Interview

KRAA T1 par Benoît SOKAL chez Casterman

Kraa T1 couv

Sceneario.com : Bonjour Benoît,

En ce mois de septembre 2010, sort chez Casterman votre nouvelle série intitulée Kraa, une sorte de western dramatique aux accents écologiques et fantastiques dans lequel il est question d’une vengeance. Comment est née cette histoire ?

Benoît Sokal : La genèse est un projet de jeu vidéo dans lequel le joueur incarnait un oiseau. Une sorte de simulateur de vol organique. Ce projet est resté en sommeil faute de moyens financiers suffisants. Mais, dans mon esprit, l’idée a fait son chemin et s’est transformée : c’est devenu petit à petit une vraie histoire avec des protagonistes et des situations qui n’appartiennent en définitive qu’à la bande dessinée.

Sceneario.com : Le fait de revenir dans ce type d’équipée réaliste ne vous a-t-il pas posé un problème de transition entre le jeu vidéo (L’Amerzone, Sybéria, l’Ile noyée…), les enquêtes de Canardo et Kraa ?

Benoît Sokal : J’avais une grande envie de revenir à la bd et de retrouver le dessin si particulier à cet exercice graphique : cette sorte d’ascétisme presque sportif, cet entrainement de la main dont on constate les progrès au fur et à mesure que les planches s’accumulent. Et puis, quel plaisir de revenir à un projet que je gère seul, un projet dont les enjeux économiques restent légers et donc qui demeure un vrai espace de liberté. Ceci étant dit, je n’ai jamais eu l’impression de changer fondamentalement de métier : le jeu vidéo est pour moi une sorte d’avatar moderne de la bd dont les règles de narration sont sommes toutes très voisines.

Sceneario.com : Deux personnages essentiels se distinguent dans ces péripéties, Yuma, jeune indien doté d’un certain pouvoir et Kraa, l’aiglon survivant, dont la "complicité" va crescendo. Pourquoi avoir choisi deux protagonistes jeunes et pourquoi cette communion atypique chamanique ?

Benoît Sokal : J’avais très envie de développer le thème romanesque de la vengeance et celui-ci est très souvent associé dans la littérature populaire ou au cinéma à l’enfance blessée. Quant au rapport entre l’aigle et l’enfant, il procède plus d’un rapport très élémentaire qui peut exister entre un animal , la nature et un être humain quant celui-ci se débarrasse de tout ce qui peut parasiter sa perception première des choses. J’imagine qu’il s’agit plus entre eux du don de se deviner mutuellement que de véritable télépathie : la connivence qui s’établi entre l’aigle et l’enfant reste élémentaire: manger, vivre, se défendre… Le chamanisme est, entre autre, un exercice de mise en perspective de tous ce qui nous entoure dans la nature. L’aigle et l’enfant s’entendent parce qu’ils sont, en quelque sorte, sur la même longueur d’onde naturelle.

Kraa 1 extrait 1

Sceneario.com : Vous donnez à Kraa une part narrative importante. Elle est l’occasion de nous livrer ses réflexions les plus intimes. Pourquoi une telle "humanisation" de cet animal ? Est-ce que parce que vous avez eu envie, par son biais, d’encenser la nature, dans sa beauté et dans sa férocité, dont il est l’un des représentants les plus majestueux ?

Benoît Sokal : Contrairement à Canardo, je n’ai pas l’impression de m’être livré à une d’entreprise d’humanisation, au contraire : bien sûr, l’aigle est le narrateur mais son discours traduit des besoins et des interrogations basiques : manger, défendre son territoire, gérer son agressivité etc…L’aigle n’est pas cruel, il n’est ni bon ni méchant : il est juste le représentant ultime d’une nature primitive terrible et magnifique tout à la fois.

Sceneario.com : Le fait d’avoir attribué le patronyme de Klondike au Maire de la ville champignon Klontown, ne serait-il pas une manière de faire un clin d’œil à la ruée vers l’or du Klondike de la fin du 19ème ?

