Interview

Interview Jean-Christophe Deveney & Loïc Godart pour KATINKA

Bonjour Jean-Christophe,

Bonjour Loïc,

Sceneario.com : En ce mois de mai, sort chez Akileos, Katinka, Bang ! T2 couvvotre dernier ouvrage commun que l’on découvre sous la bannière du titre d’un précédent album intitulé Bang ! Qu’est-ce qui vous a motivé à regrouper les deux histoires, pourtant différentes l’une de l’autre, sous ce titre détonnant ?

Loïc Godart : Apres avoir terminé le premier «Bang ! », l’envie de faire un truc plus centré sur le personnage de Katinka était déjà présente en fait. Et puis comme chaque album est un one- shot ça nous laissait la possibilité de raconter autre chose.

Jean-Christophe Deveney : C’est vrai que les deux histoires sont différentes. Le premier Bang ! est peut-être plus gratuit, avec un côté humour noir. Dans le second, ces ingrédients sont toujours présents mais dilués dans une intrigue plus noire et plus polar. Après, le lien entre les deux est bien entendu Katinka, la psychopathe addicte à la chirurgie esthétique du premier tome. On retrouve aussi l’ambiance Russie déglinguée en toile de fond.

Sceneario.com : Après avoir animé un commando autodestructeur, vous optez pour un face-à-face plus réduit mais tout aussi dévastateur. Pourquoi avoir choisi cette thématique ?

Jean-Christophe Deveney : Katinka était la grande « méchante » du premier Bang. Et comme beaucoup de monde, je crois que je préfère les méchants. Ils sont souvent plus abîmés, plus épais et plus réels que pas mal de héros. Du coup, quand on a envisagé de faire un second album, l’envie de raconter et de développer celle de Katinka s’est vite imposée. C’était aussi une bonne manière de donner une suite à la série tout en permettant à de nouveaux lecteurs de commencer par cette histoire.

Loïc Godart : Et bien, c’est vraiment à l’écriture que tout ça s’est monté, puisque nous voulions faire un truc sur Katinka mais de façon plus complète, en reprenant les grandes parties de sa vie, nous avons commencé par écrire sa vie à elle, et le personnage d’Ivan est venu ensuite, de façon assez insidieuse. Après, il y avait une image, celle d’un flic qui vit dans une cellule.

Bang ! T2 extrait 1

Sceneario.com : Comment s’est opéré le choix des deux personnages principaux (Katinka et l’inspecteur Ivan) et leur relation obscure ? Pourquoi avoir opté pour des personnalités réellement décalées et pour le moins abîmées psychologiquement ?

Loïc Godart : Et bien en fait c’est la faute de cette image, qui a fait qu’en parallèle de l’histoire de Katinka, celle de ce flic s’est développée. Apres il faut voir cet album comme une « love story ». C’est un peu une sorte de « Suis moi je te fuis, fuis moi je te suis », c’est une histoire de passion, de pulsion, on ne ressort jamais tout à fait indemne de ce genre d’histoire…

Jean-Christophe Deveney : C’est vrai qu’on prend des personnages très border-line. Ivan a cramé sa vie à essayer d’arrêter Katinka, qui est elle-même une tueuse déjantée avec un rapport à son corps très extrême. En même temps, c’est cela qui est intéressant : ceux sont des personnages cabossés et cela leur apportent une vraie intensité. Et puis surtout, on sait qu’avec des bases pareilles, on peut aller très loin avec eux dans ce qu’ils vont être capable de faire et d’enfreindre.

Sceneario.com : Le territoire russe sur lequel se déroulent les péripéties semble vous motiver ? Pourquoi avoir choisi cet espace plutôt qu’un autre ?

Loïc Godart : Cet un choix qu’on avait fait lors de l’écriture du premier album, il y avait l’idée de faire un road-movie, dans un grand pays qui ne soit pas les Etats-Unis, la Russie c’est bien, c’est exotique et ça véhicule beaucoup d’images.

