Interview

Les amandes vertes. Par Anaële et Delphine Hermans aux éditions Warum (17 février 2011) par Sylvestre BUORO pour Sceneario.com

 

Sceneario.com : Bonjour Anaële, et bonjour Delphine ! Félicitations pour Les amandes vertes – Lettres de Palestine, et merci d’avoir accepté de répondre à ces quelques questions au cours desquelles on va bien sûr parler BD, mais aussi un peu – et forcément – de la Palestine ! Mais avant tout, pourriez-vous s’il vous plaît vous présenter chacune en quelques lignes ?

Anaële Hermans : J’ai 28 ans. J’ai étudié les lettres et je suis devenue professeur de langue française. Parallèlement, j’ai participé à divers projets de volontariat à travers le monde. J’ai fait un premier voyage d’un mois en Palestine pendant mes vacances et cela m’a fort marquée. Le Service Volontaire Européen m’a permis d’y retourner pour y travailler pendant 10 mois. Depuis mon retour, je travaille pour le Service Civil International, une ONG qui propose des projets de volontariat international dans une centaine de pays.

Delphine Hermans : J’ai 30 ans. J’ai d’abord étudié 2 ans l’histoire de l’art avant de me rendre compte que ce n’était pas vraiment ce qu’il me fallait. J’ai donc bifurqué vers le cinéma d’animation. Un peu après la fin de mes études, j’ai commencé à travailler dans une association appelée Camera-etc comme animatrice formatrice : je coordonne des ateliers de réalisation de films d’animation avec tous types de publics, autant en Belgique qu’ailleurs, et je réalise aussi mes propres courts-métrages (quand je trouve assez d’argent pour ça !).

Sceneario.com : Votre actualité, c’est donc la bande dessinée Les amandes vertes – Lettres de Palestine, parue aux éditions Warum, où l’une met en images le témoignage de l’autre. Anaële est en effet partie 10 mois en Palestine, de mars à décembre 2008, au service d’une association… Or, dans la BD, il ne nous est pas clairement dit de quelle association il s’agit, ni quels sont ses objectifs. Peut-être qu’Anaële pourrait nous en faire un peu la publicité ici ?!

Anaële Hermans

Anaële Hermans : J’ai travaillé pour l’Arab Educational Institute, à Bethléem ; une association qui propose des activités d’éducation informelle pour les enfants, les jeunes et les femmes : ateliers artistiques, éducation citoyenne, ateliers de communication non violente, activités de dialogue interreligieux (surtout entre chrétiens et musulmans), sport, jeux, sorties, etc… Il y a très peu de loisirs en Palestine et le pari de l’association est d’offrir un bon moment à son public tout en lui permettant de se développer, d’échanger et d’apprendre.

Sceneario.com : Dans Les amandes vertes, on suit Anaële dans ses rencontres plutôt que dans ses activités. On apprend qu’elle a œuvré dans une structure accueillant des jeunes, et on croit comprendre qu’elle a enseigné auprès de certains. Pourquoi ce choix de ne pas développer cette partie "activité concrète" dans la BD ?

Anaële Hermans : Les activités concrètes apparaissent en filigrane parce que ce sont surtout les rencontres qui m’ont marquée et qui me semblaient dignes d’être racontées à un large public. Le travail que je faisais là-bas était finalement assez proche de celui que je fais aujourd’hui en Belgique. Bien sûr, les conditions sur place rendent tout très différent. Mais ce sont surtout mes visites dans les camps de réfugiés, les villes, les villages, mes différentes rencontres qui m’ont permis de découvrir la culture palestinienne, de me rendre compte de ce qu’était là-bas la vie sous l’occupation.

Sceneario.com : Vous avez aussi des amis côté israélien. Sont-ce des amis que vous avez connus là-bas ou avec lesquels vous aviez des contacts avant votre départ pour la Palestine ?

Anaële Hermans : J’ai rencontré certains Israéliens aux Pays-Bas, lors d’un séminaire interculturel auquel participaient des Israéliens et des Palestiniens. Ceux-ci ont décidé de continuer à se rencontrer tous les mois une fois rentrés dans leur pays, et d’amener de nouvelles personnes lors de ces rencontres. J’y suis allée, j’ai revu les Israéliens que je connaissais et j’en ai rencontré de nouveaux. Je voulais maintenir un contact avec des Israéliens pour entendre leur point de vue de temps en temps, essayer de le comprendre.

Sceneario.com : Comment s’est fait le choix du titre de la BD, et était-il en "compétition" avec d’autres idées ?

Anaële Hermans : Lorsque j’ai parlé des amandes vertes dans une des premières lettres, Delphine m’a suggéré de prendre cela comme titre. Elles représentent quelque chose de frais, d’agréable et de léger que j’ai découvert au tout début et que je comparais aux bières belges dont j’avais la nostalgie. C’est un de ces petits éléments par lesquels on invite le lecteur à faire un voyage sensoriel à travers la Palestine. Il n’y avait pas vraiment d’autres titres en compétition. On avait pensé à des titres du genre 10 mois en Palestine, mais cela nous semblait trop lourd.

Sceneario.com : Vos échanges entre sœurs pendant le séjour palestinien d’Anaële se faisaient-ils exclusivement par cartes postales comme c’est suggéré dans la bande dessinée, ou bien lettres, e-mails et coups de téléphone ont-ils aussi aidé à maintenir le contact ? (Y aurait-il eu risque d’ouverture des lettres pour censure si vous aviez échangé des lettres ?)

