Interview

Jean-Charles Gaudin et Frédéric Peynet

Phoenix 01 couv

Sceneario.com : Au mois d’août prochain, sort Phoenix, votre dernier "nouveau-né" à tous les deux, thriller moderne aux ambiances fantastiques. Après Le Feul, votre association semble se péréniser ? Comment traduisez-vous le travail de l’autre ?

Jean-Charles GAUDIN : Je connais Frédéric depuis pas mal d’années et je l’avais vu arriver avec une bd complète et de somptueuses illustrations pour l’examen de son école. Il était plus qu’évident que Frédéric Peynet avait un talent fou. J’ai eu de suite envie de travailler avec lui. Depuis, il a progressé pour arriver à ce trait si précis et si séduisant. Je suis toujours aussi stupéfait de ses planches. Tous les détails y sont sans alourdir le propos. Son trait est à la fois efficace et élégant. Pour moi, Frédéric Peynet est un grand du 9ème art !

Frédéric PEYNET : Jean-Charles et moi nous connaissons depuis 1997. Nous nous entendons très bien et chacun respecte le travail de l’autre. Notre collaboration s’étant très bien passée sur Le Feul, il nous a semblé évident que nous devions continuer ensemble. Parallèlement à son métier de scénariste, Jean-Charles est réalisateur de court et moyen métrage : son sens de la mise en scène est très efficace. Il sait gérer une séquence pour qu’elle soit parfaitement lisible et compréhensible, qu’elle coule de source. Et puis, j’aime l’humanité et les sentiments qu’il donne à nos personnages. Il parvient à les rendre vivants et avec leurs propres logiques, leurs propres caractères.

Sceneario.com : Comment est né Phoenix ? Il semblerait que par ce biais, vous ayez eu envie de vous attaquer à un nouveau style, plus authentique, plus contemporain que l’univers fantasy des précédentes séries telles Le Feul, Les Princes d’Arclan, Lans Sirling… ?

Jean-Charles GAUDIN : Il y a cette envie de prolonger l’expérience « l’ombre du cinéphage » avec un thriller. J’aime la fantasy, mais je suis tout autant passionné par le fantastique contemporain. Avec Frédéric, nous avions envie d’aborder le genre pour une prochaine série. Nous avons commencé à en discuter alors que nous étions encore sur « LE FEUL ». Très vite des envies se sont « dessinées » et je lui ai proposé un point de départ sur lequel Frédéric a aussitôt rebondi.

Frédéric PEYNET: Voilà maintenant une dizaine d’années que je dessine dans un genre fantasy, ou similaire. J’avais l’impression de commencer à tourner en rond et de ne plus savoir comment me renouveler. Comme mes lectures sont essentiellement des thrillers, l’envie d’en faire un à mon tour est venue naturellement. Jean-Charles était également très intéressé par ce genre. Nous en avons discuté et en très peu de temps, nous étions tombés d’accord : après le Feul, notre prochaine histoire serait un thriller contemporain.

Faustine

Sceneario.com : Sans en dévoiler la substante moelle, pourquoi avoir choisi ce titre ? Serait-ce en rapport avec l’oiseau mythique et la symbolique qui s’y rapporte ? Qu’est-ce qui vous a inspiré pour vous lancer dans cette aventure ?

Jean-Charles GAUDIN : A vrai dire, le titre a été difficile à trouver. Nous avions de nombreuses pistes, mais il y avait toujours un détail qui nous chagrinait à chaque fois. « PHOENIX » résume très bien l’état d’esprit de la série, mais je laisse au lecteur le loisir de trouver les clefs de ce titre. Elles sont déjà présentes dans ce premier tome et deviendront plus claires dans les tomes à venir.

Frédéric PEYNET : Pour le titre, il y a deux significations. Jean-Charles en parlera mieux que moi, mais la première est effectivement en rapport avec l’oiseau mythique qui renaît de ses cendres, ce qui correspond un peu à ce que Jon, notre personnage, va vivre. La seconde sera dévoilée dans le tome 2. Ce qui m’a inspiré dans le registre contemporain, c’étaient notamment mes lectures, même si certaines n’ont rien à voir avec le genre que nous abordons ici… 20th century boys, Largo Winch, Jérôme k Jérôme Bloche… Des séries contemporaines dont j’admire la richesse du graphisme et du scénario. Urasawa est très fort dans les mises en scène.

Sceneario.com : Ce premier épisode donne le ton d’une série à sensations, gorgée de scènes chocs et de visions fantastiques. Est-ce que cette série répond à un besoin inassouvi de réaliser une histoire haletante qui fait, somme toute, peur ?

