Interview

Interview de Tibet

Sceneario.com : Bonjour Tibet, en préparant cette interview, j’ai parcouru Internet et me suis aperçu que l’on trouve beaucoup plus d’éléments sur Ric Hochet et Chick Bill que sur vous-même.
Tibet :
C’est parce que je suis en définitive un gars quelconque. Ce sont mes personnages qui sont importants. Moi, je suis un vieux monsieur qui reste chez lui et qui dessine. Je ne suis rien d’important, je ne suis pas détective, je ne suis pas cow-boy, je ne suis pas acrobate.

Sceneario.com : Dans les éléments glanés sur Internet, on retrouve les biographies classiques qui retracent votre parcours : Disney, Journal Tintin, responsable aux les éditions Le Lombard.
Tibet :
Je ne suis plus responsable au Lombard depuis longtemps. J’ai été directeur artistique pendant quelques années mais maintenant c’est fini. Ils n’ont plus besoin de moi. Ils ont maintenant un directeur éditorial, Yves Sente, qui est très capable, qui a appris son métier au Lombard qui fait un choix d’albums que je trouve formidable. Je n’aurais pas fait mieux si j’avais été là.

Sceneario.com : Considérant votre production annuelle énorme par rapport à la moyenne actuelle (2 à 3 albums par an), comment vous organisez-vous dans votre travail ?
Tibet :
C’est parce que je travaille tout le temps. Je ne prends pas de vacances. Quand je pars en déplacement personnel sur les côtes de la Mer du Nord, je continue à dessiner, quand je suis à Bruxelles, je dessine et quand je descends dans le Midi de la France, je dessine encore. Je n’arrête pas, c’est ma joie de vivre, c’est ce que je préfère faire. Et donc, n’arrêtant pas, je produis relativement beaucoup d’histoires mais en produis nettement moins qu’il y a 20 ans. Je suis maintenant un peu plus âgé et n’ai plus la même vitalité, la même énergie. Là, je suis en train de dessiner un "Ric Hochet" qui est déjà bien avancé alors que le dernier album vient de sortir.

Sceneario.com : C’est tous les 8 mois ?
Tibet :
Oui, c’est tous les 8 mois, c’est par contrat. Pour les autres séries, je suis assez libre et les rentre chez l’éditeur quand c’est possible. Dès que j’ai fini ce "Ric Hochet" (c’est l’affaire de 2 à 3 mois), je vais m’attaquer au prochain "Chick Bill". J’ai sur mon bureau un "Aldo Rémy" terminé depuis un mois que je vais adresser à Glénat pour qui ce sera une découverte

Sceneario.com : Pour Ric Hochet, vous êtes associé à A.P. Duchâteau. Comment faites-vous pour l’histoire ? Ce dernier vous l’adresse en une seule fois complète ou par séquences de quelques pages ?
Tibet :
On a évolué. Au début il m’apportait le synopsis de ce que serait la prochaine aventure et on travaillait là-dessus. Je lui donnais mon avis, à ce jour toujours favorable. Une fois, il m’a apporté un projet d’histoire tellement dense, avec plein d’idées qu’on a été obligés de scinder l’histoire pour en tirer deux albums : "Alerte extra-terrestre" et "La ligne de mort".

Sceneario.com : Normalement, les aventures de Ric Hochet sont des one-shot mais il arrive parfois de lire une histoire complète sur deux tomes ?
Tibet :
Oui, c’est vrai. A l’époque de "Alerte extra-terrestre", on ne le faisait pas parce que ça paraissait dans "Le journal de Tintin" et on ne pouvait pas se permettre de faire des histoires sur 88 pages. On devait absolument s’en tenir à 44 pages. .Il est arrivé quelquefois Qu’une histoire s’étale sur deux albums Nous ne le ferons plus. Je trouve que l’attente de 8 mois est trop longue pour le lecteur. 

Sceneario.com : Je me rappelle la fin d’un tome ("La main de la mort") où Ric Hochet tombe dans un gouffre et dans l’album suivant, "Crime sur Internet", on découvre qu’il est tombé dans un filet.
Tibet :
Oui, bien sûr, il ne fallait pas qu’il meure !

Sceneario.com : Dans "Crime sur Internet", une grande partie de l’album se fait sans Ric Hochet.
Tibet :
Oui, et c’est Nadine qui mène l’enquête et petit à petit, on s’aperçoit que Ric n’est pas mort. Ça valait le coup et c’est grâce à A.P. Duchateau qui est un grand feuilletoniste à la manière des feuilletonistes d’antan. Il fait des histoires sur ce principe-là, ça lui plaisait de faire croire au lecteur que Ric Hochet était mort .Quel suspense ! Mais en fait, il ne peut pas faire ça à chaque histoire et je lui ai demandé de ne pas trop utiliser ce genre de procédé.

