Interview

Interview de Vink à l’occasion des 25 ans de He Pao

Sceneario.com : Bonjour Vink, et merci de nous accorder cette interview ! Pour commencer, pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?

Vink : Et bien bonjour, je m’appelle Khoa Vinh mais je signe sous le pseudo Vink qui est une contraction de mes nom et prénom. Je suis né au Vietnam il y a 57 ans et j’habite en Europe depuis presque 40 ans.

Sceneario.com : Votre actualité, c’est la sortie du tome 4 des Voyages de He Pao. He Pao, c’est un personnage féminin que vous faites vivre depuis maintenant un quart de siècle. Alors, dites-nous… Quand vous l’avez créée, pensiez-vous que votre héroïne aurait une telle longévité ?

Vink : Non, pas du tout ! Je me suis lancé dans le métier avec beaucoup de passion et d’inconscience, aussi (!!!) et j’étais parti pour ne réaliser que deux albums avec He Pao, et ne pas aller plus loin. Mais à vrai dire, je n’en savais finalement trop rien. Ce que je savais, c’est que j’avais de la matière pour deux albums, et c’était alors tout.

Sceneario.com : Est-ce à dire que votre premier contrat portait sur deux albums ?
 
Vink :
Non, pas exactement. Le contrat portait sur… Le Moine Fou. Sur une histoire, en quelques sortes. C’est comme ça que ça a été accepté.

Sceneario.com : Alors, est-ce le succès de ces deux albums qui vous a poussé à continuer l’aventure ?

Vink : A cette époque, je ne savais peut-être pas trop quoi faire d’autre. C’est cet univers que j’avais en tête, alors j’ai décidé de prolonger la série. Et puis il faut dire que ces deux premiers albums lançaient beaucoup de pistes à explorer : le contexte familial, le contexte social et le contexte historique de He Pao étant très riches, il y avait matière !

Sceneario.com : Oui, on le mesure, maintenant ! Bon, continuons par une petite question qui doit être assez traditionnelle : pourquoi donc avez-vous choisi une héroïne européenne ?

Vink : Ah, oui, c’est effectivement une question que l’on me pose souvent : "Pourquoi ?". Mais à cela… je réponds "Pourquoi pas ?!" Peut-être que moi-même je ne me la suis pas posée !

   


Sceneario.com : Mais n’y avait-il pas, sous-jacente, une certaine « volonté graphique » de ne pas la noyer parmi les autres personnages ? Ou bien pour une raison toute autre ?

Vink : Ce qu’il faut préciser, c’est que je travaille sur cette série avec mon épouse, Cine, qui est Belge, et je crois qu’elle m’a influencé dans le choix du personnage féminin ; et donc dans le fait que He Pao soit occidentale plutôt que Chinoise. Au début, j’avais pensé à une héroïne asiatique, mais Cine m’a finalement influencé à créer He Pao occidentale… pour un public occidental, pour que les gens puissent s’identifier plus facilement…

Sceneario.com : Est-ce que ça veut dire que He Pao ressemble à votre femme ?

Vink : Cine pose beaucoup pour moi, au début. Eh oui, à cette époque, il n’y avait pas encore d’appareils numériques… Alors elle m’aidait en posant, pour que je dessine les mouvements compliqués, notamment. Et logiquement, beaucoup de gens de notre entourage m’ont dit que He Pao ressemblait à Cine… et je crois que c’est vrai !

Sceneario.com : Et à part en qualité de muse, votre femme vous aide-t-elle pour réaliser vos bandes dessinées ?

Vink : Oui. Et à toutes les étapes ! Forcément, je lui parle de mon travail, de mes idées, alors elle me donne son point de vue, ce qui oriente ma façon de faire. Elle s’occupe aussi des fois du travail de documentation et va même jusqu’à me faire certains crayonnés ! Par contre, l’encrage, c’est moi qui le fais. Ensuite, il arrive qu’elle participe au coloriage, mais elle le fait sous ma direction, car quand je commence une planche, je ne sais jamais à quoi elle va vraiment ressembler au bout du compte : les couleurs peuvent varier entre l’idée que j’en ai et le résultat final !

Sceneario.com : Alors, ces couleurs, quelles sont-elles, exactement ? Est-ce de l’aquarelle ?

Vink : Oui, mais au tout début, c’était des encres colorées.

Sceneario.com : Et quand vous parlez d’encrage ?

Vink : Par encrage, je veux dire dessin des contours par-dessus les crayonnés. Il est vrai que ces contours ne sont pas très marqués, et à plus forte raison lorsque les couleurs sont appliquées.

Sceneario.com : Quelqu’un qui n’y connaît pas grand-chose pourrait penser que votre manière de dessiner et de mettre en couleur n’a pas changé depuis 25 ans.

   

Vink : Si, je pense qu’elle a évolué, mais je ne le perçois pas : cette évolution se fait lentement, au fur et à mesure. J’ai du mal à évaluer mon propre travail. Mais ce que je sais, c’est que dans l’ensemble, j’en suis assez satisfait !

