Interview

Les confessions de DOBBS sur Ed Gein et Welcome to Paradise

Bonjour Dobbs,

Sceneario.com : 2009 semble être ton année de naissance en tant que scénariste de bande dessinée ? Comment s’est passée cette venue au monde du 9ème art ?

Dobbs : En fait, j’ai commencé à écrire des scénarii dans le domaine du jeu de rôle, il y a déjà quelques années de ça. Après 2000, j’ai également débuté en écriture BD jeunesse au Journal de Mickey pour une série de gags en planches appelée « Après la Classe », avec au dessin Philippe Fenech. C’était une belle occasion pour travailler pour une revue qui avait marqué ma jeunesse, au même titre que Strange et Pif Gadget…

Par la suite, après plusieurs envois de projets aux éditeurs, deux directeurs de collection m’ont fait confiance : Jérôme Martineau et Jean-Luc Istin.

Ed Gein

Sceneario.com : "Welcome to Paradise" chez Carabas et "Ed Gein" chez Soleil sont, semble-t-il, tes deux premiers albums grand public, complétés par une intégrale sur les tueurs en séries chez Soleil également sortie en septembre dernier. A première vue, tu es un adepte d’aventures plutôt sanglantes, non ?

Dobbs : « Sanglantes », non… Ce serait peut être réducteur, je pense (même si j’ai eu, comme beaucoup, ma période gore). En fait, ce que j’aime le plus ce sont les portraits de personnalités ambiguës, torturées et complexes dans des narrations plutôt noires, où l’ambiance est prépondérante. Pour moi, pas besoin de montrer de façon explicite si des moyens détournés, plus suggestifs, sont possibles… La BD, comme le cinéma, nous permet bon nombre d’effets de style afin d’amener le lecteur/spectateur assez loin : je n’aime pas forcément les lectures et les créations limitées au premier degré…

Welcome to paradise

Sceneario.com : "Welcome to Paradise" semble être une invitation bien singulière qui cache quelque chose de plus pernicieux. Peux-tu nous en dire quelques mots ? Ton association avec Guglie, ton insertion chez Carabas ? Sur combien de tomes, prévois-tu d’étaler cette série ?

Dobbs : Paradise est un peu à part, c’est mon premier bébé et il est très noir, très référentiel. Une histoire d’enquête rurale dans le nord des USA, dans un bled paumé à la frontière canadienne et dont les habitants ont tous quelque chose à cacher… Un travail qui graphiquement s’est adapté au propos initial, en versant dans des masses noires expressionnistes et dans le comics presque grotesque cher au dessinateur, Simone Guglielmini (Guglie), que j’ai connu grâce au multi-talentueux Louis (Tessa, 42…). C’est une série volontairement courte, très rapide à lire, qui mise sur le crescendo de la violence et les surprises malsaines à réserver aux lecteurs. Les choses devraient se « régler » sur trois tomes, je dois affiner mes choix avec Jérôme en décembre justement.

Int Serial killer

Sceneario.com : Parlons de "Ed Gein" paru également en avril de cette année chez Soleil. Qu’est-ce qui t’a poussé à évoquer ce serial killer ?

Dobbs : Jean-Luc Istin cherchait quelqu’un pouvant écrire sur des thématiques difficiles pour un public averti, avec sa collection « Serial Killer » chez Soleil. J’ai fait un bout d’essai et, par la suite, il m’a demandé de poser des pistes sur plusieurs tueurs en série dont la biographie serait à mon sens intéressante. Il se trouve que j’ai été thésard en sociologie criminelle sur la thématique des serial killers, ça m’a bien aidé tout de même (nous dirons simplement que j’ai une documentation assez fournie sur le sujet).

Ed Gein a été le premier choisi : non seulement pour le traumatisme qu’il a suscité dans l’Amérique des années 1950, mais également pour le portrait de cet homme complètement dominé par l’image de sa mère (même morte). Ted Bundy (à sortir fin d’année) a été choisi par simple opposition : il est tout le contraire de Gein, car il était charismatique, bien intégré dans la société de consommation des USA des années 1970…

Sceneario.com : Considérant que tu as intégré une série et une collection existantes, t’a-t-il fallu respecter certains conditions pour te fondre dans le moule de ladite série ?

Dobbs : Tout à fait. 46 planches pour faire un récit complexe sur plusieurs années, voire des décennies en montrant tour à tour la biographie d’un tueur, ses actes criminels, l’impact de ces derniers sur les médias et la population, tout en utilisant un moyen détourné et didactique afin de donner toutes ces informations au lecteur sur le modèle d’un « docu-frisson ». Une charte exigeante, quelques fois frustrante, mais vraiment formatrice. De plus, pour les deux albums que j’ai écrits, nous avons eu la possibilité de ne pas faire de collectif et de n’avoir qu’un seul dessinateur, ce qui me semblait plus intéressant, plus homogène.

Sceneario.com : Au regard de la grosse documentation que tu as due traiter sur ce nécrophile qui a donné lieu, aussi, à nombre d’adaptations au cinéma, comment t’es tu organisé pour traiter ce sujet en seulement 48 planches ? A ce titre, t’es tu buter à des écueils particuliers ?