Jean-Christophe Deveney : On revient à cette idée d’un univers qui part à la dérive. La Russie en est un très bon exemple. On a tous en tête des clichés de ports perdus remplis de sous-marins nucléaires qu’on vend en pièces détachés. Il y a aussi un côté « en train de basculer » qui me plaît beaucoup dans la Russie qu’on met en scène. C’est un pays qui se prend un changement violent dans les dents. Les repères d’antan volent en éclats et les gens n’ont pas d’autre choix que s’accrocher à ce qu’ils peuvent.

Bang ! T2 extrait 2

Sceneario.com : La violence des mots, le choc des actions, l’amertume des relations semblent être votre leitmotiv ? Pourquoi ce côté sombre, rebelle et dégradant ?

Loïc Godart : Et bien certainement parce que jusque là, on s’est consacré d’avantage à des personnages qui vivent un peu dans le passé. Ce sont des bonhommes qui regardent un peu leur vie.

Jean-Christophe Deveney : Je ne sais pas s’il s’agit d’un leitmotiv. Ce qui est sûr, c’est qu’on aime les personnages qui ont de lourds passifs derrière eux. Là encore, ça exacerbe forcément ce qu’ils vont ressentir par rapport à leurs erreurs et leur regrets. Mais d’une manière générale, je crois que c’est quelque chose qu’on retrouve chez chacun d’entre nous. La nécessité de se dépatouiller avec ce qu’on a fait ou ce qu’on a raté.

Sceneario.com : L’alternat mis en place entre l’enquête d’Ivan et les vicissitudes passées de Katinka contribuent parfaitement à l’installation de l’intrigue qui unit les deux personnages de façon énigmatique. Comment ce choix s’est opéré ?

Loïc Godart : De façon naturelle en fait, puisque dès l’écriture, l’histoire de chaque personnage a été écrite séparément.

Jean-Christophe Deveney : Loïc avait très envie de se lancer dans un tome 2. Et il a été le premier à amener des idées. En fait, c’était même plus que des idées, puisqu’il a écrit un premier séquentiel mais basé uniquement autour de la vie et du passé de Katinka. C’était fort et dense. Mais très noir aussi. Et du coup, j’avais l’impression qu’on partait trop loin de ce qu’on avait mis en place dans le 1er tome. Du coup, on a commencé à réfléchir à une approche moins directe. Et de nouveaux personnages ont fait leur apparition : la Fuite, Bolide et Ivan, le flic qui vit dans sa cellule.

Bang ! T2 extrait 3

Sceneario.com : Comment vous répartissez-vous le travail ? Est-ce que le rôle de chacun est bien défini dès le départ ou, au contraire, partagez-vous, à tout moment, vos aspirations ?

Loïc Godart : C’est un peu tout mélangé en fait…

Jean-Christophe Deveney : Ouais, c’est une bonne définition de notre manière de bosser. Enfin, au niveau de l’écriture. Pour la partie dessin et couleur, c’est Loïc qui se charge de tout. Pour le scénario, en général, on se retrouve autour d’une table, avec plus ou moins de café au milieu, et on commence à évoquer des idées, des films, des scènes, des histoires ou des faits-divers qui nous ont marqués. En général, je gribouille des pistes et des idées à partir de ça et je rentre chez moi. Une fois les effets du café dissipés, je dors un peu et le lendemain, je reprends tout ça. On fait quelques allers-retours comme ça, jusqu’à ce qu’on obtienne un séquentiel qui nous conviennent, et on se lance dans le découpage et les dialogues. Sur Bang ! 1, Loïc a écrit un un bon tiers de l’album. Sur le 2, je me suis davantage collé à cette partie, mais il avait déjà quasiment mis en place toute la structure.

Sceneario.com : En termes d’histoire ou de graphisme, qu’est-ce qui vous inspire à tous les deux en général ?