Sceneario.com : Qu’est-ce qui a motivé le changement de nom de la série Le Moine Fou en Les voyages de He Pao ?

Vink : La série Le Moine Fou compte dix albums. Plus elle avançait, et moins il était question du Moine Fou, il était moins évoqué. C’est une des raisons pour lesquelles on a pu intégrer ce changement.

Sceneario.com : Si lui était moins évoqué, son art martial, par contre, est toujours resté au centre de l’histoire…

Vink : C’est vrai, mais au début, He Pao se sentait comme possédée par le Moine Fou mais à un moment donné, elle a commencé à se libérer de cette image-là. C’est donc justice pour elle qu’elle prenne plus sa place dans la série en lui donnant son nom !

Sceneario.com : Il y a donc eu changement de titre, et il y a eu changement de format, aussi…

Vink : Ah, oui. Le changement de format m’a été proposé vers les derniers albums du Moine Fou, mais j’ai souhaité qu’on ne le change pas alors j’ai proposé de le maintenir. Comme la série a ensuite changé de nom, il m’a été plus facile d’accepter ce changement.

Sceneario.com : Est-ce que vous avez changé de format de feuille pour dessiner, alors ?

Vink : En général, je travaille sur une surface de 30cm sur 40, mais pour tout vous dire, cela peut changer en fonction de mon humeur !

Sceneario.com : Dessinez-vous vos planches "en un seul morceau" ou bien réalisez-vous des vignettes que vous venez ensuite rassembler sur votre page ?

Vink : Je travaille toujours sur des planches dans leur ensemble. Je finis toujours une planche avant de passer à la suivante.

Sceneario.com : Que savez-vous de votre lectorat ?

Vink : Pas grand-chose, en fait, mais d’après ce que j’en sais, j’ai plus de lectrices que de lecteurs. A y réfléchir, je trouve cela normal : avec un personnage central féminin…

Sceneario.com : Cela dit, He Pao évolue dans un monde parfois très "musclé" et bagarreur !

Vink : Oh, vous savez, tous les mondes sont difficiles ou compliqués !

Sceneario.com : Vos couleurs pastel attirent peut-être aussi plus les femmes que les couleurs beaucoup plus agressives comme on peut les voir lorsqu’elles sont faites par ordinateur ?

Vink : C’est possible, mais je pense que c’est plutôt dû à l’histoire qui est une histoire sans trop de violence. Je dirais même qu’on a plus affaire à un roman d’amour. Pas l’amour comme on l’entend entre deux personnes de sexe opposé, mais plutôt l’amour de la vie.

Sceneario.com : Avec les 25 ans d’âge que votre œuvre affiche, vous arrive-t-il parfois, en tant que scénariste, d’avoir des idées que vous ne pouvez pas développer dans le cadre des aventures de He Pao et que vous gardez donc pour d’autres projets de BD ?

Vink : Bizarrement, je pense que toutes les idées que j’ai peuvent trouver leur place dans les aventures de He Pao, d’une manière ou d’une autre. Il m’arrive parfois de griffonner une idée sur un bout de papier quand elle me vient, de perdre ce bout de papier et d’oublier ce que j’y avais inscrit. Et le jour où cette idée me revient, je me souviens alors que c’est quelque chose à quoi j’avais pensé, mais je me rends compte qu’entre temps, elle a déjà trouvé sa place dans l’histoire !!!

Sceneario.com : Vous avez quand même signé d’autres titres que les albums de l’univers du Moine Fou…

Vink : Oui, mais par exemple, dans Une luciole dans la ville, on retrouve finalement beaucoup de choses qu’on rencontre dans He Pao ; simplement, ça ne se passe pas à la même époque, dans un lieu différent et avec des personnages différents… Pour moi, ces deux œuvres obéissent à une certaine logique artistique.

Sceneario.com : Le Passager, aussi. Qui est d’ailleurs sorti en intégrale dans un tout petit format. Y aura-t-il une suite, d’ailleurs, à cette série ?

Vink : C’est assez peu probable. On va dire que ça peut dépendre justement du succès de ce produit en petit format !

Sceneario.com : Mais… Revenons à He Pao ! Même si quelques passages se déroulent en Corée, la plupart des épisodes se passent en Chine. Alors… Pourquoi avoir choisi de déplacer l’action vers le Tibet ? Avant de tomber dans le coma à la fin du tome 3 des Voyages de He Pao, elle a désigné à son compagnon Tashi Tsanpo une localité au Tibet où celui-ci devait la mener ; elle aurait très bien pu en désigner une dans la Chine où elle évoluait déjà…

Vink : Comme un ordinateur dans lequel on a inséré des données, He Pao, en faisant sien l’art martial du Moine Fou, a intégré la technique mais aussi l’historique de son don. Tout cela est donc inscrit en elle, et sa quête la mène tout simplement à la Source… Vous savez, le Bouddhisme est arrivé en Chine par l’Inde, puis par le Tibet. He Pao suit donc ce même chemin, mais dans l’autre sens. Elle veut naturellement retrouver ses origines. Le Bouddhisme a donc tracé un itinéraire mais il y a aussi celui des caravanes de la Route de la Soie que ses défunts parents ont emprunté avant d’arriver en Chine… Car enfin, le thème principal de la série est bien le suivant : la recherche et la découverte de Soi !