Anaële Hermans : Les cartes postales ont été écrites après mon retour de Palestine, uniquement pour la bande dessinée. Pendant mon séjour, nous nous sommes surtout écrit des mails et téléphoné. L’envoi de courrier en Palestine est assez compliqué. Lorsque Delphine a par exemple voulu m’envoyer des films que nous avions faits avec des enfants lors de son passage en Palestine, elle a dû les envoyer à une association partenaire à Jérusalem où j’ai dû ensuite me rendre pour les récupérer. Le courrier envoyé directement en Palestine peut éventuellement être ouvert…

Sceneario.com : Anaële a obtenu un visa de 6 mois, d’après ce qu’on lit dans Les amandes vertes. Mais c’est finalement un séjour de 10 mois qu’elle a effectué en Palestine. N’y a-t-il pas eu de problème de reconduction du visa ?

Anaële Hermans : La question des visas est toujours très compliquée. Je ne l’ai pas développée dans la BD car il fallait faire des choix. En réalité, à mon arrivée, j’ai pu rentrer en Israël, mais avec un visa de trois mois uniquement. J’ai renouvelé une première fois mon visa en allant en Jordanie et en disant, lors du retour, que j’allais rejoindre mon fiancé israélien (un ami israélien était prêt à jouer ce rôle). J’ai ensuite essayé de faire une demande officielle en donnant mon contrat du Service Volontaire Européen (subventionné par l’Union Européenne). Le Ministère de l’Intérieur a gardé mon passeport pendant plusieurs semaines, me laissant dans l’incapacité de passer le moindre checkpoint, et donc de quitter Bethléem ! Lorsque j’ai récupéré mon passeport avec un refus de visa, le visa précédent était déjà dépassé. J’ai donc dû retourner en Belgique. Je suis retournée un peu plus tard en Palestine en disant à nouveau que j’allais rejoindre mon fiancé, et c’est ce que j’ai fait lorsque j’ai renouvelé mon visa la dernière fois. Uri a déjà joué le rôle du fiancé pour de très nombreuses volontaires internationales !!!

Sceneario.com : Et aux checkpoints, les soirs où vous étiez de retour vers le territoire palestinien, n’aviez vous pas de remarques de la part de soupçonneux douaniers israéliens ?

Anaële Hermans : Parfois, mais c’était plutôt rare. Ils demandaient d’où je venais, si je connaissais des gens. Je disais que j’étais touriste et ils me laissaient tranquille, à part une fois à Hébron, où ils ont fait des difficultés parce qu’ils m’avaient entendue parler arabe. Je le raconte dans la BD.

Sceneario.com : Gardez-vous des contacts avec vos amis là-bas, depuis votre retour, et comptez-vous y aller à nouveau (ou y êtes vous déjà retournée !?) ?

Anaële Hermans : C’était important pour moi de garder contact. Souvent, les Palestiniens me disaient que comme tous les volontaires, je voyais la situation dans laquelle ils vivaient, puis que je rentrerais chez moi et oublierai petit à petit, comme un mauvais rêve. Je suis retournée en Palestine plusieurs mois après mon volontariat, j’étais très heureuse de revoir mes amis et collègues et eux ont apprécié le fait que je revienne. J’ai invité 5 jeunes de mon association à venir en Belgique pour un projet d’échange. Et j’espère y retourner encore dans le futur.

Delphine Hermans

Sceneario.com : Parlons un peu dessin, maintenant, avec Delphine ! Le style que vous avez adopté pour Les amandes vertes est-il votre style "de toujours" ou bien avez-vous spécialement dessiné comme cela pour une raison ou une autre ?

Delphine Hermans : C’est un peu mon style de toujours, celui avec lequel je me sens le plus à l’aise. Mais c’est un aussi un style qui convenait bien par son côté dépouillé à un échange épistolaire. Il a aussi servi à créer un décalage avec ce qui est raconté qui est parfois assez dur.

Sceneario.com : Les amandes vertes est-elle votre première BD ?

Delphine Hermans : Oui. D’habitude, je fais des films d’animation mais ce projet-ci s’est imposé à moi sous la forme d’un livre.

Sceneario.com : Avez-vous travaillé d’après photos ou bien avez-vous plutôt fait confiance à votre interprétation de ce que vous livrait Anaële ?

Delphine Hermans : Les 2. J’ai recherché beaucoup de documentation sur internet, j’ai demandé à Anaële de prendre des photos sur place et j’y suis allée pour une période de 3 semaines, ce qui m’a permis d’avoir une idée plus concrète des lieux et de l’ambiance générale. On a par la suite décidé de ne pas raconter cet épisode-là dans la bande dessinée parce que ça aurait dévié le récit vers une autre direction que celle qu’on voulait prendre.

Sceneario.com : Le travail à deux a-t-il été difficile ? Dans quelle mesure la dessinatrice a-t-elle pesé sur la narration de l’actrice ?

Delphine Hermans : Je pense qu’on avait chacune une vision des choses différente et des envies différentes sur ce à propos de quoi il était important de parler. Anaële avait envie de proposer un angle d’attaque plus politique tandis que je préférais privilégier une approche plus intimiste. Finalement, la version finale du livre se trouve quelque part entre les deux. Le travail à 2 a donc comporté ses doutes mais ses forces aussi !

Sceneario.com : La publication de Les amandes vertes vous a-t-elle motivée pour réaliser de prochaines BD ? Avec votre sœur, ou bien avez-vous des projets plus perso ?

Delphine Hermans : Maintenant que j’y ai goûté, j’ai bien sûr envie de continuer à faire de la BD. J’ai plusieurs projets en tête mais ça prend du temps à se mettre en place… Je n’oublie pas non plus ma première passion : l’animation. Je prépare actuellement un projet de court-métrage.

Sceneario.com : Merci à toutes les deux ! Et bonne continuation, donc, en attendant d’avoir à nouveau le plaisir de parler de votre travail !

Livres

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