Interview

Interview de J. GUARNIDO pour SORCELLERIES

Sceneario.com : Bonjour, et merci du temps que vous nous accordez pour cette interview. Peut-être pourriez-vous vous présenter pour les internautes et présenter votre parcours avant que l’on aborde votre nouvelle série ?

Juanjo Guarnido : Je m’appelle Juanjo GUARNIDO, je suis espagnol. J’ai travaillé longtemps dans le dessin animé, notamment chez Walt Disney. J’ai commencé ma carrière dans la bande dessinée avec la série Blacksad qui comporte trois tomes pour le moment. Je démarre une nouvelle série qui s’appelle Sorcelleries, qui s’adresse plus aux enfants mais qui reste tout public.

Sceneario.com : Comment vous est venue l’idée de ce projet Sorcelleries ?

Juanjo Guarnido : J’avais envie de faire quelque chose pour les enfants, notamment pour mes propres enfants, puisqu’ils ne lisent pas mon autre bande dessinée adulte.

Guarnido

J’avais envie de changer de registre, de style de dessin, de changer de technique et d’univers, de faire plus dans l’humour parce que cela me plait autant que le dessin réaliste.

Sceneario.com : Qui est à l’origine de ce projet : est-ce venu de vous ou cette idée vous a-t-elle été proposée par des scénaristes ?

Juanjo Guarnido : J’avais demandé à mon scénariste sur Blacksad s’il avait une idée de bande dessinée pour enfants dans un tiroir ou derrière la tête. Il m’a dit qu’il allait voir et au lieu de lui, c’est sa femme qui m’a répondu et envoyé un scénario.

Cela c’est fait comme ça : je l’ai lu, j’ai vraiment adhéré aux propos, à l’histoire. Elle m’a expliqué qu’elle essayait de développer un ancien projet de dessin animé en scénario de bande dessinée et elle voulait savoir ce que j’en pensais. Je lui ai répondu que si cela ne la dérangeait pas, je le ferai bien.

Sceneario.com : On a entendu parler d’un projet autour de Sorcelleries avec Rêve de bulles. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ?

Juanjo Guarnido : Oui, absolument. C’est comme les livres de la série « l’atelier de… » chez rêve de bulles. C’est un recueil de crayonnés de toutes les planches, qui sont cependant moins travaillées que Blacksad. Parfois, c’est limite du « cochon » mais il y a aussi la plupart (pour ne pas dire quasiment la totalité) des recherches de personnages dans le recueil de croquis qui précède les planches crayonnées proprement dites.

Sceneario.com : Par rapport à cette nouvelle série, où avez-vous puisé l’inspiration pour les personnages, la thématique ?

Juanjo Guarnido : Du scénario directement.

Sceneario.com : Pour la création des personnages, est-ce que vous avez eu des difficultés particulières pour l’un d’eux ?

Juanjo Guarnido : Il y avait déjà des recherches graphiques qui avaient été faites pour le projet original de dessin animé mais cela ne collait absolument pas avec les idées que j’avais. C’était du style cartoon network, vraiment dessin animé moderne, très « whacky » comme disent les américains. C’était très exagéré, style « Ren & Stimpy », vraiment un truc qui n’allait pas du tout avec ma façon de faire. Donc, j’ai développé les personnages, un par un. C’est vrai qu’au départ, par rapport au scénario, ma réserve était de pouvoir développer des personnages avec lesquels je serais à l’aise.

Sceneario.com : Cela vous brime un peu ?

Juanjo Guarnido : Oui, je savais que je devais sortir de ce carcan, absolument. Cela ne ressemblait en rien à ce que j’allais faire mais c’est justement ce qui me bloquait. Je savais que je devais juste commencer à dessiner mais à ce moment-là, j’étais occupé sur un autre travail. J’espérais qu’au moment où je commencerais, quelque chose se débloquerait et ça s’est débloqué très rapidement.

Une fois que je me suis mis à développer les personnages, j’ai retrouvé le plaisir de faire du dessin d’humour. Mon but d’ailleurs, c’était de faire du dessin qui fasse rire les gens, qui les amuse. Vraiment, le rire c’est très important pour moi dans mes challenges pour cette bande dessinée.

Sceneario.com : Justement, quel a été l’accueil du public, les premières impressions ?