Jean-Charles GAUDIN : Il y a en effet quelques scènes chocs, mais nous mettons surtout l’accent sur l’atmosphère et les personnages. Avec PHOENIX, nous cherchons le mystère et l’inconnu. C’est l’émotion qui doit conduire le lecteur. Nous essayons de l’impliquer via les péripéties, les dialogues et le non-dit… C’est l’aspect humain avant tout, ce qui ne nous empêche pas de vous réserver des séquences « spectaculaires »…

Frédéric PEYNET : Lorsqu’on fait un thriller, il faut introduire une certaine tension dans l’histoire, sinon l’histoire risque de paraître bien palotte. Faire peur en bande dessinée me paraît très difficile, surtout à un public adulte. Autant au cinéma, cela est possible, grâce au mouvement de la caméra, à la bande son, les bruitages, la musique, les éclairages, et aussi parce que le public est enfermé dans une salle noire… En BD, rien de tout ça… Si on arrive à introduire une certaine tension ressentie par le lecteur, c’est déjà très bien!

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Sceneario.com : Ce premier tome installe avec force l’intrigue qui semble éclater dans tous les coins et dont l’origine est une expérience qui a touché une île du Pacifique en 1983. N’y aurait-il pas un fonds de vérité dans cet évènement (essais nucléaires de Mururoa…) ?

Jean-Charles GAUDIN : Ici, nous avons en effet les conséquences d’une expérience, mais je ne peux vous en dire plus pour le moment sans dévoiler quelques clefs de l’intrigue. Cela deviendra plus évident dans le tome 2.

Frédéric PEYNET : Jean-Charles est parti d’un fait qui aurait existé. Je ne vais pas le révéler ici car, même si notre histoire s’éloigne de ce fait plus ou moins réel, je ne voudrais pas trop donner de pistes qui risqueraient de déflorer l’intrigue.

Sceneario.com: Si l’intrigue commence aux Etats-Unis, celle-ci semble s’installer sur le territoire français. Est-ce à dire que les effets de l’expérience sur l’atoll militaire du Pacifique vont êtres mondiaux ?

Jean-Charles GAUDIN : Vous verrez en effet que nous pouvons nous déplacer sur tous les continents, mais le fil directeur restera tout de même aux Etats-Unis et en Europe.

Frédéric PEYNET : A priori, on devrait pas mal voyager de continent en continent… Mais je ne connais pas toute l’histoire, Jean-Charles ne m’a divulgué que les très grandes lignes.

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Sceneario.com : Comment vous êtes-vous organisés pour la mise en images de votre projet? Est-ce que Frédéric s’est lancé dans le dessin après avoir reçu le story-board complet ou au contraire, a-t-il travaillé planche par planche au fur et à mesure de la réception des éléments ?

Jean-Charles GAUDIN : Je donne souvent les 5 ou 10 premières planches de l’album au dessinateur. Il peut ainsi travailler dessus tandis que je continue d’écrire l’album. Cela me permet d’explorer plusieurs pistes et d’enrichir mon scénario au fil de mes relectures. Chaque planche est détaillée. Je sais que je suis un peu directif mais je préfère exploiter à fond une idée de mise en scène pour marquer l’esprit de mon collaborateur qui n’aura qu’une envie : celle de m’épater !

Frédéric PEYNET : Jean-Charles fait le découpage du scénario. C’est à dire que par écrit, il indique le nombre de cases que contient une planche, le lieu (extérieur, intérieur), le moment de la journée (matin, jour, nuit…), le nombre de personnages, leurs dialogues et l’action qu’il se passe dans chaque case.

Il m’envoie ses pages, que je crayonne sous forme de story board. C’est un brouillon rapide qui me sert à visualiser globalement à quoi ressemblera la planche terminée. Jean-Charles contrôle ce story-board, émet des remarques si la mise en scène n’est pas correcte, et une fois que l’on est d’accord, je me lance dans la réalisation des planches.

Sceneario.com : Au niveau graphique, on sent que le trait de Frédéric a sensiblement évolué au regard du hachurage très présent qu’il a utilisé dans Le Feul. Pourquoi ce changement ? Ne correspondait-il pas à l’ambiance authentique de la nouvelle histoire ?

Jean-Charles GAUDIN : Je crois surtout que Frédéric aborde le contemporain après un travail de plusieurs albums sur la fantasy. On ne le connaissait pas trop dans ce registre et là, on redécouvre son trait précis et son sens du détail. Frédéric est un dessinateur généreux. Il suffit de voir la précision de ses vignettes pour s’en convaincre. Il ne recule jamais devant la difficulté et j’en suis toujours aussi stupéfait. C’est la marque des grands !

Frédéric PEYNET : Je n’ai pas l’impression d’avoir modifié mon dessin. Ce ressenti vient peut-être du fait que nous avons radicalement changé de genre par rapport au Feul, mais si vous regardez la scène du métro, par exemple, j’ai eu mon compte en hachures. Je me suis toujours énormément focalisé sur la gestuelle de mes personnages. Le reste est plutôt instinctif. Je mets des hachures si je sens qu’il en faut. Probablement que dans des lieux « chics » comme Jean-Charles me demandait d’en dessiner, mes petits traits auraient donné un côté trop sale qui n’aurait pas convenu. Je n’y ai pas vraiment réfléchi.

