Interview

MALKA, l’avocat scénariste

Sceneario.com: Richard tu es avocat depuis 13 ans, comment es-tu arrivé à ce métier ?
Richard Malka: Je suis effectivement devenu avocat assez jeune, à 23 ans … par pur hasard et sans jamais avoir eu cette vocation. J’avais passé un Bac C (scientifique) et je me destinais plutôt à une prépa HEC.

Par sécurité, je me suis quand même inscrit en faculté et comme une de mes très jolies amies s’inscrivait en droit, j’ai fait la queue dans la même file … Ensuite, le fait de commencer les cours très tardivement et non pas début septembre, m’a convaincu que l’université était décidément ma voie… C’est donc vraiment par l’effet du hasard le plus total que j’ai suivi des études de droit. Par la suite, j’ai suivi le cursus habituel sans jamais me poser de question et, comme tout le monde, j’ai passé le concours d’avocat. Le plus curieux c’est que je crois qu’aucune autre profession ne m’aurait autant convenu et passionné. Mon orientation à l’origine très hasardeuse, s’est donc révélée idéale et parfaitement adaptée à mon tempérament.

Sceneario.com: Et pourquoi t’être spécialisé dans la défense plus spécifique de CHARLIE HEBDO, NRJ, BEUR FM…?
Richard Malka: Là encore, à raison d’une grande part de hasard qui décidément aura bien fait les choses !

En effet, si je n’ai jamais pensé devenir avocat, la profession de journaliste m’a tenté à de nombreuses reprises.

Or, durant le stage en juridiction que nous devions effectuer lorsque nous étions élèves avocats, je me suis retrouvé affecté au sein de la 17ème Chambre Correctionnelle, c’est-à-dire de la Chambre spécialisée dans les délits de presse. Un peu plus tard, souhaitant effectuer un stage dans un cabinet d’avocats intervenant en matière pénale, j’ai été engagé dans un cabinet dont une partie de l’activité était constituée par le droit de la presse. Tout naturellement, j’ai donc été amené à intervenir plusieurs années dans ce domaine qui m’a de plus en plus intéressé car conciliant science juridique et débats d’actualité, d’opinions politiques, d’idées.

Plaider pour CHARLIE HEBDO depuis maintenant près de 14 ans, ce n’est vraiment pas commun et cela a donné lieu à des audiences plutôt mouvementées et souvent inattendues comme lorsque nous avons déposé la marque FRONT NATIONAL à l’INPI ce que LE PEN n’avait pas pensé à faire et ce qui nous a permis d’intervenir au procès opposant LE PEN et MEGRET où tous deux revendiquaient cette marque. J’ai alors simplement fait remarquer que maintenant c’était CHARLIE HEBDO qui en était propriétaire !

Je dois dire que le souvenir des visages médusés de l’assistance lors de cette intervention continuera à m’amuser longtemps encore. Avec le temps et alors qu’à l’origine j’exerçais quand même dans tous domaines, des assises au droit de la famille et du droit du travail au droit public, je me suis de plus en plus spécialisé dans ce domaine spécifique où nous ne sommes que très peu à exercer. Cette spécialisation me permet en particulier de dégager du temps pour écrire mes scénarii. Pour être honnête, je voudrais également ajouter, au risque de décevoir, qu’il m’est également arrivé de passer de l’autre côté du miroir et de poursuivre des médias car il ne faut pas oublier qu’un avocat n’est pas un militant et qu’il est à mon sens absolument indispensable pour exercer convenablement ce métier d’avoir une vision globale, c’est-à-dire par des points de vues opposés, de la matière traitée.

Sceneario.com: Comment arrive t-on au monde de la BD ?
Richard Malka: Là, par contre, ce ne fut pas du tout un hasard et paradoxalement cela a été beaucoup plus compliqué.

C’est un monde difficile à pénétrer pour un scénariste bien plus encore que pour un dessinateur.

On peut très vite apprécier le talent d’un dessinateur en regardant ses planches. Pour un scénariste c’est beaucoup plus compliqué, il faut lire un épais découpage, effectuer un travail de mise en relation avec un dessinateur disponible …

Il m’a fallu près de 6 ou 7 ans entre le moment où j’ai écrit un premier scénario de science-fiction et le jour où, de fil en aiguille et en particulier grâce à Eric HERENGUEL, j’ai rencontré Dominique BURDOT, l’actuel directeur général des Editions GLENAT qui m’a conseillé d’écrire une histoire d’avocat plutôt qu’un scénario de science-fiction. Bien vue !

