Interview

L’HOMME SQUELETTE par Tony HILLERMAN & Will Argunas

L'homme squelette couv

Sceneario.com : Bonjour Will !

Le mois d’avril prochain, sort ton dernier album, L’homme squelette, issu d’un roman de Tony Hillerman et édité chez Casterman. Qu’est-ce qui t’a poussé à adapter cet auteur et pourquoi avoir choisi l’un des derniers romans de la saga policière qu’il ait écrit liée à la police tribale Navajo? Est-ce une volonté personnelle ou plutôt conduite par ton éditeur ?

Will Argunas : Disons que ça faisait quelque temps que je n’avais pas lu de roman paru chez Rivages, bien qu’étant un grand lecteur de polar, tout genre et tout éditeur confondu. Après avoir rencontré Laetitia Lehmann à BDBOUM en Novembre 2009, et avoir appris que je pouvais proposer un projet, alors que jusque là c’était quand même une collection réservée aux « grands », je me suis mis en quête de titres. J’avais d’abord pensé à l’adaptation d’une nouvelle, car cela me paraissait moins casse-gueule. J’avais une autre nouvelle de Coronado de Denis Lehane, mais Casterman trouvé que ça faisait trop avec le même auteur de roman. Du coup j’ai cherché un roman pas trop épais. C’est là que je suis tombé sur Hillerman, que je connaissais seulement de nom. J’en ai lu 2, et c’est le 2e qui m’a tapé dans l’œil. Les 2 romans étaient des romans de fin de carrière d’ailleurs. Pas les meilleurs à ce que j’ai cru comprendre, ce qui va peut-être surprendre son lectorat qui aurait pu s’attendre à un autre titre. C’est aussi ce qui me plaisait dans ce livre : le fait qu’il y ait 10 personnages qui ont autant d’importance dans le roman, ce qui me permet d’éviter « l’écueil » Joe Leaphorn, personnage phare de l’œuvre de Tony Hillerman.

Sceneario.com : Depuis Missing, tu nous avais habitué à travailler en solo sur des histoires choc inédites avec des personnages à la dérive. Pourquoi avoir dérogé à cette règle avec ce nouvel album ? A ce titre, qu’est-ce qui est pour toi le moins difficile : adapter ou créer de toute pièce ?

L'homme squelette extrait 1

Will Argunas :Disons plutôt que j’ai pris ça comme une opportunité d’arriver dans une très belle collection de polar, comme un challenge personnel (Hillerman est le 3e poids lourd des ventes du catalogue Rivages, après Ellroy et Lehane). J’ai aussi pensé que cette visibilité nouvelle pouvait m’amener du monde sur KSTR et mes polars personnels. Je pensais d’ailleurs que l’écriture du scénario irait plus vite, vu qu’on a un livre comme base. Au final, ça n’a pas été simple, mais j’ai appris beaucoup.

Sceneario.com : Qu’est-ce qui te fascine dans l’univers de Tony Hillerman ? Est-ce que tu es sensible à la culture américaine et en particulier celle qui concerne les indiens (Navajos, Hopis…) ?

Will Argunas : Son univers m’a replongé dans le grand Ouest Américain, le Grand Canyon, le Colorado, les Indiens, dans Blueberry, ou dans les westerns, même si ça ne se passe pas à la même période. Ca m’a aussi rappelé les films « Connaissance du monde » avec lesquels j’ai grandi, enfant, avec les séances du mercredis avec mes parents, au cinéma.

Sceneario.com : Comment t’es-tu organisé pour mettre en images l’Homme squelette ? As-tu été obligé pour bien t’imprégner des ambiances du roman de te (re)plonger dans toute la série liée aux aventures de Joe Leaphorn ? As-tu eu l’occasion de visionner les films qui ont également adapté l’univers de Tony Hillerman et de ses personnages ?

L'homme squelette extrait 1

Will Argunas :Je n’ai lu que 2 de ses bouquins. J’ai fait mes recherches sur son œuvre, lu des articles sur lui. J’ai revu le seul film adapté de son œuvre, qui n’ait vraiment pas bon d’ailleurs. Je n’ai pas pu voir les séries télé Américaines adapté de son univers, malheureusement. Du coup j’ai du me faire confiance, et beaucoup me documenter grâce à internet, et à des blogs de touristes Français qui y sont allés.

Sceneario.com : Quel est le personnage qui se rapproche le plus de toi dans cette affaire ?

Will Argunas : Je me suis senti bien dans chaque personnage, un peu comme avec les miens, en général, bons ou mauvais.

Sceneario.com : Au niveau structure, as-tu été fidèle à celle du roman ou as-tu été obligé d’accommoder ton enquête policière pour une meilleure lisibilité ?