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Sceneario.com : Comment avez-vous choisi vos personnages (Jon, Fincher, Dr Mels…) et l’effigie d’autres tels ceux qui peuplent les visions cauchemardesques de Jon ?

Jean-Charles GAUDIN : Pour éclaircir ma « vision » des personnages, il a fallu que j’aille assez loin dans l’histoire. J’avais besoin de recul pour définir au mieux les principaux protagonistes et les « créatures » qui dépendaient de ce qu’il s’était passé autrefois. Il me fallait donc une vue d’ensemble tout en gardant une vision nette de chaque personnage. Frédéric a su rebondir à merveille.

Frédéric PEYNET : Jon est né directement en planche 5. J’avais fait plusieurs recherches, mais aucune ne convenait à Jean-Charles. Il a bien fallu que je me jette à l’eau une fois arrivé à la page en question. Pour les autres personnages, j’essaye de leur donner un caractère à chacun, ce n’est pas toujours évident, on a vite tendance à refaire le même genre de visage où seule la coiffure permet de différencier les personnages. Il faut alors bien observer les gens autour de soi, repérer des physiques et essayer de les retranscrire sur le papier.

J’aime beaucoup Fincher.

Les visions cauchemardesques sont nées de la même façon que Jon, directement sur les planches.

Sceneario.com : Vous vous êtes assurés du concours de la coloriste Delphine Rieu qui réalise une très belle performance au regard des nombreuses zones détaillées sur lesquelles elle doit intervenir. Est-ce à dire que Frédéric ne pouvait pas tout assumer comme dans Le Feul ?

Jean-Charles GAUDIN : Frédéric est un très bon coloriste et il l’a prouvé maintes fois. Reste qu’ici, le temps pouvait jouer en notre défaveur. Nous avions besoin d’être rassurés sur ce travail particulier et l’arrivée de Delphine a été un soulagement. Je donne toujours mon avis sur les couleurs sans entrer dans les détails que le dessinateur connaît forcément plus que moi. J’essaie ainsi de retrouver l’état d’esprit du futur lecteur qui ouvre l’album pour la première fois. Quant au travail de Delphine, il est une fois de plus excellent !

Frédéric PEYNET : J’aurais pu s’il avait fallu, mais changer d’univers et dessiner dans un registre contemporain, ce que je n’avais pratiquement jamais fait auparavant, me donnait déjà beaucoup de travail, ne serait-ce que sur le décor. Avec l’accord de Jean-Charles et de Soleil, nous avons cherché quelqu’un qui pourrait s’occuper des couleurs.

Delphine a fait un travail remarquable sur cet album, elle est parvenue à me surprendre sur des scènes que je n’aurais pas forcément su appréhender en couleur. Elle a une très bonne façon de gérer les ombres et les lumières sur les personnages, ce qui n’est pas toujours évident à faire, et elle a créé de très belles atmosphères dans Paris.

Ça lui a demandé beaucoup de travail, mais je suis très content de cette collaboration.

Sceneario.com : Avez-vous déjà prévu le nombre de tomes que constitueront la présente aventure ?

Jean-Charles GAUDIN : Il y aura au moins 5 albums puisque les ramifications de l’intrigue sont importantes. Ce que nous voulons surtout, c’est que le lecteur soit captivé de la première à la dernière page. Ça c’est plus important que le nombre de tomes.

Frédéric PEYNET :  Il y a matière à cinq tomes voire plus. Ce n’est pas gravé dans le marbre. A l’origine, Le Feul ne devait être qu’un dyptique, il y en a finalement trois…

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Sceneario.com: Qu’en est-il de la suite de cet opus ? Avez-vous déjà prévu une date de sortie ?

Jean-Charles GAUDIN : Je suis en train de finaliser le tome 2. Nous prévoyons une sortie pour mai-juin 2011.

Frédéric PEYNET : Non, mais nous travaillons sur ce deuxième album depuis quelques mois déjà. Je suis sur la planche 12 en ce moment.

Sceneario.com : Avez-vous en parallèle d’autres projets suceptibles de sortir prochainement ?

Jean-Charles GAUDIN  : Il y a la suite des séries en cours comme MARLYSA, LES ARCANES DU MIDI-MINUIT, L’ASSASSIN ROYAL, LES MC FOX, GAROUS… A cela s’ajoute un nouveau thriller contemporain très surprenant avec Riccardo Crosa, ainsi qu’une nouvelle série moyenâgeuse et fantastique avec Stéphane Collignon au dessin et Jean-luc Clerjeaud qui est mon collaborateur au scénario.

Frédéric PEYNET :  Moi non.

Sceneario.com : Sceneario.com vous remercie de vos réponses et vous souhaite bon courage pour la suite !

Frédéric PEYNET :  Merci pour cette interview et pour la critique très élogieuse que vous avez faites à propos de notre album. Ça nous touche beaucoup.

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