Je l’ai fait, et là, tout c’est très vite enclenché comme dans un conte de fées.
Le scénario a été accepté, GLENAT m’a présenté à Paul GILLON qui a immédiatement accepté de participer à cette aventure, qui au final a été accueilli avec une bienveillance unanime. Le bonheur …

Sceneario.com: Pourquoi as-tu eu envie d’écrire des scénarii de BD ?
Richard Malka: Je lis des BD depuis l’âge de 15 ans.
Après 5 années d’exercice de la profession d’avocat, et bien qu’aimant passionnément mon métier, je me suis aperçu que celui-ci ne me satisfaisait plus totalement. J’avais envie d’autre chose, d’une activité peut être moins ancrée dans le réel et dans laquelle mon imaginaire pourrait davantage s’épanouir. Ecrire des scénarii de BD m’a, dès lors, paru tout naturel. Je remarque également, compte tenu de la fréquence avec laquelle cette question m’est posée, qu’il n’est jamais demandé à un écrivain pourquoi il a eu l’idée d’écrire un livre …

Sceneario.com: Les histoires sont-elles vraies ?
Richard Malka: Oui et non … Pour l’instant, mes histoires mêlent étroitement réalité et imaginaire.
Pour « CICERON », le contexte est historique et réel mais l’intrigue du procès ne l’est pas, bien qu’empruntant des éléments épars de ce que j’ai vécu ou de ce que j’ai entendu raconter dans le cadre de mon activité professionnelle. S’agissant de « SECTION FINANCIERE », le point de départ de cette BD est réel : le détournement des fonds prêtés par le Fonds Monétaire International à la Russie par des oligarques qui ont abondamment profité des privatisations des années 1990. Le reste est totalement imaginaire mais il est par contre très important pour moi que mes histoires soient totalement crédibles et sérieusement documentées. J’emprunte ainsi à la réalité du fonctionnement de la justice, du Parquet ou des services de Police …

Sceneario.com: Premier succès avec « L’ORDRE DE CICERON », comment l’expliques-tu ?
Richard Malka: Je crois que le public est très curieux de la matière judiciaire et à ma connaissance, c’est la première fois qu’une bande dessinée traitait ce sujet.

Et puis les dessins de Paul sont magnifiques … Je crois que tout le monde s’est beaucoup impliqué dans cet album pour en faire non seulement un bel objet mais également pour tenter, avec humilité, de faire découvrir au public des évènements peu connus tant de notre histoire que relatifs aux professions judiciaires. Pour le reste, je n’ai pas d’explication car si j’en avais une je connaîtrai la recette miracle du succès.
Quoiqu’il en soit, j’ai été formidablement touché par le fait qu’autant de lecteurs ait apprécié ce travail.

Sceneario.com: Comment présente t-on un projet à un éditeur ?
Richard Malka: Le plus dur comme je l’ai déjà indiqué, c’est de présenter son premier projet. Après on est dans le circuit, on rencontre des dessinateurs, cela devient beaucoup plus facile, surtout après un premier album qui a très bien fonctionné.

Sceneario.com: Es-tu arrivé chez GLENAT par hasard ?
Richard Malka: En l’occurrence le hasard avait donc un nom : Eric HERENGUEL. Je dois également dire que c’est un véritable bonheur de travailler avec l’ensemble du personnel de GLENAT et ce n’est pas de la langue de bois. Je me suis aperçu avec le temps à quel point la réalisation d’une bande dessinée nécessitait l’implication de très nombreuses personnes, de la fabrication à l’administratif en passant par les services commerciaux et les attachés de presse. Chacune est absolument essentielle et j’ai pu à chaque étape compter sur la conscience professionnelle des équipes de GLENAT puis de VENTS D’OUEST pour « SECTION FINANCIERE ».

Sceneario.com: « SECTION FINANCIERE » est ton deuxième album, quelle est son histoire ?
Richard Malka: Il s’agit donc d’une BD d’aventures, un thriller juridico-policier dont le héros est le chef de la Section Financière du Parquet de Paris qui, aidé des services du Pôle Financier du Tribunal et de la Brigade Financière tente de remonter la piste des milliards détournés du FMI. Sur fond d’enquête sur un délit financier de très grande envergure ayant défrayé la chronique internationale, j’ai voulu illustrer, en prenant certes quelques libertés, le travail de la justice financière. J’ai surtout tenté de créer une atmosphère de suspense intense mais ça, se sera au public de décider si j’y suis parvenu … Et puis, un des fils conducteurs de cette série, dont le deuxième album sera consacré à un délit d’initié, est constitué par une organisation, l’Opus Scientilique, plutôt troublante et qui sera de plus en plus présente au fur et à mesure de l’avancement de la série. La problématique de l’opus m’intéresse au plus haut point et j’ai absolument cherché à sortir du schéma « organisation malfaisante qui nous cache tout … ». Comme on peut déjà s’en apercevoir à la dernière page de cet ouvrage, les choses sont ainsi beaucoup plus complexes qu’il n’y paraît …

