Interview

Les Pieds Nickelés vus par UNTER aux éditions Onapratut

Les nouveaux Pieds Nickelés couv

Bonjour Unter

Sceneario.com : En guise de préambule, pourriez-vous en quelques lignes nous dresser votre profil ? Comment êtes-vous entré dans le monde du 9e art ?

Unter : Eeeh bien, comme beaucoup répondent souvent, c’est quelque chose qui vient très jeune : on commence à s’exprimer par l’image, puis, quand vient l’âge d’écrire, quelques personnes lâchent le dessin, d’autres continuent d’y trouver un intérêt ; on découvre ensuite la bande dessinée — où image & textes font sens ensemble —, c’est magique, on veut faire ça plus tard alors on se retrouve dans une filière scolaire, hmm, artistique & c’est ainsi que tout commence. En ce qui me concerne, j’ai un peu lâché la bédé à une époque où je voulais plutôt me consacrer à mes études (graphisme & compagnie) & puis après six ans d’arts appliqués, avec la création de l’association Onapratut, je m’y suis enfin replongé.

Sceneario.com : Le joyeux trio des Pieds Nickelés cher à Louis Forton reprend donc le chemin des étalages grâce à ce volumineux album paru aux éditions Onapratut auquel de nombreux auteurs, dont vous-même, ont participé. La première question qui vient à l’esprit est pourquoi cette volonté ? Comment a-t-elle émergé ? Comment avez-vous été associé à cet hommage ?

Unter : Le gang Onapratut était sur le qui-vive en ce qui concerne les droits des Pieds Nickelés. Clément notamment savait que Forton était décédé depuis bientôt soixante-dix ans, donc que ses personnages devraient se retrouver dans le domaine public & que, peut-être, c’est une idée comme ça hein, mais bon, Onapratut pourrait éventuellement se lancer dans l’entreprise d’un bel album hommage, ha ha, qu’est-ce que vous dites de ça les copains.

Courant 2008-2009, l’asso s’était mise à produire de plus en plus de livres autres que nos collectifs annuels traditionnels & j’avoue que quand Clément a proposé les Pieds Nickelés pour un prochain opus, j’ai trouvé l’idée alléchante & cocasse, certes, mais en la rangeant assez vite sur mon étagère mentale libellée “projets sympa à ressortir dès qu’on aura le temps/les moyens/l’énergie”.

& puis l’équipe s’est mise à déblatérer de plus en plus autour de ce concept, cherchant dans les méandres de la juridiction ce qui était faisable puisque, si Forton était bien mort depuis plus de soixante-dix ans, les trois lascars, eux, avaient été repris jusque très tard, notamment par Pellos.

Quand je me suis un peu plus réveillé & que j’ai finalement sorti ce bazar de l’étagère mentale sus-citée, je me suis rendu compte que l’entreprise “nouveaux Pieds Nickelés” était déjà bien en route, que l’association était prête & qu’il allait falloir commencer mes pages & penser à la direction artistique du livre.

Cette petite chronologie laisse comprendre comment j’ai été intégré au projet : j’étais parmi les membres fondateurs d’Onapratut, voilà tout !

Sceneario.com : Comment vous êtes-vous imprégné de ces personnages et de leur façon de croquer la vie à pleines dents et de “saigner” à blanc les gogos? Connaissiez-vous auparavant ces personnages ? Aviez-vous déjà lu leurs aventures ?

Unter :Les Pieds Nickelés font partie de l’imaginaire collectif & de la culture globale francophone alors bien sûr que je connaissais, sans en avoir lu des caisses non plus. & ce que j’ai le plus consommé vient de Pellos, bien sûr.

Les nouveaux Pieds Nickelés extrait 1

Pendant la conception du projet, j’ai lu des recueils Vents d’Ouest des pages de Pellos, tout en croquant des images inspirées de Forton, puisque ce sont celles-ci qui nous intéressaient. Il a fallu respecter l’œuvre (hors de question de virer à la parodie dès lors que nous sommes dans l’hommage, le renouvellement) tout en se l’appropriant (inutile de recopier ligne par ligne les personnages de Forton). J’ai donc pris le temps de redessiner Croquignol, Ribouldingue & Filochard de tête, en laissant glisser le trait & en pensant au dynamisme qui sera par la suite nécessaire dans la confection de l’histoire.

Pellos y arrivait très bien & avec des dessins lâchés il a su parfaitement suggérer cette atmosphère vibrionnante propre à la densité narrative de ses Pieds Nickelés. Alors oui, “vibrionnante” ça n’existe pas encore, mais ce sera probablement ajouté dans le Larousse dès que sortira l’histoire “Les Pieds Nickelés impriment un dictionnaire”. Hum, bon.

