Interview

Jean-Pierre Andrevon

Sceneario.com: Les chroniques de Centrum sont une adaptation de votre roman : le Travail du furet, cela a-t-il été facile de réaliser un tel travail ?
Jean-Pierre Andrevon: Je dois préciser plusieurs choses… Au départ, il s’agit d’une nouvelle d’une dizaine de pages, écrite en 1975 et publiée dans une anthologie de «  jeunes auteurs politiques français », Les Soleils noirs d’Arcadie, organisée par Daniel Walther. Ce texte m’avait été inspiré par un série dessinée de Wolinski, Georges le tueur, qui paraissait dans HARA-KIRI, et où il était déjà question d’un petit bonhomme dont le métier était de tuer des gens. J’adore l’humour de Wolin, qui correspond au mien, j’adore le bonhomme ( qui m’avait appelé à travailler pour CHARLIE MENSUEL) et, comme de juste, je lui ai dédié la nouvelle. Mais je sentais que je n’avais pas exploité tous les développements dont le sujet était porteur et, cinq ou six ans plus tard, j’en ai fait un roman, publié en 1983. Il a recueilli un certain succès, et a été réédité une petite dizaine d’année plus tard. C’est dire que ce texte, je l’ai, si je peux dire, bien en mains, et surtout bien en tête. Le moment venu de le traduire en scénario b-d, je n’ai pas eu de difficultés particulières, sauf à en produire un élagage général et à préciser quelques points. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois que je me livrais à ce genre d’activités, puisque, au début des années 70, j’avais rédigé pour Pichard, avec qui je travaillais alors, l’adaptation de deux de mes nouvelles, La Réserve et La Princesse a encore fugué, deux bandes courtes publiées à l’époque dans CHARLIE MENSUEL. Donc j’étais prêt, et rôdé.

Sceneario.com: Pourquoi avoir choisi ce roman plutôt qu’un autre pour l’adapter en BD, et qu’est-ce qui en a été le déclencheur ?
Jean-Pierre Andrevon: Je n’ai rien choisi. J’ai reçu un jour un mail d’un jeune dessinateur qui sortait de l’école d’Angoulême et qui, ayant aimé mon roman, désirait en faire une adaptation. C’était Afif Khaled. Il m’avait présenté des travaux préparatoires très aboutis techniquement mais qui figuraient les humains sous la forme d’animaux anthropomorphiques — des singes, des fauves ; je trouvais que ça ne collait pas, et puis il y avait déjà Blacksad. Donc Afif a remis son travail en chantier en même temps que, pour nous faire la main, je lui donnais deux scénarios de bandes courtes. L’une a été publiée dans un magazine qui n’a vécu que deux numéros,  KOG, l’autre est restée inédite ( Le Trou, également l’adaptation d’une de mes nouvelles ! ). Ensuite, nous avons présenté à divers éditeurs les cinq premières planches du Furet qu’Afif avait faites d’après mon découpage. C’est Soleil, grâce lui soit rendu, qui a emporté le pompon.

Sceneario.com: On retrouve des idées communes à l’age de cristal  et même à Soleil Vert. Avez-vous souvent été marqué par le cinéma et ce thème de la surpopulation semble vraiment inéluctable. Est-ce votre cas?
Jean-Pierre Andrevon: La Terre, aujourd’hui déjà, compte trop d’habitants pour ses ressources limitées, alors il faut faire quoi ? L’Afrique, malgré les guerres, la famine, la sécheresse, le sida, va doubler sa population d’ici 2050. Il faut faire quoi ? Le but avoué de l’Inde est de dépasser la population chinoise au même horizon. Il faut faire quoi ? Récemment, on se félicitait dans tous les médias que le taux de fertilité des Françaises soit le plus fort d’Europe. Il faut faire quoi ? Peut-être les désordres climatiques vont-ils régler ça sans faire de détails, comme je l’ai évoqué dans mes textes Marée descendante ou De vagues et de brume… Ou une pandémie terminale, ce qui est le sujet de Le Monde enfin. N’oubliez pas que je me suis toujours, comme créateur mais aussi comme citoyen, préoccupé d’écologie et des grands périls que cette science ( j’insiste sur le terme) a sorti du sac. J’ai fait partie de la rédaction de LA GUEULE OUVERTE, premier et seul véritable magazine d’écologie politique publié par les éditions du Square entre les années 70 et 80. Le travail du furet à l’intérieur du poulailler ( j’insiste sur le titre originel, coupé par la suite ), participe à sa manière au thème de la surpopulation, ici traité par l’humour noir. Quant au cinéma… Je suis un cinéphile plus ancien encore sur le terrain que l’écologiste, et je connaissais bien sûr les quelques films qui ont pu aborder le sujet, mais je ne peux pas dire qu’ils m’ont spécialement influencés. La parenté la plus évidente, dans le domaine de l’esthétique et de l’ambiance générale, c’est bien sûr Blade Runner, sorti sur les écrans deux mois avant la publication du Furet. Une coïncidence fortuite mais intéressante.

