Interview

Maël écoute les Revenants

Couverture

Sceneario.com : Bonjour Mael,
En septembre va sortir chez Futuropolis un album intitulé Les Revenants qui aborde le retour au pays des ex soldats de la guerre d’Irak. C’est un album qui est réalisé avec une très grande sensibilité et qui fait l’amer constat que la ré acclimatation de ces hommes et femmes est très difficile.

Cet album est scénarisé par Olivier Morel, comment l’as-tu connu ?

Maël : Olivier m’a contacté par l’intermédiaire de Mathieu Augustin, le monteur de son film "L’âme en sang", qui fait de la musique avec le batteur de mon groupe HitchcockGoHome. Olivier et Mathieu ont réalisé, en discutant avec le producteur Paul Rozenberg, que tout un matériau issu des repérages et du tournage était intéressant mais ne pouvait trouver sa place dans le montage d’un film documentaire. Ils ont donc pensé à un récit en bande dessinée, et Mathieu connaissait mon travail. Le premier coup de fil avec Olivier remonte à juillet 2011.

Sceneario.com : Tu as participé à l’écriture du scénario, qu’est-ce que cela t’a apporté?

Maël : Beaucoup de plaisir, de jubilation, et un peu d’anxiété, surtout avec un sujet comme celui-là. Après avoir lu les notes d’Olivier, j’ai proposé à ce dernier une projection du récit, un séquencier qu’il a considérablement enrichi avec des descriptions, des dialogues, des photos… et par la suite nos échanges venaient compléter la matière de chaque scène, Olivier proposant une version plus détaillée, et j’ai essayé d’utiliser les procédés narratifs de la bande dessinée pour faire passer des choses avec le plus de subtilité possible. On parle quand même de personnes réelles, qui vivent encore tout ça aujourd’hui… Au-delà de ça, c’était l’occasion pour moi d’être un temps dans la peau de l’auteur "complet", d’éprouver mon goût pour l’écriture et la narration, même si cette expérience de co-écriture était tout à fait particulière.

Sceneario.com : Est-ce que tu peux nous dire un mot du choix du titre qui est véritablement chargé de sens?

Maël : "Revenants" signifie, pour moi, "celles et ceux qui aspirent à revenir" : revenir chez eux, revenir à la vie, revenir à la femme ou à l’homme qu’ils étaient, qu’ils aspiraient à devenir. Or ces personnes, nos "personnages", ne reviennent pas de ce qu’ils ont vu, connu, accompli. L’expérience de cette guerre les traumatise au point de maintenir beaucoup d’entre eux dans une zone de non-vie, de vie impossible. Ils sont se débattent avec l’impossibilité du retour. Un peu comme des fantômes, des revenants.

Sceneario.com : Avais tu regardé le film l’âme en sang avant de coécrire et de dessiner l’album ?

Planche

Maël : Oui, c’était indispensable. D’abord pour vérifier qu’il y avait bien la possibilité d’un livre à côté du film, qui ne serait pas le livre du film, pas un simple dérivé. Ensuite, et surtout, pour saisir la force du sujet, et à travers le résultat (ce film) mieux imaginer le processus (les repérages, le tournage). Je l’ai revu plus tard à New York, projeté dans un cinéma universitaire en présence de Ryan (un des personnages) et Oliver, et cette fois-ci je me suis laissé emporter par l’émotion et la justesse du film, sans rien analyser. C’était un moment très fort.

Sceneario.com : Quel regard porte tu sur ces hommes et ces femmes, est-ce qu’en les mettant en scène on ressent, on partage une certaine empathie ?

Maël : Même s’il est difficile de l’éviter par moments, je me méfie de l’empathie. Un peu comme Olivier, lorsqu’il a commencé à les approcher : on cherche la bonne distance, mais sans couper avec l’émotion, la compréhension… Le but de ce récit n’est pas de les plaindre – mais leur histoire me touche, comme elle a touché Olivier, et nous voulions donner à ressentir l’humanité qui s’exprime à travers ces trajectoires terribles.

Sceneario.com : Quel sentiment as-tu face à la manière dont les Etats Unis gère ses vétérans, de la tristesse, de la colère, le sentiment d’un énorme gâchis?

Maël : Ce serait un peu facile pour moi, français et non américain, de porter un jugement là-dessus (d’autant que je ne suis pas sûr que la situation des vétérans soit très enviable en France) ; je suis plutôt frappé d’incompréhension, je trouve que c’est assez inquiétant, et symptomatique d’une société qui accepte et encourage la guerre (ou du moins sa mise en scène) mais refuse d’en voir le vrai visage lorsqu’elle revient en boomerang. Et, oui, toutes ces existences brisées et abandonnées à la détresse, ça laisse un sentiment d’horrible gâchis. D’autant que ces hommes et femmes sont souvent très jeunes. Mais, heureusement, le parcours de certains d’entre eux laisse entrevoir une lueur au bout du tunnel.

Planche

Sceneario.com : On parle de l’administration, mais est-ce que plus généralement ce n’est pas la société civile dans son ensemble qui déraille?

Maël : D’une manière générale, je suis frappé de constater à quel point les pays en guerre, qu’on la juge justifiée ou non, refoulent presque systématiquement les blessures invisibles et leurs manifestations (ou passent par des évocations tronquées, héros, martyrs etc). C’est pourquoi ce sujet m’a intéressé, il ne s’agit pas simplement d’évoquer un problème ou de montrer les défaillances d’un système, mais de montrer l’humanité broyée, abîmée irrémédiablement, qui se débat pourtant pour rester debout dans cette société qui met la tête dans le sable.

Sceneario.com : Avec cet album, nous sommes dans le reportage et non plus dans la fiction, est ce plus difficile de mettre en scène des personnages réels?

Maël : Avec Revenants, j’avais envie de poursuivre sous forme documentaire l’exploration de thèmes abordés en fiction dans Notre Mère la Guerre. La dimension "réelle" de ce travail oblige à plus de retenue, il faut éviter le pathos mais conserver l’émotion, sans tricher avec le réel. Je ne parlerais pas de reportage, car ni Olivier Morel ni moi ne sommes reporters : nous présentons les choses à travers le prisme de notre sensibilité, nous ajoutons de la mise en scène, de la dramaturgie aux seuls faits et témoignages. Et, du point de vue de l’écriture, nous avons essayé d’éviter toute linéarité objective, le récit est construit comme une fiction, avec un fil rouge, des trajectoires, une tension dramatique sous-jacente…

Sceneario.com : Est-ce que tu as d’autres projets militants ou repars tu sur du fictionnel?

Maël : Aucun projet "militant" (j’insiste : Revenants n’est pas un récit "engagé" au sens politique du terme, même si j’espère qu’il engage chacun à réfléchir, ressentir…) – mais je reviendrai à la dimension "réelle" et documentaire (par opposition à fiction), sans doute avec Olivier Morel à nouveau, peut-être dans les formats courts de la Revue Dessinée. Et avec Kris, nous commençons l’écriture d’une fiction très documentée sur une partie de l’histoire américaine, qui tentera précisément d’accorder dans un même récit réel et fiction. Comme quoi tout ça est très imbriqué parfois…

Sceneario.com : Merci beaucoup de nous avoir consacré de ton temps.

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