Interview

Interview de Roger Seiter

Sceneario.com : Bonjour Roger. Cela fait un bon moment que nous n’avons pas pris de tes nouvelles. Nous profitons donc de la sortie du 12 septembre, une nouvelle série chez Glénat, pour te poser quelques questions. 12 septembre : le titre risque de faire penser aux tristes événements du 11/09/2001, et d’ailleurs, il en est question dans le début de ce livre. Pourquoi as-tu voulu aborder ce sujet par ce biais ?

Roger Seiter : On a déjà beaucoup écrit, disserté et enquêté sur les causes et les conséquences des attentats du World Trade Center. Il s’agit sans aucun doute d’un événement majeur de l’histoire du début du XXIeme siècle et traiter un tel sujet dix ans après le drame ne pouvait que m’intéresser. Mais j’ai pensé qu’il fallait trouver une approche différente. Il me semblait que relater simplement ces évènements n’avait guère d’intérêt pour les lecteurs. En cette date anniversaire, les journalistes, les essayistes et les médias allaient largement s’en charger et nous expliquer dans les détails comment une poignée d’illuminés avait pu détourner quatre avions et faire des milliers de victimes innocentes en quelques minutes. Mais il y avait d’autres questions à se poser. Comment l’humanité en était-elle arrivé là ? L’opposition entre l’Occident chrétien et le monde musulman remonte au VIIIeme siècle. Comment deux civilisations brillantes, après des siècles de cohabitation, avaient-elles pu engendrer un drame aussi absurde. Une telle issue était-elle inéluctable ? Et si à un moment donné, l’histoire avait été différente, aurions-nous pu éviter d’en arriver à de telles extrémités ? Et si … A partir de là, le choix de l’uchronie s’est imposé tout naturellement …

12 Septembre Extrait 1

Sceneario.com : Sans trop dévoiler l’intrigue, le récit change de direction dans la deuxième partie du livre, ce qui m’a surpris lors de la lecture. D’où t’es venu l’idée de raconter cette histoire, de te lancer dans cette aventure ?

Roger Seiter : Comme sans doute la plupart des Occidentaux, le drame du 11 septembre 2001 m’a beaucoup fait réfléchir sur les relations nord-sud. La cohabitation entre le monde musulman et la chrétienté n’a jamais été simple. Les médias nous donnent aujourd’hui une vision assez simpliste des choses. Tout comme le christianisme, l’islam est complexe. Religion, histoire et civilisation se confondent. L’islam perse ou turc est très différent de celui des pays arabes. Les courants sont multiples. Il ne s’agit pas seulement de différencier chiisme et sunnisme. Il n’y a que très peu de rapports entre un Salafiste et un Soufiste. Les Alévis turcs ou kurdes, pourtant historiquement rattachés aux chiites, boivent du vin, prônent une stricte égalité entre les hommes et les femmes et ne lisent pas le Coran. Tout cela extrêmement compliqué et les thèses wahhabistes qui ont conduit aux attentats de New-York n’auraient probablement trouvé aucun écho auprès d’un musulman du XVeme siècle. Il se sentait sans doute plus proche d’Averroès que de Ben Laden. Durant les croisades, les forces chrétiennes ont commis bien plus de massacres que les armées arabes qui défendaient simplement leurs terres. C’est tout cela que je voulais aborder et la forme de l’uchronie m’a semblé l’approche le plus intéressante.

Sceneario.com : Quels ont été tes influences ?

Roger Seiter : Quand on parle d’uchronie, on pense tout naturellement à « De Peur que les Ténèbres » de L. Sprague de Camp. Dans ce roman, un archéologue du nom de Padway est frappé par la foudre dans une rue de Rome et se retrouve projeté au Veme siècle, en plein empire romain. Su tu ne l’as pas lu, je te le conseille fortement.

Sceneario.com : Comment as-tu choisi le dessinateur Simone Gabrielli ? Qu’est ce qui t’as plu dans son travail ?

Roger Seiter : Nous avons mis un peu de temps pour trouver un dessinateur capable d’illustrer cette histoire. C’est finalement Philippe Hauri, le directeur éditorial de Glénat, qui a proposé Simone. Son travail sur les planches d’essai était impressionnant.