Will Argunas : Je pense avoir été très fidèle dans le déroulement des scènes du livre, dans l’ensemble, mis à part un chapitre que j’ai volontairement squeezé, avec l’accord de mon éditeur. J’ai juste coupé le livre en 2. La première partie, très cadrée, façon cinoche, permet de présenter tous ces personnages, et l’enjeu pour chacun dans l’histoire. Il n’y a pratiquement pas d’action, comme dans le livre. Du coup, quand on arrive « enfin » dans le Grand Canyon, les pages, les cases bougent en permanence, comme les personnages, avec la descente longue du haut plateau aux bords de Colorado. J’ai tout de suite choisi ce parti pris que j’avais expliqué dans une lettre d’intention à mon projet, présenté aux 3 décideurs de la collection, pour validation.

Sceneario.com : Au niveau graphique, bien qu’on sente une technique maîtrisée (tes décors du grand canyon sont superbes), ton style semble avoir évolué (plus clair, plus réaliste, plus direct, les décors plus probants). Le ressens-tu aussi ?

Will Argunas : Je ne sais pas trop quoi dire là-dessus. Cette fois on a 2 personnages féminins très importants, deux vraies héroïnes. Du coup, au niveau de l’encrage, j’ai mis moins de trait sur leurs visages pour ne pas les rendre « moches ». Et comme je me suis beaucoup documenté, et que j’avais de grandes cases par rapport à mes « damiers » de 8 cases habituelles j’ai KSTR, du coup j’étais obligé d’aller plus loin dans la définition des arrières plans. Et pour le Grand Canyon, je voulais vraiment que ça y ressemble, qu’on s’y croit. Je ne voulais pas de reproche, au moins à ce niveau-là. Le reste, c’est beaucoup de travail, et une pression que je me suis mise pour pouvoir en faire un autre, car j’ai adoré l’exercice de l’adaptation.

L'homme squelette extrait 3

Sceneario.com : De même, on sent que tu affectionnes le dessin direct en utilisant l’acrylique ou la peinture à l’huile (pour mémoire, les superbes portraits d’indiens à chaque chapitre de ton ouvrage). Qu’en est-il exactement ?

Will Argunas : En fait, j’ai arrêté de travailler pour la publicité en Février 2010, car j’avais 2 albums signé en même temps (celui-là et le prochain KSTR). Du coup, j’avais plus de temps à moi. Ca faisait longtemps que je voulais peindre, et je m’y suis mis. Les 2 peintures dont tu parles font partie d’un ensemble de 15 toiles, réalisées au pastel à l’huile, technique découverte grâce à « Monsieur » Joe G Pineli. J’aime bien aller toujours plus loin dans mes recherches, et ses peintures me l’ont permis.

Sceneario.com : Quels ont été tes critères de sélection pour l’effigie de tes personnages, pour l’utilisation des couleurs dont la palette est très diversifiée ?

L'homme squelette extrait 4 L'homme squelette extrait 4

Will Argunas : J’ai travaillé comme d’habitude, d’après photos. Sauf que je me suis fait « jeter » mon premier casting, trop cinéma aux yeux de mes éditeurs. Pour la couleur, j’ai travaillé en fonction des centaines de docs amassés pour l’album.

Sceneario.com : Compte tenu de ce premier résultat certes encourageant, n’as-tu pas envie de poursuivre l’adaptation de la bibliographie de cet auteur ?

Will Argunas : Pourquoi pas, mais ça ne dépend pas de moi, mais de mon éditeur. Je ne connais pas son avis sur la question. Et puis, j’aime bien changé, alors … on verra.

Sceneario.com : As-tu d’autres projets dans les cartons ? En histoire inédite ou en adaptation ? Ton travail sur 2010 est assez vertigineux, qu’en sera-t-il pour 2011 ?

Will Argunas : C’est vrai qu’en 2010, j’ai bossé à mort sur mes albums. J’ai aussi fait un album sur la vie de Memphis Slim pour les éditions BDJAZZ, qui sortira en Mai 2011. Actuellement je travaille sur mon prochain album KSTR. J’ai 87 pages encrées à ce jour, sur 122. Ca devrait sortir en Janvier 2012. J’espère refaire un autre BDJAZZ aussi.

L'homme squelette extrait 3

Sceneario.com : N’as-tu pas envie, un jour, de te lancer dans un style autre qu’aventure policière ou de partir sur des enquêtes typiquement françaises ?

Will Argunas : Mon prochain album pour KSTR est un récit d’anticipation, même si c’est à nouveau un polar qui se passe aux USA. Ca se passe en 2016, donc dans peu de temps. Et la semaine dernière, j’ai commencé à écrire un nouveau scénario, un truc qui se passe beaucoup plus loin dans le futur. Mais je ne choisis pas vraiment mes projets, ni mes sujets. Souvent, c’est eux qui s’imposent à moi. Alors on verra bien …

Sceneario.com te remercie de tes réponses et souhaite le succès qu’il convient à L’homme squelette.

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