Interview

Loïc Dauvillier, un auteur résolument militant

petite souris Couv

Sceneario.com : Bonjour Loïc.

Loic Dauvillier : Salut

Sceneario.com: Petite souris grosse bêtise vient de sortir aux éditions de la Gouttière. Comment est née Suzy ?

Loic Dauvillier : Suzy est la continuité de mon travail en direction de la jeunesse. Comme pour mes récits adultes, pour écrire, j’observe ce qui se passe autour de moi. L’histoire, Petite souris, grosse bêtise, doit beaucoup à ma fille. Je la regardais un peu vivre sa vie, avec ses difficultés et ses bonheurs d’enfant. Le récit est venu de là.

Sceneario.com : Suzy est une petite fille espiègle, charmante et pleine de vie, mais est-ce vraiment une petite fille de son époque ?

Loic Dauvillier : Je pense que oui… simplement parce que c’est ma fille et j’espère qu’elle est dans son époque. Plus sérieusement, si tu entends par "de son époque", une enfant qui utilise l’ordinateur, qui joue à la DS et tout ce genre de choses, évidement non. Dans notre récit, on ne voit pas Suzy utiliser des jouets électroniques. J’ose croire qu’il y a encore des enfants qui jouent à la DS et prennent également du plaisir à peindre ou à jouer dans la paille.

Planche Petite souris grosse bêtise

Sceneario.com : Elle a beaucoup de chances Suzy, elle a à la fois sa vie à la campagne et sa vie en ville. Elle partage les deux. Tous les enfants n’ont pas cette chance là.

Loic Dauvillier : Oui, c’est vrai mais ça c’est un choix de vie… Un choix que font les parents à un moment donné. Bien sur le travail impose l’endroit où l’on vit, c’est une évidence, mais, parfois, on peut faire des concessions… Il existe aussi une vie de ville à la campagne. Je te jure !
J’habite Libourne, c’est une ville de campagne avec deux collèges, un lycée, un Mégarama, on a même une gare TGV. C’est très proche de ce que vit Suzy. On marche un petit peu, on fait 1 kilomètre et on se retrouve dans les vignes.

Sceneario.com : Loic tu es un scénariste aux multiples facettes, tu as déjà sévi dans l’édition scolaire avec des lectures pour les maternelles, dans la bande dessinée plus engagée comme Inés, dans l’intimisme avec Nous n’irons plus ensemble au canal Saint Martin, ou dans la bande dessinée d’aventure en adaptant des romans de Jules Verne ou de Dickens comme Oliver Twist.
Pourquoi des choix aussi éclectiques et pourquoi revenir aujourd’hui à un ouvrage qui se prête aussi bien à une étude en classe ?

Loic Dauvillier : En fait j’ai commencé par des albums jeunesse avec La petite famille, ensuite j’ai fait beaucoup de bande dessinée adulte et beaucoup de récits engagés, mais en fait, je n’ai jamais quitté l’écriture jeunesse. J’aime ça.
La plus grosse difficulté, c’est de trouver un éditeur. Il est beaucoup plus facile de trouver un éditeur pour faire de l’adulte que pour faire de la jeunesse. C’est comme ça.
Avec Marc Lizano et Greg Salsedo, nous venons de signer avec les éditions lombard, un projet jeunesse. Avec Marc, nous parlons de ce projet depuis 2005. Il faut du temps mais les choses finissent par se faire.
Si tu regardes les catalogues des éditeurs bd, tu constateras qu’il n’y a pas réellement de collection jeunesse. Delcourt avait fait un beau travail mais la collection n’existe quasiment plus. Dupuis a engagé un travail sur les collections Puceron, Punaise. Si Puceron va continuer, il n’en est rien de la collection Punaise. Dommage ! Il y a l’initiative de Milan… et puis quoi ??? Peut-on encore parler d’éditions jeunesse chez la plupart des éditeurs, mis à part Tchô. Je regrette de dresser un tableau aussi sombre mais les faits sont là.
Quand on fait de la jeunesse, on sait que ce sont des projets qui vont être longs à mettre en place. Quand en plus on aborde des sujets comme le deuil d’un grand père, l’amitié et le mensonge, dans un prochain projet la deuxième guerre mondiale, forcément ce n’est pas facile. Ce n’est pas très vendeur pour un éditeur. Il faut qu’il ait un point de vue militant et qu’il ait envie d’aller dans cette direction.
J’aimerais écrire plus pour la jeunesse mais je me rends compte de la difficulté.
Pour en revenir au projet Petite souris Grosse bêtise, c’est un récit que j’ai écrit en 2005-2006. Il a fallu du temps pour trouver le dessinateur avec qui j’avais envie de partager cette aventure. Lorsque Kokor a accepté le projet, j’ai été enchanté. Alain est un immense dessinateur mais également un grand narrateur. C’est fabuleux de pouvoir travailler avec un auteur de ce niveau…. D’ailleurs cela se voit dans l’album, on voit réellement ce qu’il a apporté.