Sceneario.com : Comment travailles-tu avec lui ? Est ce de la même façon qu’avec Johannes Roussel, Jean-Louis Thouard ou Vincent Wagner ?

Roger Seiter : Simone ne parle pas le français et je ne parle pas un mot d’italien. Glénat a donc fait traduire le scénario et l’ensemble du découpage, ce qui a permis à Simone de travailler sur ses planches. Je lui ai fourni pas mal de documentation et il nous arrive aussi d’échanger des mails en passant par un traducteur automatique. Comme les deux langues sont proches, le résultat est compréhensible. Mais bon, c’est un peu plus compliqué. Avec Vincent ou Johannes, je peux passer des heures au téléphone à refaire le monde. Avec Simone, ce n’est pour l’instant pas possible. Ou alors, il faut que je me mette à l’italien.

Sceneario.com : Qu’est ce qui nous attends pour la suite ? Risque-t-on d’être bien surpris ?

Roger Seiter : La série est prévue en quatre albums. Je vais donc disposer d’un peu de temps pour présenter et explorer l’univers dans lequel se déroule l’histoire. Le tome 2, par exemple, se déroule en grande partie en Italie, aux alentours de Naples. Mais, même s’il s’agit d’une uchronie, une partie du contexte historique est respecté. Ainsi, Jacques Cœur possédait effectivement une galée baptisée « La Madeleine » et ce navire était réellement commandé par Jean de Villages. Dans les tomes suivants, Duncan va croiser la route de personnages historiques comme Jacques Cœur et François Villon. Il va également rencontrer une femme condottière du nom de Bianca Francesca qui jouera un rôle tout à fait particulier dans l’histoire (je vous laisse la surprise). Le choix du XVeme siècle s’est imposé par lui-même. C’est une époque charnière entre la fin du Moyen-Âge et la Renaissance. 1453 marque la chute de Constantinople et la fin de la guerre de Cent Ans et 1492 la découverte de l’Amérique. En quelques décennies, le monde change radicalement, passant du Moyen-Âge à la Renaissance. Je ne vais pas vous en dire plus. J’ai découpé le tome 2 cet été et il sort normalement l’année prochaine…

Sceneario.com : Mais ton actualité ne s’arrête pas là puisque vont sortir Le policier qui rit chez Casterman, la suite de Wild River et Les colombes du roi Soleil vont sortir assez rapidement ces prochaines semaines.

Roger Seiter : Le tome 1 des « Colombes du Roi Soleil », chez Flammarion, sont sorti le 7 septembre, en même temps que le « 12 Septembre ». Il s’agit de l’adaptation en BD d’un excellent roman jeunesse d’Anne-Marie Desplat-Duc. Les dessins sont de Mayalen Goust, qui a fait sur cet album un travail graphique absolument exceptionnel. L’album marche d’ailleurs très bien, puisque 24h après sa sortie, il était déjà épuisé sur Amazon. Le tome 3 de « Wild River », intitulé « La bataille de Babel », est sorti chez Cleopas en août dernier. Il s’agit dans un premier temps d’un tirage de luxe grand format en noir et blanc, avec un dos toilé et des hors-textes en couleurs (62 pages). Un magnifique objet dont Vincent Wagner et moi-même sommes très fiers. Nous tenions beaucoup à publier cet album qui termine la série.

Sceneario.com : Avec Le policier qui rit, tu fais une adaptation d’un polar pour la collection Rivages/Casterman. Quel en est le pitch ? Comment t’es venu l’envie de travailler dessus ? Qui est le dessinateur de cette adaptation ?

