Interview

Interview de Pierre Boisserie pour sa série Voyageur Oméga

Sceneario.com : 13ème album de cette série, Voyageur Oméga représente pour les lecteurs la fin de l’aventure de Vedder, est-ce qu’il est facile de laisser un personnage vivre sa vie en toute indépendance après 5 ans d’aventures passionnantes?

Pierre Boisserie : C’est un mélange étrange de soulagement que cette aventure ait été menée à son terme dans les meilleures conditions possibles et de regret de quitter ces personnages auxquels nous nous sommes attachés depuis sept ans en ce qui me concerne.

Sceneario.com : Dès que l’on se lance dans les voyages dans le temps, l’histoire peut rapidement devenir fort complexe, comment avez-vous travaillé pour garder le fil et la cohérence à un scénario qui se développe dans l’espace et le temps?

Pierre Boisserie : Avec Eric, nous nous sommes fixé un modus operandi dès le début de l’écriture. À savoir, que dans Voyageur, les voyages dans le temps auraient toujours les mêmes causes et le mêmes conséquences, même si cela ne nous arrange pas trop dans la structure de la narration. C’était à nous de nous adapter et pas à cette règle.

Sceneario.com : Est-il difficile de mener à son terme une telle série alors que nombre d’éditeurs écourtent ou abandonnent un certain nombre d’aventures?

Pierre Boisserie : Oui, bien sûr. Et c’est là qu’on peut remercier Glénat et son directeur éditorial de l’époque, Laurent Muller, qui avait accepté de signer le projet dans son ensemble dès le départ. Ce qui était pour nous une assurance de le mener jusqu’au bout. Ce qui n’a pas empêché au début de la série d’entendre, ça et là, que le Voyage n’arriverait jamais à son terme… Eh bien, si.
On touche d’ailleurs, à ce propos, au grand problème de la BD actuellement : les lecteurs sont frileux pour acheter des tomes 1 sans savoir si la suite de la série verra le jour, et comme ils n’achètent pas, pas de vente, et du coup, pas de tome 2 ou 3…

Sceneario.com : Comment s’est effectué le choix des dessinateurs?

Pierre Boisserie : Nous ne sommes, à la vérité, pas allés chercher bien loin. Nous avons fait le tour de nos amis en leur proposant de participer à ce projet. Nous les connaissions tous avant de travailler avec eux sur Voyageur.

Sceneario.com : Est-ce Juanjo Guarnido qui a demandé à réaliser ce grand final?

Pierre Boisserie : Exactement. Au départ, il ne devait s’occuper que des couvertures. Comme il souhaitait que son implication dépasse le simple cadre de l’illustration, il a proposé de réaliser le dernier tome, pour lequel il s’est impliqué à fond, y compris pour le scénario.

Sceneario.com : On se rend compte à la lecture et au ressenti du Voyageur combien il doit être difficile d’être simple observateur, non interventionniste dans l’histoire. Les amateurs de science fiction savent bien que le moindre changement multiplie le champ des possibles Quelle fut votre ligne de conduite, où votre philosophie à cet égard?

Pierre Boisserie : Notre ligne de conduite est celle fixée par Mac à Vedder : on ne change pas la continuité sous peine de modifier la structure de la réalité elle-même. Ce qui est arrivé doit arriver.

Sceneario.com : Vous intitulez cet album Oméga, pourquoi avoir délibérément omis l’Alpha?

Pierre Boisserie : Le terme Oméga a été préféré à tome 13 pour renforcer le côté « grand final ».

Sceneario.com : Si vous aviez la possibilité de voyager dans le temps, quelle époque vous attirerait?

Pierre Boisserie : Je suis plutôt bien dans mon époque. Et puis quand on souhaite vivre dans une autre époque, c’est généralement dans les meilleures conditions : j’aimerais bien vivre dans la Grèce Antique par exemple, mais pas vraiment comme esclave… ou au XIXéme, mais pas au fond des mines du Pays de Galles. En fait, il faudrait pouvoir choisir son époque et la condition sociale qui va avec. Et puis, qui sait, j’ai peut-être déjà vécu à d’autres époques…

Sceneario.com : A long terme, avez-vous une vision optimiste de l’avenir de l’humanité?

Pierre Boisserie : Non. D’ailleurs quand en 2004 nous avons commencé avec Eric à envisager un futur où les villes et les états endettés étaient rachetés par des investisseurs privés, nous n’étions pas très loin de la vérité.
Et vous pouvez d’ailleurs remercier Eric et Juanjo, sans eux, la fin de Voyageur n’aurait pas été aussi légère.