Sceneario.com : 8 mois, c’est quand même court !
Tibet :
Oui par rapport aux éditions actuelles mais rapport au lecteur, attendre 8 mois, il a le temps d’oublier et il doit relire l’album. Entre temps, il a eu plein d’autres albums à sa disposition et il a perdu de vue Ric Hochet. Je pense qu’il vaut mieux faire des histoires d’un coup.

Sceneario.com : Au fil des albums, le graphisme semble évoluer avec le temps (les voitures, les vêtements, les aspects des personnages, les cheveux par exemple) ?
Tibet :
Oui, par rapport aux cheveux des jeunes gens qui sont devenus, à un moment, tellement longs, j’avais peur que Ric Hochet paraisse démodé avec sa coupe que je qualifierais de normale, donc je lui ai allongé les cheveux. Sa coupe de cheveux évolue légèrement d’année en année.

Sceneario.com : Comme son pardessus, un trench !
Tibet :
Oui, Ric a un trench, tous les détectives ont un trench, c’est en souvenir des grands détectives classiques au cinéma Alan Ladd ou Humphrey Bogart au cinéma. De plus, il a la même veste mais ce n’est pas vrai. En effet, à plusieurs reprises dans des albums, il ouvre sa garde-robe qui recèle des vestes en tweed prouvant qu’il n’a pas qu’une veste. De même quand il y a eu la mode mao, je lui ai mis la même veste avec un col mao, à un seul pan ou à 2 pans en arrière. Elle évolue un petit peu mais ça ne se voit pas trop évidemment.

Sceneario.com : Entre le 1er album, le 10ème et le dernier, on voit un réel changement !
Tibet :
Oui, dans le 1er, les vestes étaient plus courtes. J’ai revu récemment un film à la télévision, Pouic-Pouic pour le citer, et j’ai remarqué Philippe Nicaud qui était habillé avec une veste évidemment très courte. C’était à la mode à ce moment-là. Ric suivait la mode, un peu, mais maintenant, il ne bouge plus. Les gens trouvent qu’on ne s’habille plus comme ça. On porte des blousons, les flics ont plus l’air de voyous que les voyous. Je le laisse comme ça parce que c’est sa marque de fabrique. Je trouve quand Hergé a changé les pantalons de Tintin pour le dernier album, il a eu tort. Il n’aurait pas dû faire ça, il a touché à l’image de son personnage. Et je n’ai pas envie de faire ça à Ric Hochet. Il va rester comme il est. J’aime bien ce côté désuet, ça lui donne un charme qui lui est propre .
 
Sceneario.com : Connaisez-vous le coupable dès le synopsis ?
Tibet :
Oui, je le connais bien sûr. Dans une histoire des 3A que nous réalisions Tibet-Duchâteau-Mittei, et dont je recevais le scénario par épisodes, il s’est avéré, à la fin, que le coupable était le capitaine du bateau que j’avais représenté en petit gros jusqu’à la fin, alors que pendant toute l’enquête, il commettait ses méfaits sous l’apparence d’un homme grenouille masqué grand, beau, mince et athlétique… ! L’histoire étant dessinée, Duchâteau dû modifier la fin pour que ce soit crédible. On ne prend plus ce risque. Maintenant, je connais le coupable dès la première planche. 

Sceneario.com : Pour Chick Bill, j’ai l’impression que l’histoire est un prétexte à tout ce qui est possible pour faire un jeu de mots ou de situations ?
Tibet :
Je ne nierai pas que j’aime les calembours. D’ailleurs, mes histoires de Chick Bill démarrent en général sur un titre « calembourteux » que je teste sur mon fils. S’il rit de bon cœur, on y va.
Cela devient la base de mon scénario et l’aventure en découle.
Dans les dialogues eux-mêmes, il m’arrive d’en glisser, mais je n’en fais pas un système. Il y a une histoire "Le ranch hanté", dans laquelle j’ai glissé "je suis ranch hanté de faire votre connaissance" pour m’amuser.

Sceneario.com : C’est plus ce genre de situation que l’on retient de l’album que l’histoire en elle-même
Tibet :
Oui, c’est ce que je préfère faire. Il y a eu une époque où j’ai fait des "Kid Ordinneries" (c’est-à-dire des mésaventures qui arrivaient à Kid Ordinn). Je ne me suis jamais autant amusé parce que c’était du théâtre, des scènes dialoguées entre Kid Ordinn et Dog Bull. J’adorais ça.

