Interview

Interview de Yves Swolfs

Sceneario.com : Le tome 4 de Légende vient de sortir fin octobre. C’est la fin du flash-back, peut-on dire la fin d’un premier cycle?

Swolfs : C’est l’avant-dernier tome du cycle, et toute la résolution va se faire dans le tome 5. J’aurai un sixième tome, un peu différent, beaucoup plus poétique, plus fantastique que les précédents. Il prolongera l’évolution des personnages mais je ne sais pas s’il va s’inscrire dans un nouveau cycle.

Sceneario.com : Dans le premier tome vous parlez d’un Chevalier errant, donc il ne sera jamais Duc.

Swolfs : Oui, ou alors pas longtemps, de toute façon, il n’aimerait pas ça.

Sceneario.com : Dans tous les tomes, Florianne est un peu le pion, le jouet de Shagan. Elle n’apprécie pas le duc, et pourtant dans le tome 4, elle se range à ses côtés.

Swolfs : Oui, j’avais imaginé le personnage, une victime de Shagan parmi d’autres. Le problème des victimes de manipulateurs, c’est que ce sont des gens faibles mais parfois elles déraillent et ne restent pas dans la ligne de la manipulation. On sent qu’elle est manipulée contrainte et forcée, mais à la fois elle aime cette situation confortable. En fin de compte, elle ne fait pas ça pour le plaisir, et les plans de Shagan ne lui plaisent pas plus que ça. Elle a un côté humain, elle est frustrée en tant que mère, étant obligée de s’empêcher d’avoir des enfants, et elle en souffre, jusqu’à lâcher prise. Pour elle, c’est trop, et elle passe de l’autre côté.
Son fils, Eol, a lui aussi été manipulé par Shagan. Il en a fait un outil de ses ambitions à tel point qu’Eol ne sait même pas s’il doit appeler Shagan Père ou Maître, il a une espèce de confusion dans sa tête. On se rend compte dans le tome 4 que l’outil n’est pas parfait. Il y a toujours une faille quelque part, et c’est le cas de ces deux personnages qui sont les plus proches de Shagan.

Sceneario.com : Qu’est devenu Gilles ? A la fin du tome 3, il disparaît…

Swolfs : Il va réapparaître mais je ne veux pas dévoiler le tome 5. Dans un scénario, tous les fils que l’on tire et que l’on développe doivent se retrouver quelque part, tout doit être réglé, et le scénariste ne doit rien laisser partir. Gilles, on va le retrouver à un moment dans le tome 5.

Sceneario.com : Il y a un passage de deux ans entre le tome 3 et le tome 4. On retrouve Judith mais on ne sait pas ce qu’il s’est passé pour les personnages.

Swolfs : On saute de deux ans, mais le plus important c’est l’évolution du personnage central. Tristan a subi une sorte de formation intellectuelle et militaire pour assumer le rôle qui va être le sien. Les autres ont vécu leur vie. On retrouve Ombeline qui a passé son temps au couvent. On imagine que Shagan et ses hommes ont passé leur temps à chercher Tristan. Judith s’est réfugiée dans la forêt et a recomposé une bande de détrousseurs…
Voilà, tous les personnages ont vécu leur vie mais ce qui est important, c’est qu’ils se retrouvent après ces deux ans.

Sceneario.com : On ne voit des fées que dans les moments où Tristan dort ou quand il est dans le coma. Pourquoi avoir ajouté cet élément "fantastique" dans une série médiévale ?

Swolfs : Cette série n’est pas fantastique, mais tout ce qui s’en approche vient des rêves et du côté onirique. Il y a quelques scènes où le duc fait des rêves et dans un album précédent, Florianne fait des cauchemars. Tout reste dans l’ordre du possible. Shagan tire ses pouvoirs d’un livre d’herboristerie mais surtout il a un très fort pouvoir de suggestion. En étant très manipulateur et en induisant chez les autres des craintes et des peurs, les personnes soumises peuvent ainsi faire des rêves en relation avec leur manipulation. Je pousse le bouchon un peu loin, mais c’est le principe de la sorcellerie ou des rites vaudou. C’était bien souvent ce genre de phénomènes. Un effet placebo mais inversé.
Pour les fées que voit Tristan, on aura un développement de cela dans le sixième tome. Une explication rationnelle serait par rapport à l’enfance qu’il a eue et au manque de présence féminine. Il a un côté autodestructeur et ce n’est pas pour rien qu’il voit les fées quand il dort ou quand il est en danger.

Sceneario.com : Il y a aussi la présence de ses parents quand il est proche de la mort, et qui le renvoient sur terre.

