Interview

Interview de Sylvain Runberg et Serge Pellé pour Orbital

Sceneario.com : bonjour, tout d’abord, la traditionnelle question : Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Sylvain Runberg : j’ai commencé à lire très tôt, des romans, des ouvrages concernant l’Histoire en général, et évidemment de la Bande Dessinée. Niveau études, j’ai un parcours en Arts Plastiques pour le lycée et en Histoire politique contemporaine pour l’université. Niveau professionnel, j’ai travaillé quelques années dans une librairie à Aix-en-provence, puis j’ai rejoint les Humanoïdes Associés pour travailler dans l’édition. C’est pendant cette période, en 2001, que j’ai eu un accident qui m’a immobilisé pendant plusieurs mois. Cette inactivité m’a amené à réfléchir à des scénarios et j’ai commencé à écrire des histoires courtes. Et c’est en 2003 qu’a été publié mon premier scénario, dans la revue Métal Hurlant qui ressortait à cette période.

J’ai eu ensuite la chance d’avoir 4 de mes projets acceptés coup sur coup par différents éditeurs : « Astrid » chez Soleil, « Les Colocataires », « Orbital » et « Hammerfall » chez Dupuis, ce qui m’a permis de me consacrer très vite uniquement à l’écriture. Sont venues ensuite ma collaboration avec Luc Brunschwig et André Benn sur « Mic Mac Adam » chez Dargaud et puis « London Calling » chez Futuropolis avec Phicil.

Serge Pellé : j’ai fait une école d’art graphique publicitaire dont je suis sorti en 1989, mais j’ai peu travaillé dans la pub, ce n’est pas trop mon truc. Les premières Bandes Dessinées sur lesquelles j’ai travaillé ont été publiées chez Vent d’Ouest en 1993, c’était essentiellement du travail de commande. En 1998, j’ai réalisé mon premier album complet au Téméraire : « Le Grand Chambardement » et puis l’éditeur a eu le sort que l’on connaît. Entre temps, j’avais fait du Game Design chez Ubisoft, et des décors de spectacles.

J’ai dessiné des meubles que je réalisais avec mon pote Castelli (librairie bédélire à Tours) nous continuons encore aujourd’hui à faire quelques pièces. En 2004, j’ai eu des contacts avec Luc Brunschwig, on a failli travailler ensemble et après quelques projets avortés finalement non. Dupuis m’a alors appelé pour me proposer « Orbital » ! Aujourd’hui, je peux me consacrer à la bande dessinée de façon plus intense, c’est un peu un retour à mes premiers amours dans des conditions confortables.

Sceneario.com : Pourquoi avez-vous choisi de raconter une histoire de Science-Fiction ?

Sylvain Runberg : déjà parce que je suis un grand amateur de SF ! Les thématiques inhérentes au genre (civilisations futuristes, présences extra-terrestres etc…) m’ont toujours intéressées et j’aime l’idée de se projeter dans un avenir lointain pour créer une sorte de miroir reflétant certains aspects des temps présents ou passés.

Serge Pellé : pourquoi pas ? Disons que j’avais déjà développé des designs pour une série TV « Malo korrigan » et c’était de la SF, aussi j’avais déjà un petit univers qui se profilait, tout comme la technique de réalisation aux feutres.

Sceneario.com : Il y a beaucoup de genres dans la Science-Fiction. Pourquoi avoir choisi le Space-Opéra ? C’est un genre très utilisé, vous n’avez pas eu peur du déjà vu ?

Sylvain Runberg : pas vraiment, non. Je pars toujours des personnages pour écrire une histoire, et je construis l’univers autour. Et à mon sens, c’est avant tout à travers les personnages que se construisent le ton et l’originalité d’un récit.

Serge Pellé : Le space opéra peut être un bon cadre pour raconter une histoire tout comme peuvent l’être le western, le polar ou ma cuisine. Il a ses codes, ses clichés, on peut en user, en abuser… chacun fait comme il veut, pour moi c’est une toile de fond dans laquelle se greffe notre histoire. En fait, c’est la couverture qui fait très Space Opéra…

Sylvain Runberg : oui, et le but de cette série n’était pas non plus de montrer de gros vaisseaux spatiaux sans rien derrière. Évidemment, on a toujours des sources d’inspirations, conscientes et inconscientes, mais pas forcément là où le lecteur nous attend. Par exemple, la première scène d’Orbital m’est venue en repensant au référendum européen de 1992 sur le traité de Maastricht, et pour la planète Sénestam et la communauté de Shirebruk, je me suis inspiré des mines wallonnes du 19ème siècle. On est loin du Space Opéra…

Sceneario.com : Dans un premier album, il est toujours difficile de poser l’univers sans négliger les personnages ou l’action. Pouvez-vous nous expliquer comment vous vous y êtes pris et quels thèmes vouliez-vous introduire ?

