Interview

Jean-Luc SALA

Sceneario.com : Peux-tu te présenter et nous dire comment tu es venu dans la bande dessinée ?
Jean-Luc SALA : Heu… Bonjour, je suis Jean-Luc Sala. Je ne suis pas si jeune et pourtant on me considère comme un jeune auteur…
Je dirais plutôt un auteur débutant. J’ai toujours voulu faire de la BD, j’ai même fait des études pour cela en Belgique, les aléas de la vie ont fait que pendant 10 ans j’ai travaillé dans la création de jeux vidéos… cela m’a pas mal éloigné de la BD !
J’y ai débuté sur "Dragon Lore" comme story-boarder, puis textureur, artiste conceptuel, puis scénariste, directeur artistique et enfin chef de projet. En 10 ans j’avais fait le tour du truc…

Sceneario.com : Est-ce que d’avoir travaillé dans les jeux vidéos, aide à construire le scénario de la série?
Jean-Luc SALA : L’industrie du jeu, en matière de scénarii, est directement tributaire de l’écriture Hollywoodienne, elle est donc soumise à certaines règles, elles-mêmes dérivées de l’écriture théâtrale classique. J’ai repris ces règles et ces méthodes à mon compte. Mes collègues ont quelquefois tendance à dénigrer ce formatage, et pourtant ils sont les premiers à s’extasier devant la rigueur d’écriture des bonnes séries TV américaines… Allez comprendre !
Les Français sont censés être des cartésiens et pourtant ils croient encore que les muses viennent inspirer les artistes…
J’ai côtoyé des pointures lors de mon expérience dans les jeux, j’ai co-écrit avec Johan Robson une adaptation de K. Dick, parlé écriture avec Norman Spinrad et Hal Barwood (Le dragon du lac de feu, fate of Atlantis), ils m’ont montré que l’écriture possède ses techniques. C’est pendant cette époque que j’ai lu des ouvrages sur la construction dramatique et que je me suis piqué au jeu.

Sceneario.com : Ce n’est pas ‘trop dur’ de revenir à la bande dessinée après les années passées dans le jeu vidéo?
Jean-Luc SALA : Pas du tout, j’y vois même une sorte de cheminement logique tellement les deux domaines tendent vers la même direction… La distraction, la mise en abîmes, la création d’univers, l’aventure par procuration. Ces deux domaines sont d’ailleurs en proie aux mêmes dérives… La création de Licences, le manque de prises de risques éditoriales, une saturation du nombre de titres et un appauvrissement du nombre de genres !!!

Sceneario.com : Quelle est la différence entre écrire un one shot comme ‘La Légende de Kynan’ et une série comme ‘Cross Fire’?
Jean-Luc SALA : 46 pages c’est trop court pour raconter une histoire ! 
La légende de Kynan en fait d’ailleurs 56 ! La "légende de Kynan" a été réalisée avec mon compère Henri Reculé alors que nous étions en dernière année de Beaux Arts… Cet album était en quelque sorte notre travail de fin d’année. C’était un "One Shot" par nécessité, écrit justement sans méthode et par la grâce des Muses… 
Depuis j’ai réessayé d’écrire un One Shot, (un kookaburra Universe), je suis en train de le retravailler car il ne tient pas en 46 pages. Je crois que je ne suis définitivement pas à l’aise avec l’écriture en One Shot de 46 pages… J’aime ralentir ou accélérer le rythme de lecture comme dans Cross Fire, développer des scènes de dialogues ou des pauses de comédies entre deux scènes d’actions, cela n’est possible que dans un contexte de série.

Sceneario.com : Comment organises-tu ton travail avec Pierre-Mony Chan?
Jean-Luc SALA : Il est très indépendant… Il ne storyboarde pas et il va directement au travail sur la planche. Du coup, je lui décris avec le plus de détails possibles chaque case, une bonne partie de la mise en scène est faite au stade de l’écriture. Ensuite quand je lui passe le découpage, il peut me proposer des changements qui vont toujours dans le sens de plus de lisibilité.