Sceneario.com : Quelles ont été les difficultés majeures, si tant est qu’il y en ait eu, pour vous engager dans cette relance aventureuse des trois compères au demeurant très exubérants ?

Unter : Pas de difficulté particulière, si ce n’est la balance à maintenir entre les personnages de Forton, une certaine nervosité  moderne &, surtout, la contextualisation des aventures : la ligne directrice d’Onapratut ordonnait clairement de faire situer les histoires au vingt-&-unième siècle, dans lesquelles nos héros se trouveraient en prise avec des sujets d’actualité assez fédérateurs pour durer un moment quand même. Il a fallu rafraîchir leur argot suranné sans non plus en faire des charretiers bien vulgaires.

Ah, merde, “contextualisation” aussi, c’est un néologisme, je crois.

Sceneario.com : N’avez-vous pas craint que ces personnages, vieux d’une centaine d’années, ne soient plus en phase avec notre siècle ?

Unter : Effectivement, il n’était pas question de se borner à reprendre le physique des trois mecs, de les placer dans une histoire d’arnaque & basta, voici les nouveaux Pieds Nickelés. Non. On a dû prendre en compte l’historique des personnages, leur passif (de façon empirique bien sûr, nul besoin d’avoir lu tout ce qui a été fait depuis 1908), leur modus operandi, saisir la trame basique d’une “bonne” aventure de Pieds Nickelés, etc.

Il a donc bien fallu replacer des héros de cent ans dans notre époque &, chose épatante, il n’y a eu aucune difficulté de ce côté, dans la mesure où, dans l’imaginaire collectif, la plupart des lecteurs se souviennent de Pieds Nickelés modernes, à chaque fois en phase avec leur temps, parfois dérangeants & insoumis… Ce genre de personnages réactionnaires, un peu marginaux, qui se jouent des obligations sociales, existent à toutes les époques, il suffit d’adapter un peu les moyens qu’ils se donnent pour arriver à leurs fins. Ou pour faire planter leurs beaux plans bien huilés…

Les nouveaux Pieds Nickelés extrait 2

Sceneario.com : On perçoit dans votre album comme une détermination à perpétuer l’implication de la triplette dans des thèmes d’actualité (la vente bio, le commerce équitable, le développement durable…). Le vivier est-il toujours intéressant pour eux ? Qui est à l’origine du choix de la thématique ?

Unter : Comme je disais plus tôt, Onapratut a eu la volonté de faire ce recueil d’une façon rigoureuse : pas question de partir dans tous les sens en risquant de perdre l’identité “Pieds Nickelés” en route. Il a donc fallu donner une ligne directrice & cette implication dans un thème d’actualité en faisait partie. J’ai tout de suite réservé le thème “bio & bobos” car, tout en me retrouvant un peu dans les victimes des Pieds Nickelés, lorsque je prends du recul je m’aperçois que parfois, en voulant faire bien, faire propre, durable, décroissant, on se plonge peu à peu dans une sorte de mode, on acquiert des réflexes hype qui virent au ridicule & amènent à un nouveau consumérisme qui, finalement, nous éloignent des velléités décroissantes originelles.

J’ai cherché à me moquer, gentiment quand même, de cette couche sociale à la conscience à fleur de peau, mais en possession d’un certain pouvoir d’achat leur permettant de faire la morale à ceux qui “consomment mal”.

Sceneario.com : La partie “dialogues” est importante au regard des répliques croustillantes et argotiques des personnages. Un coup de jeune, à ce niveau, était bien nécessaire ?

Unter : Ah oui, oui, c’est ce que je disais quand je parlais de leur langage un peu suranné… Le plus important pour moi (mais aussi pour d’autres, comme on le sent dans les textes signés Baril & Radi) c’était de garder le réflexe “jeux de mots un peu pourris” ; j’invite d’ailleurs les lecteurs à lire & relire nos pages, c’est parfois un peu tiré par les cheveux mais c’est ça qui nous a bien amusés au moment de l’écriture, oh là là, j’en souris encore rien qu’à cette évocation.

Bien sûr, le principe du jeu de mots, en soi, ne rajeunit en rien les textes mais tant que ça ne les ralentit pas non plus, c’est pas grave. & puis, ça ravira sûrement les aficionados de François Pérusse.

Les nouveaux Pieds Nickelés extrait 3

Sceneario.com : Par contre, avez-vous souhaité apporter votre touche personnelle sur certains points afin de démarquer éventuellement ces aventures des productions d’antan ?

Unter : Certainement ! Bon, par exemple, quand on pense “Pieds Nickelés”, personne ne peut vraiment les définir autre que physiquement. Au pire, on pourra aussi dire que Croquignol, c’est celui qui a la plupart du temps les idées d’arnaques… Alors , discrètement (parce que sur vingt pages ça reste serré pour développer), j’ai essayé d’offrir à chaque protagoniste une personnalité propre, un petit quelque chose qui marque leurs identités. Si ça n’est pas clairement visible dans mon histoire, ça a en tout cas sous-tendu mon approche lors de la confection du scénario & m’a permis de décider qui dit quoi à quel moment par exemple, ou s’il se passe telle chose, comment va réagir celui-ci, comment réagira celui-là, etc.