Juanjo Guarnido : C’est encore trop tôt pour le dire. Disons que le public le plus acharné de Blacksad est un peu déçu parce que ça ne correspond pas du tout à ce qu’il voulait voir de moi. Mais, j’espère que cela va trouver un autre public. De toute façon, je n’abandonne pas Blacksad et les lecteurs de Blacksad le savent bien.

Sceneario.com : Justement, comment allez-vous gérer la création de cette nouvelle série avec Blacksad en parallèle ?

Juanjo Guarnido : Comme d’habitude : dans la souffrance !! On le fera et puis voilà quoi …

Sceneario.com : A quel rythme de publication est prévu Sorcelleries ?

Juanjo Guarnido : Disons que c’est une série jeunesse et comme le dit mon éditeur : dans la vie d’un enfant, un an, c’est énorme. Alors, deux ans et demi, comme pour le précédent Blacksad, entre chaque album, c’est impensable pour un enfant.

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Sceneario.com : Ce serait donc une trilogie ?

Juanjo Guarnido : Pour l’instant, oui. Il y a un premier cycle d’albums, qui ont chacun une histoire qui se termine. Mais, ensemble, les trois constitueront une histoire, avec un sens, une conclusion, vraiment dans le sens de « cycle ». Si, éventuellement, la série marche très bien et qu’on veut la reprendre, on fera un autre cycle, sur un autre sujet, avec un fil conducteur.

Là, il y a plusieurs fils conducteurs et c’est pour ça que je pense que le nombre de trois albums, c’est bien. Le premier, c’est une présentation, le deuxième un nœud et le dénouement de l’action vient dans le troisième pour la conclusion. Il y a des histoires avec le personnage de Rex qui veut implanter la télévision chez les sorcières, la petite fée qui est cherchée par ses semblables mais qui veut rester chez les sorcières… Il y aura un dénouement à tout ça dans ce premier cycle. Après, on verra quelle est la réaction du public. Si le public n’adhère pas, peut-être qu’on en restera à ce premier cycle. On ne sait jamais. Je n’ai pas d’a priori. C’est une série qui me donne beaucoup de plaisir au niveau du dessin. J’aimerai bien continuer mais on verra de toute façon.

J’ai tellement de projets en tête : je ne peux pas dire si dans deux ans, je ferai un deuxième cycle de Sorcelleries ou un Blacksad ou une histoire de science fiction. J’ai plein de projets et je ne peux pas planifier à si long terme.

Sceneario.com : Par rapport à votre éditeur, comment a-t-il apprécié ce projet ? Quelle a été sa réaction lorsque vous le lui avez présenté ?

Juanjo Guarnido : Très bonne. De toute façon, les gens chez Dargaud, c’est de la crème.

Il n’y a quasiment aucune pression à ce niveau-là. C’est très compréhensif de la part d’un éditeur qui a des intérêts logiques dans les séries qui marchent. Mais, j’ai senti un soutien extraordinaire de la part de mon éditeur.

Sceneario.com : Vous disiez tout à l’heure qu’à la base le scénario avait été fait pour un film d’animation, est-ce qu’éventuellement, cela pourrait se concrétiser ?

Juanjo Guarnido : Cela m’étonnerait. Les graphismes de dessin d’humour, un peu compliqués, comme celui-là sont très difficiles à mettre en dessin animé. Les graphismes de bandes dessinées, en général, sont très décevants quand ils sont transportés en dessin animé, même s’il y a des séries qui sont un peu mieux. Il y a quelque chose de fabriqué, de raide, d’artificiel dans le produit final des dessins animés.

Sceneario.com : Ce n’est pas forcément pour le même public : cela vise un public plus jeune que celui de la bande dessinée.

Juanjo Guarnido : Peut-être bien mais je ne suis pas sûr. Moi, je dirai plutôt que dans la bande dessinée c’est le sujet qui détermine le créneau d’âge, pas le support. La bande dessinée et le dessin animé sont assez proches au niveau du public que ça peut intéresser. Je pense que les personnes qui s’intéresseraient à un dessin animé de Sorcelleries seraient les mêmes qui s’intéressent à la BD.

Mais, en même temps, le dessin animé, je connais bien, j’ai travaillé dedans. Je comprends aussi que c’est un produit industriel. C’est un labeur d’équipe, très spécialisé, très compliqué, délocalisé souvent ; il y a des équipes qui travaillent sur des continents différents. Ce n’est pas de la tarte à faire et le résultat n’est jamais fidèle à ce que l’auteur voudrait voir. En plus, en tant qu’animateur professionnel, je sais que c’est très difficile à mettre en place. C’est un graphisme qui est quasiment impossible à mettre en place pour une série télé, et pour un long métrage, il faudrait un niveau d’animation très haut, un gros budget. Ce n’est pas la peine. Je n’y pense même pas.

