbourg, Vie héroïque de Joann Sfar.

Mathieu Sapin pour Journal d'un journal (Delcourt) Extrait 1

Sceneario.com : Le 21 septembre sort donc ton tout dernier album, le « journal d’un journal », basé sur ton reportage au sein de la rédaction d’un grand quotidien national. Peux-tu nous dire comment ce projet est né ? Pourquoi ton choix s’est porté sur Libération, plutôt que Le Monde ou encore Le Figaro ?

Mathieu SAPIN : En fait de choix je dirais plutôt que l’occasion faisant le larron, j’ai suivi les conseils d’un ami photographe qui travaille pour Libé et qui m’a suggéré de proposer au journal cette idée de reportage. La semaine suivante je me retrouvais face au directeur artistique de Libération pour lui exposer le projet. La rédaction du journal n’a posé aucun problème à ma venue.

Sceneario.com : Tu as tout de suite proposé ton projet à Lewis Trondheim (Directeur de la collection Shampooing dans laquelle paraît l’ouvrage) ? Quelle fut sa première réaction ?

Mathieu SAPIN : Lewis Trondheim est un éditeur qui fait beaucoup confiance aux gens avec qui il travaille. Nous avions déjà parlé de faire d’autres projets de BD-journalisme après les deux premiers volumes de Feuille de Chou. Sa réaction sur ce projet a été rapide et enthousiaste.

Sceneario.com : Le projet est arrêté, la motivation est là… Comment et avec quel état d’esprit contacte t-on la direction de ce genre de quotidien, qui peut très bien refuser le projet de peur que cela n’entache d’avantage sa position légèrement affaiblie depuis quelques années ?

Mathieu SAPIN : Au contraire, je pense que Libération a une longue tradition de liberté de parole et d’autocritique. Certains étaient même très favorables au fait d’avoir un point de vue extérieur sur leur journal. Il faut ajouter que Laurent Joffrin, le directeur de la rédaction était sur le départ. Il prenait donc moins de risque. J’étais un peu "la patate chaude" qui se retrouvait entre les mains de Nicolas Demorand.

Sceneario.com :Avant d’arriver sur place, as tu procédé à des travaux de documentation quelconque ?

Mathieu SAPIN : Je n’en ai pas eu le temps car j’étais mobilisé sur d’autres projets et j’ai juste pu commencer à lire "Libération, la biographie" de Jean Guisnel qui m’a beaucoup servi. Par la suite j’ai lu plusieurs ouvrage sur l’histoire du journal ou sur le métier de journaliste, je les cite à la fin du livre.

Mathieu Sapin pour Journal d'un journal (Delcourt) Extrait 2

Sceneario.com : On le voit durant la lecture de l’ouvrage, tu te balades dans la rédaction, tu suis des journalistes carnet à la main et l’oreille à l’affût du moindre renseignement important ou qui te semblerait intéressant: Quelles ont été les méthodes de travail qui t’ont servi à peaufiner tous ces mois durant Le journal d’un journal ? Tu as beaucoup travaillé de mémoire ?

Mathieu SAPIN : Il faut être en état de réception permanent. Le matériel peut aider (carnet, photo numérique, dictaphone, etc.) mais la mémoire est le meilleur des atouts et je me suis surpris à parvenir à conserver des bouts de conversations et de nombreux détails. Je prenais le maximum de notes en direct mais il fallait ensuite redigèrer et retravailler tout ça dans un deuxième temps dans mon atelier.

Sceneario.com : Certains membres du personnel ont-ils été plus réticents que d’autres (voir hémertiques!) à répondre à ta démarche ?

Mathieu SAPIN : Hermétique non, mais bien évidemment il y avait plusieurs réactions selon que les gens étaient disponibles ou non. Certains m’ont d’emblée adopté en m’invitant à déjeuner ou en me proposant un café. C’était le meilleur moyen d’annuler mon esprit critique puisqu’il est plus difficile d’être objectif en parlant de quelqu’un qui est devenu un copain. D’autres n’avait pas le temps ou pas tellement envie de me laisser entrer dans leur intimité professionnelle et je les comprends. La plupart du temps les gens étaient bienveillants.

Sceneario.com : Tu es resté quasiment 4 mois au contact de cette rédaction, et ces 4 mois ont été plus que riches en événements divers et variés, de Fukushima à DSK, en passant par la mort de Ben Laden, sans oublier bien sûr un bouleversement dans la vie même du journal :le passage de flambeau un peu houleux entre Laurent Joffrin et Nicolas Demorand au poste de Directeur de la Rédaction. Est-ce que tu t’es dis que tu avais de la chance d’être là au bon moment et que sans toute cette actualité, ton reportage et l’expérience vécue auraient été sans doute moins intéressants?