Sceneario.com: Une autre chose qui m’a surpris c’est l’utilisation de noms actuels comme Poutine et Blair pour les noms des rues. Ce n’est pas souvent utilisé dans la SF, alors pourquoi avoir voulu ancrer l’histoire dans le réel ?
Jean-Pierre Andrevon: J’ai toujours collé à l’actualité, particulièrement à travers des faits précis ou des noms propres ( Stephen King, excusez du peu, ne fait pas autre chose…). La version original du Furet comportait des rues ou des places qui s’appelaient Pompidou, De Funès, etc. Pour la b-d, j’ai simplement actualisé l’actualité. Une manière comme une autre de rendre le récit plus présent… et attirer l’attention. La preuve, votre question !

Sceneario.com: Quand on passe du roman à la BD, comment choisit-on les séquences sur lesquelles on veut "appuyer" au détriment d’autres passages qui ne seront pas ou plus superficiellement traités ?  L’adapter en BD ne donne-t-il pas envie de "bifurquer" par rapport à l’original ? D’autres idées ne viennent-elles pas au fur et à mesure du découpage ?
Jean-Pierre Andrevon: Dès le départ, j’avais prévu de faire une mini-série de trois albums, ce qui me semblait raisonnable pour rendre la substantifique moelle du roman. Naturellement, j’ai tout recentré sur l’action, ce qui est le moins pour une bd. Et j’ai apporté deux modifications principales : d’une part, le Furet rencontre Jos à l’occasion d’une péripétie où il lui sauve la vie, ce qui me semblait plus fort dramatiquement que dans le livre, où ils se connaissent déjà ; deuxièmement, j’ai introduit (tome 2) un flash-back sur le passé de mon héros : un ancien militaire qui, lors d’une énième guerre moyen-orientale, a dû tuer la femme qu’il aimait. Ce qui épaississait  et justifiait sa personnalité. Les modification essentielles sont là, mineures donc. Je pense avoir une écriture très précise, très visuelle ( encore l’influence du cinéma). Le reste tenait au graphiste, et Afif a fait un boulot magnifique en récréant Centrum, cette cité noyée qui s’étend sur toute l’Europe. Du cinéma, la encore !

Sceneario.com: Dans quelle mesure un bon accueil de la BD pourrait-elle motiver une suite… au roman ?
Jean-Pierre Andrevon: Il se trouve que, depuis longtemps, j’ai dans mes profonds tiroirs un synopsis exploitant une seconde aventure de mon Furet. Il a même un titre : Le trajet de la taupe sous les pieds aveugles. En toute logique, j’aurais dû l’écrire depuis longtemps, et même dans la foulée du premier tome. Mais je ne l’ai pas fait, parce que je n’aborde pas mon travail de façon logique, précisément. Ce récit sera-t-il écrit un jour ? Ou sera-t-il traduit directement sous forme de scénario de b-d ? Je n’ai sais rien. J’ai mille projets, l’écrémage se fait à mon insu, suivant les circonstance. Nous avons d’autres projets avec Afif ( et Soleil), mais aucun ne comporte encore la suite du Furet, même si  cet objectif ne peut être écarté. J’ajoute qu’au moment de la confection et de la parution du premier album, nous avons tenté, avec Bruno Gantillon, l’ami cinéaste qui a réalisé la version TV du Furet, de monter une série pour la télévision, qui n’aurait pas repris le personnage du Furet, mais aurait exploité le décor de Centrum. Mais aucune chaîne n’a été intéressé : trop noir, trop cher ! Vous voyez, c’est un vrai serpent de mer…

Sceneario.com: La BD fait-elle venir les lecteurs vers le roman ?
Jean-Pierre Andrevon: J’ai obtenu de Gallimard, à travers sa collection  FolioSF, une seconde réédition du roman, publiée la même année que la sortie du premier album. Encore quelques centimètres du serpent. Mais j’ignore qui la b-d a fait venir les lecteurs au romans, l’inverse étant également une possibilité. Mais honnêtement, les chiffres de vente globaux sont restés modestes.