Sceneario.com : Pierre-Mony Chan nous a dit que tu t’intéressais au sujet de cette histoire bien avant la parution du premier tome. Ce n’est pas commun, comment en es-tu arrivé à t’intéresser aux secrets cachés du Vatican?
Jean-Luc SALA : Au hasard de mes lectures principalement, même si dans ma vie j’ai été plusieurs fois témoin des dérives du fanatisme (j’étais en Iran lors de la révolution islamique et à Jérusalem lors de l’assassinat de Rabbin)… 
J’aime l’époque médiévale, surtout tout ce qui touche aux croisades… Quand on commence à s’intéresser aux Templiers, on a vite fait de constater le nombre foisonnant d‘hérésies qui ont existé et de la force incroyablement brutale que l’Eglise a déployé pour les combattre. De lecture en lecture j’ai relevé des anecdotes ou des faits que j’ai collectés dans une chronologie. Le travail a ensuite consisté à extraire de ces faits une sorte de ligne directrice qui racontait une histoire jusque là inédite et troublante… 
Entre temps, le Da Vinci Code est sorti et il a fallu que je révise certaines parties de l’histoire pour éviter toute correspondance… Et voilà que maintenant, un exemplaire de l’évangile de Judas refait son apparition !!…

Sceneario.com : Cela doit être compliqué de réunir de la documentation pour ce genre de sujet?
Jean-Luc SALA : Non, en ce moment j’écris une comédie sur la seconde guerre mondiale et j’ai plus de mal à réunir de la documentation valable. L’histoire des hérésies est extrêmement documentée, les premiers témoignages datent du 1er siècle…Il faut écarter pas mal de livres écrits par des charlatans, mais globalement ça a été une partie de plaisir… D’autant plus que j’ai eu la chance de me rendre dans quelques uns des lieux qui figurent dans Cross Fire et que ces visites m’ont inspirées des scènes qui, je l’espère, "sonnent" vrai.

Sceneario.com : On te parle souvent du ‘Da Vinci code’ par rapport au thème de Cross Fire ?
Jean-Luc SALA : Tous les jours ! 
Je suis assez tranquille avec cela car j’ai déposé l’histoire de Cross Fire bien avant la sortie du Da Vinci Code ! Je dirais que c’était dans l’air du temps, Dan Brown a lu des livres qui l’ont inspiré et j’ai dû lire les mêmes… Par contre moi j’ai eu la délicatesse de mettre sur la page de remerciements du 1er album, le nom des auteurs qui m’ont inspiré… et je clame haut et fort que j’ai fait un travail de fiction et non d’historien… Dan Brown a eu une autre démarche, il ne cite pas ses sources (sauf une par anagramme dans le nom d’un de ses personnages !) et surtout il affirme que tout ce qu’il dit est vrai… Ce qui ne lui retire ni son talent, ni son succès… J’ai beaucoup apprécié son livre ! 

Sceneario.com : Pourquoi avoir utilisés deux petits passages où le fantastique rentre en jeu ? L’homme qui brûle le parchemin dans le tome 1 et le fait que cet homme ne semblent pas vieillir, on le voit au Moyen-Age, 1939 avec Freud, et à l’époque actuelle. C’est assez étonnant car le reste des deux albums semblent plus basé sur du ‘réel’?
Jean-Luc SALA : Difficile d’en dire plus !! J’ai adoré faire cela… disséminer des petits bouts de fantastique dans un récit ancré dans le réel… ce mystère va s’épaissir dès le flashback du début du troisième tome… Je vais donner des réponses et normalement elles devraient soulever encore plus de questions… Disons que tout ce qui touche le personnage de "l’Inquisiteur" fait partie du fil rouge de l’histoire et qu’il faudra attendre la fin du dernier tome pour dénouer tout cela… 
En attendant je me régale en écoutant les conjectures des lecteurs que je rencontre en dédicaces… Pour l’instant tout le monde est passé à côté !

Sceneario.com :  Angelo et Sofia font très personnages de buddy movies (où les deux personnages ne s’aiment pas forcément au début mais font cause commune pour atteindre le même but). Les scènes d’action sont aussi très cinématographiques. Le cinéma fait partie de vos références?
Jean-Luc SALA : Bien sûr ! Je sais que je ne réaliserai jamais de films…
Mais est-ce sain de rester sur une frustration ?
J’aime les films de genre et je suis très grand public… Mon approche de l’écriture est essentiellement cinématographique…Quand j’écris, je ne raconte pas un album de BD… Je raconte un film qui se joue dans ma tête… Par contre je le découpe comme une BD, pour que chaque épisode tombe pile poil dans 46 pages et pour que chaque scène se finisse en bas d’une page et pas au milieu d’un strip. 

Sceneario.com : James bond est clairement une influence entre les pré-génériques et les titres des albums, au service secret de sa Sainteté, le prochain mourir et laisser vivre. 
Jean-Luc SALA :
Exact, et c’est très clairement assumé… Ce qui n’était au début qu’un clin d’œil rigolo a pris de l’importance… et il est possible que d’ici quelques mois vous entendiez parler d’un autre projet qui fera plus que référence à l’univers de James Bond !! Mais pour l’instant c’est classifié Top Secret ! 