Sceneario.com : La série qui m’a surpris est "Aldo Rémy". Par rapport à Ric Hochet et Chick Bill qui ont un ton assez léger, cette dernière est d’un style beaucoup plus noir, surtout le premier album dans lequel le personnage principal va au bout de sa vengeance.
Tibet :
Oui, il a raison. Je suis comme lui, très rancunier. Aldo Rémy est très proche de moi. Dans cette série, je ne m’autocensure pas comme je l’ai fait toute ma vie pour Ric Hochet et Chick Bill qui paraissaient dans un magazine destiné à la jeunesse. Pour le Lombard, je suis un auteur tous publics et ils n’ont pas voulu éditer cette série plus adulte. Glénat l’a fait et j’en suis heureux.

Sceneario.com : Qu’est-ce que l’UPCHIC ?
Tibet :
L’UPCHIC est l’Union Professionnelle des Créateurs d’Histoires en Images et de Cartoons. C’est un organisme qui réunit tous les dessinateurs auteurs de BD francophones comme la SRIPGUILDE chez les dessinateurs néerlandophones. Créée par Franquin pour défendre les jeunes dessinateurs qui souvent se faisaient abuser par les éditeurs.

Sceneario.com : En France, n’existe t-il pas pour les auteurs une sorte de syndicat ?
Tibet :
il est très difficile de créer un syndicat, on est tous indépendants. Ces associations professionnelles étaient surtout destinées à aider les jeunes confrères pour qu’ils ne signent pas n’importe quoi comme nous, les aînés, l’avons fait trop souvent.
C’est le pot de fer contre le pot de terre Mon éditeur est un homme que j’ai beaucoup estimé, mais il était un homme d’argent et moi un créateur de BD. J’étais un rigolo face à un homme qui savait de quoi il parlait.

Sceneario.com : A part "Aldo Rémy", vous êtes toujours resté au Lombard ?
Tibet :
Oui et j’y suis encore. Avec bonheur, avec plaisir. C’est ma maison, je me sens chez moi, là-bas depuis 58 ans.

Sceneario.com : Avez-vous relu vos premiers albums ?
Tibet :
Il m’arrive parfois de reprendre un album pour me souvenir de quelque chose et parfois et c’est plutôt rare, pour faire revenir un personnage. Je relis ces albums et il m’est arrivé de téléphoner à A.P. Duchâteau pour lui dire que l’histoire tenait bien contrairement à ce que je croyais quand on faisait ça à la petite semaine. Il y avait 2, 4 planches qui passaient par semaine dans Tintin, on perd un peu le fil mais quand on relit tout d’une traite, on se retrouve dans une histoire bien solide avec un coupable que Ric Hochet recherche. Il y a du suspense, beaucoup d’action et le grand chic de Duchâteau, c’est d’imaginer des scènes spectaculaires. Ce n’est pas tellement fréquent chez les scénaristes de BD mais, lui, a toujours des idées un peu exceptionnelles. Quand on les réalise, on s’en rend compte.

Sceneario.com : Le saut à l’élastique, par exemple ?
Tibet :
Oui, il y a des trucs comme ça.
Sceneario.com : Et pour le dessiner, vous faites beaucoup de recherches ?
Tibet : Oh oui quand même ! J’ai pris des photos mais je n’ai pas fait de saut à l’élastique. J’ai le vertige. J’ai fait des photos du pont sur le Verdon. Dans chaque histoire, Duchâteau a une invention originale.
Dans "Rapt sur le France" par exemple, Hermelin disparaît. Le bateau est un local clos, personne ne peut disparaître ou s’ajouter . Lorsqu’on le retrouve, personne ne l’identifie, on croit que c’est un faux : Hermelin est rasé et porte une perruque. 

Sceneario.com : Quel personnage préférez-vous parmi tous ceux que vous avez dessinés ?
Tibet :
Assez bizarrement, c’est Dog Bull. Parce que c’est un vrai dégueulasse, un vrai sale type. Il est vaniteux, de mauvaise foi, il est gueulard, il en impose aux plus petits que lui. Dès qu’il a affaire à un plus grand, il fait des courbettes. C’était De Funès avant De Funès, les mêmes caractéristiques. Il abuse de son étoile. C’est un gros con en fait. Et alors, c’est très rigolo de faire ce personnage. Ça me plait vraiment. Et en plus, dans le dernier album que je viens de sortir qui s’appelle "Le géant Flure", Dog Bull a le vertige. Il a vraiment toutes les tares et je m’amuse comme un fou. Et donc, ce qu’il y a de bien, c’est que ce type a face à lui un garçon honnête, qui a l’air bêta mais qui ne l’est pas et qui est Kid Ordinn, qui répond toujours au premier degré et qui est gentil comme tout. C’est en fait l’opposition des deux personnages qui m’amuse. C’est passionnant de caricaturer deux caractères aussi différents et opposés. 

Sceneario : Merci

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