Sceneario.com: Penseriez-vous maintenant à une adaptation à l’écran ?
Jean-Pierre Andrevon: Tiens donc ! Je n’attends que ça, même… Mais revenons un peu en arrière. En 1993, j’ai été contacté par Antenne 2 qui désirait faire réaliser une adaptation du roman sous forme d’un téléfilm autonome. J’ai sauté de joie mais, comme cela s’était passé pour Gandahar,  je n’ai en aucune façon participé à l’élaboration du projet. J’ai même visionné le film en même temps que le public, lors de sa première diffusion, début 94, sur la 2. Je dois dire que j’ai été plutôt déçu. D’abord par l’aspect fauché de l’ensemble – le téléfilm a été tourné à Bucarest, avec une poignée de figurants et dans des décors contemporains, alors que, comme vous le savez, je rêvais de Blade Runner ! D’autre part, je n’aime pas le comédien qui incarne mon furet, un gringalet qui fait le clown, alors que je voyais Delon au temps du Samouraï… Mais peut-on s’attendre autre chose de la télé ? J’ajoute que j’ai par la suite rencontré le réalisateur, Bruno Gantillon, qui a admis certaines de mes remarques et est devenu un excellent ami, jusqu’à vouloir à nouveau collaborer avec moi, comme je vous l’expliquais plus haut. D’autres projets sporadiques sont venus me visiter depuis vingt ans. Notamment une adaptation ciné, dont le réalisateur aurait été Alex Proyas, pas moins. Mais, jusqu’à présent, rien ne s’est matérialisé. Attendons. Mais pas trop, quand même…
 

Sceneario.com: Le roman n’est plus "tout jeune". Si vous aviez à le réécrire (et c’est un peu ce que vous faites avec cette série BD) qu’y changeriez-vous ?
Jean-Pierre Andrevon: C’est une question à laquelle il m’est impossible de répondre, puisque ma réécriture, elle s’est faite par le biais de la b-d. Si je reviens à l’univers du Furet, ce sera à l’occasion de sa seconde aventure. Alors là on verra. Mais il est de fait que ce roman reste un de mes préférés, avec Tout à la main et Le monde enfin, par exemple. Si je peux, en une phrase de permettre d’être le critique de moi-même, je dirais que j’ai réussi une bonne adéquation entre le sujet et le langage. Alors ni remords ni regrets

Sceneario.com: Est-ce difficile de faire d’un personnage comme votre furet un individu qui est prêt à tuer ses propres collègues sans aucun remord ?
Jean-Pierre Andrevon: C’est au contraire un fantasme dans lequel je me suis vautré avec un plaisir aussi pervers de total ! Qui n’a jamais rêvé de tuer tous les gens qu’on n’aime pas ou qui vous ont fait des crasses ? A travers le roman comme la b-d, je ne me suis pas privé de me livrer à cette pulsion fondamentale, qui est à mettre en parallèle à faire du porno parce qu’on a envie de faire l’amour avec toutes les plus belles filles de la planète ! Ce n’est pas pour autant que je prône la méthode pour lutter contre la surpopulation. Encore une fois, ce n’est que de la fiction.

Sceneario.com: Avez vous d’autres projets dans le monde de la BD?
Jean-Pierre Andrevon: La b-d m’a toujours accompagné, ça a toujours été une envie première. N’oubliez pas que j’ai fait des études artistiques, et qu’avant d’être mon premier roman, Gandahar, en 1968, fut une b-d, en tout cas un essai de b-d. Seul son refus m’a fait bifurquer vers l’écriture. J’ai encore persisté, texte et dessin,  à travers quelques bandes courtes,  puis j’ai  abandonné le graphisme à plus talentueux que moi, me bornant à être scénariste. Tout de même j’ai tenté, il y a une dizaine d’années, d’adapter, texte et dessins, Niourk, le roman de Stefan Wul, avec l’assentiment et les encouragements de l’auteur, encore vivant à l’époque, à qui j’ai fait voir mes planches. Il en existe une douzaine, que j’ai montrées ici et là, sans parvenir à trouver un éditeur. J’ai fini par laisser tomber. Définitivement ? Je ne sais pas. Pour ce qui est du scénariste, je dois lancer sur les rails un nouvel album dont le dessin sera donné à Afif, qui le réalisera en duo avec un autre dessinateur. Ce sera un One Shot : Le Dirigeable des temps perdus, une version personnelle du Monde perdu, avec des dinosaures. Mais parallèlement, je travaille à un autre projet, l’adaptation bis de Gandahar, sous la forme d’une longue série qui reprendrait, peut-être en les mixant, les thèmes abordés dans les six romans existant. Chat échaudé craignant l’eau froide, je travaille avec un jeune dessinateur : Jubo. Mais ce projet, en l’état, reste encore en pointillés. Qui vivra verra.

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