Planche Petite souris grosse bêtise

Sceneario.com : Et ta casquette d’éditeur ?

Loic Dauvillier : Elle est toujours là, je la différencie de ma casquette d’auteur. Je ne me considère pas comme un éditeur traditionnel, mais comme un accompagnateur de livres. Charrette est née de rencontres, elle continue avec des rencontres, c’est une association loi 1901 qui fonctionne avec des bénévoles sauf les auteurs qui sont rémunérés comme il se doit.C’est un engagement militant par rapport à ce que l’on a envie de trouver en librairie et qu’on ne trouve pas.

Sceneario.com : Justement, l’engagement, l’envie de travailler avec des associations, c’est un peu ce qui s’est passé avec On a marché sur la bulle ?

Loic Dauvillier : J’étais présent au premier festival organisé par On a marché sur la bulle. Je n’y étais pas en qualité d’auteur mais en qualité de bénévole. On leur avait proposé une exposition Pascal Rabaté. J’ai la sensation d’avoir eu un chemin parallèle avec cette association. Il s’avère que régulièrement, nos chemins se croisent et se sont croisés.
Avec Kokor, nous nous voyons régulièrement à Amiens au mois de juin. Je ne dirais pas que c’est Le rendez vous de l’année, mais pas loin. C’est sur ce salon que Kokor et moi-même avons partagé nos envies de travailler ensemble. Lorsque nous avons eu écho de la création d’un pôle édition au sein de l’association On a marché sur la bulle, nous nous sommes dit « allons leur proposer ». C’est là que nous avions envie d’être.

Entrée de l'exposition Détail de l'entrée de l'exposition Du fromage ?

Sceneario.com : Comment une association se décide t’elle à publier ?

Loic Dauvillier : C’est à eux qu’il faut poser la question, mais je pense que c’est une continuité de leur travail.
Tu sais, ils accompagnent les auteurs depuis très longtemps, à tous niveaux. D’ailleurs, ils font beaucoup plus que les accompagner, ils les soutiennent. Lors de nos premières discussions, ils ont clairement expliqué qu’il ne voulait pas être une structure éditoriale comme les autres. L’édition n’est qu’un prolongement de leur engagement militant.
Il le prouve avec le travail sur Petite souris Grosse bêtise. On a le livre qui sort et au même moment on a aussi la mise à disposition des fiches pédagogiques pour les instits (disponible gratuitement sur le site des éditions de la gouttière). Ca, c’est un truc qui me parait complètement génial. Je n’ai jamais vu un éditeur aller aussi loin dans la réflexion et la mise en application.
Les jeunes sont les lecteurs de demain. Pourtant, nous ne faisons rien pour leur faciliter l’accès aux livres et à la lecture. Si tu regardes ce qui se passe en bibliothèque, le taux d’adhésion est en diminution, le taux de fréquentation est en diminution et le taux de rotation des livres est en diminution…. etc.. On en peut pas dire que le tableau soit brillant. Je ne suis pas en train de dire que les jeunes lisent moins qu’avant… Bien au contraire, je pense qu’avec internet, les enfants lisent plus. Je veux simplement dire que l’objet livre n’est plus une chose évidente. Hors, on ne peut pas modifier un livre imprimé… on ne peut pas dire la même chose d’internet. En qualité d’auteur ou d’association, je pense que nous avons un rôle à jouer pour permettre le lien entre les jeunes et le livre.

Sceneario.com : A Saint Malo, le vendredi est la journée des scolaires. Sur les expositions, beaucoup de classes, au moins jusqu’au collège, avaient préparé leur visite, tout un travail avait été fait par les enseignants et les jeunes étaient enthousiastes. Les ados étaient peut-être un peu plus blasés.

Loic Dauvillier : Oui, je suis d’accord avec toi pour les ados. Je les ai vus arriver à l’expo en soupirant et en disant : « Non c’est un truc pour les petits, on a rien à faire à l’intérieur ». Et puis en fait, on a eu la surprise, à midi on les a vus redébouler, ils sont revenus faire les jeux interactifs, jouer avec la table lumineuse.
Loic Dauvillier Le problème des expositions est simple. Elles sont souvent réservées à des gens qui ont, soit l’envie de découvrir, soit une grosse culture bande dessinée. On se ballade au milieu des planches mais ça ne va pas plus loin.
Or, je pense que quand on s’adresse à des enfants ou à des ados, il faut une part interactive pour pouvoir les capter. N’oublions pas que nous sommes dans une société où l’on clique.
L’expo Petite souris, grosse bêtise porte bien son nom : « l’expo dont vous êtes le héros ». C’est bête mais à partir du moment où l’on demande à un jeune d’être acteur, il n’a pas beaucoup de choix. Il joue le jeu et il t’éclate ou il passe son chemin.
Le rôle du scénographe ne se limite plus à une sélection d’oeuvre ou une mise en ambiance mais à une réflexion sur cette fameuse interactivité. Si il se plante dans les activités qu’il propose, c’est une catastrophe mais s’il réussi… c’est magique !
Dans ce sens, je pense que l’expo est géniale. Les scénographes ont fait un travail fabuleux.