Benoît Sokal : Bien sûr ! Et ce livre est aussi un hommage à mes lectures d’enfance : à Jack London et J-O Curwood. J’aime aussi imaginer un background à tout mes personnages et en l’occurrence, j’ai imaginé que William Klondike était le fils d’un chercheur d’or ayant perdu toute ces illusions là-bas, dans le Yukon. Le fils cherchant à réussir là où son père à échoué.

Sceneario.com : Peut-on considérer que Kraa est une manière de décrier la convoitise extrême humaine ?

Benoît Sokal : L’appât du gain, la convoitise sont des comportements humains sommes toutes très banals. Ce qui m’a inspiré, c’est cette nouvelle ruée vers l’or qui se passe en ce moment dans la mer de Barents, là où la Russie, le Canada, le Danemark et le Groenland se réclament la propriété des immenses étendues jadis glacées et qui sont aujourd’hui exploitables grâce ou à cause du réchauffement climatique. Il y a là-bas du pétrole en quantité qui attire bien sûr tout les convoitises…

Sceneario.com : Pourquoi avoir choisi de construire votre récit sur la base d’un pays imaginaire, le Malaskar ?

Benoît Sokal : Parce que, justement, j’ai imaginé cette histoire au milieu de nulle part, dans une de ces rares régions oubliées du reste du monde et donc jusque-là préservée. Je n’envisage pas de créer une histoire sans concevoir le monde qui va avec. Que se soit pour le jeu vidéo, L’Amerzone, Syberia, La Mauranie et aujourd’hui avec Kraa, le Malaskar j’aime bien me constituer une sorte de topographie imaginaire…Je reconnais que cela permet aussi quelques libertés avec la réalité.

Kraa 1 extrait 2

Sceneario.com : Côté graphique, une rupture avec le trait semi-réaliste de Canardo s’est opérée tout comme par ailleurs avec l’univers du jeu vidéo. Est-ce que Kraa pourrait représenter une sorte de remise en question de votre style pictural ?

Benoît Sokal : Sans doute. C’est un style graphique qui m’est malgré tout assez naturel…c’est comme ça que je dessine quand j’imagine sur papier les futurs décors de mes jeux vidéo. Je voulais surtout que le style colle avec le récit.

Sceneario.com : Vos dessins donnent l’impression que vous avez délaissé quelque peu l’outil informatique pour un travail plus traditionnel (crayonné appuyé, couleurs pastels…). Est-ce réellement le cas ?

Benoît Sokal : Oui, j’avais vraiment envie de dessiner avec des crayons et du papier. Dans Kraa, tout est dessiné « à l’ancienne »…Ceci dit, j’emploie l’ordinateur d’abord pour scanner les cases et reconstituer la planche puis pour certaines petites retouches, et aussi pour transformer un peu la chromie afin qu’elle colle plus avec l’ambiance de la séquence et puis encore pour les bulles et le texte. L’ordinateur n’est qu’un outil pour moi…Certainement pas une religion.

Sceneario.com : S’agissant d’un premier titre, on se pose la question de savoir quand sera publiée la suite. Avez-vous déjà prévu la date de sa sortie ?

Benoît Sokal : Kraa est un dyptique bien que le premier tome possède une fin propre. Le second tome paraîtra début 2012.

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Sceneario.com : Avez-vous également d’autres projets qui sont susceptibles de sortir prochainement ou en cours d’étude ? Dans le domaine du jeu vidéo ou de la BD ?

Benoît Sokal : Un Canardo pour 2011, et quelques autres histoires dont Aquarica, un scénario que j’ai écrit avec François Schuiten pour le cinéma. En règle générale j’ai un vrai désir de revenir à la bd à temps plein.

Sceneario.com : Sceneario.com vous remercie vivement pour vos réponses et vous souhaite tout le succès possible pour Kraa.

Benoît Sokal : Merci !

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