En bref, je me suis éloigné de l’entité Pieds Nickelés pour en faire trois personnes marquées mais solidaires, bien qu’elles puissent être en désaccord, s’engueuler, ronchonner contre les idées d’un autre, critiquer son mode de vie…

Sceneario.com : L’humour est la qualité première de cet ouvrage. Mais n’y aurait-il pas aussi un fond de morale quelque part, genre : bien mal acquis ne profite jamais ?

Unter : Hu hu hu, alors, euh, bon, je dois avouer que dans la globalité de l’ouvrage, je ne sais pas, mais dans mon histoire, l’approche c’était plutôt que lorsqu’ils perdent tout, finalement, les Pieds Nickelés sont plus heureux que lorsqu’ils travaillent… Même si au début de l’histoire (& à plusieurs reprises dans les pages suivantes) ils sont en vacances & sont bien contents de se relancer dans leurs embrouilles habituelles ; si le fait de passer de l’oisiveté à l’élaboration d’un plan machiavélique les rend fébriles, finalement c’est quand ils ne font rien, même fauchés, qu’ils en profitent.

Pour mes Pieds Nickelés, les arnaques c’est une sorte de temps de vacances avec activités cérébrales & physiques entre deux moments de rien-foutage, voilà.

Sceneario.com : Si vous aviez à choisir entre les trois personnages, lequel se rapprocherait le plus de votre personnalité ? Pourquoi ?

Unter : Comme la composition d’origine de l’association Onapratut est de trois personnes, dès le début on a fait le rapprochement entre les personnages de Forton & nous. Physiquement, j’aurais plus le profil de Croquignol. Mais comme c’est loin d’être mon préféré (à cause notamment du fait que pour le lectorat, c’est celui qui a les idées, qui a déjà une sorte d’aura de leader, pouah !), j’ai un peu plus soigné les deux autres en leur refilant certains de mes traits de caractère. Ribouldingue donne volontiers dans le gros rouge, par exemple ; & Filochard est celui qui essaye, malgré les excès, de garder un peu la forme, de ne pas se lever trop tard malgré leur train de vie très libertaire…

Sceneario.com : Au niveau graphique, bien que cette histoire et les suivantes soient un hommage à Louis Forton, on a le sentiment que votre dessin s’apparente plus à celui de Pellos. Est-ce réellement ce dernier qui vous a inspiré ?

Unter : Le rapprochement volontaire vers Pellos s’est fait vraiment uniquement pour tout ce qui est de la mise en scène, la pêche des personnages ; leur mise en mouvements, je dirais. Pour le dessin même, c’est du Forton intuitif retracé avec mon trait, ma personnalité, mais je comprends que ça évoque plus du Pellos, mon trait ayant été forgé sous les influences des auteurs des années quatre-vingts, quatre-vingt-dix, donc plus “pellosiennes”.

Les nouveaux Pieds Nickelés extrait 2

Sceneario.com : Votre intervention se fait uniquement en noir et blanc. Auriez-vous aimé ajouter un peu de couleur à vos planches ?

Unter : Oh oui. Mais comme j’avais tendance ces temps-ci à faire un peu n’importe quoi en dessin & en me disant “bon, c’est pas grave, on démêlera tout ça grâce à la couleur”, ça m’a fait du bien d’aller vers une simplification (qui se perd d’ailleurs peu à peu entre la première & la dernière page), une stylisation, qui a d’ailleurs participé à gagner le dynamisme dont j’ai déjà parlé. Tant mieux, donc.

Sceneario.com : S’il était question de poursuivre les aventures des Pieds Nickelés, seriez-vous partant pour les replonger dans de nouvelles tribulations ?

Unter : On a une liste de thèmes toujours d’actualité & pas encore abordés, y a qu’à piocher & remonter une histoire & c’est parti, je suis prêt !

Sceneario.com : Après cette équipée “nickeléenne”, avez-vous d’autres projets sur le feu (en cours ou à venir) ?

Unter : Eh bien, des choses en cours d’écriture mais sans éditeur pour le moment alors je n’en parle pas plus que ça, ça porte malheur, comme on sait. Mais les choix faits dans “Les nouveaux Pieds Nickelés”, notamment en terme de décors, ne sont pas étrangers aux projets en cours, voilà voilà.

Croquignol Filochard Ribouldingue

Sceneario.com : Sceneario.com vous remercie grandement pour vos réponses et vous souhaite bonne chance pour la suite !

Unter : Merci !

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