Roger Seiter : Il s’agit d’un roman de M. Sjöwall et P. Wahlöö. Ces auteurs suédois ont publié entre 1965 et 1975 dix romans qui mettent en scène un policier du nom de Martin Beck. Ces romans, très politiques (les deux auteurs étaient communistes) décrivent la société suédoise de l’après-guerre. Ils sont passionnants, d’autant que les intrigues policières sont également de grande qualité. Le « Policier qui Rit » est le quatrième roman de la série. Un soir de novembre 1967, dans une rue de Stockholm, neuf personnes sont massacrées dans un bus à coups de mitraillette. Parmi elles, un jeune inspecteur de police qui n’avait aucune raison de se trouver dans le véhicule. L’enquête qui suit s’avère passionnante. C’est ma libraire qui m’a fait découvrir les romans. J’ai lu les dix en trois semaines et j’ai proposé à Laetitia Lehmann, mon éditrice chez Casterman, l’adaptation du « Policier qui Rit ». Curieusement, elle venait de recevoir deux jours plus tôt une proposition identique de Martin Viot, un jeune dessinateur lyonnais. Elle y a vu un signe du destin et nous a mis en relation. Avec Martin, nous nous sommes tout de suite bien entendus et le projet a démarré. J’ai reçu l’album il y a quelques jours (il sort le 21 septembre) et franchement, je le trouve magnifique. Maintenant, c’est aux lecteurs de juger. Quant à ma collaboration avec Martin, j’espère bien pouvoir faire un autre album avec lui (nous explorons actuellement plusieurs pistes).

Le policier qui rit Couv

Sceneario.com : Que penses-tu de cet engouement qu’il y a en ce moment sur l’adaptation de certains romans en bandes dessinées ?

Roger Seiter : Pourquoi pas. Écrire un scénario original ou adapter un roman sont deux démarches très différentes. J’ai l’expérience des deux et les deux sont des aventures passionnantes. Pour faire une bonne adaptation, il faut à la fois bien connaître l’univers romanesque et bien maîtriser la narration bd. Quand j’adapte un auteur, je commence toujours par lire l’ensemble de son œuvre ou la série de romans qui met en scène les personnages récurrents. C’était le cas pour Sjöwall et Wahlöö et c’est également le cas pour les Colombes d’Anne-Marie Desplat-Duc. Dans ce dernier exemple, j’ai commencé par lire les cinq premiers romans avant d’accepter d’adapter le tome 1. Soyons honnête, les scénarios de bd manquent parfois d’ambition. Dans ce cas, ne vaut-il pas mieux adapter un bon roman, plutôt que de sortir un album qui aligne des poncifs à longueur de pages ? Pour moi, ça ne change finalement pas grand-chose. Pour le « Policier qui Rit », j’ai remis le roman entièrement à plat et j’ai rédiger un scénario exactement comme je l’aurais fait pour un scénario original. C’est l’effort à consentir pour avoir une narration et une histoire qui fonctionnent.

Sceneario.com : Avec Wild River tome 3, tu conclues cette série, si je ne me trompe pas. Peux tu nous faire un bref rappel sur cette sage et nous en dire quelques mots sur le final ?

Roger Seiter : Effectivement, le tome 3 termine l’histoire. Il s’agit d’un récit d’aventure un peu à la manière de Fénimore Cooper ou Karl May. Nous sommes en 1810 et les héros sont confrontés aux tribus indiennes et à l’ouest sauvage. Robert Frazer, un ancien compagnon de Lewis et Clark, remonte le Missouri pour tenter de sauver sa femme et son fils, enlevés par une bande de Crows.

Sceneario.com : Les Colombes du Roi-Soleil est un joli titre. Là-dessus, le mystère plane. De quoi est il question dans cette série ?

Roger Seiter : « Les « Colombes du Roi Soleil » sont les jeunes pensionnaires de l’École de Saint-Cyr, crée et dirigée par Mme de Maintenon. Cette institution, installée à proximité de Versailles, accueillait des jeunes filles issues de familles nobles ruinées au service du Roi. Elles y recevaient une bonne éducation et étaient dotées par Louis XIV quand elles en sortaient pour se marier. Anne-Marie Desplat-Duc en a fait les héroïnes d’une série de romans à succès publiés par Flammarion. Il y a deux ans, on m’a proposé d’en faire une adaptation bd. J’ai pris ça comme un challenge, les romans étant plutôt destinés à un public féminin assez jeune. Mais l’univers est intéressant et les romans très riches. Et puis, il y a le merveilleux travail graphique de Mayalen Goust. Rien que pour les dessins, je vous invite à vous plonger dans l’album. Vous verrez qu’on tombe facilement sous le charme de ces Colombes. D’ailleurs, Mayalen est en train de travailler sur le tome 2.

Sceneario.com : En début d’année, est sorti Special Branch avec Hamo au dessin. Peux tu faire un rapide speech dessus ?