Sceneario.com : Pour reprendre la question des techniques de travail, pouvez-vous nous expliquer en quoi celles que vous avez utilisées ici diffèrent de celles de Blacksad, par rapport aux croquis que vous avez mentionnés tout à l’heure notamment ?

Juanjo Guarnido : Elles diffèrent énormément. Blacksad, c’est de la couleur directe, comme vous le savez. C’est encré à l’encre et colorié à l’aquarelle sur la même planche. Alors que là, c’est le procédé classique de planche, noir et blanc, avec des couleurs, comme il est aujourd’hui classique et standard, informatiques. Je me suis appliqué sur les couleurs pour qu’on ne voit pas l’aspect informatique tout de suite, en essayant de faire de la fausse gouache, de casser les aplats un peu trop mécaniques des logiciels, des systèmes graphiques.

J’ai essayé d’ajouter une vibration omniprésente, une espèce de petite tâche ; il n’y a pas de dégradé, il n’y a pas de vrais aplats, il y a toujours des petites cassures dans chaque surface, dans chaque aplat, qui viennent essayer de reproduire ce que serait un aplat fait à la gouache, qui n’est jamais totalement plat.

Sceneario.com : Y-a-t-il des choses qui vous ont particulièrement déçu sur le rendu papier ?

Juanjo Guarnido : Oui parfaitement. C’était le prix à payer pour le premier album et le prix de l’inexpérience quant au support. Il y a effectivement des choses qui passent très bien sur l’écran, parce qu’il y a une brillance mais après, on ne s’est pas rendu compte que l’on avait mis énormément de noir sur sa couleur et ça enterre les couleurs. C’est dommage : il y a des erreurs d’appréciation surtout par rapport à l’effet que donne à l’œil le produit sur l’écran et après impression. Selon les caractéristiques de chaque dessin et de la palette que l’on a mise en jeu, cela peut être très fidèle ou très surprenant et décevant.

Sceneario.com : Vous avez un exemple en particulier de ce qui vous a le plus surpris ?

Juanjo Guarnido : Tout ça, ça va (montrant les pages 8-9) : cela ressemble bien à ce que j’avais sur l’écran. Même ça où il y a des couleurs assez sombres, assez enterrées (montrant les pages 20-21).

Mais, par contre, sur l’écran, ce rouge (page 22) était un petit peu plus lumineux, alors qu’il y a quand même une charge de noir dans cette nuance de rouge que j’avais mal calculée. On a rebaissé le noir un peu partout dans l’album : il fallait le faire pour ne pas trop enterrer les gammes de couleurs. Mais à cet endroit précis, ce que je voulais c’était un rouge un peu plus vif, pas pétant parce que ça reste une palette sombre, mais un rouge moins enterré comme on dit en termes d’édition.

A ce moment-là j’étais un peu déçu.

Sceneario.com : Tout à l’heure vous parliez de vos enfants. Est-ce que leur regard a influencé votre travail ? Ont-ils été vos premiers lecteurs ?

Juanjo Guarnido : Effectivement. J’ai deux garçons et une fille. J’ai fait ce livre pour eux. Je cherchais à leur faire plaisir en tant qu’enfant. Mais, le décalage vient du fait que je ne sais pas trop ce que veulent voir les enfants, parce qu’étant enfant, j’avais déjà un œil de dessinateur. Je dessinais déjà avec passion et je me souviens avoir été très exigeant par rapport au dessin. Quand il y avait une histoire d’un personnage que j’aimais et que c’était un « nègre » qui le faisait et pas l’auteur, je l’identifiais tout de suite. J’étais déçu. J’étais déjà exigeant et je sais ce qui me faisait plaisir dans le dessin : la profusion des détails, le fait de pouvoir s’attarder longtemps sur un dessin, la précision des expressions, leur nuance (juste avec la commissure des lèvres, un sourcil). Tout ça m’intéressait beaucoup, je le percevais et c’est ce que j’essaie de faire. Plus au goût de mes enfants, c’est fait à mon goût et j’espère que les enfants vont le trouver drôle parce que mon but c’était de les faire rire avec ça.

Sceneario.com : Et quel est votre personnage préféré de la fine équipe ?

