Interview

Jarjille, l’édition passion

Sceneario.com : Alep, Deloupy, bonjour, vous êtes deux des trois co-fondateurs des éditions Jarjille, comment et pourquoi vous êtes-vous lancés dans cette aventure ?

Deloupy : Nous n’avions pas prémédité de devenir éditeurs lorsque nous avons commencé en 2004. Alep et moi avions un projet commun, intitulé Comixland,, qui avait plus à voir avec l’illustration, mais qui parlait des collectionneurs de BD et j’avais avec Alain Brechbuhl (le troisième fondateur de Jarjille) un autre projet d’illustration « Collisions ». Connaissant un peu le monde de l’édition, nous savions tous les trois qu’il serait difficile de placer ces deux projets, plutôt destinés aux adultes. On s’est donc lancé, avec nos fonds personnels et sans droits d’auteurs. Ce n’est qu’à la sortie de L’introuvable en 2006 que nous avons réellement décidé de devenir éditeurs, en considérant que nous publierions de la bande dessinée, de l’illustration et la photo. Des livres ou l’image et le texte s’imbriquent …

Alep :

extrait Alep : C’était de l’inconscience pure ! Car si l’on maîtrisait la création et l’impression des livres, nous n’avions aucune idée de ce qu’était la diffusion, la distribution et la vente. C’est parce que nous avons essuyé les plâtres que nous avons décidé de publier d’autres auteurs afin de leur éviter les difficultés que nous avions rencontrées et ainsi leur faire bénéficier de nos petite expérience.

 

Sceneario.com : Vous êtes tous les deux auteurs, Alep en tant que scénariste et Deloupy comme dessinateur, comment parvenez-vous à gérer les deux casquettes, auteur et éditeur, avez-vous de super pouvoirs ?

Deloupy : Super pouvoirs, hum …Il faut aussi préciser, pour en rajouter un peu, qu’aucun de nous n’est salarié de Jarjille, d’ailleurs, il n’y a pas de salarié, et nous ne touchons des droits que sur les livres dont nous sommes auteurs. Jarjille prend en charge les frais liés aux déplacements sur les festivals, l’impression des livres, l’envoi, etc … L’association a donc un président, une secrétaire et une trésorière. Nous avons tous une activité à coté, activité liée au monde du livre, de la bande dessinée, ou de l’illustration. De plus, Alep et moi faisons beaucoup d’ateliers, de rencontres et de promotion autour de la bande-dessinée, en milieu scolaire, associatif et en prison. En ce qui concerne notre propre production, Alep et moi nous connaissons depuis assez longtemps pour être critique sur le travail de l’autre. Nous ne cédons pas à la facilité, et se publier soi-même n’est pas synonyme dans le cas de Jarjille d’auto-édition. J’ai par ailleurs, du fait de mon activité d’illustrateur assez de contacts avec d’autres éditeurs pour être lucide quant à mon dessin.

Alep : : Nous fêterons en 2014 nos 10 ans d’existence, nous avons d’ores et déjà publié 33 auteurs qui ont réalisé une cinquantaine de livres. Notre motivation reste toujours le plaisir, plaisir de découvrir et de lire de nouveaux ouvrages, de les faire évoluer si besoin, et de les faire apprécier par le plus grand nombre. Pour cela, on se doit, d’être exigeant. En conséquence, il arrive que l’on doive mettre en attente notre travail d’auteur, les journées n’étant pas extensibles !

Sceneario.com : Une petite structure comme Jarjille, au statut très particulier, est-elle la solution pour se faire plaisir, accueillir de nouveaux talents et perdurer?

Deloupy : Faire plaisir reste un moteur, nous bénéficions d’une belle liberté, dans nos choix éditoriaux, dans notre démarche…mais tout n’est pas rose pour autant : Nous avons commencé avec nos propres livres parce que les risques ainsi pris n’engageaient que nous. Mais nous avons décidé très tôt que pour les auteurs qui signeraient chez nous, cette activité ne serait pas bénévole. Nous souhaitions pouvoir les payer, même si nous avions conscience que nos tirages (de 500 à 3000 ex…) ne suffiraient pas à les faire vivre. C’est d’ailleurs sur cette part là que nous travaillons le plus : la collection BN² propose des droits d’auteurs à 33 % (les droits sont divisés en 3 entre auteur, libraire, et éditeur) et pour les autres livres, la fourchette est entre 12 et 20 % … Alors bien sûr, nous n’avons pas la force de frappe d’un gros éditeur, et nos à-valoir restent modestes, mais on espère grossir suffisamment pour imposer ce point de vue. L’édition reste une activité économique, pleine d’enjeux et faire bouger les choses n’est pas si facile, tant chez les libraires que chez les auteurs ! Le fait d’avoir une maison d’édition en province, à Saint Etienne, nous a permis de rencontrer et connaître de nombreux auteurs en devenir et qui ont publiés depuis ailleurs (Half Bob, Zelba, Gaelle Boissonnard, Geoffroy Monde, Alexandre Kha, Rachel Deville, Damien Vidal, Bettina Egger… ) d’en rencontrer de nouveaux ( Ulric Stahl, Armelle Drouin, Caroline Godot, Lison Bernet, Will Augel, etc..) et de voir venir quelques autres dont nous aimions particulièrement le travail (Gilles Rochier, Simon Hureau, Annequin et Julian, Ivan Brun, Benoît Barale, Tony sandoval , Laetitia Rouxel , Alexandre Kha…)