Sceneario.com : Vous avez une actualité chargée cette année, Agents du Mossad avec Siro, Nakara avec Lucien Rollin, La gauche avec Pascal Gros, La Rage avec Malo Kerfriden et cette conclusion qui reste malgré tout ouverte de Voyageur avec Guarnido, est ce une frénésie d’écriture ou une simple conjonction de circonstances?

Pierre Boisserie : Déjà nombre de mes scénarios sont des collaborations : la Gauche et Agents de Mossad avec Frédéric Ploquin, Voyageur avec Eric Stalner, Dantès avec Philippe Guillaume. Donc cela réduit considérablement la masse de travail. Après, les projets se montent au grès des rencontres avec les auteurs et les éditeurs. Et j’ai du mal à dire non. Mais rassurez-vous, là, je suis au taquet.

Sceneario.com : A l’énoncé des titres publiés cette année, on se rend compte de la diversité de votre inspiration. Qu’est ce qui déclenche chez vous l’envie d’écrire?

Pierre Boisserie : C’est ça qui est rigolo, non ? il n’y a rien de pire que de se faire cataloguer et de réduire ses envies d’écriture à ça. J’adore écrire des sagas familiales, mais la politique c’est aussi très excitant et les gosses qui bouffent leurs parents, encore plus !
À moins d’avoir un sujet qui me tient à cœur que je développe tout seul dans mon coin, les envies viennent plutôt avec les collaborations. On décide de travailler ensemble et on voit sur quels sujets, dans quels domaines on a envie de s’exprimer.

Sceneario.com : Comment écrit-on à quatre, voire six mains pour cet album?

Pierre Boisserie : Ça, c’est le top. On se met autour d’une table, ou dans des bons fauteuils avec une bonne bouteille et des caramels au beurre salé (n’est-ce pas, Eric ?) et on discute. On se raconte l’histoire, on explore toutes les voies possibles, on avance, on revient en arrière, on repart. Les idées, mêmes mauvaises, des uns, donnent de bonnes idées aux autres. C’est extrêmement stimulant et ça booste la créativité. Le principe de base étant que si l’un des deux n’est pas d’accord avec une option, elle est abandonnée.

Sceneario.com : Vous soutenez MMC BD avec Mathieu Lauffray en initiant le concours jeune talent, est-ce parce que les éditeurs traditionnels filtrent trop et les rencontres en salon trop aléatoires?

Pierre Boisserie : Non. En fait, le projet MMCBD est avant tout une des pistes pour résoudre la fameuse crise des tomes 1 et des nouveaux projets en règle générale. On compte beaucoup sur la diffusion de l’information par les réseaux sociaux pour lancer des jeunes talents et leur permettre d’avoir une vraie visibilité au milieu de toute la production actuelle.

D’autre part la communication par internet et ces fameux réseaux sociaux et une évolution dont il faut tenir compte, aussi bien pour les contacts et les rencontres que pour la diffusion de nos œuvres dans un futur assez proche. Plutôt que de m’en méfier et d’avoir peur de cette évolution, je préfère m’y intéresser et suivre ça de près. Donc, je n’hésite pas à m’impliquer.

 

Sceneario.com : A part la réalisation de cet album avec MMC que nous espérons voir finalisé, quels sont vos autres projets?

Pierre Boisserie : Déjà, continuer les séries en cours : Dantès, Flor de Luna, Nakara, Agents du Mossad et la Rage.
Une nouvelle série avec Georges Abolin, qui se passe dans le milieu du surf, devrait voir le jour en 2012 chez Dargaud. Ça s’appelera Patxi Babel, du nom du jeune héros.
Après cela, également chez Dargaud, nous travaillons avec Philippe Guillaume au développement de « La Banque », une saga familiale (une de plus, ha ! ha !) qui suivra les grands événements économiques de ces deux derniers siècles et qui ont façonné le merveilleux système qui se pète la gueule actuellement. Le premier cycle sera dessiné par Julien Maffre.

Et nous réflechissons avec Frédéric Ploquin à une nouvelle BD-enquête pour 12bis.
Les autres projets en cours en sont pas assez avancés pour commencer à en parler.
Et je crois que nous sommes à un moment dans notre profession où il faut vraiment bien réfléchir aux nouveaux projets pour éviter la malédiction du tome 1 qui ne trouve pas de public ce qui plombe une série, quelque soit sa qualité, d’entrée de jeu.

 

 

Sceneario.com : Merci beaucoup du temps que vous nous avez consacré et de votre accueil au festival de Saint Malo.

Pierre Boisserie : Mais non, c’est moi qui vous remercie !

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