Roger Seiter : C’était au mois de février dernier. Le tome 2 sort en janvier 2012 et le tome 3 en octobre 2012. Il s’agit un peu de la suite de « FOG », dont c’est un spin-off. Les deux héros sont les enfants d’Andrew Molton (qu’on découvre brièvement dans le tome 1 de FOG). Son fils Robin est devenu policier et travaille pour la « Special Branch », l’ancêtre des services secrets anglais. Sa fille Charlotte est médecin et aide ponctuellement son frère dans ses enquêtes. Cette première aventure a pour sujet le « Great Eastern », un gigantesque paquebot construit à Londres en 1856. C’était à l’époque le plus grand navire métallique jamais construit. Une sorte de Titanic avant l’heure, qui a connu lui aussi un curieux destin. L’enquête début en 1889 avec la découverte par des ferrailleurs d’un corps momifié à l’intérieur de la double coque du paquebot. Le dessin de Pierre-Yves Berhin est certes assez différent de celui de Cyril Bonin, mais les deux univers sont au final assez proches, avec davantage de légèreté dans « Special Branch ».

Ci-dessous, une illustration de Vincent Wagner tirée d’un « Été en Enfer » aux éditions du Signe.

EEté en Enfer Extrait

Sceneario.com : Quels sont tes prochains projets ?

Roger Seiter : Il y en a plein qui sont déjà en chantier. D’abord, un album avec Vincent Wagner aux éditions du Signe. Son titre est « Un été en Enfer » et l’ouvrage parle du camp de concentration du Struthof, en Alsace. Le seul camp nazi installé sur le territoire français. L’action se passe en juillet-août 1942 et l’histoire est racontée du point de vue d’un enfant de 8 ans qui découvre l’univers concentrationnaire (sans y être directement plongé). C’est un projet assez particulier pour moi, puisque ce petit garçon n’est autre que mon père, qui m’a raconté cette histoire il y a quatre ou cinq ans. Il y a ensuite un diptyque consacré au Titanic. Deux albums qui vont paraître chez Emmanuel Proust en 2012, avec Luc Brahy au dessin (janvier et octobre). Là encore, il s’agit d’un spin-off et d’un cross-over de FOG, puisque le principal personnage féminin s’appelle Alice Launceston-Graves et n’est autre que la fille de Ruppert et Mary, les héros de FOG (dans le tome 8, Mary est enceinte). C’est Luc Brahy qui a lancé le projet au départ. Tout ce que je peux en dire, c’est que les lecteurs risquent d’être très surpris par l’histoire. Et le travail graphique de Luc est vraiment magnifique. Chez Emmanuel Proust toujours, Vincent Wagner va réaliser « L’Hôtel Hantée » en deux volumes. Comme pour « Mysteries », il s’agit de l’adaptation d’un roman de Wilkie Collins. On va d’ailleurs retrouver des personnages de « Mysteries », dont Wilkie Collins lui-même. Il y a également un nouveau projet avec Johannes Roussel. Une série chez Glénat dont le titre sera « Trajectoires ». Un récit dont l’action se situe dans le milieu du sport automobile dans les années 60. Mais on y rencontre aussi des blousons noirs qui fréquentent le « Golf Drouot » et qui assistent à des concerts d’Eddy Mitchell. Je travaille aussi sur une adaptation assez libre de « Des Rats dans les Murs » de Lovecraft. Sinon, quelques projets de polars plus ou moins avancés et une grosse envie d’adapter « Flashman » de G. MacDonald Frazer. Mais là, il faut d’abord voir si les droits sont disponibles.

Ci-dessous, une planche du tome 1 de Titanic, par Luc Brahy (à paraître chez Emmanuel Proust).

Titanic Extrait

Sceneario.com : Quel a été ton dernier coup de cœur pour une bande dessinée ? pour un livre ?

Roger Seiter: Très sincèrement, « La Belle Image » de Cyril Bonin chez Futuropolis. Ce n’est pas parce Cyril est un ami, mais je trouve son travail d’adaptation tout à fait remarquable. Sinon, j’ai bien aimé « L’homme qui n’aimait pas les armes à feu » chez Delcourt.

 

Sceneario.com : Merci, Roger, pour ce temps passé avec nous.

Roger Seiter : C’est surtout à moi de te remercier pour l’intérêt que tu portes à mon travail.

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