Mathieu SAPIN : Cette actualité délirante m’a plutôt fichu une sacrée pression. Je me demandais sans cesse ce que j’allais pouvoir retenir d’une période aussi riche et encore aujourd’hui je ne pense pas avoir beaucoup plus de recul sur l’affaire DSK ou Fukushima. Maintenant il est certain que c’était une période bénie pour observer des journalistes dans le "feu" de l’action.

Sceneario.com : Si tu devais retenir un moment fort et un regret de cette expérience, lesquels seraient-ils?

Mathieu Sapin pour Journal d'un journal (Delcourt) Extrait 3

Mathieu SAPIN : Dans le livre j’explique comment j’ai raté dans les grandes largeurs le moment où l’affaire DSK a éclaté. En effet j’étais en déplacement à Cannes pour suivre les journalistes qui couvraient le festival du film. Ce raté illustre bien la frustration du journaliste qui ne peut être toujours au bon endroit au bon moment. Un des épisodes qui m’a le plus enthousiasmé est la rencontre/ interview avec Bob Woodward qui est un grand reporter américain. C’est même une figure du journalisme puisque c’est lui (avec Carl Bernstein) qui a fait tomber Nixon en dénonçant le scandale du Watergate. Un type formidable, sorte de héros moderne hyper droit dans ses bottes.

Sceneario.com : Quelques rares passages sont anonymés/gribouillés. T’as t-on demandé explicitement de garder le secret sur certaines choses dont tu avais été le témoin ou as tu jouis d’une liberté totale de mouvement, de parole et de retranscription ?

Mathieu SAPIN : C’est une pratique que j’ai déjà utilisée sur Feuille de Chou 1 et 2. Si on me demande de supprimer un passage je préfère le raturer plutôt que de faire comme si de rien n’était. C’est un peu frustrant pour le lecteur mais au moins il sait qu’il y a là une information à laquelle il n’a pas accès. Je ne le fais pas de gaieté de coeur mais parfois certaines informations peuvent créer des préjudices moraux et mon but n’est pas de mettre les personnes mises en cause dans l’embarras. Cela dit dans "Journal d’un Journal" je le fais très très peu. Tout simplement parce que j’ai eu toute liberté de dire ce que je voulais.

Sceneario.com : Le journal d’un journal sort le 21 septembre. Les personnes que tu as côtoyé là-bas ont-ils eu la primeur de la parution ? Quelles ont été leurs réactions face à ta mise en page, à ton ressenti que tu exprimes ça et là, de façon parfois pudique?

Mathieu SAPIN : J’ai fait lire le livre dans sa totalité à la direction et à certaines personnes pour avis et aussi afin de corriger d’éventuelles inexactitudes. Les personnes que j’ai recroisées ont plutôt bien réagit. Certains ont trouvé que je les avais dessiné trop gros ou pas à leur avantage ou bien que je leur fais dire trop de bêtises mais c’était plutôt sur le mode de l’humour et dans l’ensemble l’accueil a été enthousiaste.

Sceneario.com : Qu’attends-tu du lectorat face à ce reportage peu banal et vraiment innovant?

Mathieu SAPIN : J’espère que les lecteurs auront de l’intérêt pour ce qui peut se passer "sous le capot" d’une rédaction de journal. J’ai essayé d’écrire mon reportage comme une histoire avec des temps forts, un début et une fin. Si en plus on apprend des choses c’est encore mieux.

Sceneario.com : Depuis qd connais tu Sceneario?

Mathieu SAPIN : C’est une longue histoire puisqu’en tant que bourguignon et ancien joueur de jeu de rôle j’ai inévitablement connu et côtoyé les créateurs de la première formule de Scène à Rio qui était le fanzine de jeu de rôle (plutôt déjanté et fun) de référence à cette époque-là (je parle d’une époque où internet n’existait pas). Nous avons sympathisé et j’ai même dessiné dans plusieurs numéros des illustrations de scénarios et des petites BD.

Sceneario.com : Aurais tu un anecdote à nous raconter sur Sceneario… celui pour lequel tu as travaillé?

Mathieu SAPIN : Je me souviens d’avoir commis une BD mettant en scène "Helmer, le balrog-nain mégalo". Un personnage qui était honteusement pompé sur Gotlib et sur les aventures de "Krok le Bô" un personnage imaginé par Chevalier et Ségur, publié chez Delcourt. Heureusement mes pages sont aujourd’hui introuvables.

Sceneario.com : Mathieu, il me reste à te remercier à la fois pour ton ouvrage qui est pour moi l’un des plus originaux de l’année 2011, et bien sûr de nous avoir consacré de ton temps pour répondre à ces nombreuses questions (Au fait, ça fait quoi de passer de l’autre côté de la barrière et d’être celui qu’on interview??).

Mathieu SAPIN : Ha ha ! Maintenant je connais toutes les ficelles ! On ne peut plus me la faire. Impossible de me prendre en défaut ou de me faire dire des conneries et des putains de gros mots en direct et je… oups, trop tard ! La bise.

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