Interview

Les Carnets de Cerise

Sceneario.com : Aurélie Neyret, Joris Chamblain, bienvenue sur Sceneario.com pour nous parler de votre BD, prix 2012 des Rédacteurs de Sceneario.com, Les Carnets de Cerise (Editions Soleil, Collection Métamorphose). Pour commencer, pourriez-vous nous parler du parcours qui vous a conduits au milieu de la BD?

Joris CHAMBLAIN: Je suis tombé dedans quand j’étais petit car mes parents en lisaient énormément. Mickey parade, Léonard, Gaston…tout cela a bercé mon enfance et comme tous les mômes, je dessinais déjà mes propres bds. Ado, j’ai fréquenté un atelier bd près de chez moi, puis j’ai intégré un fanzine où j’ai dessiné pendant 6 ans les aventures de Super Kochon ! Mais très vite, j’ai pris plus de plaisir à écrire des histoires pour les autres membres de l’équipe qu’à galérer ses mes planches…J’ai laissé tomber le dessin en 2008 pour me lancer corps et âme dans l’écriture. J’ai signé mon premier contrat en 2009 ! J’avais fait le bon choix^^

Aurélie NEYRET: Pour ma part, je ne me destinais pas forcément à la BD au départ, je viens plutôt de l’illustration. Quand j’ai commencé à montrer mes dessins sur internet, beaucoup de gens m’ont dit que ce serait bien de faire une BD. Mais je n’avais pas envie de le faire seule, et personne ne m’avait encore proposé d’histoires qui me plaisaient. Alors je faisais des petites choses courtes pour des collectifs, mais je n’avais pas envie de m’investir dans un album entier. Jusqu’à ce que Joris me propose Cerise...

Sceneario.com : Pouvez-vous nous raconter la naissance de Cerise, votre héroïne, qui passe bien sûr par votre propre rencontre en tant qu’artistes ?

Joris CHAMBLAIN: Cerise est née en 2007 avec l’envie de travailler avec la dessinatrice Laurel. Le prénom de l’héroïne était d’ailleurs un clin d’œil à celui de sa fille. Finalement, ça n’a pas pu se faire alors je suis parti en quête d’une nouvelle collaboratrice. Après plusieurs haltes, c’est finalement entre les mains d’Aurélie que Cerise est arrivée à quai. Je connaissais son travail via son blog et je lui ai tout simplement adressé un mail pour lui présenter le projet, qu’elle a accepté très vite. Et son interprétation du personnage a transformé le projet. Au départ, c’était une histoire un peu légère, mignonne. Aurélie a ajouté dans le regard de Cerise une espèce de mélancolie, de fragilité à fleur de peau, ça m’a fait un choc ! Toute l’histoire a découlé de là. Quant à l’histoire elle-même, j’ai vécu une situation approchante dans mon enfance, en visitant un parc d’attraction désaffecté, au cœur d’une forêt pas loin de chez moi. Je l’ai connu lumineux, en musique. Je l’ai retrouvé pris dans les ronces, et terni par le temps. C’est sans doute un écho de cette drôle d’expérience.

Aurélie NEYRET: Joris a tout dit. On ne se connaissait pas, et il avait son projet sous le bras, il m’a écrit un mail, et pour être honnête, d’habitude en lisant ce genre de mails je n’étais jamais interessée. Mais là ça m’a tout de suite plu. J’ai lu le scenario et j’avais un film dans la tête, des images qui défilaient, des ambiances. Je me suis tout de suite projetée dans cette histoire, identifiée à Cerise, comme je me l’imaginais. Comme je comprennais ce personnage, elle n’était pas sans rappeler un peu de moi petite, un peu garçon manqué décoiffé, quand mes journées se passaient dans la nature à faire des cabanes, que tout était prétexte à des aventures, des choses à explorer, des histoires à se raconter… J’ai toujours adoré les histoires de détectives, et là il y avait en plus une dimension poétique et plein de mélancolie, une forêt, des animaux, bref, le projet idéal.
Du coup on a monté un dossier tous les deux, ce qui a pris un peu de temps de mon côté car j’avais d’autres projets en cours. Et enfin on est partis à la rencontre d’éditeurs.