Sceneario.com : Comment s’est articulée la partie pédagogique avec l’album ?

panneau interractif

Loic Dauvillier : J’ai écrit un scénario que j’ai proposé à Alain. Il l’a accepté, et on a commencé à travailler. Quand nous sommes arrivés à l’association On a marché sur la bulle et aux éditions La Gouttière, il y a eu discussion forcément. On ne s’engage pas dans une structure associative par hasard. D’un coté la bande dessinée nous fait vivre, mais il y a aussi l’engagement militant que l’on a envie d’avoir. On a discuté, leurs attentes, les nôtres et on a regardé quels outils on pouvait mettre en place. Ils ont fait une partie du travail, nous on a fait une autre partie en supplément de la réalisation de l’album. Par exemple, Alain a fait des dessins, des illustrations spécialement pour l’expo, pour justement en permettre l’exploitation, et puis après il y a une équipe d’instituteurs et institutrices qui ont découvert l’album en avant première. La structure La Gouttière a expliqué la démarche principale, et à partir de ce moment là, eux ont eu une position militante. Ils ont dit : « on va y aller, on aime cet album, on comprend la direction et justement nous aussi sommes confrontés à ce manque d’infos sur la bande dessinée à l’école. » Le CRDP fait des choses très bien, mais il ne peut pas faire des fiches pour tous les bouquins. Il peut dégager des lignes directrices, mais est-ce que nous avec une petite structure comme La Gouttière, avec une équipe d’instits qui a envie de faire et de faire partager, on peut les aider à faire quelque chose.
Il faut arrêter de cracher sur les instits, en disant mon Dieu mais qu’est ce que c’est que cette France qui est toujours en vacances, arrêtons là, arrêtons un peu. On est tous passés entre les mains des instits. Si on sait lire, si on sait écrire c’est grâce à eux. Bien sur, il y a eu le travail pour quelques uns d’entre nous de nos parents qui nous ont permis d’avancer un petit peu plus vite. Mais nos parents ne sont pas censés avoir de la pédagogie. Ils sont censés apporter leur rôle d’éducation, d’amour etc …. .
Le rôle de l’instit est là et nous avons avec nous une équipe qui s’est investie bénévolement pour proposer un outil et essayer de réfléchir sur la manière d’exploiter l’album. Voilà c’est la démonstration qu’une conscience il y en a une, à tous les niveaux. Il y en a une, je pense et je me lance des fleurs, au niveau des auteurs, il y en a au niveau des éditeurs et il y en a une au niveau des équipes qui sont venues rejoindre les auteurs et les éditeurs, et cela donne un résultat merveilleux.
Les fiches pédagogiques, quand je les ai vues, je suis tombé sur le cul.
Maintenant les instits travaillent sur des fiches pour les maternelles en partant de la question : qu’est-ce que l’on peut faire avec ce livre au niveau des plus petits qui ont en temps de concentration plus court, voir par rapport aux programmes etc. Ils sont en train de faire un espèce de panel complet. Comment peut-on travailler sur un seul livre de la maternelle au collège ?

A vous de jouer

Sceneario.com : Comment va se faire la pub au niveau des écoles ?

Loic Dauvilliers : La pub va se faire de bouche à oreille. Dans l’expo, on a vu durant la journée scolaire beaucoup d’instits. Je leur ai présenté les fiches, on parle, on échange, on s’enrichi.
Moi le truc qui m’a fait plaisir c’est de voir certains instits qui me disaient-ils sont bien les enfants, ils sont ravis et ils bossent. Le bouche à oreille va fonctionner, les instits sont des gens qui échangent, qui parlent de l’évolution de leur métier qui essayent toujours d’inventer pour les enfants sans se borner toujours à une directive de l’éducation nationale. C’est un métier, c’est tout.
Nous on va le faire savoir par différents médias, Internet, par l’expo qui va tourner, peut-être avec des journées pédagogiques, voilà, on est force de proposition.

Sceneario.com : Loic, merci beaucoup.

Loic Dauvillier : c’est moi.

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