Sceneario.com : Bouddhisme, recherche de soi… Quel parallèle peut-on faire entre He Pao et Vink ?!?

   

Vink : C’est vrai que le lien est très serré entre elle et moi ! Observez que pour ma part, je viens d’Orient et je suis arrivé en Occident, mais que j’ai pour projet de retourner là d’où je viens… He Pao aura suivi le chemin inverse. Il est difficile de résister à l’appel de sa terre d’origine. Par contre, tout cela n’a pas été vraiment calculé et il y a beaucoup de choses dont je m’aperçois après coup qu’elles vont dans ce sens-là ! 

Sceneario.com : Et puisqu’on parle de choses pas du tout calculées, le fait que vous mettiez en scène des affrontements entre les communautés tibétaines, mongoles ou chinoises est-il lui, par contre, une manière de dénoncer certaines dérives politiques asiatiques régionales ?

Vink : Ca, oui, c’est effectivement complètement conscient ! Et même si l’histoire de He Pao se déroule au Moyen-Age, il faut savoir que les conflits entre Tibétains et Chinois existent depuis ces temps-là ! Il faut d’ailleurs préciser que les Tibétains ont, sur certaines périodes, eu le dessus sur les Chinois.

Sceneario.com : Avez-vous aujourd’hui une idée du nombre de tomes qui composeront les cycles suivants ?

Vink : Ah… Si je me mettais à entrer dans le détail des aventures que pourrait vivre He Pao sur la Route de la Soie, je pourrais très bien y passer encore 25 ans ! Je calcule que j’aurais alors plus de 80 ans… Vous comprendrez donc que je vais choisir de ne pas trop m’attarder sur ce périple centre-asiatique ! Je pense donc que c’est en trois ou plus probablement quatre tomes que je vais la faire arriver enfin en Italie.

Sceneario.com : Aïe ! Faut-il le dire, ça, qu’elle va finir par retourner en Italie, ou bien faut-il laisser la surprise aux lecteurs ?!?

Vink : Vous savez, à partir du moment où l’on sait que He Pao est sur le chemin de ses origines… Les lecteurs savent bien qui sont ses parents !

Sceneario.com : La fin approche, en tout cas. Cela explique-t-il par exemple que vous ayez choisi dans le tome 4 des Voyages de He Pao de faire réapparaître l’ami coréen de l’héroïne… pour le faire mourir tout aussi brusquement ?! Aviez-vous décidé de le supprimer comme on congédierait un acteur d’une série qu’on ne souhaite plus faire jouer ?

Vink : Il faut voir les choses autrement. Vous savez, c’était son destin, à ce Kim Ki Ju : il était un guerrier, il aimait se battre, faire la guerre… C’était un mercenaire. Mais ce n’était pas prémédité. Je l’ai senti comme cela à ce moment-là !

Sceneario.com : Ah oui… "Rhâaa, celui-là, il est trop difficile à dessiner, je l’élimine !!!" (Rires) Bon, le premier cycle des Voyages de He Pao prend donc fin avec ce tome 4. Vous donnerez-vous du temps avant d’entamer le prochain tome pour travailler sur un autre projet ou… pour prendre des vacances ?

Vink : Je vais me donner, disons, trois mois. Pour faire de la peinture. J’aime de plus en plus faire de la peinture. Des tableaux. A l’huile. Ce travail fait d’ailleurs en ce moment (NDR : janvier 2008) l’objet d’une exposition à la galerie Maghen. Je vous invite d’ailleurs à aller visiter mon blog : www.vinkcineblog.blogspot.com où vous pourrez voir ma peinture, mais aussi des croquis, des photos…

Sceneario.com : A propos de photos, êtes-vous déjà allé vous-même dans les pays que traverse He Pao ?

Vink : Non. Si je suis allé au Vietnam, je ne suis par contre jamais allé en Chine. Je me documente par des photos, mais aussi par de la bande dessinée chinoise, des revues chinoises et des films chinois.

Sceneario.com : Et Cine… N’est-elle pas trop jalouse de ne pas avoir son nom à côté du vôtre sur les couvertures des albums que vous signez ? 

Vink : Non, non. Même si elle m’aide beaucoup, elle considère que c’est mon travail. Par contre, il arrive qu’elle dédicace avec moi : je dessine, et elle fait la couleur. Cette année, elle n’est pas avec moi à Angoulême !

Sceneario.com : Et bien Vink, merci pour le temps que vous nous avez accordé et bonne chance pour le festival puisque s’ouvre maintenant pour vous la séance de dédicace ! Bon courage, et merci !

Vink : Merci à vous.

 

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