Dobbs : Faire une synthèse globale et donner un effet original pour ne pas perdre le lecteur, c’était ça le challenge. Je connais toutes les adaptations filmiques et télévisuelles des cas que j’ai traités, cela m’a juste donné des pistes, des façons de voir les choses. J’ai essayé de trouver des biais scénaristiques pour donner ma « patte », à mon tour.

Encrage planche Ed Gein Colorisation planche Ed Gein

Sceneario.com : Alessandro Nespolino intervient au dessin, au demeurant "classique" mais superbe. Comment êtes-vous parvenus à vous rencontrer ?

Dobbs : Par Jean-Luc Istin et par Camilla Marnonnier, agent de plusieurs dessinateurs italiens avec qui je travaille actuellement sur d’autres séries. Alessandro a œuvré dans un sens très référentiel, très « old school », avec en tête nos modèles respectifs que furent les EC Comics, BD horrifiques historiques américaines, premières cibles de la censure du Comic Code de 1954. Une couverture typique est d’ailleurs présente dans plusieurs pages de Ed Gein, qui fait le lien entre le tueur et le journaliste qui l’a connu dans sa jeunesse.

Sceneario.com : Considérant la distance géographique qui vous sépare et la différence de langue, comment vous êtes vous organisés pour avancer dans ce projet ?

Dobbs : J’ai travaillé avec Alessandro comme avec les autres dessinateurs italiens avec lesquels je collabore : par mail, par fichiers joints, par messageries instantanées, et par anglais hehehehe. Je pense que je vais me mettre à l’italien, cela devient presque une obligation morale maintenant et un pari personnel.

Rought Ed Gein

Sceneario.com : Le fait que ton ouvrage soit publié par une grande maison d’édition, qu’il sorte, en peu de temps, en intégrale et que ton nom vienne côtoyer des auteurs ayant déjà une certaine notoriété (Mosdi, David, Chouraqui, Fino, Rodier…), n’y verrais-tu pas une certaine gratification à ton insertion dans la bande dessinée ?

Dobbs : J’en suis très heureux, vraiment. On m’a fait confiance, je vais tacher de m’en montrer digne avec les autres séries qui vont être publiées en 2010. J’ai tout à prouver, il me reste pas mal de chemin à parcourir, alors que la période semble difficile (beaucoup critiquent la surproduction et le manque de lisibilité de certaines séries) : gros challenge encore une fois, mais je ne t’apprends rien.

Sceneario.com : J’ai remarqué sur ton blog (http://dobbs.over-blog.com/) dans ton profil que tu as de nombreuses activités, que ta profession première était enseignant. Ne t’est-il pas difficile de concilier le tout?

Dobbs : Oui, je suis formateur en histoire du cinéma et analyse filmique pour des étudiants en audiovisuel/effets spéciaux. Cela me prend pas mal d’énergie, mais j’aime vraiment ça. Et tant que j’aurai la passion, je continuerai… Concilier écriture de scénarii BD et modules de cours n’est pas évident, c’est une continuelle gestion du temps pour ne pas gêner la vie privée. Je ne remercierai d’ailleurs jamais assez ma petite famille pour ça…

Welcome to paradise

Sceneario.com : En général, quels sont les sujets qui t’inspirent, les travaux d’autres auteurs… ?

Dobbs : Il se trouve que je fourmille d’idées mais j’ai un problème de taille : j’en oublie énormément… J’aime beaucoup les idées à tiroir, les thématiques qui permettent d’utiliser le deuxième degré, un deuxième niveau de lecture. Et cela se ressent dans ce que j’aime lire et voir : le cinéma, la littérature et le 9eme Art m’influencent forcément par les genres et les types de narrations qu’ils mettent en œuvre.

Mais j’ai autant d’intérêt pour un Lovecraft, un Matheson, un Howard, un Tolkien, un Ellroy, un Capote ou même un King, que pour un John Ford, un Carpenter, un Jeunet, les Coen, un Lynch ou même un Verhoeven… Question BD, j’ai comme beaucoup été marqué par Marvel/DC, pris ma claque avec Blacksad ainsi qu’avec toute l’œuvre d’Alan Moore, qui est sûrement le « bédéaste » qui m’a le plus marqué…

Sceneario.com : Quels sont tes projets à venir, à court terme ou long terme, prêts à sortir ou en préparation ? Prévois-tu de t’attaquer à des genres autres que tes deux premiers albums ?

Ted Bundy

Dobbs : En décembre sort un autre one-shot serial killer que j’ai écrit et qui portera sur Ted Bundy, dessiné par Alessandro Vitti (Marvel). Un tome qui se focalise sur le criminel pour lequel le terme « tueur en série » a été créé.

Quant à l’année prochaine, seront publiées mes quatre premières séries chez Soleil. Trois dans une nouvelle collection de Jean-Luc Istin (en western, en fantastique et pour une adaptation littéraire) et une autre pour la collection « Secrets du Vatican ».

A moyen terme, j’ai plusieurs autres projets en cours d’élaboration, notamment dans le domaine de la SF, de la dark fantasy et du conte fantastique japonais… Nous verrons ce que l’avenir réservera à ces travaux de recherche récemment initiés…

Sceneario.com : Sceneario.com te remercie vivement pour tes réponses et te souhaite bonne chance pour la suite.

Dobbs : Merci beaucoup pour cette invitation, et à bientôt j’espère…

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