Loïc Godart : Personnellement je suis assez bon public en fait, tant j’y crois et qu’on me prend pas trop pour une truffe, ça marche. Et pour le graphisme c’est un peu pareil en fait…

Jean-Christophe Deveney : J’avoue que j’aime bien, en bd, les albums qui essaient de mettre en adéquation le dessin et le scénario, quand on a la sensation que l’histoire ne pourrait pas être racontée avec un autre graphisme. Après, je suis ouvert à tout, tant que je retrouve une impression de réel derrière, que ce soit au niveau des émotions, des enchaînements ou des thèmes.

Bang ! T2 extrait 4

Sceneario.com : Comment vous êtes-vous rencontrés ?

Loïc Godart : On a partagé un atelier un temps, et du coup quand on met un scénariste et un dessinateur dans la même pièce…

Jean-Christophe Deveney : Yep. On est issu d’une tentative d’incubation séquentielle, lancée par les deux boss d’Expérience, célèbre librairie lyonnaise, qui nous avaient proposé un bout de mezzanine dans leur atelier. Ca a pas mal pris d’ailleurs.

Sceneario.com : Jean-Christophe, vous êtes, depuis peu, à l’origine d’une série pour la jeunesse Mangetrouille. N’est-il pas difficile de concilier ce genre « léger » avec celui, plus dur, de Bang ! ?

Loïc Godart : Nan, ça lui fait du bien en fait, il peut mettre des gros mots dans ses dialogues.

Jean-Christophe Deveney : Ah bon ? Parce que Fichtre ou Saperlipopette ça ne claque pas comme injures ? Sinon, non, ce n’est pas compliqué. Il s’agit d’histoires et de tons tellement différents que les risques d’interaction sont très limités. Et puis, c’est l’intérêt aussi de bosser avec des auteurs qui ont des univers très différents. Sans Loïc, Bang ne ressemblerait pas à ce qu’il est. Même chose avec Seb, le dessinateur de Mangetrouille.

Sceneario.com : Loïc, votre graphisme « taillé à la hache » semble vouloir mettre en exergue le côté torturé des personnages et jouer avec leurs ambigüités. Est-ce bien le cas et pourquoi ?

Loïc Godart : Ah bien je ne réfléchis pas trop à ça, c’est les histoires qui veulent ça. Des albums comme « Bang! » ne se font qu’à l’énergie c’est peut être ça qui transpire aussi…

Bang ! T2 extrait 5Jean-Christophe Deveney : Huuum, l’argument olfactif qui donne envie de se jeter sur l’album…

Sceneario.com : Quels sont vos projets à courts et moyens termes, en commun ou séparément ? Un nouveau volet de Bang ! serait-il en perspective ?

Loïc Godart : Ben pour « Bang! » je ne sais pas, après, là, j’avance sur une nouvelle adaptation chez Noctambule et peut être un truc en solo que j’aimerais bien faire, ce ne sont pas vraiment les projets qui manquent. Avec Jc, il y’a aussi des histoires qu’on aimerait développer mais assez loin de l’univers « Bang! ». So wait and see…

Jean-Christophe Deveney : Pour Bang !, rien de prévu pour l’instant. Maintenant, si le tome 2 marche bien et si on trouve une idée qui nous plait, on verra. Sinon, pour l’heure, avec Loïc, on a plutôt des envies de comédie post-carcérale, l’histoire d’un gars qui sort de taule et que la vie qu’il retrouve dehors ne fait plus bander, au propre comme au figuré. Un truc drôle et léger, je vous assure. Pour le reste, il y a un autre one-shot, Le Royaume d’Estompe, prévu pour fin août chez Akileos, avec Tatiana Domas et le premier tome d’un diptyque, Johnny Jungle avec Jérôme et Anne-Claire Jouvray qui sortira pour début Janvier chez Mille Feuilles. Ah oui, on est également en plein lancement du WebTrip, avec Jérôme et dix autres auteurs européens, un feuilleton bd en ligne participatif et ouvert à toutes les contributions. Amis auteurs, allez y jeter un œil par ici : www.webtrip-comics.com.

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