Sceneario.com: Connaissais-tu Andréa MUTTI ?
Richard Malka: Je dois avouer que non, mais il m’a fallu à peu près 30 secondes lorsque j’ai découvert son travail pour décider que cet album se ferait avec lui. D’autant plus que le personnage est formidablement attachant, talentueux, humble … et rapide ! Il a un seul défaut : il ne parle pas français et comme je ne parle pas italien, nous avons tous les deux du approfondir notre anglais. Cela est un bonheur de travailler avec lui et j’ai hâte de recommencer pour le Tome 2.

Je lui en veut juste terriblement d’avoir oublié de dessiner une case de mon découpage : précisément celle où Jonquille devait apparaître en petite tenue en train de lire un fax ! Mais il m’a promis qu’il se rachèterait pour le Tome 2 !

Sceneario.com: Le résultat te convient-il ?
Richard Malka: Je trouve que le trait d’Andréa s’est totalement et parfaitement adapté aux propos de mon scénario. Son dessin est d’une grande efficacité, d’une grande précision, j’ai immédiatement adopté son adaptation de mes personnages et j’adore tout particulièrement sa représentation des différents monuments qui jalonnent cette BD (Hermitage, Pôle Financier, Place Vendôme …). Pour le reste, votre question est douloureuse car par tempérament une fois la BD éditée, je ne vois que ses défauts, de la faute d’orthographe qu’on a laissé passer malgré 250 relectures aux imperfections d’impression même lorsqu’elles sont minimes. La réalisation d’une BD demande un tel travail et correspond à tant d’implication que sa publication représente toujours un grand moment d’angoisse. Je ne serais rassuré que si cette BD « rencontre son public » selon l’expression consacrée …

Sceneario.com: Un tel scénario reflète t-il la réalité de notre monde ?
Richard Malka: Aussi bien dans « CICERON » que dans « SECTION FINANCIERE », je tente de travailler l’idée selon laquelle rien n’est blanc ou noir. Les êtres humains sont imparfaits, les situations contrastées, les salauds parfois généreux et les héros éventuellement cruels.

J’ai toujours éprouvé une très grande méfiance à l’encontre des apôtres de la pureté y compris lorsqu’ils se présentent comme des chevaliers blancs au service de la justice et y compris lorsqu’ils avancent sous la bannière de sentiments sensés être généreux.
Ce sont pour moi les plus dangereux car les autres sont bien visibles.
Je crois à la complexité du monde, à la réflexion, à la raison et à la nécessité du compromis.
En cela, ces idées, présentent dans mes BD, reflètent peut être la réalité du monde.

Sceneario.com: Risque-tu quelque chose à écrire de telles histoires ?
Richard Malka: Ma profession d’origine a extrêmement bien accueilli mon cumul d’activité et pour le reste, je ne crois risquer que quelques crises de nerf et ulcères à l’estomac …

Sceneario.com: Travailles-tu déjà sur une suite ?
Richard Malka: Lorsque j’ai fini le Tome 1, je ne savais absolument pas où j’allais.
Je l’ai voulu ainsi, c’est un peu un défi que je me suis lancé à moi-même alors que pour « CICERON » je connais assez précisément toute la trame de l’histoire.
C’est donc avec un peu d’anxiété que je me suis remis au numéro 2 mais je crois être parvenu à une suite très cohérente.
J’ai finalisé l’écriture des 25 premières planches du Tome 2 et Andréa devrait prochainement s’y remettre.
Nous prévoyons la publication de nos albums à intervalle régulier d’un an.

Sceneario.com: Lis-tu de la BD, quels sont tes albums préférés ?
Richard Malka: Je suis rentré dans la BD très classiquement par VALERIAN, L’INCAL, LA QUETE DE L’OISEAU DU TEMPS.

Depuis, j’en lis effectivement énormément dans tous les domaines excepté l’humour, ce genre ne m’ayant jamais attiré.

En ce moment j’adore SPAGHETTI BROTHERS. J’aime beaucoup aussi les séries ALDEBARAN / BELTEGUEUZE.
Mon dernier choc remonte quand même à quelques années avec AKIRA.

Sceneario.com: Connaissais-tu Sceneario.com ?
Richard Malka: Evidemment !

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