Sceneario.com : Ça se passe comment quand on rencontre pour la première fois Barbara Canepa (Directrice de la collection Métamorphose chez Soleil) pour montrer son projet ?

Joris CHAMBLAIN: Ça se passe dans une galerie d’art où Sky-doll est à l’honneur, un soir d’octobre en plein cœur de Paris, avec un monde fou ! Mais ça se passe surtout le lendemain dans un café, quand elle est un peu plus dispo. Et ça se passe bien quand elle te dit avec son accent italien : « Ton album il fait que 30 planches ?? NON ! Tu peux faire toutes les pages que tu veux ! » Alors tu arbores un sourire béat qui ne te quitte plus ! Un éditeur qui veut plus de pages, que demander de plus ? Et plus tard, tu découvres que Barbara a un pouvoir : elle sait où tu es et elle sait exactement jusqu’où tu peux aller et elle t’y pousse à fond. J’apprends beaucoup de choses avec elle !

Aurélie NEYRET: Plutôt bien ! Comme dit Joris, on a pu vraiment discuter de notre projet avant de s’y mettre, Barbara et Clotilde nous offraient l’occasion de faire du projet un livre un peu à part, nous qui étions partis sur un format plus « classique ». Et je trouve que c’est une excellente chose au final, je suis très heureuse de l’objet fini, avec tout le soin qui lui a été apporté à la fabrication notamment, et du nombre de pages. On a vraiment pu développer les émotions et les ambiances de l’histoire. Plus de pages, ça laisse plus de place pour des moments de répit, des moments contemplatifs, ou de calme, ça permet de mieux rythmer aussi. Et moi j’aime bien ! L’histoire de Cerise méritait de prendre le temps de la raconter.

Sceneario.com : L’album est basé sur un mode de narration original puisque vous y mêlez le récit classique de l’histoire et des extraits du carnet que tient Cerise. Pourquoi un tel choix pour rythmer le récit ?

Joris CHAMBLAIN: C’est la suite de la question précédente : on pouvait faire ce qu’on voulait ! Avec Aurélie, on avait présenté un dossier bd sous forme de journal, rédigé par Cerise elle-même. Tout y était déjà : La photo de sa cabane, la plume et des petites notes que Cerise prenait sur les personnages pour les présenter. C’est ce qui a plu à Barbara et Clotilde (car ne l’oublions pas ! Clotilde est tout aussi importante que Barbara dans la conception du projet). Du coup, c’était tout naturel que ce mode narratif fasse partie intégrante de l’album. Ça me permettait d’aborder quelque chose d’assez inédit dans l’écriture aussi : Cerise constate les faits mais en tire également des conclusions et des perspectives d’amélioration. J’œuvre pour la progression pédagogique !

Aurélie NEYRET: Et puis c’était un vrai régal de faire ces pages de carnets. Je me suis beaucoup amusé à disperser des feutres et plein de petites choses sur les pages. Ça semblait naturel que Cerise qui a 10 ans et demi, raconte ses aventures dans un journal. Toutes les petites filles ou presque le font. Quoique maintenant il y a les blogs… En tout cas comme dit Joris, c’était un moyen astucieux de passer à la première personne, pour montrer les pensées de Cerise, tout en ayant un intérêt visuel, car il y a plein de petites choses à regarder.

Sceneario.com : Dans la narration de l’histoire, le scénariste est clairement dans la peau de Cerise. Comment avez-vous réussi à vous imprégner aussi bien du personnage et nous donner le sentiment que c’est vraiment une petite fille qui nous raconte son histoire, avec sa vision et ses mots d’enfants ?