Swolfs : Oui. C’est la que réside le fantastique. Ce sont des parties que j’adore faire car c’est dans le fantastique que je me sens le mieux. C’est pour cela que je n’ai pas pu m’empêcher d’en mettre dans cette série. C’est la même chose pour la psychanalyse des personnages.

Sceneario.com : Comment travaillez-vous sur une série où vous êtes scénariste/dessinateur ?

Swolfs : C’est à dire que j’ai deux casquettes bien distinctes. Quand j’écris un scénario, je pense au rythme de l’histoire et que je ne me fais pas forcément des cadeaux. C’est l’histoire qui compte et je développe des parties graphiques passionnantes pour le dessinateur quand le créneau s’y prête, mais jamais gratuitement.
C’est comme cela que je travaille, pour moi ou pour un autre dessinateur. Je ne sais pas si on peut appeler cela de la schizophrénie mais presque. C’est vraiment deux casquettes différentes, à tel point que lorsque je travaille sur le dessin, j’ai un mal fou à faire un texte. Je dois m’y prendre à plusieurs fois. Quand je suis dans une partie scénaristique, je peux faire trois ou quatre scénarios de suite mais je ne dessine pas !

Sceneario.com : Comment travaillez-vous avec un autre dessinateur ? Vous fournissez un story-board détaillé ?

Swolfs : C’est exactement pareil sauf que je mets un peu plus d’indications au niveau de la description et des intentions. Je vais indiquer certains gestes et expressions pour que ce soit restitué au mieux.
Je ne fais pas de story-board. Je fournis uniquement les informations et textes case par case. C’est délicat de travailler avec un autre collègue dessinateur. Si je suis trop interventionniste au niveau graphique en fournissant la mise en scène, il pourrait se sentir un peu bridé, ou que je marche sur ses plates-bandes. Pour qu’il se sente créateur à part entière dans une série, il faut laisser cette liberté.

Sceneario.com : Je regardais votre bibliographie en préparant cette interview.

Durango et Black Hill c’est du western. Vlad, plutôt post apo, Le prince de la nuit fantastique chronologique, James Healer, contemporain fantastique, et Légende médiéval,…
Ce sont des ambiances et des univers totalement différents.
Swolfs : Cela vient d’une envie de changement et d’explorer des choses que je n’ai pas encore traitées. Je me demande même ce que je ferai après avoir fini Légende. Je me vois mal faire de l’heroic fantasy pur. C’est un univers que je connais moins bien et dont je dois m’imprégner avant. J’ai le même problème avec la science-fiction.
Je crois que j’ai un petit peu fait le tour des domaines que je pourrais traiter. Il y a encore le polar d’une certaine façon et des choses que je pourrais faire en tant que scénariste. Cela part d’un syndrome où je me fatigue assez vite d’un même univers. J’ai envie de changer. Le Prince de la nuit c’était génial car cela changeait d’époque pour chaque album.

Sceneario.com : Le prince de la nuit finit dans les années 40. Vous n’avez pas envie de continuer vers l’époque actuelle ?

Swolfs : Cela se fera. Il y a deux ouvertures. La première où les personnages partent avec les mémoires qu’il a écrites. Si je le fais en tant que scénariste, j’aurais probablement envie de le faire en tant que dessinateur. Il y a aussi la partie des cendres où je verrais bien une histoire un peu futuriste. Ce serait un peu spécial parce que le vampire serait constitué des cendres de deux personnes qui n’ont rien à voir. Ça peut donner des choses intéressantes.

Sceneario.com : Cela n’a pas été trop dur de laisser le dessin de Durango ?

Swolfs : Non. J’ai fait treize Durango en tant que dessinateur. A partir du moment où j’ai commence à faire le Prince de la nuit, j’ai senti que mon identité d’auteur complet était beaucoup plus dans le fantastique. C’est là que je prends vraiment mon pied et que j’ai pu développer ma vraie personnalité. En western, je suis toujours un peu écrasé par l’image du père qui est Jean Giraud et où je n’ai pas l’impression de faire mon propre truc à moi.
J’adorais ça, mais c’est volontairement pour changer d’univers que j’ai laissé tomber le western. Qui sait ? Peut-être que je referais un one-shot, quelque chose d’atypique avec d’autres personnages.

Sceneario.com : En parlant de one-shot, Rémission est le seul de votre carrière ?

Swolfs : C’est une expérience que je renouvellerai ou alors une histoire en deux albums. Ce sont des expériences intéressantes, qui sont atypiques, où on peut écrire des choses ou aller sur des terrains où l’on n’a pas l’habitude d’être vu. Ça a vraiment un intérêt particulier. J’ai beaucoup aimé faire cela.

Sceneario.com : Merci. 

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