Sceneario.com : Vous défendez une certaine éthique, des valeurs, dans un monde ou le bénéfice prime, avez-vous une âme de Don Quichotte ?

extrait

Deloupy : Don Quichotte se battait contre des moulins à vent, nous, nous n’avons pas d’ennemi ! On peut dire que l’on a bénéficié du formidable travail accompli par d’autres structures indépendantes comme l’Association, Atrabile, Cornélius, Ego Comix etc … Nous avons réfléchi en utilisant le statut associatif et en fonctionnant bénévolement , nous avons tous de suite considéré que pour survivre, il faudrait nous passer d’un diffuseur. Bien sûr, cela voulait dire du travail en plus et surtout se constituer un réseau de libraires indépendants. Nous nous sommes appuyés sur le réseau Canal BD qui grâce à certains libraires comme Fred d’Esprit BD, nous a bien soutenu. Mais nous subissons le même problème que toutes les petites structures …face au tsunami de bande dessinées qui déferlent chaque mois dans les librairies, nos livres n’ont que peu de chances d’exister…et les quantités vendues, à quelques exceptions près sont trop peu importantes pour perdurer. Nous avons vu nos ventes en librairies se réduirent sérieusement depuis 3 ans, celle par internet augmenter, en grande partie grâce à des frais de port gratuit…Nous avons réfléchi à un autre moyen de toucher les lecteurs : les salons, festivals et dédicaces étaient une réponse à ce problème. Nous faisons beaucoup de salons partout en France, cela demande certes beaucoup d’énergie et nous y consacrons des moyens financiers importants, mais c’est une façon de nous faire connaître un peu partout et de se développer et de rencontrer de nouveaux lecteurs, des libraires, des journalistes, des passionnés …
Notre éthique s’étend même à la fabrication des livres, puisque nous imprimons en circuit court, avec des imprimeurs de la région ce qui nous permet d’être sur place, et de contrôler cette étape! ,
Pour clore la réflexion, le travail des libraires devient de plus en plus difficile, et nous regrettons, alors qu’ils s’en plaignent tous, que ce ne soit pas cette corporation qui rejette le système de diffusion actuel imposé par les éditeurs ! Nous l’avons fait, en proposant une distribution alternative, par la poste, gratuitement, avec remise conséquente (40%) et retours possibles sous 3 mois !
Et pour enfoncer le clou, nous avons refusé la proposition d’Amazon, d’intégrer leur plateforme en ligne (en leur reversant 37% !) …Comme quoi, ça reste possible, c’est juste une question de choix !

Sceneario.com : Au sein des éditions Jarjille, nous retrouvons bien sur un catalogue bande dessinée, un catalogue jeunesse et illustration mais aussi une collection qui s’appelle BN², qu’est-ce qui se cache derrière ce nom très alléchant ?

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Alep : La collection BN est à elle seule un résumé de notre démarche, l’envie de faire découvrir l’univers d’un auteur à un petit prix (4€). C’est ce qu’on appelle un goûter d’auteur, tout comme nous avions droit dans notre enfance pour le « 4 heures », au Biscuit Nantais. Nous proposons une histoire complète en 12 pages mettant en avant le graphisme et le sens de la narration de chacun. La collection est ouverte à tous, jeunes talents et auteurs confirmés. Le thème imposé est l’enfance et peut s’adresser indifféremment aux plus jeunes ou aux adultes. Lors de sa création, nous n’avions pas envisagé que cette collection remporterait un tel succès ; elle a su se faire apprécier aussi bien du grand public que des professionnels.

Sceneario.com : Si l’on devait rechercher un point commun aux différents titres que vous avez publiés, une cohérence dans vos choix, quel serait-il ?

Alep :

De la même manière qu’Hergé disait : « Tintin, c’est moi », nous pourrions dire Jarjille, c’est nous et correspond à la somme de nos goûts hétéroclites. D’autres pourraient le faire différemment et peut-être mieux, mais ce ne serait plus Jarjille !

 

extrait

Sceneario.com : Vous venez de publier Lucia au Havre pouvez-vous nous en parler, quels sont les autres projets de Jarjille ?

Alep : « Lucia au Havre », c’est à la fois le tome 4 de la « Librairie de l’introuvable » et une récréation. Tout comme nous sortons du cadre habituel du format l’italienne pour un format carré, Lucia quitte sa librairie et la ville de St-Etienne pour se rendre au Havre. Mais comme un libraire ne peut pas se séparer bien longtemps des livres, elle part avec un chargement de romans policier pour une amie bouquiniste et arrive au Havre en plein milieu du festival « Le polar à la plage », haut lieu de la vie culturelle havraise.
Ce récit, centré autour du personnage de Lucia, nous permet d’en apprendre un peu plus sur son histoire personnelle et débute une série d’albums ayant comme centre d’intérêt un des personnages principaux de la série.
Pour en venir enfin aux projets, ils sont nombreux mais j’aimerai en évoquer deux particulièrement.
– « Jean-Baptiste » de William Augel, auteur remarqué de « Monstrueuse Cathy » dans la collection BN²., qui raconte ici l’histoire hilarante d’un chien obsédé, merveilleux mélange entre pif poche les Peanuts et Vuillemin.
– « Un quart né » de Laetitia Rouxel, où elle aborde le thème de la difficulté à devenir mère, récit en partie autobiographique très documenté qui ne saurait laisser indifférent ! Laetitia est l’auteur de « Mon île » dans la collection BN².

Sceneario.com : Merci à tous les deux de nous avoir consacré de votre temps.

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