Joris CHAMBLAIN: J’ai travaillé 8 ans en tant qu’animateur dans une école primaire, j’étais adjoint d’un accueil de loisirs et l’été je dirige des séjours de vacances (et je suis également formateur BAFA). J’ai croisé environ 1500 enfants différents dans ma carrière et j’ai étudié l’enfant et ses caractéristiques. J’aime travailler avec eux, analyser leurs liens sociaux, comprendre leur langage (verbal et non-verbal) et je me rappelle très bien de moi à leur âge. Me mettre dans la peau d’un enfant est très facile. Quant au fait qu’il s’agisse d’une fillette, c’est parce que je trouve les femmes fascinantes de complexité et me mettre à leur place me permet sans doute de mieux les comprendre. Et puis, j’avais envie d’une héroïne forte et non-pas un faire-valoir d’un personnage masculin ou encore une « maman » de substitution avec des petits frères à s’occuper…Redorons un peu le rôle du personnage féminin !

Sceneario.com : L’une des forces de ce récit, c’est que bien qu’il s’adresse prioritairement aux petites filles de 10 à 12 ans, il plaît également aux grands enfants que nous sommes. Comment expliquez-vous une telle réussite ?

Joris CHAMBLAIN: Il y a plusieurs niveaux de lecture : D’abord ce mystère que Cerise veut absolument résoudre. Les enfants sont friands d’aventure et d’enquêtes ! Mais il y a aussi les rapports sociaux entre les personnages. Nous les avons voulu réalistes et on y croit car ils sonnent « vrais ». Qu’on soit jeune ou adulte, garçon ou fille, on comprend chacun des points de vue car on a tous déjà plus ou moins ressenti ces émotions-là. Enfin, ce récit a des valeurs. Le partage, la solidarité, l’entraide…Ces valeurs-là, celles de l’éducation populaire dont je suis issu, sont à mon sens, essentielles. Le « vivre ensemble » est capital dans notre société. C’est ce qui plait aux plus adultes car c’est énoncé comme quelque chose de primordial mais pas de façon frontale et moralisatrice. Regardez bien, jamais les personnages n’émettent de jugement à la hâte : ils se questionnent, ils analysent. Ils évaluent les actes, mais ne jugent pas gens.

Aurélie NEYRET: Je ne vais pas redire ce qu’a déjà répondu Joris, mais en effet c’est un point très important. Personnellement c’est un critère qui compte beaucoup pour moi, dans le choix des histoires que j’aime lire ou regarder déjà, et celles que je choisis de mettre en images. Les histoires dont on se rappelle le plus, et qui nous suivent le plus longtemps, sont celles qui ont plusieurs lectures. On peut redécouvrir l’histoire lorsqu’on est plus âgé. On ne rit pas aux mêmes moments, on n’est pas touché par les mêmes choses, et c’est tant mieux! Avec Joris, on rencontre beaucoup de gens en dédicace, et souvent des adultes nous disent : « Je l’ai offert à ma fille ou ma petite fille, je l’ai lu, et je reviens m’en prendre un pour moi! » ça c’est une chouette victoire je trouve !

Sceneario.com : Aurélie, quand on voit ton trait et le rendu obtenu une fois les couleurs posées, on se dit que Cerise mériterait amplement son adaptation en dessin animé. Serait-ce envisageable? Te l’a-t-on proposé? Aimerais-tu le faire?

Joris CHAMBLAIN: La question ne s’adresse pas à moi, mais perso, j’aimerais beaucoup écrire une série d’épisodes pour la télé, oui ! Et j’ai déjà quelqu’un qui se ferait un plaisir de l’animer ! Clin d’œil à Cédric !

Aurélie NEYRET: Ce serait une sacrée aventure, et une bonne nouvelle ! Pour l’instant je n’en suis pas là du tout, on ne me l’a pas proposé non. Quant à « le faire » je ne sais pas! Je ne suis pas animatrice et je n’ai jamais travaillé dans le dessin animé. Par contre si ça devenait concret un jour, j’aimerais mettre mon grain de sel c’est sur!

Sceneario.com : Une réussite qui se concrétise par plusieurs prix. En rêve-t-on ? L’espère-t-on ? Y pensiez-vous ? Les carnets de Cerise fait partie des albums sélectionnés pour le prix jeunesse Angoulême. Cela vous procure-t-il un sentiment particulier ? Si vous deviez faire un pari fou en cas de victoire, lequel formuleriez-vous ici et maintenant ?