Sceneario.com : D’ailleurs pour le live and let die, version wings (mc cartney) ou gun ‘n roses ? 
Jean-Luc SALA : Désolé Polo, mais celle des guns envoie plus de bois !

Sceneario.com : Et dans le rôle de James Bond tu préfères quel acteur?
Jean-Luc SALA: J’ai découvert 007 par le biais de Roger Moore… J’aimais bien son côté « limite pastiche ». Mais qui pourra jamais rivaliser avec Sean Connery ? Ceci dit, j’ai vu des images du prochain acteur… Tout le monde est prêt à le démolir parce qu’il est blond, ce qui est vraiment stupide… Ian Fleming était blond et il avait créé Bond à son image… Wait and see !

Sceneario.com : Tu fréquentes certains forums qui parlent de ta bande dessinée sur internet. Que t’apporte Internet en plus des séances de dédicaces?
Jean-Luc SALA : A vrai dire, je ne fréquente réellement qu’un forum et cela me suffit amplement. Le rapport est différent lors des dédicaces… Je vois mal un mec faire la queue pendant trois heures pour venir me dire que ce que je fais est merdique… Souvent en dédicaces on n’a pas le temps d’échanger concrètement sur tel ou tel point… alors que sur les forums, les deux cas sont possibles !! Un mec peut te démonter pendant qu’un fan te demande si tu pouvais expliquer un dialogue ou un truc subtil… Je n’ai aucun souci pour en discuter quand j’en ai le temps. C’est certainement pour cela que ce dialogue s’est toujours bien passé ! Je ne cherche pas à « contrôler » ce qui se dit, tout juste à prendre la température. Les lecteurs se posent des questions pertinentes, je leur réponds si je le peux. Après tout si je raconte des histoires, c’est aussi pour qu’elles soient lues. Mais, souvent, je ne tiens aucun compte des avis, qu’ils soient formulés par des proches, des collègues ou des forumeurs… Des avis, tout le monde en a et si je fais de la BD c’est justement pour donner le mien ! Je serais simple lecteur j’interviendrais plus, mais là je suis parti prenante en tant qu’auteur, donc j’ai un devoir de réserve, je n’interviens quasiment que dans les sujets qui me concernent…

Sceneario.com : J’ai vu que tu allais sortir une bande dessinée ‘Le serment du Tengu’ où tu es à la fois scénariste et dessinateur. En quoi cela change ton travail d’être aux deux postes?
Jean-Luc SALA : Cela change tout, d’un coté il y a la phase d’écriture… de l’autre celle du dessin… Sauf que là c’est moi qui me colle aussi au dessin et à la couleur. J’ai donc un rapport très particulier avec Bakemono puisque je me suis investi à chaque étape ! Cet album sera très différent au niveau de la narration et du rythme de lecture… Déjà parce que c’est de la fantasy et aussi car c’est le début d’une longue saga, donc la lecture est plus aérée. Pour Cross Fire il y a beaucoup d’éléments que je décide au moment de l’écriture de chaque tome. Alors que pour Bakemono, tout est déjà figé dans le marbre… Toute la série a été écrite, il ne reste plus qu’à la dessiner!

Sceneario.com : J’ai entendu parler d’un projet avec Yann, on peut en savoir plus?
Jean-Luc SALA : Tout d’abord Yann est un des scénaristes que j’adorais lire en tant que lecteur… Quand il m’a contacté j’étais tout con, je ne voyais pas ce qu’il pouvait avoir comme intérêt à écrire avec un débutant ! J’ai énormément appris en travaillant avec lui ! Le projet est pour Dargaud Benelux et il est en attente d’un dessinateur musclé qui acceptera de relever le défi ! Il s’agira d’un Thriller sur fond de guerre du Vietnam. On a abordé cette guerre sous l’angle inédit des groupes industriels qui ont profité de cette guerre et en parlant des conséquences et des cicatrices qu’a laissé cette guerre au Vietnam comme aux Etats-Unis… On est très loin d’un truc vaguement héroïque ou patriotique, c’est sombre, violent, dense, on aborde de vrais thèmes de façon très frontale tout en ayant une narration agréable et un vrai suspense… Yann en est content et moi je crois que c’est le truc le plus pointu que j’ai jamais écrit… Je suis sorti épuisé de cette épreuve d’écriture mais heureux… conscient d’avoir franchi une sorte de cap de maturité… Un rite initiatique de scénariste sous la tutelle de Yann ! Je crois que je viens de passer mon permis de piloter des scénars !!

Sceneario.com : merci

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