Sylvain Runberg : comme je l’ai dit, je pars toujours des personnages pour construire mes histoires, mais je travaille aussi beaucoup sur leur environnement, afin que celui-ci soit cohérent par rapport à l’histoire que l’on raconte. La série traite notamment du thème de l’altérité, c’est-à-dire tout ce qui peut rendre difficile les relations entre des individus en fonction de ce qu’ils sont, de leurs origines et surtout des présupposés que les uns peuvent avoir par rapport aux autres. C’est un problème qui a aujourd’hui toute son actualité, mais qui a bien sûr sa place dans un univers de Science-fiction, car c’est aussi un classique du genre.

Sceneario.com : Quelles techniques de dessin avez-vous utilisé sur cet album ?

Serge Pellé : je fais un crayonné assez simple, dans lequel je me garde des finitions pour la mise en couleurs. Je passe ensuite à la couleur directe, que je fais aux feutres, à la gouache acrylique, aux pastels gras. Je modifie ensuite un peu les couleurs par ordinateur, plutôt des choses simples. Le passage à l’ordinateur a trouvé sa place dans ma façon de procéder, c’est vraiment complémentaire à mon dessin sans en être la plus grosse part.

Sceneario.com : Pouvez-vous nous décrire comment fonctionne votre collaboration, comment elle s’organise ?

Sylvain Runberg : je donne généralement peu de directives graphiques. Je commence par écrire un séquencier, on en discute, et après je passe au découpage planche par planche, case par case. Je suis précis sur les ambiances, les intentions et le ressenti des personnages, la construction scénaristique et les dialogues. Mais le découpage en soit est une pâte que Serge peut ensuite retravailler à sa guise.

Serge Pellé : au total on a dû passer 10 heures à discuter ensemble pour cet album, c’est peu mais c’est suffisant dans la mesure où le travail de Sylvain était très clair. J’ai pris, à bras le corps, l’histoire à travers la mise en scène et ça se passe naturellement, voilà.

Sylvain Runberg : je pars du principe que la Bande Dessinée et le Cinéma ont notamment ça en commun : le scénariste, reste le maître de l’histoire et le dessinateur, c’est le réalisateur, le metteur en scène. C’est avant tout à lui de mettre en image le récit.

Serge Pellé : j’apprécie ce mode de fonctionnement. On ne rentre pas dans des conflits, qui peuvent être nécessaires pour certains, mais pas pour nous. C’est de la valeur ajoutée,

Sylvain Runberg : l’important c’est la bonne idée, le plan approprié, la belle séquence, le dialogue qui va servir l’histoire. Après, savoir qui a eu l’idée retenue en bout de course, on s’en fout, et le lecteur aussi !

Sceneario.com : quel accueil a reçu cet album ?

Sylvain Runberg : on a eu un bon accueil critique et les chiffres de vente sont très satisfaisants, surtout pour des inconnus comme nous démarrant une nouvelle série. On est contents, il y a eu un gros travail fait par Dupuis pour mettre l’album en avant : radio, journaux et même la télévision pour ce qui est de la Belgique ! Dommage que les médias généralistes français, et je pense particulièrement à la télévision, soient bien en retard par rapport à ce qui se fait là-bas pour la Bande Dessinée.

Serge Pellé : pour l’accueil, on est bien né c’est déjà ça ! Et pour les médias français, je suis toujours atterré par la vision réductrice qu’ils ont de la bande dessinée, il y a de l’éducation à faire là !

Sylvain Runberg : soit ils ne parlent que de quelques sorties à très, très gros tirages, et c’est compréhensible, soit ça reste confiné à quelques auteurs, qui sont excellents, ce n’est pas le problème, mais ils ne vont pas chercher à regarder plus loin. C’est dommage car la Bande Dessinée n’a jamais été aussi riche et diversifiée qu’aujourd’hui. Cela dit, dernièrement, il y a quand même eu Kris et Davodeau pour « Un homme est mort » qui ont fait plusieurs plateaux télés, peut-être est-ce le signe que ça peut bouger de ce côté-là ?