Joris CHAMBLAIN: Je ne sais pas si j’en ai rêvé ou si je l’ai espéré. Bien sûr, par une pensée fugace on se dit qu’un prix ça ferait toujours plaisir, ça flatterait l’égo, mais ce n’est pas un objectif à atteindre quand on entame un projet. Pour la sélection à Angoulême, oui c’est une fierté ! Notre travail est reconnu, apprécié pour ses qualités, c’est extrêmement gratifiant. Et puis, c’est un jury d’enfants qui votera. Le plus impartial qui soit ! Un pari fou en cas de victoire ? Me rajouter un douzième album à écrire cette année sur mon planning. Ce serait complètement inconscient ! Le pari fou, je l’ai fait il y a un an en quittant mon boulot pour ne faire plus qu’écrire. Donc victoire ou pas, je continue cette vie là !

Aurélie NEYRET: Moi je n’avais jamais, jamais imaginé qu’on aurait un, ou des prix. Je m’étais vraiment peu imaginé la parution du livre en fait. J’étais trop prise par sa réalisation, pour penser à la suite. La seule chose que j’éspérais, c’est qu’il y ait quelques personnes qui soient touchées, comme je l’étais moi même par cette histoire, et comprennent les émotions qu’on avait insufflées dans ce livre avec Joris. Je n’avais pas du tout prévu le reste, donc ce ne sont que des bonnes surprises. L’accueil qu’il a reçu dépasse largement toutes mes éspérances. Du coup Angoulême c’est pareil. Je n’y crois pas vraiment, en tout cas je n’attends rien. C’est le meilleur moyen de ne pas être déçu ! Le fait que les Carnets de Cerise soient sélectionné est déjà un très beau cadeau et une belle reconnaissance, je le prends tel quel. Je suis très contente, et puis voilà. Mais depuis la sortie, j’ai rencontré ou lu plein de gens qui nous racontent à quel point ils ont aimé et pourquoi, et elle est déjà là ma récompense. En cas de victoire, pas de pari fou. Je rentrerai simplement travailler comme d’habitude, ça ne changera pas ma vision des choses.

Sceneario.com : Prochainement Cerise sera dans une nouvelle aventure ? Peut-on en savoir un peu plus…?

Joris CHAMBLAIN: Hum…dans le tome 2, Cerise croise une vieille dame qui, toutes les semaines, emprunte le même livre à la bibliothèque depuis 15 ans. Pourquoi fait-elle cela ? Qu’y a-t-il dans ce livre ? Cerise est prête à tout pour le découvrir, vraiment tout. Au risque de se fâcher définitivement avec sa mère, ses copines, sa voisine romancière…Cerise…te rends-tu compte de ce que tu fais ?

Aurélie NEYRET: Là je n’en dirai pas plus!

Sceneario.com : Joris, aurais-tu une question à poser à Aurélie… une question que tu n’aurais jamais osée lui poser…

Joris CHAMBLAIN: Ouf ! C’est dur, ça ! Non, je n’ai pas de telles questions, ce serait trop brusque à mon goût ou alors sans réel intérêt pour nous. Je crois que nous sommes des gens pudiques tous les deux. J’apprécie Aurélie pour ce qu’elle est tout simplement, je sais ce qu’elle a bien voulu me montrer et partager avec moi et le reste ne me regarde tout simplement pas. Et je continuerai à apprendre à la connaître en prenant le temps. C’est tellement plus intéressant.

Aurélie NEYRET: C’est un peu pareil pour moi. Je n’ai pas de questions qui me viennent en tête, en tout cas si j’en avais eu que je n’avais pas osé poser c’est que c’était d’ordre trop privé, et je respecte ça chez les autres, comme j’attends qu’on le respecte chez moi. Au fil du temps, on apprends à mieux se connaître, les questions se posent au moments voulus.

Galeries d’illustrations d’Aurélie NEYRET.

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