Juanjo Guarnido : Panacea. J’aime bien dessiner des filles sexy, même si celle-là a des dents de requin.

Sceneario.com : Et les cheveux verts… Personnellement, j’ai un faible pour Hécate, la fille !

Juanjo Guarnido : Oui, la petite goth.

Sceneario.com : Elle me plait beaucoup, en particulier avec la télé, quand elle reste scotchée devant la boule de verre ?

Juanjo Guarnido : Pourquoi ? Cela vous rappelle des choses ?

Sceneario.com : Un peu : le côté, il n’y a pas de télé, rien… Elle m’a fait sourire, y compris dans son côté gothique…

Juanjo Guarnido : Oui, son côté gamine de 10 ans qui se la pète, déjà désabusée !

Sceneario.com : Elle se fait une crise d’adolescence avant l’heure ! Tout à l’heure, vous nous disiez que vous aviez beaucoup d’autres projets en tête.

Juanjo Guarnido : J’ai des idées. C’est assez vague. Au moment où j’allais faire Sorcelleries, j’aurais du faire un autre projet avec un scénariste français de renom (je ne veux pas le citer pour le moment car on ne sait pas à quand ce projet est remis). On avait déjà assez avancé sur l’idée, sur l’argument. Mais, l’urgence sur Sorcelleries venait du fait que je le faisais pour mes enfants et que d’ici quelques années… Ils grandissent très vite. C’était le moment ou jamais de le faire.

C’est pour ça que ce projet de science-fiction, un one-shot, qui peut être très beau et qui aurait moins choqué les lecteurs traditionnels de Blacksad, a été reporté. Mais, c’est venu comme ça et je pense que le public sera compréhensif.

Sceneario.com : En tout cas, en ce qui me concerne, Sorcelleries m’a fait mourir de rire.

Juanjo Guarnido : C’est vrai ? Vous me faites plaisir.

Sceneario.com : Sérieusement, cet album est très drôle, ne serait-ce que le binôme du chat et du crapaud !

Juanjo Guarnido : Oui, les deux lascars.

Sceneario.com : Ou encore le trio de sorcières, il y a des moments terribles !

Juanjo Guarnido : En lisant les scénarii du deuxième et du troisième, je riais aux éclats, vraiment à me tordre de rire, à tomber du siège, avec certains passages, notamment avec le crapaud et le chat.

Au troisième, il y a un gag : j’ai explosé de rire en plein studio Dargaud en le lisant sur l’écran de l’ordinateur. Les gens chez Dargaud m’ont regardé d’un drôle d’air.

Je suis très fan du scénario de Sorcelleries.

Sceneario.com : Justement, on en discutait entre nous juste avant et on se disait que l’humour qu’il y avait dans Sorcelleries touchait parfaitement des générations peut-être plus âgées que celles visées initialement. Ça fera sans doute plus rire les adultes que les enfants.

Juanjo Guarnido : C’est très gentil. C’est notre vocation : on voulait vraiment faire une BD tout public, qui fasse rire les enfants par les gamelles, par les « prouts » sans tomber dans le pipi caca

Sceneario.com : Mais il y a des scènes qui feront rire les adultes : notamment le vampire qui postillonne parce qu’il zozote et la mamie qui doit se protéger avec une ombrelle à cocktails ! Elle est magnifique cette case !

Juanjo Guarnido : Voilà, c’est le genre de truc qui je pense fera rire.

Sceneario.com : On aperçoit aussi Michael Jackson…

Juanjo Guarnido : Oui, en zombie. Il y a des clins d’œil pour tout le monde et il y a quand même un deuxième degré dans la trame, dans le regard amusé, pas critique ; enfin si, c’est critique, c’est caustique mais pas moralisateur, parce qu’on s’en fout d’être moralisateur. Il y a une lecture pour les grands.

Pour nous, l’exemple à suivre, c’était Astérix et Obélix, qui peuvent faire craquer tout le monde, les petits comme les grands, les vieux et les adultes, par le second degré, les répliques, le regard sur la nature humaine plus que sur les mœurs.

Sceneario.com : Et comment se passe votre festival pour le moment ?

Juanjo Guarnido : Très bien, même si je cours un peu dans tous les sens.

Sceneario.com : D’ailleurs, c’est le moment pour nous de vous laisser retourner à vos dédicaces.

Juanjo Guarnido : Merci beaucoup pour cette interview et Bon festival !

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