Serge Pellé : je crois qu’il ne faut pas attendre grand chose des médias en France. Après tout, on existe quand même, il y a des lecteurs, c’est le principal à mon sens. Et puis cette position n’est finalement pas si mal, on reste satellite de ce monde un peu en orbite (là tu vois je fais du marketing je place un mot proche du nom de la série dans la discussion comme ça en passant ;).

Sceneario.com : dites-nous comment va se poursuivre la série ?

Sylvain Runberg : les histoires seront toujours conçues sous forme de diptyques. Chaque aventure sera donc traitée en 2 tomes, ce qui convient assez bien à la fonction de diplomates des deux personnages principaux, qui partent régulièrement en mission dans des environnements différents. Le T2, « Ruptures », conclura donc l’intrigue lancée dans « Cicatrices ». Ça nous permet à chaque fois de finir une histoire particulière en 2 albums tout en suivant l’évolution des personnages et des intrigues plus générales qui ont été mises en place au départ de la série.

Sceneario.com : quels sont vos projets à tous les deux ?

Serge Pellé : Après « Ruptures », je vais déjà être bien occupé par le deuxième diptyque de la série avant de pouvoir penser à autre chose et ensuite, on verra, j’ai d’autres fusées dans mes cartons. Il faut juste trouver le pas de tir et un gros compte a rebours.

Sylvain Runberg : en plus des albums à paraître pour la suite des séries déjà évoquées plus haut, je suis actuellement sur le tome 7 de la série « Kookaburra Universe» avec Eduardo Ocana, à sortir en 2007, et sur l’encyclopédie « Kookaburra », toujours pour Soleil, avec différents auteurs ayant travaillé sur l’univers de Crisse.

Chez Dupuis, le T1 d’ « Hammerfall », avec Boris Talijancic, une série historique/fantastique se déroulant en Scandinavie au VIIIe siècle sortira en 2007, et je travaille sur un nouveau projet d’anticipation/science fiction appelé « Unleash » avec Niko Henrichon, qui sortira fin 2007 début 2008, aussi dans la collection « Empreintes ».

Sceneario.com : que pensez-vous du festival des Utopiales ?

Sylvain Runberg : c’est la première fois que je viens. Pour l’instant, je n’ai pas vu grand-chose car on a fait beaucoup de dédicaces et d’interviews. Mais je trouve le lieu vraiment plaisant. J’ai eu le temps de regarder certaines expositions, comme celle qui traitait de la réalité scientifique des pouvoirs attribués à certains super héros, je l’ai trouvé très sympa.

Serge Pellé : oui c’est vraiment bien ici, j’espère avoir le temps de faire un tour plus complet.

Sceneario.com : Dernière question. Puisque l’on est dans un festival de Science-Fiction, quelles sont vos œuvres cultes ?

Sylvain Runberg : il s’agit surtout de romans et de films en fait. En littérature, je citerais Robert Silverberg, Philip K. Dick, Jules Verne, Iain M. Banks, en cinéma, « La Planète des Singes » (la version de 1968), « Aliens », « Star Wars », « The Thing », « Rencontre du Troisième Type », « Blade Runner », « Akira », « Starship Troopers » et « Pitch Black », en Bande Dessinée, « L’Eternaute » d’Alberto Breccia, les premiers tomes de « Valérian » et « L’incal » et plus récemment les « Ultimates » chez Marvel. Sinon, en télévision, il y a eu « Temps X » et les épisodes de la «Twilight zone » dans les années 80, et là je viens de voir la première saison de la nouvelle série « Galactica » (j’avais suivi l’originale étant enfant) et j’ai été très agréablement surpris !

Serge Pellé : je ne voue aucun culte à quoi que ce soit mais des films comme « Blade Runner », « Brazil », « Scanner », « Vidéodrome », « Chromosome 21 », « Star Wars », « Alien », « Matrix », « Akira » m’ont marqué, tous pour des raisons différentes. En bande dessinée, il y a la génération « Métal Hurlant » et « Pilote » qui m’a irradiée à vie et en littérature Edgar Poe, Lovecraft, Jules Verne (oui je sais c’est pas d’hier mais…) .

Publicité